AMF, 17 avril 2020, n° SAN-2020-04
AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Membres :
Mme Belliard, M. Gizard, Mme Meyenberg
Président :
Mme Tric
La 1re section de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (ci-après : « AMF ») :
Vu le code monétaire et financier et notamment ses articles L. 621-14, L. 621-15 et R. 621-38 ;
Vu le règlement général de l’AMF et notamment ses articles 223-11, 223-14, 231-44, 231-46 et 231-47 ;
Vu le code de commerce et notamment ses articles L. 233-7 et L. 233-9.
Après avoir entendu au cours de la séance publique du 7 février 2020 :
- Madame Anne Le Lorier, en son rapport ;
- Madame Audrey Micouleau, représentant le collège de l’AMF ;
- Elliott Advisors UK Limited représentée par M. Gordon Singer, et assistée par ses conseils
Mes Jean-Pierre Martel, George Rigo, Alexis Marraud des Grottes, Yann Schneller, avocats au sein du cabinet Orrick Rambaud Martel et par Mes Benoit Javaux et Kami Haeri, avocats au sein du cabinet Quinn Emmanuel ;
- Elliott Capital Advisors L.P. représentée par M. Richard Zabel, directeur juridique du groupe Elliott Management Corporation, muni d’un pouvoir de représentation de la société, et assistée par ses conseils
Mes Jean-Pierre Martel, George Rigo, Alexis Marraud des Grottes, Yann Schneller avocats au sein du cabinet Orrick Rambaud Martel et par Mes Benoit Javaux et Kami Haeri, avocats au sein du cabinet Quinn Emmanuel ;
- MM. Jean-Pierre Vogel et Alexandre Carayon, interprètes.
Les mises en cause ayant eu la parole en dernier.
FAITS
Présentation des mises en cause Elliott Capital Advisors L.P. (ci-après « ECA ») est une société de droit américain, constituée sous la forme d’un limited partnership et dirigée par M. Paul Singer.
ECA est l’associée commanditée des sociétés Elliott International L.P., fonds d’investissement basé aux Iles Caïmans, et Elliott Associates L.P., fonds d’investissement américain qui détient à 100% le fonds d’investissement bermudien The Liverpool Limited Partnership (ces trois fonds sont désignés ci-après, ensemble, les « Fonds Elliott »).
Elliott Advisors UK Limited (ci-après « EAUK ») est une société de droit anglais constituée sous la forme d’une limited company, dirigée par M. Gordon Singer et régulée par la Financial Conduct Authority (ci-après « FCA »).
EAUK assure la gestion des participations européennes détenues par les Fonds Elliott, en qualité de sous-conseiller en investissement (discretionary sub-advisor), en vertu d’une délégation de pouvoir consentie par Elliott Management Corporation (ci-après « EMC »). Agréée aux États Unis par la Securities and Exchange Commission (ci-après « SEC »), EMC conseille les Fonds Elliott dans le cadre de leurs investissements et assure la gestion de leurs actifs.
Opérations sur le titre Norbert Dentressangle SA
Norbert Dentressangle SA (ci-après « NDSA ») est une société française spécialisée dans la logistique et le transport, cotée sur les marchés Euronext Paris et Euronext Londres.
Au début de l’année 2015, XPO Logistics Inc., société américaine de transport et de logistique cotée à la bourse de New-York, a approché les actionnaires familiaux de NDSA en vue de l’acquisition d’une participation majoritaire dans le capital de cette société.
Le 28 avril 2015, XPO Logistics Inc. a annoncé avoir conclu un contrat de cession d’actions portant sur 66,71% du capital de NDSA, ainsi qu’un accord relatif à une offre publique d’achat simplifiée (ci-après « OPAS ») portant sur les actions restantes au prix de 217,50 euros par action. Elle a précisé avoir l’intention de procéder à un retrait obligatoire de NDSA si elle parvenait à contrôler plus de 95% de son capital à l’issue de l’offre.
Le 29 avril 2015, l’AMF a publié une décision marquant le début de la période de pré-offre.
XPO France (ci-après « XPO »), filiale française à 100% de XPO Logistics Inc., a acquis 66,71% du capital social de NDSA le 8 juin 2015 et déposé l’OPAS le 11 juin 2015.
Entre le 8 mai et le 21 juillet 2015, EAUK a acquis des actions et des instruments dérivés portant sur les titres NDSA pour le compte des Fonds Elliott en intervenant à 43 reprises sur le marché pendant cette période et de manière quasi quotidienne jusqu’à la mi-juin 2015.
ECA, agissant au nom et pour le compte des Fonds Elliott, a déclaré, entre le 15 mai et le 23 juillet 2015, l’ensemble des achats effectués et procédé à diverses déclarations de franchissements de seuils et d’intention.
Ainsi, le 15 mai 2015, ECA a déclaré détenir, au 14 mai 2015, 100 actions NDSA, mais également, aux termes de contrats conclus avec son intermédiaire financier, Bank of America (ci-après « BoA »), 234 635 contrats financiers avec paiement d’un différentiel (contracts for difference, ci-après « CFD ») portant sur autant d’actions NDSA, lui permettant alors de détenir une exposition économique sur le titre NDSA équivalant à 2,39% de son capital. ECA a également indiqué dans cette déclaration avoir l’intention de « poursuivre [ses] acquisitions d’actions Norbert Dentressangle et/ou d’instruments dérivés relatifs aux actions Norbert Dentressangle en fonction des conditions de marché ». Cette déclaration a été publiée par l’AMF le 18 mai 2015.
Puis, le 24 juin 2015, ECA a déclaré avoir franchi en hausse le 18 juin 2015 les seuils de 5% du capital et des droits de vote de NDSA à raison des instruments dérivés conclus et détenir 530 538 CFD, représentant une exposition économique sur le titre NDSA équivalant à 5,39% du capital et 5,37% des droits de vote de cette société.
ECA a également indiqué, dans le formulaire de déclaration de franchissement de seuil, à la rubrique « autres informations » : « Elliott Capital Advisors L.P. [...] envisage de déboucler sa position en CFD et de la remplacer par une détention physique dans NDSA. Si la société prend et met en œuvre une telle décision, qui dépendra des conditions du marché, les notifications requises seront effectuées en conséquence. ».
Le 25 juin 2015, le conseil d’ECA à l’époque des faits, a adressé à l’AMF un email indiquant : « En application de l’article 231-46 du Règlement Général de l’AMF, vous voudrez bien vouloir trouver ci-joint la déclaration d’opérations intervenues le 24 juin 2015. / Veuillez noter que la déclaration d’intention incluse dans le formulaire ne comporte aucune modification par rapport à celle transmise le vendredi 15 mai et ne traduit de ce fait aucun changement d’intention de la part des sociétés concernées. ».
Le 2 juillet 2015, EAUK a dénoué l’intégralité des instruments dérivés détenus par les Fonds Elliott et racheté les actions NDSA que sa contrepartie, BoA, avait acquis en couverture, détenant ainsi 7,56% du capital et 7,52% des droits de vote de NDSA. ECA a déclaré à l’AMF ces opérations d’achats et de ventes le 6 juillet 2015 et le franchissement du seuil de 5% du capital et des droits de vote en résultant le 7 juillet 2015.
Le 10 juillet 2015, ECA a déclaré son intention de « poursuivre les acquisitions d’actions Norbert Dentressangle et/ou d’instruments dérivés relatifs aux actions Norbert Dentressangle » et de ne pas « apporter les actions acquises à l’offre ».
La clôture de l’OPAS est intervenue le 17 juillet 2015.
Le 21 juillet 2015, l’AMF a publié le résultat de l’offre annonçant que seuls 86,25% du capital de NDSA étaient détenus par XPO, les Fonds Elliott détenant 9,18% du capital et 9,076% des droits de vote de NDSA.
En conséquence, XPO n’a pas pu mettre en œuvre le retrait obligatoire initialement envisagé.
PROCÉDURE
Le 21 septembre 2015, le secrétaire général de l’AMF a décidé l’ouverture d’une enquête portant sur l’information financière et le marché du titre NDSA et sur tout instrument financier qui lui serait lié, à compter du 1 er janvier 2015.
Le 8 août 2018, la direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF a adressé à EAUK et ECA des lettres les informant de manière circonstanciée des faits éventuellement susceptibles de leur être reprochés au regard des constats des enquêteurs et de la faculté de présenter des observations dans le délai d’un mois.
EAUK a présenté des observations en réponse le 3 octobre 2018. ECA n’a, quant à elle, pas répondu à cette lettre. L’enquête a donné lieu à un rapport daté du 29 novembre 2018.
La commission spécialisée n°2 du collège de l’AMF a décidé, le 13 décembre 2018, de notifier des griefs à EAUK et ECA.
Des notifications de griefs ont été respectivement adressées à EAUK et ECA par lettres du 1er février 2019.
Il leur est reproché d’avoir :
- produit des déclarations inexactes les 18 mai et 24 juin 2015 portant sur la nature des instruments financiers acquis par les Fonds Elliott dans le cadre de leur investissement dans NDSA, ECA ayant déclaré intervenir sur des CFD à dénouement en espèces alors que ces transactions concernaient en réalité des equity swaps, en méconnaissance des dispositions des articles L. 233-7 du code de commerce et 231-46 et 231-47 du règlement général de l’AMF ;
- publié de façon tardive leur intention de ne pas apporter leurs titres NDSA à l’OPAS, en méconnaissance des dispositions de l’article 231-47 du règlement général de l’AMF ;
- commis un manquement d’entrave, EAUK n’ayant communiqué les informations demandées par les enquêteurs que de manière tardive et incomplète, et ECA n’ayant pas communiqué tous les éléments qui lui étaient demandés par les enquêteurs, en méconnaissance de dispositions de l’article L. 621-15 alinéa
II f) du code monétaire et financier.
Une copie des notifications de griefs a été transmise le 1 er février 2019 à la présidente de la commission des sanctions, conformément aux dispositions de l’article R. 621-38 du code monétaire et financier.
Par décision du 11 février 2019, la présidente de la commission des sanctions a désigné Mme Anne Le Lorier en qualité de rapporteur.
Par lettres du 22 février 2019, EAUK et ECA ont été informées qu’elles disposaient d’un délai d’un mois, en application de l’article R. 621-39-2 du code monétaire et financier, pour demander la récusation du rapporteur dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du code monétaire et financier.
Le 10 avril 2019, EAUK et ECA ont présenté des observations en réponse aux notifications de griefs.
EAUK a été entendue par le rapporteur le 2 octobre 2019 et, à la suite de son audition, a transmis des éléments supplémentaires les 9 et 28 octobre, puis le 12 novembre 2019.
Par lettres du 31 juillet et du 13 septembre 2019, le rapporteur a convoqué ECA à une audition à laquelle cette dernière ne s’est pas présentée. Un procès-verbal de carence a été établi le 9 octobre 2019.
Le rapporteur a déposé son rapport le 20 décembre 2019.
Par lettres du 20 décembre 2019 auxquelles était joint le rapport du rapporteur, EAUK et ECA ont été convoquées à la séance de la commission des sanctions du 7 février 2020 et informées qu’elles disposaient d’un délai de quinze jours pour présenter des observations en réponse au rapport du rapporteur, conformément aux dispositions du III de l’article R. 621-39 du code monétaire et financier.
Par lettres du 30 décembre 2019, EAUK et ECA ont été informées de la composition de la formation de la commission des sanctions appelée à délibérer lors de la séance du 7 février 2020 ainsi que du délai de quinze jours dont elles disposaient, en application de l’article R. 621-39-2 du code monétaire et financier, pour demander, conformément aux articles R. 621-39-2 à R. 621-39-4 du même code, la récusation d’un ou de plusieurs de ses membres.
Par lettre du 6 janvier 2020, le conseil d’EAUK et d’ECA a sollicité un délai pour le dépôt des observations en réponse au rapport du rapporteur. Le délai initialement accordé a été prolongé jusqu’au 23 janvier 2020.
Le 23 janvier 2020, les mises en cause ont déposé des observations en réponse au rapport du rapporteur.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Dans leurs observations en réponse au rapport du rapporteur, EAUK et ECA indiquent que les lettres circonstanciées du 8 août 2018 reposaient sur des documents relatifs notamment au fonds d’investissement X qui comportaient des éléments à décharge, auxquels elles n’ont pas eu accès en dépit de leurs demandes réitérées.
Elles en déduisent un défaut de loyauté de l’enquête ayant porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, sans en tirer aucune conséquence juridique.
2. Au demeurant, les mises en cause ne précisent pas en quoi l’absence d’accès à ces documents au cours de la phase d’enquête, au cours de laquelle le principe des droits de la défense ne s’applique pas mais qui doit se dérouler dans des conditions garantissant qu’il n’y soit pas porté une atteinte irrémédiable, aurait porté une atteinte à ces droits sans qu’il puisse y être remédié au cours de la phase contradictoire de la procédure.
3. A cet égard, les mises en cause ont eu, à compter de la réception des notifications de griefs, accès à l’entier dossier de procédure, qui comportait les réponses apportées par le fonds d’investissement X aux questions de l’AMF formulées par l’intermédiaire de la SEC sur lesquelles se sont fondés les enquêteurs. Elles ont ensuite présenté des observations en réponse aux notifications de griefs, ainsi qu’au rapport du rapporteur. Elles étaient en outre présentes et assistées lors de la séance de la commission des sanctions et ont pu faire valoir à cette occasion leurs observations orales. Elles ont ainsi été en mesure de se défendre sans qu’aucune atteinte irrémédiable ne soit portée aux droits de la défense au stade de l’enquête.
1. Sur le grief relatif à la production de déclarations inexactes
4. Il est fait grief à EAUK et ECA d’avoir sciemment indiqué, dans leurs déclarations des 18 mai et 24 juin 2015, qu’elles avaient acquis des CFD à règlement en espèces, alors que les transactions litigieuses portaient en réalité sur des equity swaps. Selon la poursuite, ces déclarations inexactes pourraient avoir faussé la perception des acteurs du marché, qui n’ont pas été mis en mesure d’appréhender les intentions réelles des Fonds Elliott, qui ne recherchaient pas une simple exposition économique, mais poursuivaient une stratégie consistant à aboutir in fine à une prise de participation à hauteur de 5% du capital de NDSA afin de bloquer le retrait obligatoire envisagé par XPO.
5. Les notifications de griefs relèvent également le caractère opaque des transactions réalisées, les mises en cause s’étant chargées, par l’intermédiaire de leur courtier Kepler Cheuvreux, de constituer la couverture en titre NDSA de BoA, ainsi que les modalités de débouclage de leur position, le marché n’ayant été informé que le 6 juillet 2015 du débouclage des equity swaps ainsi que du rachat consécutif de la couverture BoA en actions NDSA, réalisés le 2 juillet 2015.
6. La poursuite conclut que l’absence de transparence sur les transactions réalisées ainsi que sur les modalités du débouclage, conjuguée aux déclarations erronées sur la nature des instruments financiers détenus, renforce le fait que les mises en cause ont volontairement cherché à dissimuler la réalité de leurs intentions.
7. EAUK et ECA soutiennent que la seule obligation qui résulte des dispositions de l’article L. 233-9 du code de commerce est de déclarer un instrument financier ayant un effet économique similaire à la possession des actions, ce qui a bien été le cas en l’espèce, et non de déclarer un instrument dérivé plutôt qu’un autre.
8. Elles font valoir que CFD et equity swaps à dénouement en numéraire sont des instruments équivalents, totalement assimilés en pratique et qui peuvent donc être indistinctement déclarés, sans que cela n’ait de conséquence sur la perception des acteurs du marché.
9. Elles ajoutent que les instruments dérivés litigieux ne pouvaient, en application de la documentation contractuelle conclue avec BoA, être dénoués qu’en numéraire et que cette contrepartie n’avait aucune obligation de constituer une couverture en titres NDSA et encore moins de la céder aux Fonds Elliott, si bien qu’elles n’avaient en aucune manière la certitude d’acquérir des titres NDSA au moment du dénouement des instruments dérivés.
10. Elles relèvent à cet égard qu’EAUK s’est contentée de signaler à BoA, par l’intermédiaire de son courtier, Kepler Cheuvreux, l’existence d’actions NDSA susceptibles d’être acquises en couverture, sans pour autant les acquérir elle-même ni s’assurer que BoA les avait acquises, et que cette pratique, au demeurant courante, ne saurait lui être reprochée.
11. Elles contestent enfin la prétendue opacité des modalités des opérations de dénouement, indiquant que la décision d’acquérir les actions NDSA détenues par BoA en couverture a été provoquée par une demande de BoA qui, ayant excédé ses limites internes d’exposition sur un seul titre, souhaitait que les Fonds Elliott réduisent leur position en dérivés ou qu’ils la transfèrent à une autre contrepartie. Sur les textes applicables
12. L’article L. 233-7 du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur du 1er octobre 2012 au 5 décembre 2015, non modifiée depuis dans un sens moins sévère sur ces points, dispose : « I – [...] toute personne physique ou morale agissant seule ou de concert qui vient à posséder un nombre d'actions représentant plus du vingtième, du dixième, des trois vingtièmes, du cinquième, du quart, des trois dixièmes, du tiers, de la moitié, des deux tiers, des dix-huit vingtièmes ou des dix-neuf vingtièmes du capital ou des droits de vote informe la société dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat, à compter du franchissement du seuil de participation, du nombre total d'actions ou de droits de vote qu'elle possède. / [...] / Il. - La personne tenue à l'information mentionnée au I informe également l'Autorité des marchés financiers, dans un délai et selon des modalités fixées par son règlement général, à compter du franchissement du seuil de participation, lorsque les actions de la société sont admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un marché d'instruments financiers autre qu'un marché réglementé, à la demande de la personne qui gère ce marché d'instruments financiers. [...] Cette information est portée à la connaissance du public dans les conditions fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers [...] ».
13. L’article L. 233-9 du code de commerce, dans sa rédaction du 28 juillet 2013 au 5 décembre 2015 applicable à l’époque des faits et non modifiée depuis dans un sens moins sévère, ajoute : « I.- Sont assimilés aux actions ou aux droits de vote possédés par la personne tenue à l'information prévue au I de l'article L. 233-7 : [...] 4° bis Les actions déjà émises sur lesquelles porte tout accord ou instrument financier mentionné à l'article L. 211-1 du code monétaire et financier réglé en espèces et ayant pour cette personne ou l'une des personnes mentionnées aux 1° et 3° un effet économique similaire à la possession desdites actions [...] ».
14. L’article 223-11 du règlement général de l’AMF, dans sa version applicable du 1er octobre 2012 au 4 décembre 2015, non modifiée dans un sens moins sévère depuis, précise : « [...] III. - Pour l'application du 4° bis du I de l'article L. 233-9 du code de commerce, la personne tenue à l'information mentionnée au I prend en compte les actions déjà émises sur lesquelles porte tout accord ou instrument financier réglé en espèces et ayant pour elle un effet économique similaire à la possession desdites actions. / Sont considérés comme tels les instruments financiers ou accords : a) Indexés sur, référencés ou relatifs aux actions d'un émetteur ; / b) Procurant une position longue sur les actions à la personne tenue à l'obligation de déclaration. Il en va ainsi notamment des contrats financiers avec paiement d'un différentiel, des contrats d'échange relatifs à des actions ou de tout instrument financier exposé à un panier ou à un indice d'actions de plusieurs émetteurs sauf s'ils sont suffisamment diversifiés ».
15. L’article 231-46 du règlement général de l’AMF, dans sa version en vigueur depuis le 12 juillet 2012, ordonne : « I.
- Les personnes ou entités suivantes doivent déclarer chaque jour à l'AMF les opérations qu'elles ont effectuées ayant pour effet ou susceptibles d'avoir pour effet de transférer la propriété des titres ou des droits de vote visés par l'offre, y compris les opérations sur les instruments financiers ou les accords ayant un effet économique similaire à la possession desdits titres :
/ 1° Les personnes concernées par l'offre ;
/ 2° Les personnes ou entités détenant seules ou de concert au moins 5 % du capital ou des droits de vote de la société visée ;
/ 3° Les personnes ou entités détenant seules ou de concert au moins 5 % des titres visés par l'offre autres que des actions ;
/ 4° Les membres des organes d'administration, de surveillance ou de direction des personnes concernées par l'offre ;
/ 5° Les personnes ou entités qui, seules ou de concert, depuis le début de la période d'offre ou, le cas échéant, de la période de pré offre, ont accru leur détention d'au moins 1 % du capital de la société visée, ou d'au moins 1 % du total des titres visés autres que des actions, tant qu'elles détiennent cette quantité de titres.
/ Les opérations qui doivent être déclarées incluent notamment :
/ 1° L'achat, la vente, la souscription, le prêt et l'emprunt des titres visés par l’offre ;
/ 2° L'achat, la vente de tout instrument financier ou la conclusion de tout accord ayant un effet économique similaire à la possession des titres visés par l'offre, quel que soit son mode de dénouement ;
/ 3°L'exercice du droit à l'attribution d'actions attaché auxdits instruments financiers ou l'exécution desdits accords. / Il.
- Les déclarations doivent préciser :
/ 1° L'identité du déclarant et de la personne ou de l'entité qui le contrôle au sens des dispositions qui lui sont applicables ;
/ 2° La date de l’opération ;
/ 3° Le lieu d'exécution de l'opération.
/ 4°Le nombre de titres traités et le prix auquel l'opération a été réalisée;
/ 5° Le nombre de titres et de droits de vote possédés à l'issue de l'opération « par le déclarant, seul ou de concert. » / Les déclarations doivent être transmises à l'AMF au plus tard le jour de négociation suivant l'opération concernée et prendre la forme du modèle type défini dans une instruction de l'AMF. L'AMF peut demander au déclarant toute précision ou complément qu'elle juge nécessaire.
III. - Dans le cas d'une offre publique comportant une remise de titres de l'initiateur, doivent être déclarées, dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, les opérations portant sur les titres de l'initiateur et ceux de la société visée. ».
16. L’article 231-47 du règlement général de l’AMF, dans sa version en vigueur depuis le 30 juin 2014, dispose : « Sans préjudice des articles L. 233-7 et suivants du code de commerce, toute personne ou entité, à l'exception de l'initiateur de l'offre, qui vient à accroître, seule ou de concert, depuis le début de la période d'offre ou, le cas échéant, de la période de pré offre, le nombre d'actions qu'elle possède d'au moins 2 % du capital de la société visée, ou qui vient à accroître sa participation si elle détient plus de 5 % du capital ou des droits de vote, est tenue de déclarer immédiatement à l'AMF les objectifs qu'elle a l'intention de poursuivre au regard de l'offre en cours. En cas de changement d'intention, une nouvelle déclaration est établie et communiquée sans délai à l'AMF. / Les dispositions du premier alinéa s'appliquent également aux titres visés par l'offre, autres que des actions.
/ La déclaration précise :
/ 1°Si la personne ou l'entité qui vient à accroître sa participation agit seule ou de concert ;
/2°Les objectifs poursuivis par cette personne ou entité au regard de l'offre, notamment si elle a l'intention de poursuivre ses acquisitions et, si l'offre a été déposée, d'apporter les titres acquis à l'offre. / L'AMF peut demander au déclarant toute précision ou complément qu'elle juge nécessaire. ».
17. L’article 231-44 alinéa 3 du règlement général de l’AMF, dans sa version en vigueur depuis le 1 er octobre 2012, dispose que « les fractions de 1 %, 2 % et 5 % visées dans la présente section sont déterminées conformément aux modalités d'assimilation prévues à l'article L. 233-9 du code de commerce, à l'exception de celles prévues au 3° du II de cet article. ». La « présente section » visée par ces dispositions est la section 12 du chapitre I du Titre III du Livre II du règlement général de l’AMF, à laquelle appartiennent également les articles 231-46 et231-47 du règlement général de l’AMF.
Sur l’étendue des obligations déclaratives imposées par les articles L. 233-7 du code de commerce, 231-46 et 231-47 du règlement général de l’AMF
18. Il résulte d’abord des dispositions susvisées que les instruments dérivés, tels que les CFD ou les equity swaps, sont assimilés aux actions pour l’application de l’article L. 233-7 du code de commerce et doivent par conséquent être déclarés, dès lors que les seuils mentionnés par cet article sont franchis.
19. Il en résulte ensuite que ces mêmes instruments sont assimilés aux actions pour l’application des articles 231-46 et 231-47 du règlement général de l’AMF, de sorte que ces dispositions font obligation de déclarer leur détention lorsque les seuils visés sont franchis.
20. L’article L. 233-7 du code de commerce précise que la déclaration de franchissement de seuil de participation est réalisée « selon des modalités fixées par [le] règlement général » de l’AMF. Selon l’article 223-14, VI du règlement général de l’AMF « la déclaration prend la forme du modèle type de déclaration prévu dans une instruction de l'AMF ».
21. Ce modèle type de déclaration figure en annexe à l’instruction AMF n°2008-02 qui, dans sa version modifiée le 7 février 2013 applicable au moment des déclarations litigieuses, prévoyait expressément, dans la partie « E°)
Origine et franchissement de seuil(s) / 2. Actions et droits de vote assimilés » qu’il convenait d’indiquer les « e)
Actions déjà émises – ou droits de vote y attachés – sur lesquelles porte un accord ou un instrument financier à dénouement en espèces et ayant pour le déclarant un effet économique similaire à la possession desdites actions ou desdits droits de vote. Précisez (cf. J°) », sans que cette instruction n’ait été modifiée dans un sens moins sévère sur ces points depuis.
22. La catégorie « J° » à laquelle il est renvoyé indique que doivent être précisées les « caractéristiques des accords et instruments financiers visés » et notamment la « désignation des accords ou instruments financiers ».
23. De même, selon l’article 231-46 du règlement général de l’AMF, les déclarations d’opérations à faire dans le cadre des offres publiques doivent « prendre la forme du modèle type défini dans une instruction de l'AMF ».
24. Ce modèle type de déclaration figure en annexe à l’instruction AMF n°2009-08 qui, dans sa version en vigueur le 1 er octobre 2009 applicable au moment des déclarations litigieuses, sans que cette instruction n’ait été modifiée dans un sens moins sévère sur ces points depuis, indiquait dans la partie « 4. Opérations sur des instruments dérivés sans composante optionnelle (à dénouement physique ou en espèce), ou sur des accords équivalents » qu’il convenait d’indiquer le « type d’instrument dérivé » acquis et de préciser s’il s’agit de « contrats futures ou forward, equity swap, contracts for difference (CFD)... ».
25. Il résulte de ce qui précède que les déclarations réalisées en application des articles L. 233-7 du code de commerce et 231-46 et 231-47 du règlement général de l’AMF doivent préciser la nature de l’instrument dérivé acquis et notamment s’il s’agit d’un CFD ou d’un equity swap.
Sur la qualification des instruments dérivés acquis par les mises en cause
26. Un equity swap à dénouement en numéraire est un contrat, généralement documenté selon l’accord cadre de l’International Swap & Derivatives Association (ci-après « ISDA »), aux termes duquel les parties s’échangent, à intervalles réguliers, des flux financiers qui représentent l’évolution de la valeur ou plus généralement la performance de l’actif sous-jacent.
27. Un CFD à dénouement en numéraire est un contrat conclu entre deux parties par lequel celles-ci s’échangent un flux monétaire correspondant à la différence de prix d’un actif sous-jacent entre la date à laquelle le contrat est conclu et la date à laquelle le contrat prend fin.
28. Si les CFD et les equity swaps à dénouement monétaire sont des instruments dérivés visant à prendre une exposition économique sur un titre sans en acquérir la propriété, ces deux instruments diffèrent à plusieurs égards.
29. Premièrement, les equity swaps comportent généralement une date d’expiration, contrairement aux CFD. A cet égard, les mises en cause produisent des déclarations publiées par l’AMF mentionnant des CFD avec des dates d’échéance. S’il n’est pas contesté que les CFD peuvent prévoir des dates d’échéance fixes, il n’en demeure pasmoins que cette particularité demeure davantage une caractéristique des equity swaps.
30. Deuxièmement, les CFD exigent généralement que l’investisseur dépose le paiement d’une marge représentant un pourcentage de l’exposition économique auprès du fournisseur du CFD, tandis que pour les equity swaps, le rendement économique du titre sous-jacent est payé en plusieurs échéances selon un calendrier préalablement négocié.
31. Troisièmement, les equity swaps sont généralement documentés selon l’accord cadre de l’ISDA et ses annexes, alors que les CFD ne sont, le plus souvent, pas conclus en application de tels contrats standardisés.
32. Quatrièmement, alors qu’un seul flux financier, correspondant à la performance globale de l’actif sous-jacent à l’échéance du contrat, est échangé dans le cadre d’un CFD, l’equity swap correspond à un échange de deux flux financiers. Ces flux sont généralement désignés comme les « jambes » (ou legs) du swap, une jambe étant rattachée à un taux variable, comme le Libor ou l’Euribor et l’autre jambe étant basée sur la performance de l’action sous-jacente., Cette pluralité de flux ne fait pas obstacle, comme le soulignent les mises en cause, à ce qu’une compensation puisse être opérée entre les sommes dues par les deux contreparties.
33. En l’espèce, les constatations suivantes doivent être relevées :
34. En premier lieu, il résulte des déclarations des mises en cause que les instruments dérivés litigieux ont été acquis dans le cadre de plusieurs contrats conclus en application des contrats cadres intitulés ISDA Master Agreement du 13 février 1998 et Swap Master Confirmation Agreement du 24 décembre 2012 et des contrats d’application intitulés Basket Supplemental Confirmations du 29 janvier 2015, dont les conditions particulières ont été reprises dans les Swap Activity Reports (rapport d’activités sur les swaps) de mai, juin et juillet 2015 émis par BoA.
35. En deuxième lieu, les Basket Supplemental Confirmations du 29 janvier 2015 stipulent l’échange de deux flux financiers entre les parties, les Fonds Elliott devant périodiquement payer à BoA un montant variable calculé notamment sur la base de l’Euribor et inversement.
36. En troisième lieu, tant les Basket Supplemental Confirmations du 29 janvier 2015 que les Swap Activity Reports prévoient pour ces instruments une date d’expiration, ce que les mises en cause ont confirmé dans leur déclaration du 24 juin 2015, puis dans leur note du 9 octobre 2019 en réponse aux questions posées par le rapporteur lors de l’audition du 2 octobre 2019.
37. En quatrième lieu, chaque Basket Supplemental Confirmation prévoit des dates fixes de paiements intermédiaires par chacune des parties.
38. Ainsi, les instruments dérivés en cause, qui prévoyaient un échange de flux financiers entre les Fonds Elliott et leur contrepartie, ont été conclus en application de l’ISDA Master Agreement, ont une date d’expiration contractuellement prévue et font l’objet de paiements intermédiaires à échéances fixes. Ils présentaient donc plusieurs des caractéristiques des equity swaps, qui font obstacle à la qualification de CFD.
39. Au demeurant, il ressort des pièces versées aux débats, d’une part, que BoA a indiqué, dans ses déclarations à l’AMF, que les transactions en cause portaient sur des equity swaps et, d’autre part, que la notice d’opération sur les titres NDSA transmise par BoA à EMC, le 26 juin 2015, mentionne une transaction en equity swaps.
40. En outre, en mai 2015, les Fonds Elliott ont, sur le fondement de la même documentation contractuelle que celle qui a été utilisée en l’espèce, acquis des instruments dérivés, portant respectivement sur les titres Alcatel Lucent et Nokia, qui ont été qualifiés d’equity swaps et non de CFD, alors qu’ils avaient les mêmes caractéristiques que les instruments dérivés en cause en l’espèce.
41. Il résulte de ce qui précède que les instruments dérivés acquis par les mis en cause doivent être qualifiés d’equity swaps, et non de CFD.
Sur les déclarations litigieuses
42. Dans sa déclaration du 15 mai 2015, effectuée en application des articles 231-46 et 231-47 du règlement général de l’AMF et publiée par l’AMF le 18 mai 2015, ECA a déclaré que les Fonds Elliott avaient acquis des « « contracts for difference » à règlement en espèce portant sur autant d’actions NORBERT DENTRESSANGLE ».
43. Puis, dans la déclaration de franchissement de seuils établie le 24 juin 2015 pour le compte des Fonds Elliott en application de l’article L. 233-7 du code de commerce, ECA a déclaré que « ce franchissement de seuils résulte d’une acquisition de contracts for difference ».
44. En conséquence, en déclarant des CFD au lieu d’equity swaps dans ces deux déclarations, les mises en cause ont produit des déclarations inexactes, en violation des dispositions des articles L. 233-7 du code de commerce, 231-46 et 231-47 du règlement général de l’AMF.
45. A cet égard, ni la perception des acteurs du marché, ni l’opacité des circonstances dans lesquelles BoA aurait acquis en couverture les titres NDSA avant de les céder aux Fonds Elliott, éléments invoqués par la notification de griefs, ne constituent des éléments de caractérisation du grief. Ces éléments seront, en revanche, examinés lors de l’appréciation de la sanction.
46. En produisant des déclarations inexactes, EAUK, qui agissait en qualité de sous-conseiller en investissement des Fonds Elliott, et ECA, en sa qualité de commanditée, tous deux gestionnaires des Fonds Elliott, ont violé les dispositions des articles L.233-7 du code de commerce, 231-46 et 231-47 du règlement général de l’AMF, de sorte que le manquement à ces dispositions est caractérisé.
2. Sur le grief relatif à la communication tardive des intentions des Fonds Elliott
47. Il est fait grief à EAUK et ECA d’avoir tardé à communiquer leur intention de ne pas apporter à l’offre de XPO les titres NDSA détenus par les Fonds Elliott. Après avoir rappelé que cette offre a été déposée le 11 juin 2015, les notifications de griefs retiennent que les mises en cause ont attendu le 10 juillet 2015 pour procéder à la déclaration d’intention requise par l’article 231-47 du règlement général de l’AMF, alors que ces fonds avaient, le 14 mai 2015, dépassé par assimilation le seuil de détention de 2% du capital de NDSA puis, le 18 juin 2015, le seuil de 5%.
48. Les mises en cause font tout d’abord valoir que l’obligation de déclarer son intention n’est pas applicable aux instruments dérivés, les modalités d’assimilation prévues à l’article L. 233-9 du code de commerce par renvoi à l’article 231-44 du règlement général de l’AMF ne s’appliquant pas aux déclarations d’intention. Elles estiment dès lors que le grief qui leur est reproché repose sur une interprétation extensive de l’article 231-47 du règlement général de l’AMF, contraire aux principes de légalité des délits et des peines, de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère et de prévisibilité du droit. Elles soulignent qu’une telle interprétation rendrait la déclaration d’intention dépourvue de toute valeur informative puisqu’affectée de nombreux aléas concernant notamment la possibilité d’acquérir les actions de la cible d’une offre publique. Elles ajoutent que l’AMF n’a pas imposé jusqu’au mois de mai 2015 de déclaration ni poursuivi les autres opérateurs au sujet de leur intention d’apporter à une offre des titres qu’ils ne possédaient pas.
49. Les mises en cause relèvent en outre que, jusqu’au 2 juillet 2019, les Fonds Elliott ne détenaient presque aucune action NDSA et qu’ils n’avaient aucune certitude de pouvoir en détenir dans des proportions les soumettant à une telle obligation déclarative.
50. Elles affirment qu’elles n’ont pris la décision de ne pas apporter les titres acquis à l’offre que le 9 juillet 2015, au regard de leurs analyses internes et de l’évolution de la crise financière grecque. A cet égard, elles soulignent qu’un examen des déclarations publiées en cours d’offre publique d’acquisition confirme que les investisseurs ne déclarent leur intention que lorsqu’une décision a été prise.
51. Ni le principe de légalité des délits et des peines, ni celui de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère, ne font obstacle à ce qu’à la faveur de la première application d’une règle en vigueur à la date des faits litigieux, la commission des sanctions précise sa portée et en fasse application aux faits à l’origine des manquements qu’elle sanctionne, dès lors que la règle en cause était suffisamment claire, de sorte que la sanction de sa méconnaissance puisse être regardée comme suffisamment prévisible. Il est à cet égard indifférent que des personnes n’ayant pas respecté les obligations concernées n’aient pas fait l’objet d’une mise en cause.
52. Il résulte de la lecture combinée des articles 231-44 et 231-47 du règlement général de l’AMF précités que les equity swaps sont assimilés aux actions pour l’application de l’article 231-47 du règlement général de l’AMF. Cette combinaison n’est ni ambigüe ni sujette à interprétation, de sorte que le moyen tiré de la violation des principes invoqués par les mises cause est infondé. Il n’y a dès lors pas lieu de distinguer, là où le renvoi opéré par l’article 231-44 du règlement général de l’AMF ne distingue pas, entre les déclarations de franchissement de seuils et les déclarations d’intention imposées par l’article 231-47 du règlement général de l’AMF.
53. Ainsi, l’article 231-47 du règlement général de l’AMF fait obligation à toute personne qui vient à détenir au moins 2% du capital de la cible d’une offre publique ou qui vient à accroître sa participation si elle détient plus de 5%, directement ou par assimilation, de déclarer son intention d’apporter les titres acquis à l’offre lorsque celle-ci a été déposée.
54. Cet article ne conditionne nullement l’obligation déclarative portant sur l’intention d’apporter des titres acquis par assimilation à l’offre, à la certitude de pouvoir effectivement acquérir de tels titres, ni à une détermination ferme de cette intention.
55. Au contraire, l’article 231-47 du règlement général de l’AMF exige la déclaration d’une simple intention, et non d’une décision définitive, qui doit être faite « immédiatement », c’est-à-dire sans délai à compter du franchissement des seuils visés. Ce texte précise d’ailleurs qu’en cas de changement d’intention, une nouvelle déclaration est établie et communiquée à l’AMF.
56. En l’espèce, l’offre a été déposée le 11 juin 2015. Les Fonds Elliott avaient atteint par assimilation le seuil de détention de 2% du capital de NDSA dès le 14 mai 2015 et ont franchi le seuil de détention de 5% le 18 juin 2015.
57. Or, le 25 juin 2015, le conseil d’ECA a adressé à l’AMF un email indiquant que l’intention des Fonds Elliott consistant à poursuivre leurs acquisitions de titres NDSA n’avait pas changé depuis leur déclaration du 15 mai 2015, sans donner aucune indication sur leur intention d’apporter ou non les titres acquis à l’offre. Ce n’est que le 10 juillet 2015, à la demande expresse de l’AMF, qu’ECA a déclaré son intention de ne « pas apporter les actions acquises à l’offre ».
58. Les mises en cause n’ont donc pas immédiatement déclaré leur intention d’apporter leurs titres à l’offre, de sorte que le manquement tiré de la violation des dispositions de l’article 231-47 du règlement général de l’AMF est caractérisé.
3. Sur les griefs d’entrave
59. D’un côté, il est fait grief à EAUK d’avoir manqué aux dispositions de l’article L. 621-15 alinéa II f) du code monétaire et financier en ne communiquant aux enquêteurs que de manière incomplète et tardive les pièces sur le fondement desquelles avaient été réalisées les souscriptions d’instruments dérivés portant sur les actions NDSA. La notification de griefs reproche à ce titre à EAUK d’avoir attendu la réception de la lettre circonstanciée adressée le 8 août 2018, pour produire, avec sa réponse du 3 octobre 2018, les Swap Activity Reports et les Basket Supplemental Confirmations, alors que ces documents entraient dans le périmètre de demandes réitérées des enquêteurs. Il lui est également reproché de ne pas avoir mentionné Kepler Cheuvreux dans ses réponses, ni d’avoir expliqué son rôle dans le cadre de cet investissement, et d’avoir anonymisé les Swap Activity Reports en procédant, de sa propre initiative, à la cancellation de toutes les opérations qui ne concernaient pas les titres NDSA, empêchant ainsi les enquêteurs de procéder à toutes les vérifications utiles à l’enquête. Enfin, la notification de griefs relève des incohérences entre les informations figurant dans les Basket Supplemental Confirmations et celles mentionnées dans les Swap Activity Reports, qui témoignent selon elle du manque d’exhaustivité des réponses apportées par EAUK aux demandes des enquêteurs.
60. D’un autre côté, il est fait grief à ECA d’avoir manqué aux dispositions susvisées pour ne pas avoir transmis à l’AMF l’ensemble de la documentation juridique relative aux contrats d’equity swaps relatifs à NDSA. La notification de griefs relève à cet égard qu’ECA n’a pas « coopéré de façon satisfaisante avec l’AMF » et, in fine, communiqué « copie de tous les contrats liés à NORBERT DENTRESSANGLE (tels que CDS, swap, couverture...) conclus avec des entités financières entre le 1er avril 2015 et le 31 juillet 2015 », en dépit de demandes des enquêteurs en ce sens des 24 novembre 2015 et 8 septembre 2016.
61. Les mises en cause soutiennent que la caractérisation du manquement d’entrave suppose que soient réunis un élément matériel, constitué par le refus exprès de la personne sollicitée par l’AMF, et un élément moral, tenant à l’intention de faire obstacle au bon déroulement de l’enquête. Elles ajoutent que le manquement d’entrave ne peut être retenu dans l’hypothèse d’un simple manque de coopération avec les enquêteurs, qui ne résulte pas d’une véritable obstruction à l’action des enquêteurs ni d’une communication à l’AMF d’informations sciemment inexactes, sans qu’il soit porté atteinte à leur droit de garder le silence et de ne pas contribuer à leur propre incrimination.
62. Les mises en cause estiment qu’en l’espèce un tel manquement ne peut être caractérisé dès lors qu’elles ont répondu à toutes les sollicitations des enquêteurs et transmis toute la documentation en leur possession, qu’elles considèrent comme exhaustive.
63. Elles font par ailleurs observer que la sélection des mots clés définie avec la SEC dans le cadre de demandes qui leur ont été adressées par son intermédiaire n’a pas permis d’identifier les Basket Supplemental Confirmations avant le 3 octobre 2018 et que les Swap Activity Reports ont été communiqués à l’AMF dès leur transmission par BoA, ce qui explique la tardiveté de ces communications et exclut toute volonté de dissimulation de leur part.
64. Sur l’anonymisation des Swap Activity Reports, les mises en cause estiment qu’il ne saurait leur être reproché d’avoir cancellé certaines informations sans rapport avec l’enquête en cours, ce qui, selon elles, n’a nullement entravé la tâche des enquêteurs.
Sur les textes applicables
65. L’article L. 621-10 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur du 28 juillet 2013 au
30 décembre 2018, non modifié depuis sur ce point dans un sens moins sévère, dispose que « les enquêteurs et les contrôleurs peuvent, pour les nécessités de l'enquête ou du contrôle, se faire communiquer tous documents, quel qu'en soit le support. »
66. Le II f) de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur du 22 février 2014 au 5 décembre 2015, non modifiée depuis dans un sens moins sévère sur ce point, dispose que « la commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes :
[...] ; / f) Toute personne qui, dans le cadre d'une enquête effectuée en application du I de l'article L. 621-9, sur demande des enquêteurs et sous réserve de la préservation d'un secret légalement protégé et opposable à l'Autorité des marchés financiers, refuse de donner accès à un document, quel qu'en soit le support, et d'en fournir une copie, refuse de communiquer des informations ou de répondre à une convocation, ou refuse de donner accès à des locaux professionnels ».
Sur le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination
67. L’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, auquel font référence les mises en cause, consacre le droit de toute personne à un procès équitable, qui recouvre notamment celui de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination.
68. Le droit de communication de tous documents dont disposent les enquêteurs de l’AMF ne tend pas à l’obtention de l’aveu de la personne concernée, mais à celle de documents nécessaires à la conduite de l’enquête. Il ne porte donc pas atteinte au droit de ne pas s’auto-incriminer. La circonstance que le refus de communiquer les documents sollicités est susceptible de constituer un manquement d’entrave à l’enquête est indifférente à cet égard.
Sur le manquement d’entrave reproché à EAUK
69. Il résulte des dispositions de l’article L. 621-15 II f) du code monétaire et financier qu’est susceptible de constituer un manquement d’entrave tout refus opposé aux demandes de communication des enquêteurs, que ce refus soit exprès ou qu’il résulte d’une absence de réponse à ces demandes, sans qu’il soit nécessaire de caractériser l’intention de faire obstacle au bon déroulement de l’enquête.
70. Les pièces du dossier établissent que le 14 septembre 2016, l’AMF a adressé à la FCA une demande d’assistance afin d’obtenir d’EAUK des informations concernant les transactions relatives au titre NDSA, et notamment le détail des transactions conclues entre le 1er avril et le 31 juillet 2015, ainsi que la copie des contrats en lien avec NDSA signés avec toute entité financière entre le 1 er avril et le 31 juillet 2015. Cette demande a été transmise par la FCA à EAUK le 18 janvier 2017.
71. Le 25 janvier 2017, EAUK a indiqué à la FCA que l’AMF disposait déjà de toutes les informations sollicitées car celles-ci lui avaient été remises par EMC, dans le cadre de demandes qui lui avaient été adressées, et auxquelles cette entité avait répondu, par l’intermédiaire de la SEC.
72. Le 31 août 2017, l’AMF a réitéré sa demande de transmission en ces termes : « 1.4 Elliott Advisors (UK) Limited pourrait-il identifier et transmettre les différents documents spécifiquement envoyés à et/ou signés avec Bank of America Corporation ou sa filiale Merrill Lynch (contrats, courriels, confirmations, etc.) sur lesquels étaient basés les achats de dérivés correspondant aux déclarations faites à l’AMF ? ».
73. Le 22 janvier 2018, EAUK a ainsi répondu : « [...] Les Fonds Elliott ont conclu un Contrat-cadre ISDA et une Confirmation-cadre de Swap (Swap Master Confirmation) avec Bank of America Merrill Lynch (« Bank of America » ou la « Banque ») (Pièce jointe 5). / Le Contrat-cadre ISDA et la Confirmation-cadre de Swap énoncent les conditions contractuelles des accords d’instruments dérivés conclus entre les Fonds Elliott et Bank of America et sur lesquelles les déclarations faites à l’AMF et relatives à NDSA étaient basées. ».
74. Le 8 août 2018, l’AMF a adressé à EAUK une lettre circonstanciée qui indiquait que son refus de communiquer les confirmations conclues avec Merrill Lynch (BoA), et notamment les confirmations de transaction et les confirmations supplémentaires, pourrait constituer une violation des dispositions de l’article L. 621-15 II f) du code monétaire et financier relatives au manquement d’entrave.
75. Le 3 octobre 2018, EAUK a finalement répondu à la lettre circonstanciée en transmettant les Basket Supplemental Confirmations du 29 janvier 2015 et les Swap Activity Reports émis entre mai et juillet 2015 par BoA. Cependant, les Basket Supplemental Confirmations produits mentionnaient les titres Melia Hotel International au lieu des titres NDSA, et l’un des Basket Supplemental Confirmations indiquait un Euribor 3 mois alors que les equity swaps NDSA figurant dans les Swaps Activity Reports avaient un taux Euribor de 1 mois. Aucune explication n’était fournie sur ces points. Ce n’est qu’interrogée par le rapporteur le 2 octobre 2019, qu’EAUK a expliqué qu’en « en 2015, les ordres étaient passés oralement, la confirmation est postée sur le site web de BoA », et a détaillé ses explications dans ses observations en réponse au rapport déposées 15 jours avant la séance. Dès lors, une lecture croisée des Basket Supplemental Confirmations et des Swap Activity Reports a permis de connaître le détail des transactions intervenues sur le titre NDSA entre le 1 er avril et le 31 juillet 2015 et les conditions particulières de chacune d’entre elles.
76. Il demeure qu’EAUK aura mis plus d’un an et neuf mois, malgré les demandes réitérées le l’AMF, pour communiquer ces éléments.
77. La demande de l’AMF était suffisamment claire et précise pour permettre d’identifier les documents demandés, au demeurant peu nombreux. Il n’était donc pas nécessaire de les appréhender par les mots-clés définis dans le cadre d’une procédure américaine.
78. De plus, EAUK a cancellé les éléments relatifs aux autres transactions que celles relatives au titre NDSA dans les Swap Activity Reports, alors que les demandes des enquêteurs n’étaient pas limitées à ce titre, altérant ainsi l’exhaustivité de la réponse apportée. Or le 21 juillet 2015, EAUK a déclaré à l’AMF l’achat d’equity swaps ayant pour sous-jacent les actions Alcatel Lucent et Nokia. Compte tenu de la période concernée et du type d’instrument traité, la communication de ces éléments cancellés aurait permis aux enquêteurs de comparer les transactions relatives à NDSA - et la façon dont elles ont été déclarées - aux autres transactions réalisées au cours de cette période de sorte que ces éléments étaient bien pertinents dans le cadre de l’enquête. Ces documents n’ont toujours pas été produits.
79. La privation pendant près de deux ans de la faculté pour les enquêteurs de pouvoir appréhender les conditions et modalités d’acquisition d’instruments financiers portant sur la valeur NDSA, jointe à la limitation des documents finalement fournis, ne peut s’analyser qu’en un refus de communiquer les informations demandées, sans qu’il soit besoin de démontrer son caractère intentionnel, s’agissant d’un manquement objectif.
80. Il résulte de ce qui précède que le manquement aux dispositions de l’article L. 621-15 alinéa II f) du code monétaire et financier est caractérisé à l’encontre d’EAUK.
Sur le manquement d’entrave reproché à ECA
81. Le 24 novembre 2015, l’AMF a adressé à la SEC une demande d’assistance afin d’obtenir d’ECA notamment la copie de tous les contrats conclus en lien avec NDSA entre le 1 er avril 2015 et le 31 juillet 2015.
82. Le 15 janvier 2016, EMC a transmis à la SEC pour le compte d’ECA 37 053 documents qui ont ensuite été envoyés par la SEC à l’AMF le 19 janvier 2016.
83. Si la notification de griefs adressée à ECA indique que l’AMF aurait, le 8 septembre 2016, adressé une requête à la SEC indiquant : « Les documents adressés, par la SEC, en réponse à la requête de l’AMF du 24 novembre 2015, ne permettent pas d’établir précisément les modalités financières de la souscription de CFD par ELLIOTT Capital Advisors [...] La SEC peut-elle demander à ELLIOTT de nous renvoyer des réponses argumentées, directement en rapport avec nos questions ? », un tel document n’a pas été versé aux débats, de sorte que le contenu de cette requête n’est pas établi.
84. Le 7 octobre 2016, EMC a écrit à la SEC en indiquant « nous vous écrivons en réponse à votre lettre du 20 septembre 2016 [...] qui est relative à deux transactions du 2 juillet 2015 portant sur les titres Norbert
Dentressangle » et en transmettant à nouveau les documents déjà transmis dans le courrier du 15 janvier 2016, ainsi que la copie de messages entre EMC et BoA.
85. Le 8 août 2018, l’AMF a adressé à ECA une lettre circonstanciée faisant état d’une possible violation de l’article L. 621-15 II f) du code monétaire et financier, à laquelle la mise en cause n’a pas répondu.
86. Il résulte de ce qui précède que la demande de l’AMF prise en compte par la notification de griefs était circonscrite à la communication de la copie des contrats conclus en lien avec NDSA entre le 1 er avril 2015 et le 31 juillet 2015.
87. Les seuls documents qui ont été établis durant cette période sont les Swap Activity Reports. Ces documents, émis unilatéralement par BoA, ne sont pas des contrats, de sorte qu’il ne peut être reproché à ECA de ne pas les avoir produits.
88. Il ne peut davantage être reproché à ECA de ne pas avoir répondu à une demande portant sur l’envoi de réponses argumentées portant sur les modalités financières de la souscription des instruments dérivés litigieux par les Fonds Elliott, dans la mesure où il n’est pas établi qu’une telle demande lui aurait été transmise.
89. Enfin, aucune conséquence ne peut être tirée de l’absence de réponse d’ECA à la lettre circonstanciée.
90. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la violation de l’article L. 621-15 II f du code monétaire et financier, notifié à ECA, n’est pas caractérisé. Il importe au demeurant de noter que lors de la séance, le représentant du collège a déclaré que celui-ci s’en rapportait à l’appréciation de la commission des sanctions sur le bien-fondé de ce grief.
SANCTIONS ET PUBLICATION
Sur les sanctions
91. Les mises en cause ont méconnu les dispositions des articles L. 233-7 du code de commerce, 231-46 et 231-47 du règlement général de l’AMF en ayant produit, les 18 mai et 24 juin 2015, des déclarations inexactes sur la nature des instruments financiers acquis par les Fonds Elliott dans le cadre de leur investissement dans NDSA.
92. Elles ont également méconnu les dispositions de l’article 231-47 du règlement général de l’AMF en ayant déclaré de façon tardive leur intention de ne pas apporter les titres NDSA détenus par assimilation par les Fonds Elliott à l’OPAS.
93. Ces deux manquements sont de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs et au bon fonctionnement du marché et sont dès lors susceptibles de donner lieu, sur le fondement des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier, au prononcé d’une sanction pécuniaire, peu important à cet égard qu’une appréciation in concreto des circonstances de fait conduise à considérer que les acteurs du marché n’ont pas été trompés en l’espèce.
94. Enfin, EAUK a méconnu les dispositions de l’article L. 621-15 II f) du code monétaire et financier en ne communiquant les informations demandées par les enquêteurs que de manière tardive et incomplète. En revanche, le grief pris de la méconnaissance de ces dispositions a été écarté s’agissant d’ECA.
95. Les manquements relatifs à la production de déclarations inexactes et à la tardiveté des déclarations d’intention se sont déroulés sur une période comprise entre le 18 mai 2015 et le 10 juillet 2015.
96. Le manquement d’entrave commis par EAUK s’est déroulé sur une période comprise entre le 18 janvier 2017 et le 3 octobre 2018.
97. L’article L. 621-14 I (devenu le II depuis) du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur du 22 février 2014 au 4 décembre 2015, non modifiée dans un sens moins sévère, dispose que « le collège peut, après avoir mis la personne concernée en mesure de présenter ses explications, ordonner qu’il soit mis fin, en France et à l’étranger, [...] à tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché ».
98. L’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur du 22 février 2014 au 4 décembre 2015, non modifiée depuis dans un sens moins sévère, dispose : « II. La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes : [...] / c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié, à une manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou s'est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I [devenu depuis le II] de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent : - un instrument financier [...] admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur de tels marchés a été présentée, dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ; [...] / f) Toute personne qui, dans le cadre d'une enquête effectuée en application du I de l'article L. 621-9, sur demande des enquêteurs et sous réserve de la préservation d'un secret légalement protégé et opposable à l'Autorité des marchés financiers, refuse de donner accès à un document, quel qu'en soit le support, et d'en fournir une copie, refuse de communiquer des informations ou de répondre à une convocation, ou refuse de donner accès à des locaux professionnels ; ».
99. L’article L. 621-15 du code monétaire et financier mentionne, dans cette même version non modifiée sur ce point dans un sens moins sévère depuis : « III. [...] c) Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de l'article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c à g du II, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées au Trésor public. ».
100. Il en résulte que EAUK et ECA encourent chacune une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d’euros ou au décuple du montant des profits réalisés du fait des manquements.
101. Le III ter de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur depuis le 11 décembre
2016, définit comme suit les critères à prendre en compte pour déterminer la sanction : « Dans la mise en œuvre des sanctions mentionnées aux III et III bis, il est tenu compte notamment : - de la gravité et de la durée du manquement ;
- de la qualité t du degré d’implication de la personne en cause ;
- de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu notamment de son patrimoine et, s’agissant d’une personne physique de ses revenus annuels, s’agissant d’une personne morale de son chiffre d’affaires total ;
- de l’importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ;
- des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ;
- du degré de coopération avec l’Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l’avantage retiré par cette personne ;
- des manquements commis précédemment par la personne en cause ;
- de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter toute réitération du manquement ».
102. En l’espèce, les éléments recueillis au cours de l’enquête sont les suivants :
103. D’abord, les mis en cause et BoA parlaient bien entre eux d’equity swaps et non de CFD, ainsi que cela résulte d’un courriel du 13 juillet 2015 adressé par EAUK à BoA : « pourriez-vous, s’il vous plait, m’envoyer le détail des opérations de swaps FR0000052870 du 8 mai à aujourd’hui ? » (Traduction de « Please can you send me all the swap trades details for FR0000052870 from 8th may to now »), ou de la Corporate Action Notice transmise par BoA à EMC le 26 juin 2015 : « Selon nos fichiers, vous êtes partie à la transaction en equity swaps avec Merrill Lynch International » (traduction de : « According to Our records, you are a party to the equity swaps transaction with Merry Linch International »). BoA a d’ailleurs bien déclaré à l’AMF intervenir sur des equity swaps et non des CFD sur les titres NDSA. De même, dans des déclarations règlementaires réalisées en application de l’article 231-46 du règlement général de l’AMF, portant sur des opérations réalisées en juillet 2015 sur les valeurs Nokia et Alcatel Lucent, sur le fondement des mêmes contrats cadres que ceux qui ont été mis en œuvre pour NDSA en l’espèce, les Fonds Elliott ont bien indiqué détenir des equity swaps. En outre, un trader et analyste d’EAUK indiquait dans un courriel du 28 juin 2015 « comme pour GND [i.e. NDSA], on enregistre des swaps et on communiquera notre position en CFD » (traduction de : « like on GND, we file on swaps ans disclose Our CFD position »).
104. Ensuite, dès le 29 avril 2015, lendemain de l’annonce publique de XPO, un trader et analyste chez EAUK a adressé un courriel reprenant l’annonce de l’offre de XPO avec le commentaire suivant : « Franck, petite chance d’une opportunité de hold out/bump en France » (traduction de : « Franck, small chance of a french hold out:/bump opportunity »).
105. De plus, le 11 mai 2015, le dirigeant de EAUK a validé la stratégie exposée le 8 mai 2015 en ces termes : « nous pensons que le seuil de 95% [du capital de NDSA] revêt une importance substantielle pour XPO, pas seulement du point de vue du retrait obligatoire et du retrait de la cote mais aussi pour des raisons d’intégration fiscale [...] notre objectif est d’atteindre un niveau de détention de 5% (€106m) pour empêcher le retrait obligatoire et essayer d’obtenir une augmentation du prix de l’offre pour nos actions » (traduction de : « we believe the 95% thresold has material value for XPO not just for the squeeze-out/delisting standpoint but also for tax integration purposes down the line. (...) Our objective is to get to a 5% ownership level (106m) in order to prevent the squeeze-out and try to obtain an increase in the value of the offer for our shares »).
106. Les mêmes termes ont été repris par différents collaborateurs de plusieurs structures d’Elliott.
107. Les mises en cause ont par ailleurs cherché à valoriser la destruction de valeur (« value destruction ») résultant de l’impossibilité pour XPO de procéder à l’intégration fiscale de NDSA.
108. Dans le même temps, les fonds Elliott ont acquis, à compter du 8 mai 2015, des equity swaps à dénouement en numéraire ayant pour sous-jacent l’action NDSA et contacté Kepler Cheuvreux afin d’assurer la constitution de la couverture de BoA en actions NDSA.
109. Les déclarations inexactes et le caractère tardif de la déclaration d’intention à l’AMF ont donc bien eu pour objet de dissimuler le plus longtemps possible au marché la stratégie consistant à bloquer l’offre de retrait afin de négocier auprès de XPO une revalorisation du prix de l’offre.
110. S’il n’est pas établi que les manquements tenant à l’inexactitude et à la tardiveté des déclarations des mises en cause ont effectivement trompé les acteurs du marché ni conduit certains d’entre eux à modifier leur stratégie, il reste que l’opacité créée par ces manquements était de nature à leur faire croire que les Fonds Elliott poursuivaient une stratégie de simple exposition économique et non de prise de participation à hauteur de 5% du capital de NDSA afin de bloquer le retrait obligatoire envisagé par XPO.
111. Les manquements reprochés à EAUK et ECA, qui ont été commis par des professionnels dans un contexte d’offre publique, revêtent une particulière gravité dès lors que les textes sciemment méconnus visent à garantir la transparence du marché et la protection des investisseurs. Ils ont aussi compromis le bon déroulement des missions d’enquête de l’AMF.
112. Ces manquements sont d’autant plus graves qu’ils sont multiples et de nature distincte, puisqu’ils ont trait tant à la production de déclarations inexactes sur la nature des instruments financiers acquis par les Fonds Elliott, chacune de ces déclarations constituant la réitération du manquement reproché, qu’à la tardiveté de leur intention de ne pas apporter les titres NDSA à l’offre ou encore à l’entrave au bon déroulement de l’enquête commise par EAUK.
113. En outre, EAUK a déjà été sanctionnée par la présente commission le 24 avril 2014 pour manquement d’initié à hauteur de 8 000 000 euros.
114. Il ressort des pièces versées aux débats qu’au titre de l’exercice 2018, EAUK a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 158 millions euros, en hausse de 2,37% par rapport à 2017, et un bénéfice de 5,8 millions d’euros, en hausse de 4,4% par rapport à 2017.
115. Les mises en cause n’ont communiqué aucun élément permettant de déterminer le patrimoine ou les revenus d’ECA. Elles ont seulement indiqué que les Fonds Elliott, dont une partie des actifs est gérée par ECA, disposent de plus de 34 milliards de dollars, soit environ 30 milliards d’euros, d’actifs sous gestion.
116. Il sera enfin relevé que les Fonds Elliott ont, aux termes d’un accord conclu avec XPO le 22 novembre 2019, accepté de céder à XPO, devenue XPO Logistics Europe SA, l’ensemble des 898 128 actions NDSA qu’ils détenaient depuis le mois de juillet 2015 au prix de 260 euros par action, ce qui représente une plus-value de 38 170 440 euros, étant toutefois précisé que cette plus-value ne résulte pas directement des manquements, lesquels portent uniquement sur les déclarations réalisées par les mises en cause et l’entrave à l’enquête et nonsur leurs acquisitions en tant que telles.
117. Compte tenu de ces éléments, il sera prononcé à l’encontre d’EAUK une sanction pécuniaire de 15 000 000 euros et à l’encontre d’ECA une sanction pécuniaire de 5 000 000 euros.
Sur la publication de la décision
118. L’article L. 621-15 V du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à compter du 11 décembre 2016 non modifiée dans un sens moins sévère depuis dispose : « La décision de la commission des sanctions est rendue publique dans les publications, journaux ou supports qu’elle désigne, dans un format proportionné à la faute commise et à la sanction infligée. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées. / La commission des sanctions peut décider de reporter la publication d’une décision ou de publier cette dernière sous une forme anonymisée ou de ne pas la publier dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes : / a )Lorsque la publication de la décision est susceptible de causer à la personne en cause un préjudice grave et disproportionné, notamment, dans le cas d’une sanction infligée à une personne physique, lorsque la publication inclut des données personnelles ;/ b) Lorsque la publication serait de nature à perturber gravement la stabilité du système financier, de même que le déroulement d’une enquête ou d’un contrôle en cours. / Les décisions portant sur des manquements, par toute personne, aux obligations prévues à l’article L. 233-7 et au II de l’article L. 233-8 du code de commerce et à l’article L. 451-1-2 du présent code font obligatoirement l’objet d’une publication. [...] ».
119. La publication de la présente décision n’est ni susceptible de causer aux mises en cause un préjudice grave et disproportionné, ni de nature à perturber gravement la stabilité du système financier ou encore le déroulement d’une enquête ou d’un contrôle en cours. Elle sera donc ordonnée, sans anonymisation.
PAR CES MOTIFS,
Et ainsi qu’il en a été délibéré par Mme Marie-Hélène Tric, présidente de la 1ère section de la commission des sanctions, Mme Edwige Belliard, M. Bruno Gizard et Mme Ute Meyenberg, membres de la 1ère section de la commission des sanctions, en présence de la secrétaire de séance, la commission des sanctions :
- prononce à l’encontre de Elliott Advisors UK Limited une sanction de 15 000 000 € (quinze millions d’euros) ;
- prononce à l’encontre de Elliott Capital Advisors L.P. une sanction de 5 000 000 € (cinq millions d’euros) ;
- ordonne la publication de la présente décision sur le site Internet de l’Autorité des marchés financiers et fixe à cinq ans à compter de la date de la présente décision la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme.