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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 28 septembre 2017, n° 16/10468

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Michel- Amsellem

Conseillers :

M. Mollard, Mme Faivre

AMF, du 12 avr. 2013, n° 11-10

12 avril 2013

Faits et procédure

La cour renvoie à son arrêt de sursis à statuer du 9 avril 2015 pour un plus ample rappel des faits et de la procédure devant la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers.

Il sera seulement rappelé concernant les faits, que la société Geodis, dont le titre était admis aux négociations sur le compartiment B d'Euronext Paris, est spécialisée dans le secteur du fret et de la logistique, que, le 6 avril 2008, la société SNCF Participations, alors principal actionnaire de la société Geodis à hauteur de 42 % du capital, a annoncé, par un communiqué de presse, le lancement d'une offre publique d'achat (ci-après l'OPA) amicale sur la totalité des actions de la société et que, le 29 juillet 2008, à l'issue de son OPA, la société SNCF Participations détenait 98,40 % du capital de la société Geodis, dont les titres ont été finalement radiés de la cote, le 8 août 2008, après la mise en oeuvre d'un retrait obligatoire.

La banque UBS (ci-après « UBS ») avait été mandatée par la société SNCF Participations pour co-présenter, aux côtés de la banque Deutsche Bank, son offre sur Geodis. M. B., « vice-chairman » d'UBS à l'époque des faits, a obtenu le mandat pour UBS et est intervenu au plus haut niveau pour définir le cadre de l'intervention d'UBS comme banque co-présentatrice.

M. R., dont M. B. était le supérieur hiérarchique, exerçait, à l'époque des faits, les fonctions de « managing director » dans l'équipe « Debt Capital Markets » d'UBS, en charge, notamment, du suivi des grands émetteurs français.

Le 3 avril 2008, soit avant l'annonce publique de l'OPA, le service de la surveillance des marchés de l'Autorité des marchés financiers (ci-après l'AMF) a constaté une nette augmentation des volumes échangés sur le titre Geodis ainsi que de son cours, ce qui a conduit à la suspension de la cotation jusqu'au 7 avril 2008.

Le 28 avril 2008, le secrétaire général de l'AMF a décidé d'ouvrir une enquête sur le marché du titre Geodis à partir du 1er septembre 2007.

A la suite de l'enquête, le Collège de l'AMF a décidé de notifier des griefs à M. R., à M. R. et à une tierce personne, reprochant :

' à M. R., d'avoir, hors du cadre normal de ses fonctions de « managing director » au sein d'UBS, banque désignée comme co-présentatrice de l'OPA de la société SNCF Participations sur Geodis, communiqué l'information privilégiée relative à ladite OPA à son cousin, M. R. ;

•            à M. R., d'avoir utilisé, entre le 20 mars 2008 et le 4 avril 2008, l'information privilégiée relative à ce projet d'OPA pour acquérir, pour son compte personnel, des titres et des « contracts for difference » ' instruments financiers à terme dotés d'un effet de levier (ci-après les « CFD ») ' sur le titre Geodis, pour un montant total de 8.000.224 euros.

Par décision du 12 avril 2013, la Commission des sanctions de l'AMF a sursis à statuer sur les griefs notifiés à MM. R. et R. jusqu'à ce qu'il soit procédé au supplément d'information concernant l'existence des ordres que M. R. prétendait avoir passé entre les 28 février et 18 mars 2008.

Par décision du 18 octobre 2013, la Commission des sanctions a prononcé à l'encontre de M. R. une sanction pécuniaire de 14 millions d'euros et à l'encontre de M. R., une sanction pécuniaire de quatre cent mille euros. Elle a ordonné la publication de la décision sur le site internet de l'AMF.

Le 20 décembre 2013, M. R. a formé un recours à l'encontre de ces deux décisions devant la cour d'appel de Paris. Il a également formé, le 24 décembre 2013, un recours contre ces mêmes décisions devant le Conseil d'État.

Le 26 décembre 2013, M. R. a à son tour formé un recours à l'encontre desdites décisions de la Commission des sanctions devant la cour d'appel de Paris.

Par ordonnance du 14 janvier 2014, les procédures ont été jointes.

Enfin, le 21 février 2014, le président de l'AMF a formé devant la cour d'appel de Paris un recours incident contre la décision du 18 octobre 2013, en tant qu'elle concerne M. R..

Par arrêt du 9 avril 2015, la cour d'appel de Paris s'est déclarée incompétente pour statuer sur les recours formés devant elle par M. R. et par le président de l'AMF et a ordonné le sursis à statuer sur le recours de M. R. dans l'attente de l'arrêt à intervenir du Conseil d'État sur le recours formé devant lui par M. R..

Par arrêt du 6 avril 2016, le Conseil d'État a rejeté la requête de M. R., porté la sanction financière prononcée à son encontre à un montant de six cent mille euros, assorti cette sanction d'un blâme et dit que lesdites sanctions seraient mentionnées sur le site internet de l'AMF.

Par arrêt du 9 février 2017, rectifié le 23 mars 2017, la cour d'appel de Paris a dit que l'instance suspendue par son précédent arrêt du 9 avril 2015 a valablement été rétablie au rôle de la chambre 5-7 et a renvoyé l'affaire à une audience de procédure pour fixer la nouvelle date d'audience de plaidoirie.

La Cour,

Vu le recours de M. R. déposé au greffe de la cour le 26 décembre 2013 ;

Vu les arrêts de la cour d'appel de PARIS des 9 avril 2015 et 9 février 2017 ;

Vu les mémoires, de M. R. déposés au greffe de la cour les 10 janvier 2014, 3 novembre 2014, 13 octobre 2016, 13 janvier et 27 avril 2017 ;

Vu les observations de l'AMF déposées au greffe de la cour les 27 mai 2014, 30 novembre 2016 et 17 mai 2017 ;

Vu l'avis du ministère public en date du 14 juin 2017 communiqué aux parties ;

Après avoir entendu à l'audience du 15 juin 2017, les conseils de M. R. ainsi que le représentant de l'AMF et le ministère public, le conseil de M. R. ayant pu répliquer et eu la parole en dernier.

Sur ce,

M. R. demande :

à titre principal,

•            l'annulation de la procédure d'enquête sur le marché du titre Geodis à compter du 1er septembre 2007 ;

•            l'annulation de la procédure de sanction Geodis n°11/10 ;

•            l'annulation de la décision de la Commission des sanctions de l'AMF du 12 avril 2013 ;

•            l'annulation de la décision de la Commission des sanctions de l'AMF du 18 octobre 2013 ;

à défaut,

•            la réformation de la décision de la Commission des sanctions de l'AMF du 18 octobre 2013 et qu'il soit jugé qu'il n'a pas commis de manquement à l'obligation d'abstention d'utiliser une information privilégiée et doit être mis hors de cause ;

à titre infiniment subsidiaire,

•            la réduction à de plus justes proportions de la sanction prononcée par la décision de la Commission des sanctions de l'AMF du 18 octobre 2013.

Le requérant soulève des moyens préliminaires relatifs à l'irrégularité de la procédure de réinscription de l'affaire au rôle et à l'absence d'autorité de la chose jugée de l'arrêt du Conseil d'État.

Il conteste ensuite la régularité de l'enquête, motif pris de l'absence d'accord de coopération internationale entre l'Autorité des marchés financiers et son homologue libanais.

Il fait enfin valoir l'irrégularité de la procédure de sanction devant la Commission des sanctions de l'AMF en ce qu'elle méconnaîtrait le principe d'impartialité et les droits de la défense.

Sur le fond, il fait valoir que le manquement n'est pas caractérisé. Il considère en particulier que l'investissement en CFD et en actions Geodis n'est ni massif ni atypique au regard de ses habitudes d'investissement et soutient qu'il n'existe aucun indice qui permettrait de ne pas retenir la preuve de l'existence d'ordres antérieurs au 20 mars 2008 sur le titre Geodis.

Il considère, en outre, qu'aucun indice n'établit que l'information privilégiée lui aurait été transmise par M. R..

A titre subsidiaire, il estime que le montant de la sanction est disproportionné.

L'Autorité des marchés financiers conclut au rejet de l'ensemble des prétentions de M. R. à l'encontre des décisions de la Commission des sanctions des 12 avril et 18 octobre 2013, en ce qu'elles le concernent.

Le Ministère public conclut également au rejet du recours de M. R..

•            I- Sur la procédure

La cour précise, à titre liminaire, qu'elle visera ci-après les dispositions du code monétaire et financier dans leur version résultant de l'ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007 relative aux marchés d'instruments financiers, ratifiée par la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier, en vigueur à la date des faits.

Par ailleurs, la cour relève que M. R. critique le rétablissement de l'affaire au rôle, mais ne formule aucune demande à ce sujet.

•            Sur la régularité de la procédure d'enquête

M. R. rappelle que, dans le cours de leurs investigations, les services d'enquête de l'AMF ont, par lettres des 24 septembre 2008 et 21 janvier 2009, sollicité de la Banque du Liban qu'elle leur communique des informations sur les transactions réalisées sur le titre Geodis par la Banque du Liban et d'Outre-mer (ci-après la BLOM) et par la société de courtage Arab International Development and Investment Bank (ci-après l'AIDI), toutes deux situées au Liban . Cette autorité leur a fourni, le 20 octobre 2008, des informations sur les transactions intervenues, sans mention du nom de leur bénéficiaire, et leur a indiqué qu'elle avait saisi la « Commission d'Enquête Spéciale (Lutte contre le Blanchiment des Capitaux) » [« Spécial Investigation Commission (fighting money laundering) », ci-après la « SIC »], laquelle a transmis aux enquêteurs, les 5 juillet et 28 décembre 2009, l'identité de M. R. et le relevé de tous les comptes de celui-ci auprès de la BLOM et de l'AIDI, retraçant, notamment, toutes les transactions qu'il avait réalisées en 2008 et 2009.

Le requérant considère que cette coopération, dans le cadre de laquelle ont été obtenues des informations qui ont été le fondement de la poursuite et de la sanction qui lui a été infligée, a été mise en oeuvre irrégulièrement, puisqu'aucun accord de coopération n'existait alors avec les autorités libanaises, un tel accord n'ayant été conclu qu'ultérieurement le 12 mai 2014. Aussi demande-t-il, à titre principal, à la cour d'annuler la procédure d'enquête ouverte sur le marché du titre Geodis, la procédure de sanction qui s'en est suivie et les décisions de la Commission des sanctions en date des 12 avril et 18 octobre 2013.

M. R. reproche d'abord à la Commission des sanctions de ne pas avoir motivé sa décision quant au choix du texte applicable et, ayant exposé qu'un échange d'informations pouvait reposer sur deux fondements ' l'article L.632-7 du code monétaire et financier, d'une part, et l'article L.6321-16 du même code, d'autre part ', d'avoir énoncé qu'au cas d'espèce les investigations étaient fondées sur le deuxième de ces articles, sans justifier de cette affirmation.

Sur le fond de la question, M. R. considère d'abord, à l'inverse de ce que soutient l'AMF, que l'échange d'informations relevait non de l'article L.632-16 du code monétaire et financier, mais de l'article L.632-7 de ce code. A cet égard, il conteste l'interprétation que l'AMF donne des dispositions de l'article L.632-16 en ce qui concerne sa lettre, sa structure, sa portée, son sens ainsi qu'au regard de son contexte historique. Il fait valoir que cet article ne visant que les demandes dont l'AMF est destinataire, l'article L. 632-7 était, par conséquent, seul applicable et que, dès lors, conformément aux dispositions de ce texte, des informations ne pouvaient être échangées entre autorités qu'en application d'un accord de coopération préalable, qui fait défaut en l'espèce.

Il expose, en outre, que la condition de réciprocité, posée par l'article L.632-16, ne peut résulter que d'un engagement juridique préalable et que, pour cette raison, un accord de coopération était nécessaire. Il considère, par ailleurs, que l'utilisation du verbe « pouvoir » au quatrième alinéa de l'article L.632-16 ' qui dispose qu'« outre les accords mentionnés à l'article L.632-7, l'Autorité des marchés financiers peut, pour la mise en oeuvre des alinéas précédents, conclure des accords organisant ses relations avec des autorités étrangères exerçant des compétences analogues aux siennes » ' doit être comprise, non comme une simple faculté, mais comme l'habilitation de l'AMF par le législateur à conclure des accords de coopération.

Enfin, M. R. souligne que la Banque du Liban et la SIC, avec lesquels les informations ont été échangées, n'ont pas des « compétences analogues » à celles de l'AMF, comme l'exige l'article L.632-16 du code monétaire et financier ; il fait valoir, en effet, que la Banque du Liban n'a pas pour mission de surveiller et de contrôler les marchés financiers et que la SIC est, quant à elle, une autorité judiciaire chargée du blanchiment d'argent, de sorte qu'aucune de ces deux institutions n'avait de compétences analogues à celles de l'AMF, au sens de ce texte.

Dans ses observations devant la cour, l'AMF soutient que le texte applicable en l'espèce était l'article L.632-16 du code monétaire et financier, lequel permet l'échange d'informations entre autorités compétentes sans qu'un accord écrit de coopération ait été préalablement conclu.

Après avoir rappelé que, dans les demandes qu'ils ont présentées aux autorités libanaises, les enquêteurs ont visé l'article L.632-16 du code monétaire et financier, elle soutient que, l'article L.632-7 assurant la transposition en droit national de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d'instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (ci-après la « directive MIF »), qui est relative aux prestataires de services d'investissements, son champ d'application est, par conséquent, circonscrit à ce même domaine. Elle en conclut que le cadre général de la coopération internationale reste régi par l'article L.632-16, anciennement article L.621-21, que, dès lors, l'enquête sur le titre Geodis, qui concernait un abus de marché, devait être menée sur le fondement de ce texte. Se fondant sur la lettre du texte et les travaux parlementaires ayant conduit à son adoption, l'AMF considère qu'il lui permet de présenter des demandes d'informations à des autorités étrangères même en l'absence d'accord écrit de coopération préalable.

Par ailleurs, l'AMF soutient que l'article L.632-16 n'exige pas, dans tous les cas, la conclusion d'un accord préalable de coopération et elle explique que la condition de réciprocité, de même que l'exigence d'un accord exprès pour diffuser les informations recueillies, n'ont de sens qu'en l'absence d'un tel accord. Elle souligne qu'il résulte de l'utilisation du verbe « pouvoir » par ce texte que la conclusion d'une convention ne constitue qu'une faculté. S'appuyant sur l'évolution historique de ces dispositions ainsi que sur les travaux parlementaires, elle rappelle qu'à l'origine ce texte ne prévoyait pas la conclusion d'un accord et que les dispositions y afférentes n'ont été ajoutées par la suite que pour donner une base légale à ces accords, sans pour autant en faire une obligation.

L'AMF réfute l'argument de M. R. fondé sur deux délibérations de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (ci-après la « CNIL ») et tendant à démontrer l'exigence d'un accord écrit. Elle estime que ce moyen est irrecevable comme nouveau et produit hors délai. Elle expose subsidiairement que ce moyen est mal fondé dans la mesure où, d'une part, la CNIL ne subordonne pas le transfert de données à l'existence d'un accord écrit, d'autre part, l'hypothèse concernait le transfert de données vers un pays ne présentant pas un niveau de garantie suffisant du respect de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux, ce qui n'était pas le cas de l'espèce.

L'AMF conclut que les conditions posées par l'article L.632-16 du code monétaire et financier étaient remplies en l'espèce et qu'elle s'est donc conformée au cadre juridique qui s'imposait à elle.

En ce qui concerne l'exercice par l'autorité étrangère de « compétences analogues » aux siennes ' condition figurant au deuxième alinéa de l'article L.632-16 du code monétaire et financier ', elle expose que la notion d'« analogie » ne se réduit pas à celle d'« identité », qu'en l'absence de régulateur libanais, la Banque du Liban, chargée de la supervision financière, doit être considérée comme satisfaisant à cette condition du texte et qu'au surplus, il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la répartition des compétences en son sein.

Quant à la condition de réciprocité prévue par l'article L.632-16 du code monétaire et financier, l'AMF soutient qu'elle est remplie en l'espèce, puisqu'elle répondrait favorablement à toute demande d'assistance de l'autorité libanaise entrant dans le champ d'application de ce texte. Elle invoque, par ailleurs, la convention du 12 avril 1995, conclue entre la COB et la Banque du Liban, afin de préparer les dispositions législatives et réglementaires nécessaires à l'organisation de la régulation et de l'évolution des marchés financiers au Liban, qui, selon elle, fonde une obligation de réciprocité entre les parties.

La cour rappelle au préalable que les dispositions pertinentes des articles L.632-7 I et L.632-16 du code monétaire et financier sont ainsi rédigées :

Article L.632-7 I :

« Par dérogation aux dispositions de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication des documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, la Commission bancaire et l'Autorité des marchés financiers peuvent conclure, avec des autorités homologues relevant d'un État non membre de la Communauté européenne et non partie à l'accord sur l'Espace économique européen, des accords de coopération prévoyant notamment l'échange d'informations. Les informations communiquées doivent bénéficier de garanties de secret professionnel au moins équivalentes à celles auxquelles sont soumises les autorités françaises parties à ces accords. Cet échange d'informations doit être destiné à l'exécution des missions desdites autorités compétentes. »

Article L.632-16 :

« L'Autorité des marchés financiers peut conduire des activités de surveillance, de contrôle et d'enquêtes à la demande d'autorités étrangères ayant des compétences analogues. Lorsque ces activités sont exercées pour le compte d'autorités d'un État non-membre de la Communauté européenne et qui n'est pas partie à l'accord sur l'Espace économique européen, elles sont exercées sous réserve de réciprocité.

L'obligation de secret professionnel prévue au II de l'article L.621-4 ne fait pas obstacle à ce que l'Autorité des marchés financiers, par dérogation aux dispositions de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d'ordre financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, puisse communiquer les informations qu'elle détient ou qu'elle recueille à leur demande à des autorités étrangères exerçant des compétences analogues et astreintes aux mêmes obligations de secret professionnel. Lorsque la communication est faite à des autorités d'un État non-membre de la Communauté européenne et qui n'est pas partie à l'accord sur l'Espace économique européen, elle est effectuée sous réserve de réciprocité. L'Autorité des marchés financiers peut également, dans l'exercice de ses missions, échanger des informations confidentielles relatives aux obligations mentionnées aux articles L. 412-1, L.451-1-2 et L.451-1-3 avec des entités auxquelles ces autorités ont délégué le contrôle de leurs obligations, dès lors que ces entités sont astreintes aux mêmes obligations de secret professionnel. A cette fin, l'Autorité des marchés financiers peut conclure des accords organisant ses relations avec ces entités déléguées.

[...]

Outre les accords mentionnés à l'article L. 632-7, l'Autorité des marchés financiers peut, pour la mise en oeuvre des alinéas précédents, conclure des accords organisant ses relations avec des autorités étrangères exerçant des compétences analogues aux siennes.

Les accords mentionnés à l'article L. 632-7 ainsi qu'au précédent alinéa sont approuvés par l'Autorité des marchés financiers dans les conditions prévues à l'article L. 621-3. »

La cour observe ensuite, en ce qui concerne le défaut de motivation allégué par M. R., que, dans sa décision du 12 avril 2013, la Commission des sanctions, après avoir rappelé quelle était la teneur des moyens d'annulation de la procédure d'enquête soulevés devant elle, a présenté les textes susceptibles de trouver application au cas d'espèce en indiquant, en particulier, les conditions dans lesquelles l'ordonnance du 12 avril 2007 les avait regroupés au sein du chapitre II du titre III du livre VI de ce code, intitulé « Coopération et échange d'informations avec l'étranger », en distinguant les États membres de l'Union européenne ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen et les États qui n'en étaient ni membres ni parties.

La Commission des sanctions a relevé que la coopération mise en oeuvre dans le cadre des deux premiers alinéas de l'article L.632-16 du code monétaire et financier ' qui permet à l'AMF de « conduire des activités de surveillance, de contrôle et d'enquêtes à la demande d'autorités étrangères ayant des compétences analogues » ' n'était soumise, lorsque l'État dont relève l'autorité étrangère n'est pas membre de l'Union européenne ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen, qu'à une condition de réciprocité, sans condition d'un accord préalable, et qu'elle pouvait être « fournie aussi bien par le régulateur français que par l'autorité étrangère requise ». Elle a considéré qu'en l'espèce, c'était sur la base de ces dispositions que les enquêteurs de l'AMF avaient, « à bon droit et à juste titre », sollicité la Banque du Liban, laquelle avait choisi « en fonction des demandes dont elle était saisie, celles de ses Commissions compétentes pour y répondre ».

Il en ressort, à l'inverse de ce que prétend le requérant, que la Commission des sanctions a clairement énoncé les raisons pour lesquelles elle a considéré que la coopération avait été valablement mise en oeuvre dans le cadre de l'article L.632-16 du code monétaire et financier, de sorte que sa décision du 12 avril 2013 comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et permettent d'en comprendre le sens et la portée. Ayant ainsi exposé les motifs de sa décision, dont il appartiendra ensuite à la cour d'apprécier la pertinence et le bien-fondé, la Commission a satisfait à son obligation de motivation.

Sur le fond, la cour observe, en premier lieu, que les articles L.632-7 et L.632-16 du code monétaire et financier dérogent l'un et l'autre aux dispositions de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication des documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, dite « loi de blocage », en permettant à l'AMF de communiquer à une autorité étrangère des informations dont cette loi consacre la confidentialité.

En ce qui concerne le champ d'application de la loi de blocage, celle-ci, contrairement à ce que prétend M. R., ne protège pas d'une façon générale « le secret des affaires », les « intérêts économiques », « les renseignements relatifs aux marchés financiers » ou encore le « principe essentiel du secret des affaires », mais seulement les informations « de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l'ordre public » (article 1er de la loi de blocage) et il s'applique, en conséquence, aux informations susceptibles d'être transmises à l'étranger, à l'exclusion des informations reçues de l'étranger.

Force est de constater qu'en l'espèce les informations en cause, d'une part, n'ont pas été communiquées à une autorité étrangère par l'AMF, mais ont été reçues par elle de la part de l'autorité libanaise, et que, d'autre part, elles ne mettaient en jeu que les intérêts privés de M. R. et non l'un des intérêts protégés, selon les termes ci-dessus rappelés, par la loi de blocage précitée, dans le champ d'application duquel elles n'entraient donc pas.

En second lieu, si les articles L. 632-7 et L. 632-16 du code monétaire et financier fixent, chacun, un cadre juridique particulier à l'échange d'informations entre autorités compétentes ' le premier par la voie conventionnelle, le second sous réserve de réciprocité ', leurs dispositions ne font pas obstacle à ce que, hors de leur champ d'application et donc sans conclusion préalable d'un accord de coopération, l'AMF obtienne d'une autorité étrangère des informations qu'elle utilise pour les besoins d'une enquête dont elle a la responsabilité et à l'occasion de laquelle ses enquêteurs peuvent, selon l'article L. 621-10 du même code, « se faire communiquer tous documents ». Aussi l'AMF, compétente selon l'article L. 621-15 II pour sanctionner toute personne qui se serait livrée à une opération d'initié 'sur le territoire français ou à l'étranger', a-t-elle pu, dans la présente affaire, solliciter les autorités libanaises et faire usage des informations que celles-ci lui ont communiquées sans que, contrairement à ce que soutient M. R., l'absence d'accord de coopération entache d'irrégularité la procédure d'enquête. Les moyens développés à ce titre par le requérant seront donc rejetés.

•            Sur la régularité de la procédure de sanction au regard du principe d'impartialité

M. R. fait valoir que la procédure de sanction est entachée d'irrégularité en ce que la Commission des sanctions a méconnu le principe d'impartialité prévu par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et les droits de la défense en confiant l'instruction complémentaire au même rapporteur que celui qui avait initialement instruit l'affaire.

Il soutient que le rapporteur ne présentait pas l'apparence d'impartialité dans la mesure où il avait exprimé son opinion quant à la culpabilité du mis en cause à la fois dans son rapport du 29 janvier 2013 et publiquement lors de la séance du 22 mars 2013 qui a donné lieu à la décision du 12 avril 2013 ordonnant un complément d'instruction.

L'AMF conteste cette affirmation en faisant valoir, en premier lieu, que la Commission des sanctions n'a fait qu'appliquer l'article R. 621-39 du code monétaire et financier, en deuxième lieu, que le rapporteur ne participe pas au délibéré et, en troisième lieu, que sa conduite pendant l'instruction complémentaire a été impartiale.

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La cour relève, à la lecture de la décision du 12 avril 2013 (page 14), que la Commission des sanctions a défini précisément la mission du rapporteur lui demandant d'effectuer des recherches exclusivement factuelles. Il ressort, par ailleurs, du rapport complémentaire, que le rapporteur a exécuté la mission qui lui était impartie, rappelant, dans la première partie du rapport, les interlocuteurs auxquels il s'était adressé et les courriers qu'il leur avait envoyés, dans la deuxième partie les réponses qu'il a obtenues, et que ce n'est que dans la quatrième et dernière partie, après avoir entendu M. R. à sa demande, qu'il livre son analyse, celle-ci reposant sur les données factuelles obtenues.

Dans ces conditions, il s'avère que la Commission des sanctions, en faisant application de l'article R. 621-39 du code monétaire et financier, n'a pas méconnu le principe d'impartialité en confiant au même rapporteur une instruction complémentaire, dès lors que, d'une part, elle a limité sa mission à la recherche d'éléments de fait objectifs et, d'autre part, que le rapporteur en a strictement respecté le cadre et les limites. La cour constate aussi qu'il n'a pas non plus été porté atteinte aux droits de la défense puisque M. R. qui avait été destinataire des éléments obtenus par le rapporteur, a été entendu, à sa demande, par ce dernier.

Le moyen n'est donc pas fondé et sera rejeté.

•            Sur la régularité de la décision du 18 octobre 2013

•            Sur les irrégularités de fait

M. R. allègue que la décision du 18 octobre 2013 est fondée sur des irrégularités de fait qui justifient que sa nullité soit prononcée.

La cour relève que les treize irrégularités soulevées concernent le bien-fondé du manquement et les examinera donc dans le paragraphe relatif à la caractérisation du manquement reproché à M. R..

•            Sur la méconnaissance des droits de la défense du fait de l'exploitation illégale d'un prétendu silence de la personne poursuivie

M. R. fait valoir que la Commission des sanctions a apprécié sa culpabilité en se fondant, d'une part, sur le silence qu'il a prétendument conservé pendant une enquête non contradictoire, qui ne lui a pas permis de mesurer la portée de ce silence et, d'autre part, sur son absence de réponse sur le fond à la « lettre circonstanciée » qui lui a été adressée avant que ne s'ouvre la phase contradictoire de la procédure.

Plus concrètement, il reproche à la Commission des sanctions d'avoir tiré des conclusions défavorables du fait qu'il aurait, jusqu'à la notification de griefs, gardé le silence sur les ordres d'acquisition en CFD Geodis qu'il aurait passés avant le 20 mars 2008. La Commission des sanctions aurait ainsi irrémédiablement porté atteinte à ses droits de la défense, dès lors que son prétendu silence aurait été constaté au cours de l'enquête administrative lors de laquelle les droits de la défense ne sont pas garantis.

L'AMF conclut au rejet de ce moyen en faisant observer que M. R. opère une confusion entre, d'une part, l'atteinte irrémédiable aux droits de la défense qui résulterait des conditions dans lesquelles s'est déroulée l'enquête et, d'autre part, la possibilité pour la Commission des sanctions de tirer des conséquences d'un silence gardé par le mis en cause pendant l'enquête.

La cour constate que, nonobstant l'emploi dans les écritures de M. R. des termes « atteinte irrémédiable aux droits de la défense », expression qui renvoie habituellement aux conditions dans lesquelles l'enquête a été menée, les reproches de M. R. ne visent, en réalité, que la décision de la Commission des sanctions de tirer des conséquences de son silence pendant l'enquête.

Concernant le « droit au silence », il ressort de l'arrêt du 8 février 1996 de la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après « la CEDH »), John M. c. Royaume-Uni (req. n° 1873/91), que le droit de garder le silence pendant une procédure pénale n'est pas un droit absolu, « en ce sens qu'on ne saurait donc dire que la décision d'un prévenu de se taire d'un bout à l'autre de la procédure pénale devrait nécessairement être dépourvue d'incidences une fois que le juge du fond tentera d'apprécier les éléments à charge » (§ 47 de l'arrêt) ; la CEDH met notamment en balance le silence gardé pendant la procédure avec les autres éléments de preuve et le degré de coercition inhérent à la situation pour déterminer si le fait de tirer des conclusions défavorables à l'accusé enfreint ou non l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En l'espèce, la cour constate, en premier lieu, que M. R. reconnaît lui-même, dans ses conclusions du 27 avril 2017, avoir répondu au questionnaire écrit des enquêteurs daté du 11 janvier 2010, avoir demandé aux enquêteurs à être entendu et avoir répondu à la lettre circonstanciée avec l'assistance de son avocat. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que les réponses de M. R. aux enquêteurs sont intervenues dans un contexte de coercition particulière.

En second lieu, la cour observe que, dans la décision du 18 octobre 2013, la Commission des sanctions évoque, à une seule reprise, au paragraphe 3 intitulé « les ordres d'achat antérieurs au 20 mars 2008 invoqués par M. R. », le silence gardé par celui-ci pendant l'enquête sur les ordres passés avant le 20 mars 2008, pour rappeler le contexte dans lequel s'inscrivait la mesure d'instruction complémentaire, à savoir que M. R. n'avait fait état de ces ordres qu'après la notification de griefs, la Commission des sanctions ayant, à juste titre, estimé que ce moyen nécessitait des investigations complémentaires, d'où la décision du 12 avril 2013, qu'elle rappelle, avant d'énoncer les résultats de l'instruction complémentaire sur lesquels elle fonde finalement le rejet du moyen de défense de M. R.. Pour le reste, la décision du 18 octobre 2013 ne fait nullement état du silence de M. R. et n'en a pas tiré de conséquence particulière.

Dans ces conditions, la cour considère que le moyen tiré de l'exploitation du silence conservé par M. R. pendant l'enquête n'est pas fondé et doit être rejeté.

II- Sur le fond

Au préalable, la cour rappelle que l'autorité de la chose jugée qu'invoque l'AMF n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet du jugement et a été tranché dans son dispositif. En l'espèce, le Conseil d'État, dans le dispositif de son arrêt du 6 avril 2016, s'il a admis l'intervention de M. R., n'a statué qu'à l'égard de M. R., en rejetant sa requête, en portant à 600.000 euros la sanction pécuniaire prononcée à son encontre et en lui infligeant un blâme.

Il s'ensuit qu'il relève de l'office de la cour, conformément aux règles de répartition des compétences juridictionnelles prévues par le code monétaire et financier, d'apprécier le bien-fondé de l'intégralité des moyens de fait et de droit soulevés par M. R. à l'appui du recours qu'il a formé le 26 décembre 2013 contre les décisions de la Commission des sanctions de l'AMF.

M. R. réfute chacun des trois indices retenus par la notification de griefs pour établir la détention de l'information privilégiée et conteste, au surplus, la transmission de l'information privilégiée. Il ajoute que la Commission des sanctions n'a pas examiné tous les indices, bien qu'elle ait fondé sa décision sur la méthode probatoire du faisceau d'indices.

S'agissant de l'examen de ces indices, la cour observe, à la lecture de la décision du 18 octobre 2013, que, contrairement aux allégations de M. R., la Commission des sanctions a analysé chacun des trois indices visés dans la notification de griefs, à savoir :

' l'indice temporel constitué par l'intervention subite et massive de M. R. sur le titre Geodis quelques jours seulement avant l'annonce publique de l'opération d'OPA ;

' l'indice relatif à l'absence d'explication utile avancée par M. R. concernant ses acquisitions subites et massives sur le titre Geodis à partir du 20 mars 2008 ;

' l'indice relatif à l'absence de corrélation de ces acquisitions du titre Geodis avec les habitudes d'investissement de M. R..

En effet, bien que la Commission des sanctions ne les ait pas examinés dans le même ordre que la notification de griefs, cet ordre ne s'imposant pas à elle, elle a cependant étudié les éléments constituants chacun des indices dans les paragraphes 1 et 3 de la décision du 18 octobre 2013, intitulés respectivement « La nature des investissements réalisés par M. R. du 20 mars au 4 avril 2008 » et « Les ordres d'achat antérieurs au 20 mars 2008 invoqués par M. R. ». Quant à la formule ' que M. R. nomme le « considérant usuel » ' relative à la technique probatoire du faisceau d'indices, elle peut être exprimée en des termes ou une syntaxe différente, dès lors que sa mise en oeuvre est conforme au droit et que le sens en est conservé. La Commission des sanctions a ainsi pu, à juste titre, énoncer cette règle en employant sa propre syntaxe, en conclusion du paragraphe du I.

Le reproche de M. R. n'est, dès lors, pas fondé.

Quant aux indices proprement dits, ils seront repris dans l'ordre suivi par la notification de griefs.

•            Sur l'indice temporel, plus particulièrement sur les ordres prétendument passés avant le 20 mars 2008

M. R. soutient qu'il s'était intéressé au titre Geodis avant le 20 mars 2008, et dès le 28 février 2008, et qu'il avait depuis cette date émis à plusieurs reprises des ordres d'achat de ce titre, ordres qui n'avaient pas été exécutés, car passés à un prix inférieur au cours du marché. Il prétend en justifier par la production du livre d'ordres de la société de courtage à laquelle il a confié ses ordres d'achat de CFD Geodis, l'AIDI. Selon lui, ce document établit qu'il a passé sept ordres d'achats de CFD Geodis entre le 28 février 2008 et le 18 mars 2008 inclus.

Il reproche à la Commission des sanctions de n'avoir pas procédé à l'examen effectif de cet élément de preuve et d'avoir retenu des présomptions inexistantes ou équivoques.

La cour observe cependant qu'il ressort des décisions des 12 avril et 18 octobre 2013 que la Commission des sanctions a ordonné une instruction complémentaire, en raison de la production de ce livre d'ordres intervenue postérieurement à la clôture de l'enquête et invoqué à l'appui du moyen de défense de M. R. et que, dans la décision du 18 octobre 2013, la totalité du paragraphe 3 ' intitulé « les ordres d'achats antérieurs au 20 mars 2008 invoqués par M. R. » ' est consacrée à l'examen du livre d'ordres de l'AIDI.

Quant à la force probatoire des éléments produits par M. R. au soutien des ordres prétendument passés avant le 20 mars 2008, si ces extraits du livre d'ordre de l'AIDI produits sont conformes à la réglementation libanaise en matière de conservation des ordres passés, en ce que celle-ci ne comporte aucune obligation pour les ordres non exécutés, les ordres exécutés devant être conservés durant cinq années, et si l'authenticité des copies d'extraits du livre d'ordres de l'AIDI a été certifiée par expert judiciaire (pièce M. R. n°34-2), il n'en demeure pas moins qu'ils sont manuscrits et ne comportent pas de mention d'horodatage, de sorte que leur date certaine n'est pas établie et que l'expert judiciaire n'a, dès lors, pu garantir la conformité des copies aux originaux qu'au jour de son constat, le 27 février 2013, et non pas au jour où les ordres ont été passés, le 20 mars 2008.

Par ailleurs, aucun autre élément de preuve ne vient corroborer, même partiellement, l'existence de ces sept ordres prétendument passés avant le 20 mars 2008, et ce alors même que la Commission des sanctions a pris soin de faire diligenter une instruction complémentaire par le rapporteur. Les critiques de M. R. quant au travail du rapporteur sont inopérantes dans la mesure où celui-ci a adressé aux régulateurs anglais et danois des courriers par lesquels il leur a demandé des informations relativement à tous les ordres, exécutés ou non (D5389, demande à l'autorité danoise : « Detail of all the orders (executed or not) in GEODIS CFDs... », souligné et mis en gras par le rapporteur; D5402, demande à l'autorité anglaise : « Today, the AMF needs to obtain detailed information on the orders, executed or not... », souligné par le rapporteur). Nonobstant la teneur des réponses des différents intermédiaires, force est de constater que, malgré les diligences du rapporteur dans le cadre de cette instruction complémentaire, aucune des réponses obtenues n'est venue corroborer, même partiellement, l'existence des sept ordres que M. R. soutient avoir passés entre le 28 février et le 18 mars 2008.

De plus, la stratégie d'acquisition décrite par M. R. n'est pas cohérente, sans que celui-ci s'en explique et alors même que l'AMF soulève cette incohérence dans ses observations. Le tableau suivant retranscrit les sept ordres inexécutés antérieurs au 20 mars 2008 et les six ordres exécutés à compter du 20 mars 2008 (pièce M. R. n°46).

 

Date      Nombre de titres            Prix de l'ordre

28/02/08            7000     85,30 euros

04/03/08            8500     82,90 euros

07/03/08            8500     81,55 euros

11/03/08            10000   77,10 euros

14/03/08            10000   76 euros

17/03/08            10000   72,55 euros

18/03/08            10000   72,25 euros

20/03/08            10000   72 euros

25/03/08            20000   72,35 euros

26/03/08            13000   72,35 euros

27/03/08            15000   72,5 euros

28/03/08            10000   72,25 euros

31/03/08            30000   72,30 euros ' 72,70 euros

 

Il n'est ni ne cohérent ni expliqué que sept ordres successifs n'aient pas été exécutés, ne serait-ce que partiellement, tandis que les six ordres ayant suivi la date à laquelle M. R. est censé avoir reçu l'information privilégiée de son cousin l'ont tous été ; il n'est pas plus cohérent que le prix des ordres passés avant le 20 mars 2008 suive une progression décroissante, ce de façon continue, commençant à 85,30 euros pour finir à 72,25 euros. En effet, Après un premier ordre d'achat à 85,30 euros, il n'est pas cohérent que M. R. n'ait plus été disposé à acquérir à ce prix et ait baissé le prix de son offre suivante à 82,90 euros, ce d'autant plus que l'insuffisance de sa première offre avait conduit à l'inexécution de son ordre d'achat. Cette incohérence se répète successivement pour chacun de ses ordres suivants, ce jusqu'au 20 mars 2008, sans que M. R. ne puisse en apporter la moindre explication.

Il s'ensuit que les feuillets manuscrits de l'AIDI faisant mention de sept ordres non exécutés antérieurement au 20 mars 2008, ne suffisent pas à prouver la réalité des ordres que M. R. prétend avoir passés et dont, en conséquence, en l'absence d'autres éléments, la preuve n'est pas rapportée.

Le moyen fondé sur les ordres prétendument passés avant le 20 mars 2008 sera en conséquence rejeté.

•            Sur les explications données par M. R. concernant ses interventions à partir du 20 mars 2008

M. R. soutient qu'il est intervenu en acquérant des CFD et des actions Geodis à partir du 20 mars 2008 pour les raisons suivantes : le cours du titre Geodis était historiquement bas ; les analystes financiers recommandaient l'achat du titre Geodis, soulignant sa forte sous-évaluation en bourse et fixant des objectifs de plus-value de l'ordre de 100 % ; M. R. avait effectué des recherches sectorielles parlant de consolidation et concernant particulièrement Geodis ; il considérait que la SNCF était un actionnaire solide et stable financièrement, affichant un appétit pour des acquisitions stratégiques ; il était annoncé, le 26 février 2008, un niveau de dividende procurant un rendement de l'ordre de 4 % en mars 2008.

M. R. ajoute à ces explications que les données de marché ne sont pas immédiatement périssables et que les déclarations du président de la SNCF du 19 mars 2008 ne sont pas un « non-évènement ».

Toutefois, la cour relève, au vu des informations recueillies par les enquêteurs et par le rapporteur, qu'aucune des cinq explications ne repose sur un élément au contenu nouveau qui soit proche de la date du 20 mars 2008, au point d'être déterminante pour l'acquisition de CFD ou de titres Geodis.

Le cours du titre Geodis était, en effet, retombé de 162 euros le 31 juillet 2007 à moins de 90 euros en janvier 2008 et poursuivait une tendance baissière, en dépit des notes d'analyses financières qui, toutes, depuis janvier 2008, recommandaient l'achat du titre en raison de sa sous-évaluation (M. R., pièce n° 13bis). Ces analyses financières et les recommandations d'acquisition du titre Geodis existant depuis janvier 2008, il n'est pas cohérent que M. R. n'ait commencé ses acquisitions qu'au 20 mars 2008 dans la mesure où il est un professionnel averti de la finance.

L'analyse financière la plus récente invoquée par M. R. est celle de Crédit Agricole Chevreux du 20 mars 2008 faisant état du plan stratégique présenté publiquement par le nouveau président de la SNCF et portant plus particulièrement sur ses ambitions européennes dans le domaine du fret et de la logistique ; elle précisait cependant qu'aucune cible n'était désignée. La cour relève qu'au vu de la pièce n° 13 bis précitée, qui regroupe toutes les analyses financières sur lesquelles M. R. fonde ses explications, y compris la dernière analyse de Crédit Agricole Cheuvreux, celle-ci n'apporte pas d'élément nouveau et déterminant qui ne fût pas déjà mis en valeur par les analyses antérieures, ce depuis janvier 2008.

Il en est de même de l'annonce du plan stratégique par le nouveau président de la SNCF. Celle-ci n'est que la reprise de la lettre de mission du Président de la République qui a accompagné sa nomination et a été rendue publique le 27 février 2008. Dès lors, il n'est pas cohérent que les acquisitions de M. R. n'aient commencé qu'environ un mois plus tard, le 20 mars 2008. Professionnel averti de la finance, M. R. suivait nécessairement les informations financières ou connexes afférentes au titres qui constituaient sa cible et n'aurait pas laissé s'écouler un mois entre la survenance d'une information le déterminant à acquérir et son achat. Par ailleurs, M. R. n'apporte aucun élément de preuve concernant les recherches particulières qu'il allègue dans le domaine du fret et de la logistique.

En dernier lieu, le niveau de dividende annoncé à la fin du mois février pour le mois de mars n'explique pas non plus que la première véritable acquisition de titres de M. R. n'ait eu lieu que le 20 mars et non pas un mois plus tôt.

Il s'ensuit que les explications avancées par M. R. ne sont pas suffisantes pour expliquer ses acquisitions à compter du 20 mars 2008 dans la mesure où les éléments invoqués existaient déjà auparavant. Ce moyen sera donc rejeté.

3- Sur les habitudes d'investissement de M. R.

Dans sa décision du 2 octobre 2013, la Commission des sanctions a relevé que l'acquisition litigieuse était atypique par rapport aux choix habituels de M. R., massive au regard de la liquidité de la valeur et, en outre, risquée compte tenu de la faible liquidité du titre.

M. R. le conteste et soutient que son choix n'était pas atypique au regard de ses habitudes d'investissement. Il explique avoir investi sur plus de 40 valeurs différentes en 2007 ainsi qu'entre 2008 et 2009 (M. R., pièce n° 12). Il réfute l'affirmation selon laquelle il se serait orienté uniquement vers de grosses capitalisations durant l'année 2008, qu'il considère comme basée sur un tableau ne recensant que ses opérations les plus importantes (M. R., pièce n° 11). Il précise qu'il n'a investi en CFD qu'à compter de 2008, ses investissements antérieurs ayant été réalisés sous forme d'options, et fait valoir que sa pièce n° 12 démontre, contrairement à ce que prétend l'AMF, qu'entre 2007 et 2009, il a investi dans six valeurs dont la capitalisation était inférieure à 1 milliard d'euros et dans 15 valeurs dont le volume quotidien échangé était inférieur à 1 million de titres.

Il soutient que son investissement en titres et CFD Geodis n'était pas atypique au regard des secteurs dans lesquels il avait l'habitude d'investir. Il indique ainsi avoir investi entre 2008 et 2009 dans 9 secteurs, Geodis étant classé dans le secteur des industries aux côtés des sociétés Martin M. Materials, Monsanto, General Electric et Ford, entreprises dans lesquelles il aurait également investi au regard d'un tableau par lui dressé.

M. R. conteste ensuite que son investissement ait été massif. Il indique avoir effectué en 2008 et 2009 des investissements en CFD, avec une exposition de plusieurs millions à plusieurs dizaines de millions, et avoir parfois subi des pertes conséquentes allant de 2,8 millions d'euros sur Carrefour à 3,4 millions d'euros sur Martin M. Materials. Il reproche à la Commission des sanctions de n'analyser le caractère atypique de son investissement qu'au regard de la liquidité du titre sous-jacent et conteste que son investissement ait été massif, même au regard de la liquidité du titre. Sur ce point, il adresse au raisonnement que la Commission a suivi pour sa démonstration quatre critiques.

En premier lieu, il reproche à la Commission d'avoir comparé ses achats de la période avec le volume global d'achats intervenus le mois précédent, et non pas avec ceux intervenus pendant le mois au cours duquel les acquisitions litigieuses ont eu lieu. Il recalcule ainsi un pourcentage ' qu'il qualifie de « réel » ' de 15,9 %, très éloigné de celui de 87 % obtenu par la Commission, ces pourcentages représentant la part de ses transactions dans le volume des titres échangés.

En deuxième lieu, M. R. affirme que la liquidité du titre était satisfaisante et que ses acquisitions n'étaient pas importantes au regard de cette liquidité, dans la mesure où elles n'ont pas provoqué une hausse du cours de l'action. Il précise que la liquidité ne constitue que l'un des critères d'appréciation du risque d'un placement en CFD, lesquels comprennent, outre l'exposition économique, les fondamentaux de la valeur sous-jacente, la situation du marché, le risque en devise, le prix de revient ou coût d'acquisition de la position, la volatilité du titre et son évolution récente. Il explique que la liquidité du titre Geodis était nécessairement satisfaisante pour les commercialisateurs de CFD dans la mesure où le taux de couverture exigé ' 10 % ' était identique à celui des grandes capitalisations. Il fait également observer qu'il avait l'habitude d'investir sur des titres à faible liquidité, comme le montrent, d'après lui, ses placements en options sur l'année 2007 et le début de l'année 2008.

En troisième lieu, M. R. nie avoir pris des risques immodérés et inhabituels. Il affirme qu'au contraire, les risques pris dans son acquisition de CFD Geodis étaient « tout à fait mesurés » et habituels pour lui. Il expose que le prix de revient moyen de son acquisition était prudemment modéré, 73,70 euros, alors que l'action cotait 101,62 euros le 3 avril 2008, de sorte qu'un appel de marge était peu vraisemblable, puisqu'il aurait alors fallu que le cours de l'action chute de plus de 28%. Il indique avoir l'habitude de prendre des risques financiers beaucoup plus élevés que ceux envisagés par le rapporteur et que, pour cette raison, il s'assure systématiquement de l'alimentation du compte en liquidité afin de faire face à d'éventuels appels de marge. Dès lors, il n'aurait pas été impératif pour lui de déboucler sa position en cas de baisse du cours de l'action, qu'il estimait peu probable au regard de sa faible volatilité, de ses excellents fondamentaux, de l'avis des analystes et des orientations de la SNCF. M. R. explique que la baisse en début d'année était conjoncturelle, inhérente aux cycles économiques, et non pas structurelle, et il critique le « scénario » présenté par la Commission des sanctions, consistant dans la nécessité d'un débouclage rapide et ruineux de sa position en cas de tendance baissière du titre. Il rappelle que les CFD ne comportent pas de date d'échéance et qu'il pouvait maintenir sa position, dès lors que ses moyens financiers lui permettaient de couvrir des appels de marge. Il rappelle qu'il a dû faire face, sur le titre Carrefour, à une perte de 2,8 millions d'euros, sur le titre Martin M. Materials, à une perte de 3,4millions d'euros et explique, à titre de comparaison, que le titre Geodis aurait dû baisser de 28 % pour atteindre le plancher jamais atteint de 52,29 euros et qu'il subisse une perte de seulement 1,6 million d'euros. Il fait valoir qu'en « financier chevronné » il ne se serait pas précipité et aurait agi progressivement afin de ne pas heurter le marché. Il conteste le calcul de l'AMF d'après lequel il lui aurait fallu presque neuf séances d'échanges moyens en bourse pour déboucler sa position et estime, quant à lui, qu'il lui aurait seulement fallu une séance et demie d'échanges moyens en bourse.

L'AMF, en ce qui concerne la capitalisation du titre, observe qu'un tableau synthétique remis par M. R. montre qu'il avait tendance à investir sur de grandes capitalisations boursières de plus d'un milliard d'euros, ce qui n'était pas le cas du titre Geodis. Quant à la liquidité du titre, elle soutient que c'est de celle-ci que découlait le caractère massif de l'investissement, ainsi que la surexposition inhabituelle. Elle souligne qu'il y a lieu de raisonner de façon relative par rapport à la liquidité du titre, et non pas de façon absolue, au regard des moyens financiers de M. R. et des montants habituels de ses investissements.

Elle rappelle que l'investissement de M. R., sur les séances comprises entre les 28 février et 19 mars 2008, a représenté 87 % du volume moyen des transactions constatées sur cette période et qu'il a représenté 870 % du volume moyen quotidien des transactions sur ce titre Comparativement, l'AMF relève 10 autres investissements de M. R. ayant représenté entre une part infinitésimale et 37,9 % des échanges moyens d'une seule et unique séance de bourse, soit un pourcentage de loin très inférieur aux 870 % relevés pour l'investissement en titres Geodis, de sorte que, selon elle, l'investissement a été massif au regard des habitudes de M. R..

Quant à la surexposition inhabituelle, l'AMF relève que, si la tendance baissière du titre s'était poursuivie, M. R. aurait dû faire face à des appels de marge de plus en plus conséquents et aurait dès lors dû déboucler sa position, ce qu'il n'aurait pu faire rapidement au regard de la faible liquidité du titre et du risque d'accentuer la tendance baissière par une revente trop massive et précipitée.

Quant aux secteurs dans lesquels M. R. réalisait des investissements habituels, l'AMF souligne qu'il résulte du tableau fourni par lui que sa tendance était d'investir sur deux secteurs, la banque et la finance d'un côté, l'énergie et les matières premières de l'autre, de sorte que le secteur du fret et de la logistique, auquel appartient Geodis, n'avait auparavant pas fait l'objet d'investissements conséquents.

Sur l'exposition financière de M. R.

La cour constate que M. R. ne s'est pas financièrement surexposé par son investissement Geodis, même au regard de la liquidité du titre, et que l'exposition qui a résulté de cet investissement n'était pas pour lui inhabituelle, comme le montre le tableau synthétique de ses principales transactions significatives pour les années 2008 et 2009 qu'il produit (M. R., pièce n° 11).

En effet, si l'investissement de M. R. en CFD Geodis s'élevait à 800.000 euros pour une exposition de 8 millions d'euros, il s'était déjà exposé financièrement par le passé à cette hauteur et même bien au-delà. Ainsi, sur les quatorze investissements les plus importants, hormis Geodis, figurant dans le tableau ci-dessus évoqué, dix étaient d'un montant et d'une exposition supérieurs à son investissement en Geodis, parfois de loin (M. R., pièce n° 11) :

' Xstrata : investissement de 2,5 millions de livres sterling pour une exposition de 10,5 millions de livres sterling ;

' Carrefour : investissement de 3,8 millions d'euros pour une exposition de 37,6 millions d'euros ;

' Vallourec : investissement de 4 millions d'euros pour une exposition de 36 millions d'euros ;

' Union Fenosa : investissement de 7,2 millions d'euros pour une exposition de 72,5 millions d'euros ;

' Tenaris :

•            investissement de 933.772 euros pour une exposition de 9,3 millions d'euros ;

•            investissement de 578.541 dollars américains pour une exposition de 5,8 millions dollars américains ;

' Martin M. Materials : investissement de 4,5 dollars américains pour une exposition de 45 dollars américains ;

' Constellation Energy : investissement de 3 dollars américains pour une exposition de 30,5 dollars américains ;

' Hartford Financial : investissement de 900.000 dollars américains pour une exposition de 9 millions dollars américains ;

' UBS : investissement de 1,4 million francs suisses pour une exposition de 14 millions francs suisses ;

' Goldman Sachs : investissement de 2 millions dollars américains pour une exposition de 20 millions dollars américains.

Par ailleurs, si la tendance du titre Geodis était baissière depuis le début de l'année 2008, plusieurs indicateurs mis en évidence par M. R. montraient que cette tendance ne se serait sans doute pas poursuivie, ou ne se serait pas accentuée : le titre, d'une part, présentait une faible volatilité, raison pour laquelle la tendance baissière relevée par l'AMF restait mesurée (D4482) ; il présentait, d'autre part, de solides fondamentaux, notamment du fait de la présence d'un actionnaire majoritaire tel que la SNCF, et des perspectives annoncées tant par cette dernière que par les dirigeants de Geodis (M. R., pièce n° 13 bis) ; enfin, les analystes financiers annonçaient à l'époque qu'il était sous-évalué (D4521 et D4522). Tout ceci se voyait conforté par le taux d'appel de marge qui, alors même que le titre présentait un risque au regard de sa faible liquidité, ne dépassait pas 10 %.

En outre, si le titre avait poursuivi sa tendance baissière, M. R. n'aurait pas été contraint de déboucler sa position de façon précipitée. En effet, d'une part, les CFD ne présentant pas de date d'échéance, il aurait uniquement encouru un risque d'appel de marge dans l'hypothèse où le cours de l'action serait descendu en dessous du prix de revient moyen ' qui, de fait, était modéré ' de ses positions, soit 73,70 euros ; d'autre part, ses capacités financières étaient suffisamment importantes pour lui permettre de couvrir tout appel de marge de la part des commercialisateurs de CFD. Dès lors, en financier expérimenté, M. R. aurait pris le temps nécessaire pour déboucler sa position sans heurter le marché, nonobstant le nombre de séances qui lui aurait été nécessaire pour y parvenir.

Enfin, la moins-value encourue par M. R., dans l'hypothèse d'une tendance baissière du titre, n'apparaît pas en contradiction avec ses habitudes d'investisseur dans la mesure où il avait déjà, par le passé, effectué des placements l'ayant conduit à supporter d'importantes moins-values (M. R., pièce n° 11), ainsi dans les cas suivants :

' Martin M. : moins-value de 5 millions de dollars américains ;

' Carrefour : moins-value de 2,8 millions d'euros ;

' Vallourec : moins-value de 830.000 euros ;

' Hartford Financial : moins-value de 786.000 de dollars américains.

Il s'ensuit que le placement de M. R. en CFD Geodis n'était pas inhabituel au regard de son exposition financière, y compris en tenant compte de la faible liquidité du titre.

Sur la liquidité intrinsèque du titre Geodis

La liquidité du titre Geodis est un élément d'appréciation fondamental des habitudes d'investissement de M. R.. En effet, un investissement massif au regard de la liquidité du titre implique le risque que les fonds investis soient immobilisés pour une durée relativement longue, car l'investisseur averti prendra soin de déboucler progressivement sa position pour ne pas accentuer une éventuelle pression baissière. Dès lors, peu importe que la liquidité du titre Geodis ait été jugée satisfaisante dans le cadre de l'OPA lancée par la SNCF sur le titre ou encore par les commercialisateurs de CFD pour fixer leur taux d'appel de marge, seule important la liquidité relative du titre au regard des investissements habituels de M. R.. Dans cette perspective, seule compte la liquidité du titre sous-jacent pour les investissements en CFD, de même que seule compte la liquidité du titre objet de l'option pour les investissements en options.

En se basant sur la synthèse non contestée des principales transactions significatives réalisées par M. R. en 2008 et 2009 (M. R., pièce n° 11), ainsi que sur les observations de l'AMF, non contestées sur ce point, quant aux volumes des échanges quotidiens sur ces titres (AMF, observations du 30 novembre 2016, pp. 47 à 49), le tableau qui suit reprend par valeur le nombre de titres acquis, la moyenne quotidienne d'échanges sur le titre au cours des différentes périodes d'acquisition, et le ratio du nombre total de titres acquis par rapport à une séance de bourse.

 

Titre      Nombre de        Volumes moyen             Ratio

              titre acquis        d'échanges quotidiens 

GEODIS 101 287              12 387 

              6500                  

Total     107 787              12 387  870,16%

VALLOUREC       30 000  1 827 732          

              173 525              1 283 599          

              12 607               

Total     216 132              1 555 666           13,89%

IBERDROLA        150 000              44 672 888         0,34%

CARREFOUR      766 091              3 500 038           21,89%

UNION FENOSA 4 713 864           12 424 318         37,94%

BRITISH ENERGY             805 000              6 504 749          

              55 000  10 344 218       

Total     150 000              44 672 888         0,34%

TENARIS             593 320              6 411 851           9,25%

XSTRATA            246 436              18 580 734        

              1 282 000                        

Total     1 528 436           18 580 734         8,23%

M.S.      180 000              49 934 119         0,36%

 

Comme le montre ce tableau, le volume quotidien d'échange des titres Geodis était de l'ordre de 12 000 titres, tandis que celui de ces autres titres dépassait systématiquement un million de titres échangés par jour et se situait dans une fourchette allant de 1,2 million de titres échangés par jour à près de 50 millions de titres échangés par jour. La liquidité de ces titres est donc sans commune mesure avec celle du titre Geodis. Il s'ensuit que le placement de M. R. en titres Geodis était bien inhabituel au regard de ses habitudes d'investissement.

M. R. formule deux critiques à l'encontre des données exploitées par l'AMF.

Il reproche d'abord à l'AMF d'utiliser un volume moyen d'échanges quotidien du titre Geodis de 12 387 titres qui ne correspond pas à celui de sa période d'acquisition, mais à la période antérieure, tandis que les volumes moyens d'échanges des autres titres correspondent quant à eux aux volumes échangés durant la période d'acquisition. Il s'ensuit une différence importante dans les ratios obtenus par M. R. et par l'AMF. Utilisant la période antérieure comme référentiel, l'AMF obtient un taux d'acquisition de 87 %, tandis que, prenant comme référentiel la période d'acquisition des titres, M. R. obtient un taux d'acquisition bien inférieur de 15,9 % confirmé par le rapporteur (rapport, p. 65).

Toutefois, la liquidité à prendre en compte comme référentiel doit être habituelle pour le titre, et non pas anormalement basse ou élevée. Afin de satisfaire à cette exigence, il peut être nécessaire de se placer, pour déterminer les volumes moyens de titres échangés pris comme référentiel, à une période différente de la période d'acquisition des titres, lorsque cette dernière est caractérisée par une liquidité anormale des titres.

Or, il résulte de l'historique du cours Geodis et des volumes échangés (D4482) que ces derniers ont effectivement considérablement et anormalement augmenté à compter du 19 mars 2008, comme le relève le rapporteur (rapport, p. 65). En effet, le volume d'échanges de titres est passé de 1 882 le 18 mars à 38 953 titres le 19 mars 2008. Entre le 28 février et le 18 mars 2008, le volume des échanges de titres Geodis a oscillé entre 1 882 et 38 838 titres, représentant une moyenne quotidienne de 10 832 titres échangés, tandis qu'entre le 19 mars et le 3 avril 2008 le volume d'échanges de titres a oscillé entre 8 647 et 309 616 titres, représentant une moyenne quotidienne de 71 046 titres échangés.

Dès lors, c'est à juste titre que l'AMF s'est référée à un volume de transactions normal, et non pas anormalement élevé, pour apprécier le caractère massif ou non du titre au regard de sa liquidité et a, pour cette raison, utilisé comme référentiel la période immédiatement antérieure à celle au cours de laquelle M. R. a procédé à ses acquisitions concernant le titre Geodis. Le phénomène d'explosion du volume des titres échangés ne se retrouvant pas pour les autres titres servant de comparatif, il n'y avait pas de raison de changer la période servant de référence quant à eux.

M. R. reproche ensuite à la Commission des sanctions de ne s'être basée que sur ses principales transactions (M. R., pièce n° 11), et non pas sur une liste plus exhaustive de ses placements (M. R., pièce n° 12).

Toutefois, en premier lieu, les données se recoupent, dans la mesure où le tableau synthétique figurant dans la pièce n° 11 produite par M. R. reprend les principales transactions qui figurent également sur la liste plus exhaustive des investissements de M. R.. Les pièces n° 11 et 12 comportent donc simultanément les investissements relatifs aux treize valeurs suivantes, hormis le titre Geodis : Vallourec, Xstrata, Iberdrola, Carrefour, Union Fenosa, British Energy, TEnaris, Martin M. Materials, Constellation Energy, Hartford Financial, UBS, Goldman Sachs, M. S..

En second lieu, les autres placements visés par la pièce n° 12, et qui ne figurent pas sur la pièce n° 11, sont certes au nombre de vingt-neuf, mais ces placements ne sont pas sUBStantiels comme le montre le tableau récapitulatif suivant permettant de comparer le nombre de titres acquis et l'exposition sUBSéquente de M. R. sur ces vingt-neuf placements avec les données de son investissement en titres Geodis figurant en 1ère ligne :

 

Titre      Nombre de        Exposition

              titres acquis     

GÉODIS 107 787              8 024 289

AGUAS DE BARCELONA 39 840  579 122

ARCELOR MITTAL           17 000  373 692

NEOPOST           5 000    283 096

THEOLIA             81 118  1 250 937

UNITED STATES STEEL ($)            65 000  2 897 456

WELLS FARGO ($)           15 000  366 700

GENERAL ELECTRIC ($)  50 000  512 000

GENELTECH ($) 20 000  1 684 486

BANK OF AMERICA ($)   50 000  357 000

ADVANCE MICRO DEVICES ($)    170 000              1 139 500

MERRILL LINCH ($)         25 000  510 399

LEHMAN BROTHERS ($) 60 000  227 202

BUDWEISER ($) 5 000    301 450

WEATHERFORD ($)        48 000  922 304

VALE ($)             5 000    151 450

SO ($)   5 000    163 250

SII ($)    15 000  570 189

MON ($)             51 957  4 187 505

MOS ($)              15 000  730 734

MEE ($) 33 000  1 142 071

RESEARCH IN MOTION ($)          24 000  1 754 366

JP M. ($)             30 000  883 197

FORD ($)            10 000  111 400

EXCELON ($)      5 000    246 750

CVX ($) 2 641    178 664

AEGIS GROUP PLC (£)    200 000              2 259 000

ROYAL BANK OF SCOTLAND (£) 3 000 000           764 787

LLOYDS (£)         3 600 000           2 206 088

BRITISH AMERICAN TOBACCO (£)            5 000    93 981

 

L'exposition de M. R. par l'acquisition des CFD Geodis dépassait 8 millions d'euros, tandis que, parmi ces vingt-neuf autres placements, l'exposition maximale n'a été que de 4,2 millions de dollars (MON), soit la moitié seulement, trois se situaient entre 2,2 millions de livres sterling et 2,9 millions de dollars américains (United States Steel, Aegis Group Plc et Lloyds), soit approximativement le tiers seulement de l'exposition en titres Geodis ; seuls cinq autres étaient situés au-delà d'un million d'euros (Theolia, Geneltech, Advance Micro Devices, Mee et Research In Motion), la grande majorité de ces placements, vingt sur vingt-neuf, ne dépassant pas le million d'euros, soit 1/8e de l'exposition en titres Geodis.

En troisième lieu, la cour observe que M. R. ne produit aucune information concernant la liquidité de ces vingt-neuf titres et se contente d'affirmer avoir effectué des investissements en options sur des titres à faible liquidité en 2007 et au début de l'année 2008 (M. R., mémoire du 13 octobre 2016, p. 162, § 347). Il dresse à cet effet un tableau comportant cinq titres, la quantité acquise, le volume quotidien moyen de titres échangés durant le mois de l'investissement ainsi que le ratio de l'un sur l'autre. Néanmoins, M. R. estime qu'il convient de prendre en compte le nombre d'options échangées et non pas le nombre de titres objet de l'option. Un tel raisonnement est erroné puisque, qu'il s'agisse d'options ou de CFD, c'est bien la liquidité du titre sous-jacent qu'il convient de prendre en compte pour déterminer les habitudes de placement de M. R.. Il en résulte qu'aucun enseignement ne peut être tiré du tableau figurant au paragraphe 347 du mémoire du 13 octobre 2016 de M. R..

Enfin, dans ses observations, l'AMF reprend l'ensemble des investissements de M. R., à partir des relevés de compte auprès de l'AIDI et de la BLOM, pour mettre en évidence le caractère atypique de son investissement en CFD Geodis au regard de la liquidité et de la capitalisation (AMF, observations du 30 novembre 2016, p. 46, M. R., pièce n° 12, cotes D3281 et s. pour les relevés de l'AIDI ; cotes D3470 et s. pour les relevés de la BLOM). Il en résulte que, alors que les investissements de M. R. par l'intermédiaire de l'AIDI et de la BLOM ont porté sur une centaine de valeurs entre 2007 et 2009, seules 8 % avaient une capitalisation boursière inférieure à un milliard d'euros et seuls 17 % avaient un volume quotidien de titres échangés inférieur à un million de titres, chiffres qui ne sont pas utilement réfutés par M. R..

Il en résulte que l'investissement de M. R. en CFD Geodis, s'il ne l'exposait pas financièrement de façon inhabituelle, ne correspondait pas pour autant à ses habitudes de placement au regard de la capitalisation boursière du titre et de sa liquidité au regard de laquelle son placement était bien massif puisqu'il a représenté 870 % des volumes quotidiens moyens habituels d'échanges du titre Geodis.

Sur le secteur d'activité de Geodis

Comme développé précédemment, les investissements mineurs au regard de l'exposition majeure engendrée par les acquisitions de CFD Geodis peuvent être écartés, l'AMF s'étant focalisée à juste titre bon droit sur les titres qu'avait privilégiés M. R..

Or, peu importe le classement des sociétés cotées selon le Industry Classification Benchmark, il ressort du tableau synthétique établi par M. R. lui-même (M. R., pièce n° 11) comportant ses quinze placements majeurs y compris acquisitions de titres Geodis, que les sociétés que les sociétés Iberdrola, Union Fenosa, British Energy, Constellation Energy, Vallourec, Tenaris et Xstrata peuvent être rattachées au secteur de l'énergie, tandis que les sociétés Hartford Financial, UBS, Goldman Sachs et M. S. peuvent être rattachées au secteur de la finance, de sorte qu'il ne reste plus que trois sociétés isolées, Carrefour, qui relève du secteur de la distribution, Martin M. Materials, qui relève du secteur de l'industrie, et Geodis, qui constitue la seule société du portefeuille de M. R. relevant du secteur du transport et de la logistique.

Par ailleurs, M. R. n'apporte aucun élément de preuve établissant que le rapporteur serait revenu sur sa position devant la Commission des sanctions.

Il s'ensuit que l'acquisition des titres Geodis a bien constitué un investissement atypique au regard du secteur d'activité concerné, le transport et la logistique en France et à l'international.

Par conséquent, l'investissement de M. R. en CFD Geodis était bien inhabituel au regard du la liquidité du titre, de sa capitalisation boursière et du secteur d'activité de Geodis. Le moyen sera donc rejeté.

4- Sur la transmission de l'information par M. R. à M. R.

M. R. soutient que l'AMF, d'abord, porte atteinte aux droits de la défense en se référant aux arguments qui ont été développés dans le cadre du recours incident du président de cette autorité, ensuite, n'est pas fondée à recourir à un faisceau d'indices et, enfin, que celui-ci n'établit pas que M. R. lui aurait transmis une information privilégiée.

Sur l'atteinte aux droits de la défense

M. R. reproche à l'AMF de s'être appuyée, dans ses observations devant la cour, sur les arguments qu'elle avait précédemment exposés dans le cadre du recours incident de son président à la suite du recours formé par M. R. contre les décisions de la Commission des sanctions des 12 avril et 18 octobre 2013. Il soutient que, ce faisant, l'AMF a porté atteinte aux droits de la défense, puisqu'il était dans l'impossibilité de connaître les éléments auxquels elle se référait, et d'y répondre.

Mais la cour relève que l'AMF ne s'est pas borné, dans ses observations, à faire référence à ces arguments, mais qu'elle les a versés au débat contradictoire, en les annexant aux observations qu'elle a déposées devant la cour (AMF, pièce n° 58). De surcroît, l'AMF a, dans ses observations du 30 novembre 2016, très précisément identifié ceux de ces arguments qui lui paraissaient pertinents au regard de la présente affaire, et elle a cité intégralement les passages pertinents desdites écritures dans le corps de ces mêmes observations (p. 55).

M. R. ne peut donc soutenir qu'il ignorait à quels arguments se référait l'AMF et s'est trouvé pleinement en mesure d'y répondre, comme il l'a d'ailleurs fait dans son mémoire en réplique et récapitulatif du 27 avril 2017.

Sur le recours au faisceau d'indices

Dans sa décision du 18 octobre 2013, l'AMF a observé que la transmission de l'information privilégiée par M. R. à M. R., et son utilisation par celui-ci, ne pouvaient être établies par l'examen des échanges téléphoniques entre eux puisque, « du fait de l'extranéité des opérateurs et de l'ancienneté des faits », il n'en était resté « aucune trace », et elle s'est, en conséquence, employée à déterminer si cette preuve pouvait résulter de la réunion d'indices figurant au dossier.

M. R. critique cette manière de faire et considère que c'est à tort que l'AMF invoque l'impossibilité de se procurer la preuve d'échanges téléphoniques avec M. R. ; il fait valoir qu'en réalité, les enquêteurs n'ont pas cherché à retrouver la trace de tels échanges et souligne qu'au jour de l'ouverture de l'enquête, les faits ne présentaient pas de caractère d'ancienneté et qu'en dépit de l'« extranéité » des opérateurs, les enquêteurs pouvaient solliciter l'assistance des autorités étrangères compétentes. Il considère que cette « carence des enquêteurs » ne peut justifier que l'AMF recoure à un faisceau d'indices, dans lesquels, au demeurant, il ne voit que de « simples présomptions ».

Sans doute l'article L.621-10 du code monétaire et financier permet-il à l'AMF de se faire communiquer, pour les nécessités d'une enquête, « les données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications dans le cadre de l'article L.34-1 du code des postes et télécommunications et les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique » ; mais l'AMF ne peut, par définition, exercer cette prérogative qu'à l'égard des opérateurs relevant de la loi française et non, comme en l'espèce, des opérateurs étrangers, MM. R. et R. demeurant, respectivement, au Royaume-Uni et au Liban. Une telle communication ne peut alors être obtenue que dans le cadre et les limites de la coopération internationale entre autorités, et s'avère au cas particulier impossible puisque, comme le souligne l'AMF dans ses observations, le droit en vigueur en Grande-Bretagne n'autorise pas les réquisitions téléphoniques pour les enquêtes administratives.

On ne saurait, dès lors, relever à l'encontre des enquêteurs aucune carence qui interdirait à la Commission des sanctions, à défaut de pouvoir examiner les échanges téléphoniques intervenus entre MM. R. et R., de rechercher tous les éléments propres à établir la réalité des faits reprochés et à en apprécier, sous le contrôle de la cour d'appel, le caractère probant. Il est par ailleurs inopérant d'alléguer un prétendu « raisonnement circulaire », qui déduirait la réception de l'information par M. R. de sa transmission par M. R. et induirait de sa réception par M. R. sa transmission par M. R., dès lors qu'il appartient à la cour de déterminer si la transmission de l'information dans son ensemble, son émission et sa réception, résulte, conformément à la technique du faisceau d'indices, de la globalité des indices recueillis par les enquêteurs et retenus par la Commission.

Sur les indices relevés

M. R. considère que les indices sur lesquels la décision du 18 octobre 2013 s'appuie pour prouver la détention de l'information privilégiée par M. R., sa transmission et son utilisation, loin d'être précis et concordants, sont inexacts et insuffisants.

C'est ainsi qu'il conteste que M. R. ait détenu une information privilégiée le 19 mars 2008 et fait valoir qu'il était impossible que, le 20 mars 2008, celui-ci lise son « call report », l'appelle pour lui transmettre l'information et que lui-même passe téléphoniquement ses ordres d'acquisition de CFD Geodis, ce d'autant que les intermédiaires étaient nombreux et qu'il n'avait pas d'accès à une plate-forme et au carnet d'ordres. Il rappelle avoir passé des ordres avant le 20 mars 2008, dès le mois de février 2008, de sorte qu'il n'y a pas de proximité temporelle, selon lui, entre son premier ordre et la date supposée de connaissance de l'information privilégiée par son cousin, M. R.. Il réfute avoir eu tout contact avec celui-ci à cette période, expliquant que le projet d'investissement immobilier, auquel se refère la Commission des sanctions, avait nécessité des contacts lors de l'investissement fin 2007, début 2008 et au retour sur investissement en mai 2008. Il précise que les fonds utilisés pour l'acquisition des CFD Geodis lui appartenaient, et non à son cousin, eu égard à la fongibilité des sommes déposées par celui-ci et les autres investisseurs pour l'acquisition immobilière. Il estime que les liens de confiance et de famille qu'il entretient avec son cousin ne constituent pas un indice du circuit de transmission de l'information.

Les indices sur lesquels la Commission des sanctions s'est fondée pour établir le circuit de transmission de l'information privilégiée sont au nombre de cinq, étant rappelé que le caractère privilégié de l'information entre le 14 mars 2008 et le 6 avril 2008 n'est pas discuté : la connaissance de l'information privilégiée par M. R. le 19 mars 2008 au soir, la proximité temporelle de cette prise de connaissance de l'information privilégiée par M. R. avec les premières acquisitions massives de titres Geodis par M. R. à partir du 20 mars 2008, l'absence de corrélation des acquisitions de titres Geodis par M. R. avec ses habitudes d'investissement, l'absence d'explication utile de la part de M. R. pour expliquer ces acquisitions et l'existence entre ces deux cousins de liens de confiance particulièrement forts.

En premier lieu, il résulte de l'instruction de l'affaire que M. R. a été informé du projet d'OPA le 19 mars 2008 au soir par le vice-chairman d'UBS, M. B.. En effet, celui-ci a eu connaissance de l'OPA projetée dès le 17 mars 2008 (R956). Le 19 mars 2008, M. B. et M. R. étaient présents dans les locaux d'UBS à Paris et ont échangé les courriels suivants :

' M. R. écrivait à M. B. à 17h19 : « Je viens de revenir au bureau. On s'est un peu loupé aujourd'hui. J'espère que tout va bien ».

' M. B. lui répondait à 18h57 de son blackberry « Je serai au bureau dans 5' » (R1318 et R1347).

M. R. partait le lendemain midi, 20 mars 2008, pour Séville et y séjournait jusqu'au 27 mars 2008. Il en résulte que les deux hommes se sont rencontrés le 19 mars 2008 au soir et ne se sont revus que le 27 mars 2008 à midi, comme le confirme l'absence de courrier électronique ayant suivi ceux précités du 19 mars 2008 et jusqu'au 27 mars 2008, date à laquelle MM. R. et B. échangent à nouveau par mail au sujet de leur déjeuner (R1348).

Or, le 25 mars 2008 M. R. répondait à sa collègue Mme Allegra B. au sujet de l'OPA de SNCF-Participation sur Geodis : « B. told me about this one » (R172).

Compte tenu de l'absence de contacts entre MM. B. et R. entre le 20 et le 25 mars 2008, la preuve est rapportée que M. R. a eu connaissance de l'information privilégiée le 19 mars 2008 au soir dans les locaux parisiens d'UBS par le vice-chairman de la banque, M. B..

Par ailleurs, il importe peu, contrairement aux observations de M. R., que la Commission des sanctions, lors de la séance du 20 septembre 2013, n'ait interrogé que M. R. sur sa rencontre avec le vice-chairman d'UBS le 19 mars 2008 au soir, dès lors que cette rencontre avait déjà été évoquée au cours de l'enquête et de l'instruction par le rapporteur (rapport complémentaire, p. 19).

En deuxième lieu, M. R. a procédé à ses premières acquisitions de CFD Geodis le 20 mars 2008, soit le lendemain de la prise de connaissance par son cousin de l'information privilégiée, cette proximité temporelle entre les deux événements constituant un élément cardinal du faisceau d'indices. M. R. soutient certes avoir passé des ordres non exécutés avant le 20 mars 2008, dès le mois de février 2008, mais il n'en rapporte pas la preuve, comme il a été précédemment relevé. Par ailleurs, les développements de M. R. sur l'impossibilité technique de recevoir l'information de son cousin et de passer ses ordres sont sans objet dès lors que, lorsque M. R. a reçu le 'call report' du 20 mars 2008, il avait déjà connaissance de l'information privilégiée depuis la veille.

En troisième lieu, les acquisitions de M. R. en titre Geodis étaient inhabituelles au regard de ses placements antérieurs, que ce soit au regard de la liquidité du titre et de sa capitalisation boursière ou au regard du secteur d'activité de Geodis, même si l'exposition financière, quant à elle, n'était pas inhabituelle, comme cela a été précédemment relevé par la cour.

En quatrième lieu, M. R. n'apporte pas d'explications utiles quant à son intérêt soudain et massif pour les titres Geodis, ainsi qu'il a été relevé précédemment.

En cinquième lieu, M. R. et M. R. étaient particulièrement proches, davantage que ne le sont d'ordinaire des cousins germains. Outre leurs relations de famille, ils entretenaient des relations d'affaires prouvées par le projet immobilier commun qu'ils ont mené avec d'autres investisseurs, par l'utilisation du compte bancaire de M. R. à cet effet et par le fait que M. R. ait laissé le produit de cet investissement sur le compte de M. R. ouvert à la BLOM. S'il ne ressort pas de ces faits, qui ne sont pas contestés, que les fonds utilisés pour l'acquisition des titres Geodis ont appartenu à une autre personne qu'à M. R., ceux-ci montrent que M. R. et M. R. entretenaient des relations de confiance propices à l'échange d'une information privilégiée. Compte tenu de la réunion de ces éléments, l'affirmation de M. R. selon laquelle il n'a pas été en contact avec son cousin M. R. sur cette période est inopérante. En effet, l'investissement immobilier qu'ils ont effectué en commun s'est traduite par un investissement de fonds fin 2007-début 2008 et par un retour sur investissement en mai 2008, soit sur une période d'environ six mois au milieu de laquelle M. R. a procédé à l'acquisition des titres Geodis. Au vu de ce projet commun, il est hautement probable que des échanges ont eu lieu à cette période entre les deux cousins.

En définitive, la précision et la concordance de ces cinq indices établissent que M. R. n'a pu acquérir les CFD et les titres Geodis entre le 20 mars et le 4 avril 2008 que parce qu'il détenait l'information privilégiée sur la prochaine OPA de SNCF Participations que lui avait transmise son cousin, M. R., cette transmission ayant eu lieu entre le moment où celui-ci avait eu, venant du vice-chairman d'UBS, connaissance de l'information, le 19 mars 2008 au soir, et le moment où M. R. a effectué ses premières acquisitions, le 20 mars 2008, un tel calendrier étant compatible avec le temps nécessaire à la circulation de l'information privilégiée et au processus de passation des ordres sur les CFD Geodis.

Le moyen de M. R., tiré de l'absence de preuve de la transmission par M. R. de l'information privilégiée, doit par conséquent être rejeté.

III- Sur la sanction

L'article L.621-15 II c), III c) et V du code monétaire et financier dispose :

« II- La Commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanctionà l'encontre des personnes suivantes :

[...]

c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent un instrument financier émis par une personne ou une entité faisant appel public à l'épargne ou admis aux négociations sur un marché d'instruments financiers ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur un tel marché a été présentée, dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;

[...]

III- Les sanctions applicables sont :

[']

c) Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de l'article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c et d du II, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées au Trésor public.

Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou profits éventuellement tirés de ces manquements.

[...]

V.- La commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, à moins que cette publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées. »

M. R. considère qu'en lui infligeant une sanction de quatorze millions d'euros et en publiant un communiqué de presse, la Commission des sanctions a violé le principe de proportionnalité.

Mais la cour rappelle que le manquement d'initié commis par M. R. lui a permis de réaliser, en moins d'une dizaine de jours, un bénéfice de 6 248 593 euros. Elle constate, de surcroît, que, bien qu'il n'ait pas agi dans le cadre de ses fonctions professionnelles de responsable de la salle des marchés d'une importante banque libanaise, M. R. n'était pas un profane ignorant de la matière boursière.

Par ailleurs, bien que M. R. n'ait pas donné d'informations complètes durant l'enquête ou l'instruction sur le montant de son patrimoine, il ressort néanmoins de ses comptes à l'AIDI et à la BLOM, ainsi que de l'historique des opérations boursières effectuées à titre personnel quasi-quotidiennement, qu'il détenait un patrimoine de plusieurs dizaines de millions d'euros, qu'il ne prétend ni ne démontre avoir perdu.

Sur la publication de la décision de la Commission des sanctions, la cour rappelle que le code monétaire et financier donne à l'absence de publicité un caractère exceptionnel, puisque son article L.621-15 dispose que« [l]a commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, à moins que cette publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause ».

Or, M. R. ne démontre pas que la publication ordonnée lui aurait causé un préjudice disproportionné ou risquerait de perturber gravement les marchés financiers.

Pour l'ensemble de ces motifs, la cour considère que la sanction pécuniaire de quatorze millions d'euros prononcée à l'égard de M. R. et la mesure de publication sont proportionnées à la gravité des faits commis, qui ont porté atteinte à l'intégrité du marché et à la confiance des investisseurs, ainsi qu'à l'importance des profits réalisés, et que la première n'est pas excessive au regard de sa capacité financière.

PAR CES MOTIFS

Rejette le recours formé par M. R. contre les décisions de la Commission des sanctions de l'AMF en date des 12 avril et 18 octobre 2013 ;

Laisse les dépens de l'instance de recours à la charge de M. R..