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Décisions

AMF, 20 novembre 2008, n° SAN-2009-09

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Membres :

M. Courteault, M. Surzur

Président :

M. Labetoulle

AMF n° SAN-2009-09

19 novembre 2008

 La 2ème section de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») ;

Vu l’article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;

Vu le Code monétaire et financier, notamment ses articles L. 621-14 et L. 621-15, dans leur rédaction applicable à l’époque des faits, ainsi que ses articles R. 621-5 à 621-7, R. 621-38 à R. 621-40 ;

Vu la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, notamment l’article 47 ;

Vu le décret n° 2008-893 du 2 septembre 2008 relatif à la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers ;

Vu le Règlement COB n° 90-08, notamment ses articles 1 et 2 ;

Vu le Règlement général de l’AMF, notamment ses articles 621-1, 622-1 et 622-2 ;

Vu les notifications de griefs en date du 22 février 2007, adressées à MM. A, B, et D, et la notification de griefs adressée le 7 mars 2007 à M. C ;

Vu la décision du 14 mars 2007 du Président de la Commission des sanctions désignant M. Jean-Pierre MORIN, Membre de la Commission des sanctions, en qualité de Rapporteur ;

Vu les observations écrites présentées par Maître David SCEMLA pour le compte de M. A, reçues à l’AMF les 9 mars et 18 mai 2007 ; par Maître Sébastien COURTIER pour le compte de M. B, reçues à l’AMF le 19 juillet 2007 ; par Maître Emmanuel MARSIGNY pour le compte de M. C, reçues à l’AMF le 19 juillet 2007, par le Cabinet RUSSEL JONES & WALKER pour le compte de M. D, reçues à l’AMF le 23 octobre 2007 ;

Vu les procès-verbaux des auditions effectuées par le Rapporteur de M. A le 17 septembre 2008, de M. B à la même date et de M. Anthony MARKS le 18 septembre 2008 ;

Vu, les pièces complémentaires déposées par Maître David SCEMLA le 19 septembre 2008 à la suite de l’audition de M. A, pour le compte de ce dernier ;

La Commission des sanctions

Vu les lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 6 octobre 2008 informant les mis en cause, en application de l’article 2 du décret susvisé du 2 septembre 2008, de ce qu’ils disposaient de la faculté de demander la récusation du Rapporteur dans un délai d’un mois et dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du Code monétaire et financier ;

Vu le rapport de M. Jean-Pierre MORIN en date du 9 octobre 2008 ;

Vu les lettres de convocation à une séance de la Commission des sanctions du 20 novembre 2008, auxquelles était annexé le rapport signé du Rapporteur du 9 octobre 2008, adressées le 9 octobre 2008 à MM. A, B, C et D ;

Vu les lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 3 novembre 2008 informant les mis en cause de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance et de leur faculté de demander la récusation de l’un des Membres de ladite commission, en application des articles R. 621-39-2, R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du Code monétaire et financier ;

Vu les observations écrites en réponse au rapport du Rapporteur présentées le 23 octobre 2008 par

Maître Emmanuel MARSIGNY pour le compte de M. C et le 5 novembre 2008 par Maîtres Hervé

TEMIME et François de CASTRO pour le compte de M. B et par Maître Davis SCEMLA pour le compte M. A ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu au cours de la séance du 20 novembre 2008 :

- M. le Rapporteur en son rapport ;

- M. Gilles PETIT, Commissaire du Gouvernement, qui a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler ;

- M. A et son conseil, Maître David SCEMLA ;

- M. B et son conseil, Maître Hervé TEMIME ;

- M. C et ses conseils, Maîtres Emmanuel MARSIGNY et Julien VISCONTI ;

- Maître Stéphane BONIFASSI, représentant M. D ;

- M. Jean-Philippe PONS-HENRY, représentant le Collège de l’AMF ;

Les personnes mises en cause ayant pris la parole en dernier.

I. FAITS ET PROCEDURE

A. FAITS

La société X, dirigée à l’époque des faits par M. A, son Président-Directeur Général et fondateur, et par son fils, M. B, Directeur général et Directeur financier, exploitait sous son enseigne 1 231 parfumeries, réparties en France et en Europe.

Introduite sur le Second Marché en juillet 1998, X était passée au Premier Marché en mai 2001 où elle a été cotée jusqu’au 19 octobre 2005, date de son retrait obligatoire de la cote à la suite du succès de l’offre publique d’achat conduite par la société Y, filiale du groupe Z, dont la maison mère est enregistrée à Hong-Kong.

Au cours du dernier trimestre 2004, la publication des comptes semestriels fut reportée à trois reprises, pour être finalement effectuée le 17 décembre 2004, en faisant état de « correction d’erreurs » comptables pour un montant global de 93 millions d’euros avec effet sur les comptes semestriels arrêtés au 30 juin 2004, mais également sur les comptes afférents aux exercices clos les 31 décembre 2003 et 31 décembre 2002.

Cette publication précédait le dépôt d’une offre publique d’achat de la société Y sur X, le 14 janvier 2005.

C’est dans ces conditions que le Secrétaire Général de l’AMF a décidé l’ouverture, le 5 janvier 2005, d’une enquête sur l’information financière et le titre X à compter du 31 décembre 2001.

L’enquête a été diligentée par la Direction des Enquêtes et de la Surveillance des Marchés (ci-après

« DESM »).

Elle a donné lieu à un premier rapport d’enquête, rendu le 5 juillet 2005, - le Secrétaire Général de l’AMF ayant, par décision en date du 17 août 2005 prononcé la disjonction de l’enquête en deux enquêtes distinctes - puis à une première décision de la Commission des sanctions le 5 juillet 2007, confirmée en tout point par la décision de la Cour d’appel de Paris du 25 juin 2008, qui ont permis d’établir, les anomalies suivantes au sein de la société X :

- les taux globaux de remise de fin d’année (ci-après « RFA ») et de participation publicitaire (ci-après « PP ») qui ont servi à déterminer le produit à recevoir des fournisseurs au titre des RFA et des PP ne correspondent pas à ceux qui ont été négociés par la direction des achats. Ils ont été majorés artificiellement à hauteur de 54,8 millions d’euros cumulés pour les exercices 2002 et 2003. Les résultats d’exploitation ont été majorés d’autant ;

- les manipulations sur les taux globaux de RFA et de PP ont conduit à « fausser la répartition entre RFA (qui viennent en déduction du coût d’achat des marchandises et ont donc une incidence sur les stocks) et PP (qui ne sont pas incluses dans le calcul du coût de revient des stocks) » ;

- « Pour apurer cette provision ; des encaissements de RFA et de PP ont été volontairement enregistrés sur de mauvais exercices de rattachement ».

La présente affaire concerne le second pan de l’enquête diligentée par la DESM sur l’information financière et le titre X à compter du 31 décembre 2001. Elle a donné lieu à un second rapport d’enquête, rendu par la DESM le 24 octobre 2006.

B. PROCEDURE

Conformément aux dispositions de l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier, le rapport d’enquête a été examiné par la Commission spécialisée n° 3 du Collège de l’AMF, lors de sa séance du

16 janvier 2007.

Au vu du rapport d’enquête et sur décision de la Commission spécialisée, le Président de l’AMF a, par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 22 février 2007, notifié les griefs suivants :

- à M. A : d’avoir « vendu un grand nombre d’actions X, entre juillet 2002 et mai 2004, alors qu’en [sa] qualité de Président-directeur général de la société X, [il était] en possession d’une information privilégiée relative aux irrégularités comptables qui auraient eu une incidence notable sur les comptes annuels au 31 décembre 2002 et au 31 décembre 2003 et sur les comptes semestriels au 30 juin 2004 et en conséquence sur tout ou partie de l’information financière communiquée au public par la société à cette époque » ;

- à M. B : d’avoir « vendu un grand nombre d’actions X, entre juillet 2002 et mai 2004, alors qu’en [sa] qualité de Directeur général délégué, de membre du Conseil d’Administration et directeur financier de la société X, [il était] en possession d’une information privilégiée relative aux irrégularités comptables qui auraient eu une incidence notable sur les comptes annuels au 31 décembre 2002 et au 31 décembre 2003 et sur les comptes semestriels au 30 juin 2004 et en conséquence sur tout ou partie de l’information financière communiquée au public par la société à cette époque » ;

- à M. C : d’avoir « au cours de la période du 7 au 10 janvier 2005 (...) acheté 300 000 contrats CFD ayant pour sous-jacent l’action X (...) alors qu’ [il était] en possession d’une information privilégiée portant sur le probable dépôt d’une offre publique d’achat de la société Y (...) sur les titres de la société X » ; étant précisé qu’une seconde notification de griefs

– la première ayant été faite à une ancienne adresse de M. C – lui a été adressée le 7 mars 2007 ;

- à M. D : d’avoir « au cours de la période de décembre 2004 à janvier 2005, (...) communiqué à M. C, antiquaire à Londres, une information privilégiée portant sur le probable dépôt d’une offre publique d’achat de la société Y (...) sur les titres de la société française X, information dont [il avait] connaissance du fait de [ses] fonctions de Directeur général de la société Y » ;

S’agissant de MM. A et B, les notifications de griefs concluent que les faits visés seraient susceptibles de constituer, à l’encontre de chacun d’eux, un manquement d’initié et de donner lieu à une sanction en application des articles 1 et 2 du Règlement COB n° 90-08 et des articles 621-1, 622-1 et 622-2 du

Règlement général de l'AMF et des articles L. 621-14 et L. 621-15 du Code monétaire et financier.

S’agissant de M. C et M. D, les notifications de griefs concluent que les faits visés seraient susceptibles de constituer, à l’encontre de chacun d’entre eux, un manquement d’initié et de donner lieu à une sanction en application des articles 621-1, 622-1 et 622-2 du Règlement général de l'AMF et des articles L. 621-14 et L. 621-15 du Code monétaire et financier.

Conformément aux dispositions de l’article R. 621-38 du Code monétaire et financier, le Président de l’AMF a transmis la copie des notifications de griefs au Président de la Commission des sanctions.

Par décision du 14 mars 2007, le Président de la Commission des sanctions a désigné en qualité de

Rapporteur M. Jean-Pierre MORIN qui en a avisé les parties le 23 mars 2007.

Ont été reçues par l’AMF des observations de Maître David SCEMLA pour le compte de M. A les 9 mars et 18 mai 2007, de Maître Sébastien COURTIER pour le compte de M. B le 19 juillet 2007, de Maître Emmanuel MARSIGNY pour le compte de M. C le même jour et du Cabinet RUSSEL JONES & WALKER pour le compte de M. D le 23 octobre 2007.

Le Rapporteur a procédé, à leur demande, à l’audition de M. A et de M. C, respectivement les 17 et 18 septembre 2008.

Le Rapporteur a jugé utile d'entendre également M B, le 17 septembre 2008.

Par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 6 octobre 2008, les mis en cause ont été informés, en application de l’article 2 du décret susvisé du 2 septembre 2008, de ce qu’ils disposaient de la faculté de demander la récusation du Rapporteur dans un délai d’un mois et dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du Code monétaire et financier.

Le Rapporteur a rendu son rapport le 9 octobre 2008.

Les personnes mises en cause ont été convoquées devant la 2ème section de la Commission des sanctions par lettres recommandées avec demande d’avis de réception en date du 9 octobre 2008, auxquelles était joint le rapport du Rapporteur du 9 octobre précédent.

Par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 3 novembre 2008 les mis en cause ont été informés de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance et de leur faculté de demander la récusation de l’un des Membres de ladite Commission, en application des articles R. 621-39-2, R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du Code monétaire et financier ;

II. MOTIFS DE LA DECISION

Considérant que les griefs notifiés aux diverses personnes mises en cause, ont trait à l’utilisation de deux informations privilégiées distinctes, à savoir d’une part, pour MM. A et B, l’existence d’irrégularités comptables affectant les comptes annuels 2002 et 2003 et les comptes semestriels au 30 juin 2004 de X, et d’autre part, pour M. C et M. D, le « probable dépôt d’une offre publique d’achat de la société Y and Co, filiale du groupe asiatique Z ou d’une filiale de Y and Co, sur les titres de la société X » ;

A. Les griefs notifiés à MM. A et B

1. Sur l’irrégularité invoquée par les mis en cause

Considérant qu’une notification de griefs, qui a pour effet d’ouvrir la procédure devant la Commission des sanctions n’emporte pas, par elle-même, de déclaration de culpabilité et ne représente aucun préjugement des affaires ; qu’ainsi et contrairement à ce qui est soutenu les notifications de griefs adressées à MM. A et B, le 22 février 2007, ne portent pas atteinte à la présomption d’innocence ;

2. Sur le caractère privilégié de l’information en cause Considérant qu’aux termes de l’article 621-1 du Règlement général de l’AMF, une information privilégiée est « une information précise qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers qui leur sont liés. Une information est réputée précise si elle fait mention d’un ensemble de circonstances ou d’un événement qui s’est produit ou qui est susceptible de se produire et s’il est possible d’en tirer une conclusion quant à l’effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés. Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés est une information qu'un investisseur raisonnable serait susceptible d'utiliser comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement » ;

Considérant que l’information invoquée par la notification de griefs est relative à l’existence, au sein de la société X d’irrégularités comptables résultant de la majoration artificielle des RFA et des PP qui ont servi à calculer les avoirs et les « produits à recevoir » des fournisseurs et qui ont eu pour conséquences directes l’augmentation indue du montant des « produits à recevoir » à hauteur de 54,8 millions d’euros en cumulé pour les années 2002 et 2003 et la majoration corrélative du résultat d’exploitation d’un même montant ; que ces irrégularités comptables ont affecté les comptes annuels au 31 décembre 2002 et au

31 décembre 2003 ainsi que les comptes semestriels au 30 juin 2004 ;

Considérant, en premier lieu, que l’existence des irrégularités comptables, leur champ (les taux de RFA et de PP pour les années 2002 et 2003), leur montant (majoration de 24 % des pourcentages en 2002 et de 19,5 % en 2003), les conséquences (augmentation indue du montant des « produits à recevoir » et corrélativement du résultat d’exploitation à hauteur de 54,8 millions d’euros pour 2002 et 2003) étant chiffrés et déterminés avec exactitude, l’information en cause était précise ;

Considérant, en deuxième lieu, que l’existence d’erreurs comptables et les chiffres comprenant les réajustements de PP et de RFA ainsi que leurs conséquences en termes de montant des « produits à recevoir » et du résultat d’exploitation n’ont été portés à la connaissance du public qu’à l’occasion d’un communiqué de presse publié par la société X, le 17 décembre 2004 ; que jusqu’alors cette information n’était pas publique ;

Considérant, enfin, que si elle avait été rendue publique, l’information relative à ces irrégularités et à leurs conséquences comptables, aurait été de nature, en révélant aux investisseurs que les résultats de la société X étaient en réalité nettement moins satisfaisants que ceux annoncés, à avoir une influence sensible sur le cours du titre X ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’information relative aux irrégularités comptables affectant les comptes annuels 2002 et 2003 et les comptes semestriels au 30 juin 2004 de X revêtait, avant le 17 décembre 2004, les caractères d’une information privilégiée au sens de l’article 621-1 du Règlement général de l’AMF.

3. Sur la détention et l’exploitation de l’information privilégiée

Considérant que l’article 2 alinéa 1er du Règlement COB n° 90-08, applicable en l’espèce, dispose que « les personnes disposant d’une information privilégiée à raison de leur qualité de membres des organes d’administration, de direction, de surveillance d’un émetteur, ou à raison des fonctions qu’elles exercent au sein de tel émetteur doivent s’abstenir d’exploiter, pour compte propre ou pour compte d’autrui, une telle information sur le marché, soit directement, soit par personne interposée, en achetant ou vendant des titres de cet émetteur, ou des produits financiers liés à ce titre » ;

Considérant qu’il ressort de l’ensemble des énonciations du jugement rendu le 9 juillet 2008 par la

11ème chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris qui déclare MM. A et B coupables, sur le fondement de l’article L. 465-1 du Code monétaire et financier, des chefs de « diffusion d’information fausse ou trompeuse pour agir sur le cours des titres négociés sur un marché réglementé » courant 2003 et 2004 – lequel jugement n’a pas été frappé d’appel par les mis en cause et est par ailleurs devenu définitif s’agissant de l’action publique - que MM. A et B avaient entière connaissance des irrégularités comptables à l’origine desquelles M. A se trouvait directement ; que la détention par MM. A et B de l’information privilégiée se trouve par là même établie du fait de l’autorité qui s’attache à cette décision pénale définitive ;

Considérant par suite qu’en procédant à des ventes d’actions X alors qu’ils détenaient cette information privilégiée MM. A et B ont méconnu les dispositions précitées de l’article 2 alinéa 1er du Règlement COB n° 90-08 ;

Considérant toutefois que seules les cessions postérieures à la publication des premiers comptes affectés des irrégularités mentionnées ci-dessus, c'est-à-dire les comptes annuels au 31 décembre 2002, dont la publication est intervenue le 29 avril 2003, peuvent être prises en compte ; qu’à compter de cette date, M. A et B ont cédé, respectivement 288 000 et 38.000 actions X ;

Considérant que si M. A fait valoir qu’il a procédé à ces ventes pour faire face à des charges tenant au remboursement d’un emprunt bancaire parvenu à terme et à des dettes fiscales, il n’est pas établi par ses indications chiffrées relatives à ses ressources – lesquelles indications ne font d’ailleurs pas état des dividendes que la société a versés pour les exercices 2002 et 2003 – que M. A ait été dans l’impossibilité de faire face autrement aux charges qu’il n’invoque ni, par suite, que soit rapportée la preuve que les ventes en cause aient été justifiées par un motif impérieux ;

Considérant que de tout ce qui précède il résulte que le grief reprochant à MM. A et B d’avoir en toute connaissance de cause, exploité une information privilégiée doit être retenu ;

4. Sur la sanction encourue

Considérant que l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier, applicable à l’époque des faits, dispose que « (...) La commission des sanctions peut (...) prononcer (...) à l'encontre (...) de toute personne autre que l'une des personnes mentionnées au II de l'article L. 621-9, auteur des pratiques mentionnées au I de l'article L. 621-14 (...) une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés (...). Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements (...) ».

Considérant que lorsque l’utilisation d’une information privilégiée, qu’elle consiste en l’achat ou en la vente d’instruments financiers, procure un avantage économique – prenant la forme selon le cas, d’une plus-value ou d’une perte évitée – que l’utilisateur de l’information n’aurait pas obtenu dans le cadre normal du marché, cet avantage injustifié doit dans l’un de ces cas comme dans l’autre, être regardé comme un « profit » au sens et pour l’application des dispositions précitées de l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier ;

Considérant que M. A a cédé entre le 29 avril 2003 et le 10 mai 2004, 288 000 actions X pour un montant brut total de 8 875 043 euros ; que pour déterminer la perte évitée, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de se référer non pas au premier cours du titre X suivant la publication de l’information privilégiée mais au cours auquel M. A, principal actionnaire de X, a négocié en cette qualité le prix offert par Y dans le cadre de l’offre publique d’achat ; que dans ces conditions l’avantage économique s’élève à 2 596 643 euros ; que pour que soit assuré le caractère dissuasif de la sanction pécuniaire d’un manquement d’initié son montant doit être suffisamment supérieur à celui de l’avantage économique réalisé ; que compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce il y a lieu de prononcer à l’encontre de M. A une sanction pécuniaire de 5 000 000 euros ;

Considérant que M. B a cédé entre 29 avril 2003 et le 10 mai 2004, 38 000 actions X pour un montant global brut de 1 102 544,34 euros ; que, calculé, comme pour M. A par référence au prix offert par Y, l’avantage économique obtenu par M. B s’élève à 274 144 euros ; que compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, il y a lieu de prononcer à son encontre une sanction pécuniaire de

550 000 euros ;

B. Les griefs notifiés à MM. C et M. D

Considérant qu’Il est reproché à M. D et à M. C d’avoir, le premier, « au cours de la période de décembre 2004 à janvier 2005 » communiqué et le second « au cours de la période du 7 au 10 janvier » utilisé une information privilégiée concernant le « probable dépôt d’une offre publique d’achat de la société Y and Co, filiale du groupe asiatique Z, ou d’une filiale de Y and Co sur les titres de la société X » ;

Considérant que ce projet d’offre publique d’achat était dès la fin du mois de décembre 2004 suffisamment défini entre les parties pour avoir des chances raisonnables d’aboutir, les négociations en vue de l’offre ayant débuté plusieurs mois auparavant, les parties s’étant entendues sur son principe et les opérations de dues diligences opérées par Y étant achevées ;

1. Sur les exceptions invoquées par M. C

a. Sur l’incompétence matérielle de l’AMF soulevée par M. C

Considérant que M. C soutient que le CFD (« contract for difference ») qu’il avait conclu avec W n’est pas un « instrument financier » au sens des dispositions de l’article L.211-1 du Code monétaire et financier dans leur rédaction en vigueur à la date des faits et que dès lors il découle de la combinaison de ces dispositions et de celles de l’article L.621-15 II c relatives à la compétence de la Commission des sanctions que celle-ci ne serait pas compétente pour connaître des actes relatifs à ce CFD ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à l’époque des faits, « (...) les contrats financiers à terme sur tous effets, valeurs mobilières, indices ou devises, y compris les instruments équivalents donnant lieu à un règlement en espèces » relevaient de la catégorie des instruments financiers ; que le contrat conclu entre M. C et W portait sur la différence entre le prix des actions X sous-jacentes constaté à la conclusion du contrat et le même prix constaté au terme du contrat, multipliée par le nombre d’actions prévues au contrat ; que par sa nature et par son objet, le CFD conclu par M. C est au nombre des instruments financiers à terme visés à l’article L. 211-1–II 1° ; que M. C n’est dès lors pas fondé à exciper de l’incompétence matérielle de l’AMF.

b. Sur le défaut de respect des exigences d’un procès équitable invoqué par M. C

Considérant que M. C invoque les stipulations de l’article 6§3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales selon lesquelles « l’exigence d’un procès équitable commande que la personne mise en cause soit mise en mesure de comprendre l’ensemble des faits reprochés ainsi que les éléments ayant fondé ces griefs » et soutient que la procédure qui a été suivie ne répondrait pas aux exigences d’un procès équitable au motif que les pièces du dossier ne lui auraient été adressées qu’en français ;

Considérant toutefois que l’article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales impose seulement que le mis en cause soit mis en mesure de comprendre, dans une langue qu’il maîtrise, les termes de l’acte d’accusation ; que tel est le cas en l’espèce puisque la notification de griefs a été adressée à M. C en langue anglaise ; que lors de son audition, le 18 septembre 2008 et de la séance du 20 novembre 2008, M. C a bénéficié d’un interprète dont les frais ont été supportés par l’AMF, de telle sorte que l’exception tirée du défaut de respect des exigences d’un procès équitable soulevé par M. C et sa demande de remboursement des frais de traduction doivent être rejetées.

2. Au fond

Sans qu’il soit besoin pour la Commission des sanctions de rechercher si tous les caractères d’une information privilégiée étaient réunis :

a. En ce qui concerne M.  Considérant qu’en application des articles 662-1 et 622-2 du Règlement général de l’AMF, dans leurs rédactions applicables en l’espèce, « toute (..) personne détenant une information privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu’il s’agit d’une information privilégiée » « doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’elle détient en acquérant ou en cédant, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés » ;

Considérant qu’à défaut de l’être par une preuve tangible, la détention de l’information privilégiée peut être établie par un faisceau d’indices concordants desquels il résulte que seule cette détention peut expliquer les opérations auxquelles les personnes mises en cause ont procédé ;

Considérant qu’il est reproché à M. C d’avoir acheté, au cours de la période du 7 au 10 janvier 2005,

300 000 CFD’s ayant pour sous-jacent l’action X, alors qu’il aurait été « en possession d’une information privilégiée portant sur le probable dépôt d’une offre publique d’achat de la société Y and Co (...) sur les titres X », information qu’il aurait « probablement obtenue de M. D, Directeur Général de la société Y FRANCE», étant précisé que le mis en cause a revendu l’ensemble des CFD’s le 30 janvier 2005, réalisant ainsi une plus-value de 1 416 665 euros ;

Considérant ainsi que le fait valoir la notification de griefs, M. C qui, avant le 1 er octobre 2004, n’avait jamais investi sur le titre X ou sur des instruments financiers liés à ce titre, a acheté des CFD’s X pour la première fois, le 1 er octobre 2004, date de la première réunion entre X et Y au sujet du projet d’offre publique d’achat ; que l’achat de 300 000 CFD’s invoqué par la notification de griefs a eu lieu, pour une part, le 7 janvier 2005, soit moins d’une semaine après la reprise des opérations de dues diligences d’Y sur X et moins de 3 jours après la conférence téléphonique du 4 janvier 2005 entre M. D et M. A marquant la reprise des négociations en vue de l’offre publique d’achat, et, pour une autre part, le 10 janvier 2005, soit le jour même des pourparlers destinés à déterminer le prix définitif de l’offre ; que cette acquisition a été financée par un emprunt de 750 000 livres ; qu’entre le 7 et le 13 janvier 2005, le total des engagements en CFD’s X représentait la position la plus importante du portefeuille de M. C, soit une valeur de 5 millions de livres sterling contre une moyenne de 1 million pour les autres lignes ; qu’enfin M. C et M. D – qui d’une façon non contestée était, du fait de ses fonctions dans la société Y France, détenteur de l’information privilégiée -, avaient depuis 6 ou 7 ans noué des relations à l’occasion des acquisitions que M. D faisait dans le commerce d’argenterie de M. MARKS et se rencontraient 2 fois par an environ ;

Considérant que, pour sa part, M. C fait valoir qu’il a massivement investi sur le titre X en raison de son caractère hautement spéculatif lié aux rumeurs d’offre publique d’achat évoquées par la presse et faisant état, notamment, de déclarations de M. A, de l’entrée dans le capital du financier M. E et du caractère disproportionné de la baisse du cours du titre à la suite de l’annonce des ajustements comptables ;

Considérant qu’il y a lieu par ailleurs de tenir compte des habitudes de gestion à risques de M. C, de ce que celui-ci avait fait diverses opérations sur le titre X depuis octobre 2004 et avait procédé en décembre 2004, soit peu de temps avant les achats qui lui sont reprochés, à des cessions de CFD’s X en enregistrant des pertes et enfin du caractère objectivement spéculatif qui caractérisait alors le titre X ;

Considérant, au total, qu’en dépit d’une part, de la coïncidence chronologique entre les acquisitions de M. C et la négociation puis l’aboutissement de l’offre publique d’achat d’Y sur X, et, d’autre part, du caractère soudain et massif des achats litigieux, financés de surcroît par un emprunt, la Commission des sanctions n’est pas en mesure, en l’état des données résultant du dossier qui lui est soumis, de retenir le grief notifié en se fondant sur ce que seule la détention de l’information privilégiée relative au probable dépôt d’une offre publique d’achat par Y sur X pourrait expliquer les acquisitions de CDF’s X par M. C ;

b. En ce qui concerne M. D Considérant que pour reprocher à M. D d’avoir transmis l’information privilégiée en cause à M. C, la notification de griefs se fonde sur les mêmes indices que ceux utilisés pour établir la détention de cette information par M. C ;

Considérant que la transmission d’une information privilégiée doit être établie par des éléments précis susceptibles de la caractériser ; que les indices relatifs à la prétendue détention de l’information privilégiée par M. C ne permettent pas, par eux-mêmes, d’établir la transmission de cette information par M. D ; que dès lors, en l’absence d’indice directement relatif à une éventuelle transmission de l’information, le grief notifié à M. D doit être écarté et M. D être mis hors de cause sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’exception soulevée par ce dernier.

C. PUBLICATION

Considérant, qu’il résulte de l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier – dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 12 avril 2007, entrée en vigueur le 1 er novembre 2007, dont il est fait application en l’espèce en ce qu’elle constitue une disposition plus douce pour les personnes mises en cause - que « la Commission des sanctions peut rendre publique sa décision (...) à moins que cette publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause » ; que, par ces dispositions, le législateur a entendu permettre à la Commission de tenir compte des exigences d’intérêt général relatives à la loyauté du marché, à la transparence des opérations et à la protection des épargnants qui fondent son pouvoir de sanction ainsi que de l’intérêt qui s’attache pour la sécurité juridique de l’ensemble des opérateurs à ce que ceux-ci puissent, en ayant accès à ses décisions, connaître son interprétation des règles qu’ils doivent observer ; que les circonstances de l’espèce ne sont pas de nature à démontrer que la publication de la décision entraînerait, compte tenu de ces exigences, des conséquences disproportionnées sur la situation de MM. A et B ; qu’en revanche, s’agissant de M. C et M. D, il y a lieu de prévoir que cette publication sera assortie de dispositions propres à assurer leur anonymat ;

PAR CES MOTIFS,

Et après en avoir délibéré sous la présidence de Monsieur Daniel LABETOULLE, Président de la

1ère section de la Commission des sanctions, suppléant Mme NOCQUET, Présidente de la

2ème section de la Commission des sanctions, en application de l’article R. 621-7 I du

Code monétaire et financier, par MM. Antoine COURTEAULT et Jean-Jacques SURZUR, Membres de la 2ème section de la Commission des sanctions, en présence de la Secrétaire de séance,

DECIDE DE :

- mettre hors de cause MM. C et D ;

- prononcer à l’encontre de M. A une sanction pécuniaire de 5.000.000 € (cinq millions d’euros) ;

- prononcer à l’encontre de M. B une sanction pécuniaire de 550 000 € (cinq cent cinquante mille euros)

- publier la présente décision au Bulletin des annonces légales obligatoires, ainsi que sur le site Internet et dans la revue de l’Autorité des marchés financiers, dans des conditions assurant l’anonymat de M. C et M. D.