CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 31 mars 2016, n° 15/12351
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
La société Ormylia, (SAS), La société International Society Activities Finances (SAS), La société Socodol (SAS)
Défendeur :
L'autorité des Marchés Financiers
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Michel- Amsellem
Conseillers :
Mme Faivre, M. Thomas
Sur le rappel des faits et de la procédure
Sur les faits
La société Riber est spécialisée dans la conception, la fabrication et la commercialisation de système d'épitaxie par jets moléculaires ( ou MBE selon l'abréviation de l'anglais Molecular Beam Epitaxy : cette technique a pour objet de faire croître, l'un par-rapport à l'autre, deux cristaux possédant un certain nombre d'éléments de symétrie communs dans leurs réseaux cristallins ; de nombreux matériaux sont aujourd'hui produits par épitaxie dans le domaine des composés électroniques( semi-conducteurs) ou des cellules photovoltaïques).
La société Riber est une société anonyme à directoire et conseil de surveillance.
Son capital social s'élève à 3 091 348,96 actions de 0,16 € de nominal, entièrement libérés. Celles-ci sont admises à la négociation sur le marché réglementé d'Euronext Paris, compartiment C.
Au 31 décembre 2014, les personnes qui détenaient une participation significative dans la société étaient :
• La société NG Investments et M. Noël G.: 29 %
• La société Ormylia et M. Jacques K. : 18,8%
• la société ISA Finances,la société Socodol, Mme Isabelle R. et M. Bernard R. : 17,7%.
Le solde des actions est réparti entre les petits porteurs qui acquièrent les titres sur le marché.
La société Riber dont le siège social est situé dans le Val d'Oise, détient deux filiales à 100% localisées respectivement aux Etats-Unis et en Corée du Sud. Elle emploie 109 salariés et son chiffre d'affaires s'élève à 23,5 millions d'euros.
Entre mai 2011 et fin 2013 le directoire était composé de 5 membres dont M. Frédérik G., président, et M. Michel P., directeur marketing.
Entre mai 2011 et le 20 octobre 2012, le conseil de surveillance était composé de 8 membres dont M. Noël G., M. Bernard R. et M. Jacques K..
M. Jacques K. en a démissionné le 21 octobre 2012 et M. Bernard R. le 5 février 2013.
Il est nécessaire de préciser les autres liens existant entre les différentes personnes physiques ou morales qui ont été citées précédemment.
M. Noël G. qui a créé le fonds d'investissement confié à la société NG Investments, a été membre du conseil de surveillance de Riber de décembre 2007 à juin 2014 et en a assuré la présidence entre le 27 décembre 2007 et le 27 mai 2010. Son épouse, Mme Dominique G. est présidente du directoire de la société NG Investments. Leur fils M. Frédérik G. est à la fois président du directoire de Riber et président de la filiale américaine. Il est aussi devenu en 2006, le directeur général de la société NG Investments.
M. Jacques K. a créé la société Ormylia. Cette société est spécialisée en gestion d'actifs industriels, immobiliers et financiers. Après avoir été détenue à 100% par M. Jacques K., elle est depuis juin 2011, détenue à 100% par une sarl de droit luxembourgeois, Ormylux elle-même détenue à 100% par M. Jacques K.. Depuis le 6 juillet 2011, elle est présidée par M. Pierre-Yves K., fils de M. Jacques K.. Ce dernier est aussi le frère de Mme Isabelle R. et le beau-frère de M. Bernard R..
La société Ormylia a conclu avec la société UBS France une convention de conseil en investissement financier qu'elle a résiliée le 13 février 2012. C'est avec elle qu'elle a réalisé sa montée au capital de Riber.
Mme Isabelle R., s'ur de M. Jacques K. et épouse de M. Bernard R., est actionnaire à 90% de la société ISA Finances et sa présidente ; M. Bernard R. qui en est actionnaire à 10% est son directeur général.
La société ISA Finances a pour objet social l'acquisition sous toutes formes, la détention, la propriété et la gestion de toutes parts sociales, actions et valeurs mobilières.
Elle détient à 100% sa filiale, la société Socodol dont Mme Isabelle R. est aussi présidente. L'objet social de cette société est l'étude, la mise au point, la réalisation de tous projets financiers, industriels, agricoles, miniers, commerciaux et mobiliers.
M. Bernard R., beau-frère de M. Jacques K., a créé la SA R. en 1970, spécialisée dans la fabrication de matériaux stratégiques pour l'ultravide. Il a cédé, en 2005, ses parts à ses enfants.
M. Michel P. est devenu actionnaire de la société Riber dès son entrée en bourse en 2000. Il y a exercé la fonction de directeur marketing à titre de salarié, poste dont il a été licencié le 24 février 2014. Il a également été membre du directoire de cette société jusqu'au 3 juin 2014. Il a cédé la totalité de ses titres Riber, le 27 février 2013, dont la plus grosse part à M. Noël G..
La société UBS France est un établissement de crédit agréé, sous-filiale d'une société de droit suisse, autorisée à accomplir des services d'investissement tels que la réception et la transmission d'ordres pour le compte de tiers ou le conseil en investissement.
M. Alexandre B. a été salarié de la société UBS France de janvier 2010 à avril 2012 où il exerçait les fonctions de conseil en investissement et assurait le service de réception et transmission d'ordres pour le compte de tiers dont la société Ormylia.
Sur la procédure
Le 18 avril 2011, le secrétaire général de l'AMF a ouvert une enquête sur le marché du titre Riber qu'il a étendu, le 5 juillet 2011, à l'information financière délivrée par la société à compter du 1er janvier 2009.
Après le dépôt le 22 novembre 2013 par la Direction des enquêtes et des contrôles,
de son rapport d'enquête dans lequel il est fait état d'une part, de l'utilisation d'une information privilégiée portant sur deux contrats conclus par Riber avec deux sociétés asiatiques signés respectivement le 18 octobre 2010 pour un montant de 1 965 000 euros et le 30 novembre 2010 pour un montant de 3 850 000 euros, d'autre part, d'une action de concert pour permettre aux mis en cause de faire élire au conseil de surveillance les trois personnes de leur choix et d'y devenir majoritaires, le Collège de l'AMF a décidé, le 26 novembre 2013, que des griefs devaient être notifiés à toutes les personnes physiques ou morales précitées à l'exception de M. Frédérik G..
Il était ainsi reproché :
- Des manquements d'initié à :
M. Noël G.,
La société NG Investments,
M. Jacques K.,
La société Ormylia,
M. Bernard R. ;
- Des manquements relatifs à l'action de concert et à l'information du marché à :
La société NG Investments,
M. Bernard R.,
Mme Isabelle R.,
la société ISA Finances,
la société Socodol ;
- Des manquements liés à l'action de concert à :
M. Jacques K.,
La société Ormylia,
M. Bernard R.,
Mme Isabelle R.,
la société ISA Finances,
la société Socodol,
M. Michel P.;
• Des fautes de gestion à la société UBS France;
• Des manquements à ses obligations professionnelles à M. Alexandre B..
Au vu de ces griefs et du rapport dressé par son rapporteur, la Commission des sanctions de l'AMF a considéré que les manquements reprochés étaient caractérisés et a rendu, le 2 juin 2015, la décision suivante :
Elle a prononcé à l'encontre de :
M. Noël G. une sanction pécuniaire de 70 000 euros ;
La société NG Investments une sanction pécuniaire de 30 000 euros ;
M. Jacques K. une sanction pécuniaire de 800 000 euros ;
La société Ormylia une sanction pécuniaire de 200 000 euros ;
M. Bernard R. une sanction pécuniaire de 1 000 000 euros ;
Mme Isabelle R. une sanction pécuniaire de 100 000 euros ;
La société ISA Finances une sanction pécuniaire de 200 000 euros ;
La société Socodol une sanction pécuniaire de 200 000 euros ;
M. Michel P. une sanction pécuniaire de 600 000 euros ;
La société UBS France une sanction pécuniaire de 350 000 euros ;
M. Alexandre B. un avertissement ;
Elle a décidé de publier sa décision sur son site internet en préservant l'anonymat de M. Alexandre B..
***
Vu le recours formé contre cette décision par M. Jacques K. et la société Ormylia le 18 juin 2015 ;
Vu le recours formé contre cette décision par M. Bernard R., Mme Isabelle R., la société ISA Finances et la société Socodol le 2 juillet 2015 ;
Vu le recours formé contre cette décision par M. Michel P. le 22 juillet 2015 ;
Vu les conclusions déposées au greffe de la cour par M. Jacques K. et la société Ormylia le 3 juillet 2015 et le 12 janvier 2016 ;
Vu les conclusions déposées au greffe de la cour par M. Bernard R., Mme Isabelle R., la société ISA Finances et la société Socodol le 17 juillet 2015 et le 11 janvier 2016 ;
Vu les conclusions déposées au greffe de la cour par M. Michel P. les 28 juillet 2015 et 12 janvier 2016 ;
Vu les observations déposées au greffe de la cour par L'AMF le 26 novembre 2015 ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 28 janvier 2016 en leurs observations orales, les conseils de M. Jacques K. et la société Ormylia, de M. Bernard R., Mme Isabelle R., la société ISA Finances et la société Socodol ainsi que de Michel P., puis le représentant de l'AMF et le Ministère public, les requérants ayant eu la parole en dernier et eu la possibilité de répliquer ';
Par leurs conclusions M. Jacques K. et la société Ormylia demandent à la cour de :
Avant-dire-droit :
- Faire droit aux demandes tendant à la formulation de trois questions préjudicielles auprès de la Cour de justice de l'Union européenne :
Question1 : l'article 10 a) de la directive 2004/109/CE du 15 décembre 2004 sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé, doit-il être interprété en ce sens, qu'il impose au juge national, nonobstant l'absence de ces termes dans la transposition nationale, de caractériser une politique durable ainsi qu'une politique qui concerne la gestion de la société '
Question 2 : en cas de réponse positive, cet article doit-il être interprété en ce sens que :
D'une part, les échanges entre actionnaires minoritaires intervenus en marge d'une seule et unique assemblée générale constituent une politique durable '
D'autre part ces échanges entre actionnaires minoritaires pour la désignation de nouveaux membres d'un conseil de surveillance, qui contrôle en principe le directoire, caractérisent une politique concernant la gestion de la société '
Question 3 : l'article 28 de cette directive, en ce sens qu'il prescrit des mesures et sanctions proportionnées, doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à l'application par le juge national de sanctions financières allant jusqu'à 100 000 000 euros, alors même qu'aucun profit n'a été réalisé '
- Surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la Cour de justice de l'Union européenne ;
A titre principal :
- Ecarter des débats les courriels et les conversations téléphoniques exploités de manière irrégulière par les services de l'AMF ;
- Constater que le refus opposé par le rapporteur désigné par le Collège de l'AMF, de faire droit à la seule mesure d'instruction sollicitée par M. Jacques K. et la société Ormylia caractérise un déséquilibre dans l'instruction du dossier par les différents services de l'AMF ;
- Annuler en conséquence la décision rendue le 2 juin 2015 par la Commission des sanctions de l'AMF ;
A défaut :
- Juger que les conditions requises pour sanctionner un manquement d'initié ne sont pas réunies au cas particulier ;
- Juger que M. Jacques K. et la société Ormylia n'ont pas participé à la moindre action de concert vis-à-vis de Riber ;
- Juger qu'ils n'avaient donc pas à procéder à des déclarations de franchissement de seuils ;
- Réformer en conséquence la décision précitée et ne prononcer aucune sanction à l'égard de M. Jacques K. et la société Ormylia ;
Plus subsidiairement,
- Juger que les principes de proportionnalité et d'individualisation des sanctions n'ont pas été respectés ;
- Prononcer une sanction globale de 2 euros ;
- Condamner l'AMF à payer les dépens et la somme de 15 000 euros à M. Jacques K. et de 150 000 euros à la société Ormylia en application de l'article 700 du code de procédure civile.
À l'appui de leurs demandes, M. Jacques K. et la société Ormylia font valoir que l'enquête de l'AMF a été menée uniquement à charge et dès son origine, n'a pas respecté le principe de loyauté en violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, notamment, les enquêteurs ont accédé de manière irrégulière à la messagerie de M. Jacques K. ainsi qu'aux enregistrements téléphoniques.
Quant au bien-fondé des manquements, M. Jacques K. et la société Ormylia déclarent que l'achat des 59 549 actions, le 21 décembre 2010, s'inscrivait dans la politique d'investissement qu'ils menaient avant et après cette date ; ils considèrent que l'information sur les commandes n'est pas une information privilégiée car le cours du titre n'est pas influencé par les communiqués de presse et qu'elle n'a pas été déterminante de leur achat.
S'agissant de l'action de concert, ils rappellent que le droit français doit s'interpréter au regard du droit communautaire qui définit l'action de concert plus strictement ; en outre, le tribunal de commerce de Pontoise a rejeté la demande de M. Noël G. de voir reconnaître une action de concert entre M. Jacques K., la société Ormylia, M. Jacques K., Mme Isabelle R.,la société ISA Finances et la société Socodol ; cette décision est devenue définitive.
Par leurs conclusions M. Bernard R., Mme Isabelle R., la société ISA Finances et la société Socodol demandent à la cour :
- Juger qu'ils n'ont pas commis les manquements qui leur sont reprochés ;
- Annuler les condamnations prononcées ;
Subsidiairement :
- Réduire le montant des sanctions à 1 euro chacun ;
- Condamner l'AMF à payer à M. Bernard R. la somme de 150 000 euros et respectivement à Mme Isabelle R., la société ISA Finances et la société Socodol celle de 50 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
A l'appui de leur demande, ils font valoir que les deux commandes litigieuses ne peuvent constituer des informations privilégiées car elles ne sont pas susceptibles d'avoir une influence sensible sur le cours des actions Riber, compte tenu de la politique générale de communication de la société.
Concernant l'absence de déclaration auprès de l'AMF, ils précisent qu'ils ont fait les déclarations auprès de la société et que c'est par méconnaissance qu'ils n'en ont pas informé l'AMF et qu'il n'en est résulté tant pour le marché que pour la société aucun préjudice. Concernant plus précisément, les actions détenues sur le compte-titre d'une banque située en Suisse, comme elles n'ont jamais fait partie de leurs droits de vote, ils n'ont pas eu conscience qu'elles contribuaient au franchissement de seuil.
S'agissant de l'action de concert, ils estiment que le tribunal de commerce de Pontoise a déjà établi de manière définitive qu'il n'y en avait pas ; en tout état de cause, les indices sur lesquels s'appuie l'AMF ne sont pas pertinents.
Par ses conclusions M. Michel P. demande à la cour :
- Infirmer la décision du 2 juin 2015 ;
Subsidiairement :
- Réduire la sanction à 1 euro ;
En tout état de cause :
- Condamner l'AMF aux dépens et à lui payer la somme de 40 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de ses demandes, M. Michel P. fait valoir que l'action de concert n'est pas caractérisée ; il précise qu'il n'a d'ailleurs pas été assigné devant le tribunal de commerce de Pontoise par M. Noël G. dans le cadre de sa demande de faire constater l'action de concert frauduleuse ; en tout état de cause, ce jugement a désormais force de chose jugée ; de surcroît, l'action de concert doit être analysée au regard de la directive de 2004 qui suppose la preuve d'un accord contraignant entre les concertistes.
Concernant la sanction, M. Michel P. considère que l'AMF n'a pas respecté les principes de proportionnalité et d'individualisation des sanctions.
Dans ses observations l'AMF invite la cour à rejeter les prétentions des requérants et à confirmer les termes de la décision de la Commission des sanctions du 2 juin 2015 en ce qui les concerne.
Mme l’Avocat général a conclu à l'audience, à la confirmation de la décision entreprise.
SUR CE
Sur la procédure
M. Jacques K. demande l'annulation de la décision au motif en premier lieu, que des éléments de preuve ont été obtenus de manière déloyale et en second lieu, que l'instruction a été conduite avec partialité.
1°) sur l'obtention des preuves
En application de l'article 621-10 du code monétaire et financier, les enquêteurs et les contrôleurs peuvent, pour les nécessités de l'enquête ou du contrôle, se faire communiquer tous documents, quel qu'en soit le support.
Sur la messagerie électronique
En l'espèce, il n'est pas contesté que les enquêteurs de l'AMF se sont rendus au siège de la société Ormylia et ont demandé à M. Pierre-Yves K. présent sur les lieux, de pouvoir prendre copie de la messagerie électronique de ce dernier et de celle de M. Jacques K. intitulée [...] et que M. Pierre-Yves K. les leur a remises spontanément.
Dans ces conditions, il ne peut être reproché aux enquêteurs de ne pas avoir eu recours à l'autorité judiciaire pour obtenir la messagerie électronique de M. Jacques K., dès lors qu'aucun acte coercitif n'était nécessaire.
Par ailleurs, la messagerie de M. Jacques K. ne peut être qualifiée de messagerie personnelle alors qu'elle est hébergée sur un serveur géré pour le compte de la société Ormylia.
En outre, bien que M. Jacques K. soit le principal actionnaire et qu'il a reçu pouvoir de M. Pierre-Yves K., de gérer la participation de la société Ormylia dans le capital de Riber, le pouvoir de direction de cette société appartient à M. Pierre-Yves K. qui avait donc la capacité de décider de remettre les messageries de la société aux enquêteurs de l'AMF dès lors que ces derniers enquêtaient sur le marché du titre Riber dans lequel intervenait la société Ormylia. Ainsi il ne peut être reproché à ces derniers d'avoir obtenu et exploité indûment la messagerie de M. Jacques K. hébergée sur un serveur loué par la société Ormylia, étant précisé que les éléments recueillis sont des courriels adressés aux enquêteurs ou au Secrétaire général de l'AMF.
Sur les enregistrements téléphoniques
En application de l'article L533-8 du code monétaire et financier, les prestataires de services d'investissement conservent, dans les conditions fixées par le règlement général de l'AMF, les informations pertinentes relatives à toutes les transactions sur instruments financiers qu'ils ont conclus.
En application de l'article L533-10,§5 du code monétaire et financier, les prestataires de services d'investissement doivent conserver un enregistrement de tout service qu'ils fournissent et de toute transaction qu'ils effectuent, permettant à l'AMF de contrôler les obligations du prestataire de services d'investissement et, en particulier, de toutes ses obligations à l'égard des clients, notamment des clients potentiels.
En application de l'article 313-51, 1°) du règlement général de l'AMF, le prestataire de services d'investissement organise, dans des conditions conformes aux lois et règlements, l'enregistrement des conversations téléphoniques des négociateurs d'instruments financiers.
En application de l'article 313-52 du règlement général de l'AMF, l'enregistrement d'une conversation téléphonique a pour fin de faciliter le contrôle de la régularité des opérations effectuées et leur conformité aux instructions des donneurs d'ordres.
De la lecture des textes précités, il ressort que l'obligation qui incombe à un prestataire de services d'investissement d'enregistrer les conversations téléphoniques entre son négociateur d'instruments financiers et le client, n'a pas seulement pour finalité la protection de ce dernier, contrairement aux allégations de M. Jacques K., mais aussi la protection des clients potentiels et plus généralement le contrôle de la régularité des opérations financières.
En l'occurrence, M. Jacques K. ne peut reprocher aux enquêteurs de ne pas avoir eu recours à l'autorité judiciaire pour recueillir le contenu de conversations téléphoniques entre lui et M. B. alors que la société UBS France avec laquelle la société Ormylia avait conclu une convention de conseil le 2 juillet 2010, avait l'obligation en sa qualité non contestée de prestataire de services d'investissement, de procéder aux enregistrements téléphoniques entre M. Jacques K. représentant de la société Ormylia et M. Alexandre B., salarié de la société UBS France et qu'elle a remis sans opposition, les bandes téléphoniques aux enquêteurs de l'AMF selon la retranscription du procès-verbal d'écoute et d'enregistrement daté du 21 décembre 2011 et remis à la cour.
Il faut ajouter que la convention de conseil précitée, précisait que les conversations étaient enregistrées et la lecture du procès-verbal sus-visé met en évidence que M. Jacques K. avait connaissance de cette stipulation, puisqu'il a posé à deux reprises les 7 septembre et 21 décembre 2010, à M. Alexandre B. la question de savoir si leur conversation était enregistrée. Ainsi, les enquêteurs de l'AMF n'avaient besoin d'aucune autorisation judiciaire pour obtenir ces enregistrements et les exploiter.
2°) Sur le moyen tiré de la partialité de l'enquête
M. Jacques K. et la société Ormylia opposent :
- En premier lieu, que l'enquête aurait été ouverte sur la base d'une dénonciation anonyme :
Il ressort cependant tant du rapport d'enquête que du rapport du rapporteur que l'enquête a été ouverte le 1er janvier 2009 sur la base des informations recueillies par l'AMF dans le cadre de la surveillance permanente des marchés réglementés et donc avant la réception, le 16 juin 2011, de la lettre anonyme.
- En deuxième lieu, que des faits répréhensibles de la part de la société Riber portant sur l'information financière ou la manipulation de cours n'ont pas donné lieu à ouverture de la procédure de sanction.
Il y a toutefois lieu de rappeler que c'est le Collège de l'AMF et non le service des enquêtes qui décide de la suite qu'elle entend donner aux investigations menées par les enquêteurs, or le Collège prend sa décision en opportunité et n'a pas à la motiver. Quant à M. Jacques K. et la société Ormylia qui ont pu, au cours de l'enquête, faire connaître leurs observations et leurs pièces, ils ne démontrent pas en quoi l'enquête a pu compromettre irrémédiablement leurs droits et emporté la conviction erronée de la commission des sanctions.
- En troisième lieu, que l'enquête aurait été dévoyée.
Cependant cette enquête a été ouverte le 1er janvier 2009 au regard des alertes reçues par le service de surveillance de l'AMF concernant des interventions de la société NGI sur le marché de la société Riber dans les jours précédents le communiqué publié par cette dernière sur les commandes asiatiques. C'est précisément l'enquête qui a permis de confirmer des manquements d'initié de la part de NGI et de M. Noêl G., mais aussi de révéler les manquements commis par d'autres investisseurs sur le marché du titre Riber ; les manquements reprochés à M. Jacques K. et la société Ormylia entrent dans cette dernière catégorie ; la preuve que l'enquête aurait été détournée de son objet n'est donc pas rapportée.
En définitive, le moyen soulevé par M. Jacques K. et la société Ormylia tiré de la violation du principe de loyauté pendant l'enquête n'est pas fondé.
3°) Sur le moyen tiré de la partialité du rapport de la commission des sanctions
En application de l'article R621-39 du code monétaire et financier, « le président de la commission des sanctions (') désigne le rapporteur qui procède à toutes diligences utiles. La personne mise en cause (') peut être entendue par le rapporteur à sa demande, ou si celui-ci l'estime utile. Le rapporteur peut également entendre toute personne dont l'audition lui paraît utile.
(') le rapporteur consigne par écrit le résultat de ces opérations dans un rapport » .
En l'espèce, M. Jacques K. reproche au rapporteur de ne pas avoir donné suite à sa demande d'audition d'un agent de l'AMF qui aurait dit dans le cadre d'une procédure parallèle, qu'il n'y avait pas d'action de concert.
Il y a lieu de rappeler que le législateur laisse au rapporteur le soin de choisir les personnes qu'il estime devoir entendre, en fonction de l'utilité que cette audition présente pour l'instruction.
Sur le plan formel, il ne lui est pas imposé de motiver ses choix dès lors qu'il établit son rapport de manière contradictoire ; en l'occurrence, il ressort de la lecture de son rapport, qu'il a examiné tant les procès-verbaux et pièces recueillies par les enquêteurs que les documents remis par les mis en cause ainsi que les déclarations que ceux-ci lui ont faites lors de leur audition.
Sur le bien-fondé de la demande, il ressort des observations non contestées de l'AMF, que ledit agent n'avait pas accès aux pièces de l'enquête.
Dans ces conditions, l'analyse juridique de cette personne qui en tout état de cause, n'était pas un témoin direct des faits reprochés, n'était pas utile à la manifestation de la vérité.
Ainsi le moyen tiré de la partialité du rapport n'est pas établi.
En définitive, l'ensemble des moyens tendant à l'annulation de la décision sont rejetés.
Sur le fond
1- Sur les griefs relatifs aux informations privilégiées
En application de l'article L621-15 II du code monétaire et financier en vigueur à l'époque des faits, «la Commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'égard de toute personne qui (...) s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié (...)».
L'article L621-1 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers en vigueur à l'époque des faits dispose que « l'information privilégiée est une information précise qui n'a pas été rendue publique qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers ou un ou plusieurs instruments financiers et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers qui leur sont liés.
Une information est réputée précise si elle fait mention d'un ensemble de circonstances ou d'un évènement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire et s'il est possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet évènement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments qui leur sont liés.
Une information qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés (') est une information qu'un investisseur raisonnable serait susceptible d'utiliser comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement ».
En application de l'article L622-1 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, « toute personne mentionnée à l'article L622-2 doit s'abstenir d'utiliser l'information privilégiée qu'elle détient en acquérant ou en cédant (') les instruments financiers auxquels se rapporte cette information.
Elle doit également s'abstenir de :
Communiquer cette information à une autre personne en dehors du cadre normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ou à des fins autres que celles à raison desquelles elle lui a été communiquée ».
En application de l'article 622-2 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, « les obligations d'abstention prévues à l'article 622-1 s'appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de :
1°) sa qualité de membre des organes d'administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l'émetteur ;
2°) sa participation dans le capital de l'émetteur (').
Lorsque la personne mentionnée au présent article est une personne morale, ces obligations d'abstention s'appliquent également aux personnes physiques qui participent à la décision de procéder à l'opération pour le compte de la personne morale en question ».
En l'occurrence, M. Jacques K. qui agissait pour le compte de la société Ormylia ainsi que M. Bernard R. font valoir que l'information litigieuse portant sur deux contrats de vente 'Nanjing' et 'Mandra' de machines de production MBE à des industriels asiatiques, n'était pas de nature à influencer sensiblement le cours de l'action Riber.
En outre, M. Jacques K. ajoute que l'information n'a pas été déterminante de l'acquisition du 21 décembre 2010 qui s'inscrivait dans la politique de montée au capital menée par la société Ormylia. Il précise qu'il ne connaissait pas l'existence d'une annonce imminente des deux commandes Nanjing et Mandra.
Il fait aussi observer que les enregistrements téléphoniques ne pouvaient être exploités.
S'agissant de ce dernier point, il sera renvoyé aux motifs précédents relatifs à la procédure qui valide les éléments de preuve tirés de l'exploitation des enregistrements téléphoniques.
Concernant le premier point, M. Jacques K. et M. Bernard R. font valoir que les milieux financiers avaient anticipé le niveau de commande et le chiffre d'affaires attendus pour la fin de l'année 2010 et que la comparaison avec les cours encadrants celui qui a suivi le communiqué sur les deux commandes Nanjing et Mandra, montre que l'augmentation de ce dernier a été faible par rapport aux autres cours qui ne suivaient pas une annonce relative à une information industrielle.
M. Jacques K. et M. Bernard R. font valoir qu'ils n'ont pas commis pour le premier, le manquement d'abstention d'utiliser une information privilégiée, pour le second, le manquement d'abstention de communiquer ladite information.
En l'espèce, il est constant que la société Riber a publié le 22 décembre 2010, un communiqué portant sur la vente de trois systèmes de production de semi-conducteurs à deux acteurs industriels majeurs en Asie, Nanjing et Mandra. L'information privilégiée porte sur les deux contrats d'achat d'appareils de fabrication conclus par Riber avec deux industriels asiatiques Nanjing et Mandra.
Il n'est pas contesté que le 21 décembre 2010, la société Ormylia représentée par M. Jacques K. et qui détenait depuis le 10 juillet 2010, 5% du capital de Riber pour l'avoir déclaré à l'AMF, a acquis, par l'intermédiaire de la société UBS France, 59 549 titres Riber, soit 45,3% du volume d'achat de cette séance.
Il n'est pas contesté que le contrat Nanjing a été signé le 18 octobre 2010 et le contrat Mandra, le 10 décembre 2010.
Il est aussi établi que le président du directoire a demandé expressément aux membres du conseil de surveillance dont M. Bernard R., que la signature de ces contrats reste confidentielle.
Concernant le contrat Nanjing, l'information n’est donc pas connue du public du 18 octobre 2010 au 22 décembre 2010 et l'information concernant le contrat Mandra est restée confidentielle du 10 décembre 2010 au 22 décembre 2010.
L'information qui est transmise à M. Bernard R. est précise, en ce sens qu'elle ne résulte pas d'une rumeur ou d'une supputation mais qu'elle porte sur des faits commerciaux qui portent une date précise et qui mentionnent l'objet du contrat, son prix et sa destination, peu important que la dénomination du destinataire soit incomplète.
Selon le document recueilli par les enquêteurs de la Direction des enquêtes de l'AMF intitulé « Communication financière Bilan 2010/Plan 2011 », une politique de communication financière a été établie par la société Riber qui est révisée annuellement par le conseil de surveillance. Celle 'ci prévoit qu'une communication d'ordre commercial est établie lorsque « un contrat important en lien avec la stratégie de la société » est signé et des seuils ont été définis pour la publication.
Par ailleurs, il n'est pas contesté que, selon M. Frédérik G., dans une note adressée le 7 décembre 2010 aux membres du conseil de surveillance, une étude réalisée pour le compte de Riber précise que « en moyenne, il est constaté après une communication, l'augmentation du cours de l'action de 5% le jour même et de 3% le jour suivant. »
Au regard du montant de chacun des contrats qui représentait respectivement 22% et 11,6% du chiffre d'affaires de la société Riber pour l'année 2010, de leur objet, la vente de machines de production très sophistiquées, alors qu'en 2009, la société Riber n'en avait pas vendu et de leurs destinataires, des producteurs asiatiques, les contrats Nanjing et Mandra ont été considérés comme des contrats importants, à caractère stratégique pour la société Riber, justifiant une communication au public.
Dans la mesure où ce type d'information a eu par le passé, une influence sensible sur le cours des titres de Riber, il se déduit que l'information sur les commandes Nanjing et Mandra était susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des actions Riber.
M. Bernard R. en sa qualité de membre du conseil de surveillance en 2010, le savait nécessairement ; d'ailleurs, ainsi qu'il résulte du procès-verbal de son audition, ce dernier avait demandé lors de la réunion du comité stratégique, le 25 novembre 2010, qu'un communiqué relatif à la commande Nanjing soit diffusé au marché.
Il importe peu que l'augmentation du cours fût insuffisante selon M. Jacques K. et M. Bernard R..
Le caractère privilégié de l'information sur les commandes Nanjing et Mandra étant établi, il y a lieu de démontrer que M. Jacques K. qui agissait pour le compte de la société Ormylia avait connaissance de cette information et l'a utilisée de manière indue pour acquérir des actions Riber.
La lecture de la transcription des enregistrements téléphoniques des conversations entre M. Jacques K. et M. Alexandre B., salarié de la société UBS France, met en évidence que M. Jacques K. savait que chaque fois qu'il y avait une communication publique d'une information d'ordre commercial, le cours de l'action de Riber augmentait : ainsi le 17 décembre 2010, il déclarait à M. Alexandre B. « Bon, y a une annonce à 18h, après la clôture comme quoi ils avaient vendu une machine et donc, à chaque fois qu'il y a une annonce comme ça le cours, il prend 5%. »
Cette déclaration témoigne de ce que M. Jacques K. savait que des commandes avaient été conclues par Riber et qu'une communication publique allait être diffusée.
Ainsi le 21 décembre 2010, à la suite de l'appel téléphonique de son conseiller M. Alexandre B. qui lui demandait ce qu'il se passait sur l'action Riber dans la mesure où il observait un nombre important d'achats, il a répondu « Ben, y'a des annonces »
• Son conseiller : « toujours des machines qui sont vendues '
• M. Jacques K. : Y'a des annonces de machines qui sont vendues.
(')
• M. Jacques K. : y a encore des commandes qui apparemment devraient s'annoncer et ça devrait grimper encore (')
A ce stade du dialogue, M. Jacques K. et M. Alexandre B. réfléchissaient ensemble à l'achat ou non d'actions puis M. Jacques K. a déclaré : « Je vais appeler mon beau-frère parce que l'annonce je l'ai pas vue-là' Ecoutez j'appelle.
Oui je regarde parce que ce serait rigolo de faire ce coup-là quand même pour embêter Noël G. ».
Après une interruption de la conversation téléphonique, celle-ci a repris :
• M. Alexandre B.: Vous avez connaissance d'annonces. Alors vous avez réussi à l'avoir '
• M. Jacques K. : oui il m'a confirmé ; j'avais regardé sur le site, y'a pas d'annonce de faite.
• M. Alexandre B.: y'a pas d'annonce et on n'en attend pas de particulière '
• M. Jacques K. : euh, pff, non. Vous êtes enregistrés '
• M. Alexandre B.: Oui je suis enregistré malheureusement.
• M. Jacques K. : Bon alors, je n'ai pas connaissance d'annonce.
• M. Alexandre B.: je vous appellerai tout à l'heure de mon téléphone portable ( rires)
• M. Jacques K. : Euh, donc, on va faire un petit coup pour Noël.
(')
• M. Jacques K. : Ouais, alors, on prend tout ce qu'il y a jusqu'à 2,58.
• M. Alexandre B.: Alors, moi, ça veut dire qu'il faut que je mette un ordre à 2,58 ».
Ce dialogue permet de constater que M. Jacques K. a eu besoin de se voir confirmer qu'une annonce de commande de machines allait être faite pour prendre la décision d'acheter toutes les actions Riber jusqu'au seuil qu'il a fixé.
Il a été constaté par les enquêteurs que M. Jacques K. avait acheté le 21 décembre 2010, 60 000 titres Riber représentant 45% du montant des ventes de ce titre ce jour.
Pour justifier la légitimité des acquisitions de ce jour, M. Jacques K. fait valoir qu'elle s'inscrivait dans la stratégie de la société Ormylia de monter au capital de Riber et correspondait au montant habituel d'actions achetées régulièrement depuis le début de l'année 2010 et qui s'est poursuivi en 2011 ; en outre, il ajoute que la société Ormylia n'a réalisé qu'une faible plus-value potentielle, car elle n'a pas revendu ses actions.
Cependant, s'il est incontestable que la société Ormylia a acheté régulièrement des actions Riber depuis 2010, il n'en reste pas moins que le 21 décembre 2010, M. Jacques K. a tenu à s'assurer auprès de son beau-frère, membre du conseil de surveillance de Riber, de l'existence d'une annonce imminente sur des commandes, avant de décider d'amplifier son achat d'actions Riber.
Il résulte de la retranscription des enregistrements téléphoniques des semaines précédentes, communiquée à la cour, qu'il savait qu'il était en compétition avec M. Noêl G. pour l'acquisition d'actions Riber et il savait aussi que M. Noêl G. commençait à manquer d'argent pour en acquérir.
L'ensemble de ces éléments démontrent que M. Jacques K. savait qu'il détenait une information privilégiée qui lui permettait d'acheter un grand nombre d'actions à un cours moins élevé que celui prévisible pour les jours suivants, portant ainsi atteinte à l'intégrité du marché et à la confiance des investisseurs.
Par conséquent, il est établi que M. Jacques K. agissant pour le compte de la société Ormylia et cette dernière ont commis le 21 décembre 2010, le manquement d'abstention d'utiliser l’information privilégiée relative aux commandes Nanjing et Mandra qu'ils détenaient en acquérant des titres de la société Riber.
Concernant M. Bernard R., il ressort de la transcription des enregistrements téléphoniques communiqués aux débats et du procès-verbal de son audition qu'il détenait l'information concernant les commandes Nanjing et Mandra avant le 21 décembre 2010.
En effet, le 22 octobre 2010, il a reçu, en sa qualité de membre du conseil de surveillance, du directeur du service commercial de la société Riber, un document en vue du comité stratégique d'octobre 2010 portant la mention « commande reçue en octobre : Nanjing (MBE49) :1 965 K€ ». Le 12 décembre 2010, il a reçu un courriel de M. Frederik G., président du directoire de la société Riber, l'informant que « nous avons vendu deux MBE6000 pour un client en Chine. Il s'agit d'un projet secret et nous vous demandons de maintenir cette information strictement confidentielle pour l'instant. Chiffre d’affaires 3,6m€ à la commande, les versements suivants sécurisés par lettre de crédit. »
Il est aussi établi par les procès-verbaux d'audition de M. Jacques K. et de sa s'ur Mme Isabelle R. que M. Bernard R. était en contact régulier avec son beau-frère M. Jacques K., ce que confirme la transcription des enregistrements téléphoniques avec la société UBS France qui contiennent d'une part, l'enregistrement d'une conversation à trois entre M. Alexandre B., M. Jacques K. et M. Bernard R. le 2 décembre 2010 et d'autre part la conversation téléphonique entre M. Jacques K. et M. Alexandre B. le 21 décembre 2010 précitée dans laquelle, M. Jacques K. déclare à son interlocuteur qu'il va appeler son beau-frère pour savoir s'il y a une annonce prévue concernant les commandes de la société Riber.
Cette dernière conversation dont les termes ont été transcrits précédemment, met aussi en évidence, que M. Bernard R. a communiqué à M. Jacques K. l'annonce à venir concernant les ventes de machines par la société Riber.
Ainsi l'ensemble de ces éléments établissent que M. Bernard R., en sa qualité de membre du conseil de surveillance, avait connaissance des commandes Nanjing et Mandra avant qu'elles ne soient portées à la connaissance du public. En sa qualité de membre du conseil de surveillance participant à l'édiction des règles de communication pour la société Riber, il savait que ces commandes devaient faire l'objet d'une communication publique en raison de leur importance.
Alors même qu'il savait que ces commandes n'avaient pas encore été rendues publiques, il a communiqué l'information sur les commandes et leur prochaine publication à son beau-frère, gérant d'une société qui, en tant qu'actionnaire de la société Riber, n'avait pas vocation à être informée de ses contrats avant que le marché le soit, démontrant qu'il agissait ainsi en-dehors du cadre normal de ses fonctions.
Par conséquent, il est établi que M. Bernard R. a commis le manquement d'abstention de communiquer une information privilégiée en-dehors du cadre normal de ses fonctions en transmettant à M. Jacques K. les informations privilégiées relatives aux commandes Nanjing et Mandra.
2- Sur les griefs de déclaration de franchissement de seuils, de déclaration d'intention et de dépôt d'une offre public d'achat
1°) Sur les griefs de déclaration de franchissement de seuils, de déclaration d'intention et de dépôt d'une offre public d'achat reprochés conjointement à M. Jacques K., la société Ormylia, M. Bernard R., Mme Isabelle R., la société Isa Finances, la société Socodol et M. Michel P..
En application de l'article L233-7 du code de commerce« I.- Lorsque les actions d'une société ayant son siège sur le territoire de la République sont admises aux négociations sur un marché réglementé (') toute personne physique ou morale agissant seule ou de concert qui vient à posséder un nombre d'actions représentant (une fraction définie par la loi) du capital ou des droits de vote informe la société dans un délai réglementaire, à compter du franchissement de seuil de participation, du nombre total d'actions ou de droits de vote qu'elle possède.
II.- La personne tenue à l'information mentionnée au I informe également l'AMF dans un délai et selon des modalités fixées par son règlement général, à compter du franchissement du seuil de participation, lorsque les actions de la société sont admises sur un marché réglementé (') ».
En application de l'article L233-9 du code de commerce, « sont assimilées aux actions ou aux droits de vote possédés par la personne tenue à l'information prévue au I de l'article L233-7 :
3°) les actions ou les droits de vote possédés par un tiers avec qui cette personne agit de concert ».
En application de l'article L233-10 du code de commerce, « Sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu en vue d'acquérir, de céder ou d'exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société.
II.- Un tel accord est présumé exister :
1°) entre une société, le président de son conseil d'administration et ses directeurs généraux ou les membres de son directoire ou ses gérants ;
3°) entre des sociétés contrôlées par la même ou les mêmes personnes.
III.- Les personnes agissant de concert sont tenues solidairement aux obligations qui leur sont faites par les lois et règlements ».
En application de l'article 10 de la directive 2004/109/ CE du 15 décembre 2004 sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé, les exigences en matière de notification définies à l'article 9 paragraphes 1 et 2, s'appliquent également à une personne physique ou morale dans la mesure où elle a le droit d'acquérir, de céder ou d'exercer des droits de vote lorsque l'un des cas ci-après ou une combinaison de ces cas se présentent : « a) Les droits de vote sont détenus par un tiers avec qui cette personne a conclu un accord qui les oblige à adopter, par un exercice concerté des droits de vote qu'ils détiennent, une politique commune durable en ce qui concerne la gestion de la société en question (...)».
Sur l'action de concert
En l'occurrence, il est fait grief à M. Jacques K., la société Ormylia, M. Bernard R., Mme Isabelle R., la société Isa Finances, la société Socodol et M. Michel P. d'avoir, entre le 26 mai 2011 et le 12 mars 2012, en agissant de concert, franchi les seuils de 20%, 25% et 30% du capital de la société Riber sans déclarer les franchissements de seuil ainsi que leur intention et de ne pas avoir déposé une offre publique d'achat en franchissant le seuil de 30%.
Les appelants contestent avoir agi de concert.
A l'appui de leur argumentation, ils font valoir les moyens suivants :
• La loi française doit être interprétée à la lumière du droit communautaire et notamment de l'article 10 de la directive 2004/109/ CE du 15 décembre 2004 précitée ;
• Le tribunal de commerce de Pontoise qui a considéré, dans le jugement rendu le 11 décembre 2012, qu'il n'y avait pas d'action de concert entre-eux, a acquis force de chose jugée ;
• Le faisceau d'indices graves, précis et concordants retenu par la Commission des sanctions n'établit pas la preuve d'une action de concert ;
Au préalable en raison de la présomption légale précitée, l'action de concert est établie entre M. Jacques K. et la société Ormylia qu'il contrôle et au sein du groupe familial R. dans lequel la société Socodol est détenue à 100% par la société Isa Finances dont Mme Isabelle R. détient 90% des actions et qu'elle préside, et dont M. Bernard R. est directeur général.
En revanche, l'action de concert doit être prouvée entre les personnes physiques M. Jacques K., M. Bernard R. et M. Michel P..
Concernant le moyen tiré de l'absence de concordance entre le droit communautaire et le droit national qui justifierait, le cas échéant, selon M. Jacques K. et la société Ormylia, que des questions préjudicielles soient posées à la Cour de justice de l'Union européenne, il n'est pas contestable que les rédactions de l'article L223-10, I du code de commerce et de l'article 10 de la directive précitée sont différentes.
Cependant, il est constant que si la loi française ne comporte pas la référence à l'exigence d'une politique commune durable et relative à la gestion, cette différence doit rester sans effet, le législateur dans la loi du 2 août 1989 ayant entendu transposer la directive du 12 décembre 1988 concernant les déclarations de franchissements de seuils et la directive précitée de 2004, qui lui succède, reprend la même formulation.
Ces dispositions sont concordantes en ce sens qu'elles exigent que l'action de concert repose sur un accord ayant un objet et un objectif.
S'agissant de l'accord, il implique nécessairement une rencontre de volontés des participants revêtant un caractère contraignant.
Concernant l'objet, il porte dans le cas d'espèce, sur l'exercice des droits de vote lors de l'assemblée générale.
S'agissant de l'objectif, il consiste à mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société. Dès lors qu'est visée la mise en œuvre d'une politique, l'action concertée s'inscrit dans une certaine durée, sans cependant que les législations nationale ou communautaire ne précisent cette durée.
Dans la mesure où la loi française résulte d'une transposition de la directive communautaire et qu'elle doit donc s'interpréter dans le même sens que celle-ci, il n'y a pas lieu de soumettre à la Cour de justice de l'Union européenne, les questions préjudicielles soulevées par M. Jacques K. et la société Ormylia concernant l'action de concert.
Dans la présente affaire, pour établir l'action de concert occulte qui conduit aux franchissements de seuils incriminés, il convient de rechercher si M. Jacques K., M. Bernard R. et M. Michel P. sont liés par un accord ; si cette preuve est rapportée, quels sont l'objet et l'objectif de cet accord.
Mais au préalable, il y a lieu d'examiner la question de l'autorité de la chose jugée du jugement rendu le 11 décembre 2012 par le tribunal de commerce de Pontoise au regard des manquements reprochés aux appelants.
Sur l'autorité de chose jugée du jugement du tribunal de commerce de Pontoise
En application de l'article 1351 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité.
A la lecture du jugement concerné, il ressort que cette décision oppose la société NG Investments à M. Bernard R., Mme Isabelle R., la société Isa Finances,la société Socodol, la société Ormylia, MM. B., N. et S. et la société Riber et qu'il est demandé que M. Bernard R., Mme Isabelle R., la société Isa Finances, la société Socodol, la société Ormylia soient privés de leurs droits de vote pour une durée de cinq ans en raison du manquement délibéré des défendeurs à leurs obligations déclaratives qui résultent de leur concert occulte. Dans son dispositif, le tribunal a dit qu'aucune action n'est établie et a débouté la société NG Investments de cette demande.
Il y a lieu d'observer que ni M. Jacques K., ni M. Michel P. ne sont parties à ce litige.
La Commission des sanctions de l' AMF est saisie des griefs de non-déclaration de franchissement de seuil dans le cadre d'une action de concert et doit constater ces manquements avant de prononcer, le cas échéant, une sanction pécuniaire.
Outre le fait que l'AMF qui est une autorité administrative, n'était pas partie au litige devant le tribunal et n'en avait aucunement l'obligation, il est constant que l'autorité de la chose jugée par une juridiction civile envers une autorité administrative est limitée aux seules constatations de fait et non aux appréciations et qualifications juridiques opérées par cette juridiction.
Or l'action de concert n'est pas un fait juridique mais la qualification d'une situation de fait. De plus, le tribunal de commerce de Pontoise ne l'a pas retenue, faute de preuve suffisante.
Dès lors, la Commission des sanctions n'était pas liée par la décision du tribunal de commerce de Pontoise concernant l'action de concert.
Quant à la cour d'appel de Paris, elle est saisie du recours formé à l'égard de la décision de la Commission des sanctions. Ce recours constitue une demande dont l'objet et les parties sont différents de ceux du litige dont était saisi le tribunal de commerce de Pontoise. Par conséquent, l'autorité de la chose jugée par le tribunal de Pontoise ne lui est pas opposable.
Le moyen tiré de l'autorité de chose jugée invoqué par tous les appelants sera donc rejeté.
Il y a donc lieu d'examiner si les conditions de fond de l'action de concert sont remplies.
Sur la preuve de l'accord et de son objet
Au vu des pièces communiquées aux débats :
• Procès-verbal d'audition de M. Thierry B. en date du 21 mai 2012 et les trois courriels en date respectivement du 3 février 2011 et du 4 février 2011 adressés pour le premier par Socodol à M. Jacques K. le deuxième par M. Jacques K. à M. Thierry B. et le troisième contenant la réponse de M. Thierry B. à M. Jacques K. : ces pièces mettent en évidence que M. Jacques K. a demandé en avril 2011 à M. Thierry B. qui est un de ses anciens camarades de classe préparatoire et le président de la société Profalux devenue la société Ormylia dont M. Jacques K. était actionnaire à 100%, qu'il achète des actions Riber afin qu'il devienne membre du conseil de surveillance de cette société « Bernard et Jacques sont allés me chercher, pour se renforcer face au pôle G.. » ; les échanges de courriels font apparaître que M. Bernard R. invitait en février 2011, M. Jacques K. en présence de M. Michel P. et lui demandait de faire le nécessaire pour que M. Thierry B. soit présent. Ce dernier n'ayant pu venir, M. Jacques K. lui a proposé une nouvelle date de réunion le 8 mars 2011, par courriel dont copie à M. Bernard R..
• Courriel en date du 1er avril 2011 adressé par M. Jacques K. au président du conseil de surveillance pour lui dénoncer les accusations d'imputation d'action de concert faite par un membre du conseil de surveillance et ce courriel est adressé pour information à la même date à M. Thierry B. ;
• Courriel en date du 17 mai 2011 intitulé AG Riber adressé par M. Jacques K. à M. Guy S. dont copie à M. Thierry B., M. Bernard R. et M. Michel P. dans lequel il joint un « mémo de Maître L. » et indique le contenu et les modalités pour poser des questions écrites au président du directoire ainsi que la date limite ;
• Courriel en réponse de M. Michel P. dont copie à M. Bernard R., M. Thierry B. et M. Guy S. dans lequel il indique ce qu'il a compris du memo de Maître L. relatif aux candidatures spontanées de membre du conseil et il précise que s'il est scrutateur il pourra réagir à main levée pour faire interrompre le déroulé (des résolutions) ;
• Courriel de Socodol en date du 29 mars 2011 à M. Jacques N. (président du conseil de surveillance de Riber) dont copie à MM. Noël G., Frédérik G. et à deux autres membres du directoire ou du conseil de surveillance qui a pour objet d'adresser la proposition de candidature d'une personne extérieure (Mme G.) à la société Riber en vue de « renforcer l'éventail des talents au sein du conseil de surveillance » ;
• Procès-verbal d'audition de M. S. dans lequel il indique qu'il a présenté sa candidature car « une directrice de KPMG, Mme G. ne pouvait pas présenter sa candidature(') »
• Procès-verbal d'audition de M. Bernard R. dans lequel il indique à propos de MM. N., B. et S., qu'il aurait voté « pour toute personne qui me serait venue en aide pour éviter de vivre avec G. père et fils » ;
• Procès-verbal d'audition de M. Michel P. dans lequel il indique qu'il « ne connaît pas B. et S.. Mais la société était en défaut, il n'y avait pas assez d'administrateurs indépendants au sein de la société, donc j'ai voté pour eux. »
• Courriel en date du 25 mars 2011 intitulé CR Ormylia adressé par M. Alexandre B. à ses collègues dans lequel il écrit à la suite d'un appel du client concernant la société Riber que « ils vont proposer à NG de rester au conseil de surveillance de peur de voir le cours chuter sur une annonce éventuelle de son départ. (') ils cherchent à passer un deal avec lui ( et sortir M. S.). Leur risque actuel : la requalification d'Action de concert de leur vote lors de la prochaine AG ( à 3 actionnaires, alors que 2 sont familiaux et le 3ème simple collaborateur). Afin de parer à tout risque sur ce point, JK souhaite se délester d'une partie de ses actions pour avoir environ 7,5% du capital. Objectif de la répartition capitalistique : aujourd'hui LA SOCIÉTÉ ORMYLIA a 9,66% du K de Riber mais 9,85% des droits de vote+ la holding de sa s'ur Isa Finances(14,35% du K en droits de vote) soit 24,2%. Un 3ème client, sans aucun lien familial, qui partage les vues et analyses de notre client détient 6,47% du K en droits de vote.LA SOCIÉTÉ ORMYLIA souhaite faire descendre sa participation à 7,7% (') mais le plus tôt possible à compter du 12 avril. (') JK attend un vrai service d'UBS sur ce point avec une solution Equity swap ou prêt-emprunt titre. » ;
Il ressort de ces documents une préparation conjointe par MM. Jacques K., Bernard R. etMichel P. de leur intervention à l'assemblée générale du 26 mai 2011, en premier lieu, pour susciter des candidatures de personnes indépendantes par-rapport aux membres de la famille G. qui dirigent la société, pour participer au conseil de surveillance, en deuxième lieu, pour assurer la présentation des candidatures pendant le déroulement de l'assemblée générale, en troisième lieu, pour éviter le risque qu'en cas de qualification d'action de concert entre les trois participants, le seuil de 30% de droits de vote ne soit franchi.
Il ressort d'ailleurs d'un courriel postérieur à cette assemblée générale que M. Jacques K. et M. Bernard R. avaient conscience d'avoir participé à une action de concert ( courriel du 31 août 2011 adressé par M. Bernard R. à M. Jacques K. dont copie à MM. Gérard N., Thierry B. et Guy S. joignant un article de Guy W.-P. paru dans les Echos du 6 août dans lequel celui-ci appelle les actionnaires d'une société à le rejoindre dans le cadre d'une action de concert visant à monter au capital de la société dans la limite du seuil de 30% pour faire entendre leur voix au sein de la société, article que M. Bernard R. commente ainsi « cela me rappelle étrangement une histoire vécue chez Riber »).
A la lecture du procès-verbal de l'assemblée générale du 26 mai 2011, il ressort qu'après recommandation par le directoire de rejeter les candidatures de MM. Gérard N., Thierry B. et Guy S. et deux décomptes de voix, ces derniers ont été élus avec 5 675 687 votes pour et 5 414 136 votes contre et pas d'abstention.
Ainsi tous les éléments précités mettent en évidence que M. Jacques K., M. Bernard R. et M. Michel P. se sont entendus pour désigner et faire élire trois personnes préalablement choisies.
Compte tenu de la connaissance qu'ils avaient de la répartition des droits de vote au sein du capital de la société Riber et de leur volonté de faire entrer leurs candidats au conseil de surveillance, ils étaient contraints d'exercer leurs droits de vote dans le même sens.
Les préparatifs conjoints de l'assemblée générale et le vote à une courte majorité identique des trois résolutions portant sur la désignation de leurs candidats au conseil de surveillance, caractérisent donc de la part de MM. Jacques K., Bernard R. et Michel P. un accord de volonté obligatoire en vue d'exercer leurs droits de vote à l'assemblée générale.
Les enquêteurs de la Direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF ont vérifié que le décompte des droits de vote exercés par M. Jacques K. et la société Ormylia, M. Bernard R., Mme Isabelle R., la société Isa Finances, la société Socodol et M. Michel P. s'élevaient le 26 mai 2011à 29,12% du capital de la société Riber et si l'on ajoutait les droits de vote non exercés appartenant à M. Jacques K., M. Jacques K. et Mme Isabelle R., ce décompte s'élevait à 30,80% du capital de la société.
Par conséquent, le seuil de 30% du capital détenus par les appelants ayant passé un accord obligatoire en vue d'exercer leurs droits de vote, a été franchi à cette date.
Sur l'objectif de l'accord
En l'espèce, au vu des pièces communiquées aux débats :
• Courriel daté du 31 août 2011, intitulé Note confidentielle sur Riber, adressé par la société Socodol à M. Jacques K. dont copie à MM. Gérard N., Thierry B. et Guy S. : M. Bernard R. demande à l'ensemble des destinataires de « regarder avec attention cette note » annexée au courriel dans laquelle il exprime un avis critique sur les résultats escomptés de la société Riber ainsi que sur les prévisions annoncées par le président du directoire pour les années 2011 et 2012 et demande à Guy S. en tant qu'il fait partie du comité d'audit d'être « très vigilant, voir (sic) restrictif sur ce point. » et émet des supputations sur l' éventuelle sortie de la famille G. du capital de la société Riber.
• Courriel daté du 8 septembre 2011 de M. Guy S. à Jacques N. dont copie à M. Jacques K., Sylvie D., Thierry B., Gérard N., Noël G., et Frédérik G. dans lequel il écrit au président que bien que d'accord avec lui sur la séparation des pouvoirs, néanmoins, il souhaiterait l'interroger dans le cadre du comité d'audit qui aura à examiner les comptes du 1er semestre, sur le point de savoir si tous les risques ont bien été provisionnés et il souhaiterait comprendre comment sont appréhendées les garanties sur les ventes ;
• Courriel daté du 28 août 2011 adressé par M. Michel P. à la société Socodol et M. Jacques K. pour leur faire connaître la liste des questions qu'il soumettra au prochain directoire et qui porte sur 8 points, dont, d'une part, l'éventuelle sortie de la société de la famille G. et l'avenir de la société Riber et, d'autre part, les activités du groupe ( carnet de commandes, carnet de prospects, programme Recherche-Développement, plan stratégique) ;
• Courriel daté du 8 septembre 2011 adressé par M. Michel P. à M. Jacques K. dont copie à la société Socodol dans lequel il présente et conteste la gestion de certains problèmes et il conclut en se fondant sur une réponse qu'aurait faite Noël G. et deux autres personnes concernant l'immixtion du conseil dans la gestion, « cette réponse crée un clan dans le conseil par la volonté de NG : d'une part NG,JN,SD, et d'autre part les autres. Comme tu l'avais écrit dans le passé ce sont eux qui organisent(sic) la division et un mauvais climat de travail, preuve en est encore faite. Je pense que ceux-ci sont à utiliser (sic). »
• Courriel daté du 15 septembre 2011 intitulé Confidentiel adressé par la société Socodol à M. Gérard N. dans lequel il lui énonce les termes du mail qu'il pourrait faire parvenir à Frédérik (G.) et il ajoute « Je vous laisse juge de le faire parvenir à l'ensemble des membres » ; ce projet de mail a pour objet de proposer au président du directoire d'inscrire à l'ordre du jour du conseil de surveillance la question de la croissance externe de la société.
• Courriel daté du 16 septembre 2011 intitulé Proposition constructive et collaborative pour CS de Riber de M. Gérard N. à M. Bernard R. dans lequel il annonce sa proposition par Premier Jet CONFIDENTIEL avant envoi ! la proposition étant destinée à « Frédérik et à tous les membres du CS » ;
Il ressort, en premier lieu, que MM. Michel P., Bernard R. et Jacques K. communiquent confidentiellement entre-eux sur des questions concernant la gestion de la société Riber et que M. Michel P. adresse spontanément des informations sur des difficultés administratives ou commerciales de la société à MM. Jacques K. et Bernard R. à l'exclusion des autres membres du conseil de surveillance et, en second lieu, qu'après l'assemblée générale de mai 2011 qui a conduit à l'élection de MM. Gérard N., Thierry B. et Guy S. au conseil de surveillance, ceux-ci sont destinataires de messages confidentiels de la part de M. Bernard R. portant sur la gestion de la société Riber ainsi que des recommandations sur les questions à poser dans le cadre de leur mission.
S'il n'est pas contestable qu'en application de l'article L225-68 du code de commerce, le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le directoire et que cette surveillance suppose que le conseil soit informé des questions auxquelles est confronté le directoire dans sa gestion directe de la société, néanmoins, dans le cadre d'un fonctionnement normal du conseil, ces questions de gestion devraient être soumises à l'ensemble des membres du conseil et non à quelques-uns dans un cadre confidentiel.
Or, en l'occurrence, il s'avère qu'après l'assemblée générale du 26 mai 2011, MM. Bernard R., Jacques K. et Michel P. ont continué leur action commune en s'informant mutuellement sur la gestion de la société, la contestant et formant des hypothèses sur une éventuelle sortie de la société NGI, appartenant à la famille G., du capital de la société Riber et en associant à ces informations en fonction des missions qu'ils avaient à leur confier, les personnes qu'ils ont fait élire au conseil de surveillance.
D'ailleurs, M. Michel P. reconnait qu'il y a deux clans au sein du conseil, d'un côté Noêl G., Sylvie D. et Jacques N. et de l'autre côté « les autres », c'est-à-dire M. Bernard R., M. Jacques K., Gérard N., Thierry B. et Guy S..
Les explications de M. Michel P. selon lesquelles il poursuivait une démarche individuelle, ne sont pas crédibles au regard des courriels précités et de celui du 29 février 2012 intitulé « Confidentiel ; à détruire : NGI,» qu'il a adressé à Socodol, dans lequel il répartit les actionnaires en trois groupes et se place dans le groupe « JK,BR, MP,DP,N., Burin » par opposition au groupe « NG, otc, La mare elan, Chaix, Bouchaib et S. » le troisième groupe étant constitué d'actionnaires non identifiés ; cette répartition lui permet d'évaluer le nombre d'actions détenues par chaque groupe, il analyse ensuite l'hypothèse de sortie de M. Noël G. du capital et en fonction de son analyse, il fixe le prix auquel il négociera sa cession d' actions à celui-ci et ajoute qu'il aidera M. Jacques K. et M. Bernard R. à vendre leurs parts. Ce courriel est corroboré par celui adressé le 1e mars 2012 par M. Michel P. à Socodol dans lequel il lui écrit qu'il est conforté dans l'hypothèse qu'il forme que Noël G. a besoin de racheter ses actions pour pouvoir continuer à diriger la société Riber.
Les déclarations de M. Michel P. aux enquêteurs montrent aussi que celui-ci savait que son ami, M. Bernard R. et M. Jacques K. « n'avaient pas investi à vie (dans Riber). Ils sont là pour revendre leurs parts. »
Ainsi l'ensemble des courriels précités mettent en évidence une démarche commune et cohérente de la part de M. Jacques K., M. Bernard R. et M. Michel P. entre le 26 mai 2011 et le 12 mars 2012 ( date qui correspond aux échanges de consentements entre M. Michel P. et Noël G. portant sur la cession de ses actions ), démarche concernant la gestion de la société et qui s'est effectuée de manière confidentielle.
Du 26 mai 2011, date d'exercice des droits de vote par M. Jacques K. et la société Ormylia, M. Bernard R., Mme Isabelle R., la société Isa Finances et la société Socodol ainsi que M. Michel P., au 12 mars 2012 ( date de cession par M. Michel P. de son bloc d'actions), ceux-ci ont mis en oeuvre leur accord pour exercer leurs droits de vote à l'assemblée générale afin de poursuivre au travers des trois personnes qu'ils ont fait élire au conseil de surveillance, une politique commune concernant la gestion de la société.
L'ensemble de ces faits graves, précis et concordants permet de déduire l'existence d'une action de concert entre M. Jacques K. et la société Ormylia, M. Bernard R., Mme Isabelle R., la société Isa Finances et la société Socodol ainsi que M. Michel P. entre le 26 mai 2011 et le 12 mars 2012.
Dans la mesure où dans le cadre de ce concert, ils ont franchi, sans les déclarer, les seuils de 20, 25 et 30%, leurs manquements de non-déclaration de franchissement de seuils, de non-déclaration d'intention et de défaut de projet d'offre public d'achat, sont établis.
2°) Sur les griefs de franchissement de seuil et de déclaration reprochés au groupe familial R. dans le cadre d'une action de concert
Il est fait grief à M. Bernard R.,Mme Isabelle R.,la société Isa Finances et à la société Socodol d'avoir franchi de concert, le 17 novembre 2010, le seuil de 15% d'actions du capital de la société Riber, en omettant de procéder à la déclaration de franchissement de seuil et à la déclaration d'intention attachée à ce seuil.
Pour leur défense, les appelants font valoir que parmi ces actions, certaines représentant 1,64% du capital de la société Riber, étaient enregistrées sur un compte ouvert en Suisse et qu'aucun droit de vote n'a jamais été exercé à partir de ces actions.
Mais il n'est pas contesté que la somme des actions avec droit de vote détenues par les appelants excède, à la date du 17 novembre 2010, 15% du capital de la société Riber.
Or, en application de l'article L233-10,II, du code de commerce, compte tenu des liens existant entre M. Bernard R., Mme Isabelle R. et les deux sociétés qu'ils contrôlent, l'action de concert est présumée.
Par conséquent, ils étaient obligés de déclarer à la société émettrice et à l'AMF le franchissement de seuil ainsi que leur intention.
Les deux manquements sont en conséquence caractérisés.
3- Sur les griefs de non-déclaration auprès de l'AMF des transactions réalisées sur le titre Riber
En application de l'article L621-18-2 du code monétaire et financier, « sont communiquées à l'AMF, par les membres du directoire, du conseil de surveillance ('), ainsi que les personnes ayant des liens personnels étroits avec celles-ci, dans le délai mentionné par son règlement général, les acquisitions, cessions, souscriptions ou échanges d'actions d'une société (')».
A l'appui de leur défense, M. Bernard R., Mme Isabelle R., la société Isa Finances et la société Socodol font valoir qu'ils avaient fait les déclarations auprès de la société Riber mais qu'ils ignoraient leurs obligations à l'égard de l’AMF.
Cependant, le rapport d'enquête de l'AMF (pages 41/130 et 42/130), mentionne une conversation téléphonique entre M. Jacques K. et son conseiller M. Alexandre B., à laquelle participait M. Bernard R., dans le cadre de laquelle ce dernier a déclaré que « sur nos achats et sur nos ventes, nous sommes obligés de déclarer à la fois à l'AMF et à la fois à l'entreprise ». Il ressort de ces termes non contestés que M. Bernard R. avait connaissance de son obligation déclarative.
Par ailleurs, les liens entre les différents requérants sont établis.
Pour l'ensemble de ces motifs, il s'avère que les manquements sont caractérisés pour chacun des requérants du groupe familial R..
4. Sur les sanctions
Aux termes de l'article L621-15, III, du code monétaire et financier, en vigueur du 24 octobre 2010 au 28 juillet 2013 et applicable au moment des faits, « - les sanctions applicables sont :
Pour les personnes auteurs des faits mentionnés aux c et d du II (opération d'initié, manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché), un sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement tirés de ces manquements. (')
Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements. »
Il est constant que la sanction ne dépend pas nécessairement du montant des profits réalisés et qu'il n'y a donc pas lieu de transmettre la question préjudicielle invoquée par M. K. et la société Ormylia, relative au montant pécuniaire de la sanction à la Cour de justice de l'Union européenne.
Concernant M. Jacques K. à qui il est reproché les manquements d'initié et de non-déclaration dans le cadre d'une action de concert, c'est en connaissance de cause qu'il a effectué une opération d'initié portant ainsi atteinte au principe d'égalité entre investisseurs sur un marché réglementé. Il ressort, en outre, des constatations énoncées dans le paragraphe relatif au manquement de non-déclarations et de celles énoncées dans le rapport d'enquête de la Direction des enquêtes et des contrôles, que les dissensions au sein des organes de direction de la société Riber ont été amplifiées par l'action de concert occulte qui a perturbé le fonctionnement de la société.
En conséquence, c'est à juste titre, proportionnellement à la gravité des manquements, que la Commission des sanctions a prononcé à son égard une sanction pécuniaire de 800 000 euros.
Concernant la société Ormylia qui a été l'instrument avec lequel M. Jacques K. a réalisé les manquements qui lui sont reprochés, c'est à juste titre que la Commission des sanctions a prononcé une sanction de 200 000 euros.
Concernant M. Bernard R. à qui il est reproché les manquements d'initié et plusieurs manquements de non-déclaration dans le cadre d'actions de concert, c'est en connaissance de cause et alors qu'il exerçait depuis plusieurs années des mandats sociaux au sein des organes de direction de la société Riber qu'il a commis le manquement d'initié. Il ressort aussi des constatations énoncées dans le paragraphe relatif au manquement de non-déclarations et de celles énoncées dans le rapport d'enquête de la Direction des enquêtes et des contrôles, qu'il a été l'instigateur avec M. Michel P., de l'action de concert occulte qui a perturbé le fonctionnement de la société.
En conséquence, c'est à juste titre, proportionnellement à la gravité des manquements, que la Commission des sanctions a prononcé à son égard une sanction pécuniaire de 1 000 000 euros.
Concernant Mme Isabelle R. à qui il est reproché les manquements d'initié et plusieurs manquements de non-déclaration dans le cadre d'action de concert, il est établi que c'est à l'initiative de son époux qu'elle a commis ces manquements et qu'elle ne s'y est pas opposée.
En conséquence, c'est à juste titre que la Commission des sanctions a prononcé à son égard une sanction pécuniaire de 100 000 euros.
Concernant la société ISA Finances et la société Socodol, elles ont été les instruments permettant à M. Bernard R. de réaliser les manquements qui leur sont reprochés.
En conséquence, c'est à juste titre que la Commission des sanctions a prononcé à l'égard de chacune une sanction pécuniaire de 200 000 euros.
Concernant M. Michel P., à qui il est reproché le manquement de défaut de déclarations dans le cadre d'une action de concert, il ressort des constatations énoncées dans le paragraphe relatif à ce manquement et de celles énoncées dans le rapport d'enquête de la Direction des enquêtes et des contrôles, que les dissensions au sein des organes de direction de la société Riber si elles résultent de causes multiples, ont été amplifiées par l'action de concert occulte qui a perturbé le fonctionnement de la société. En outre, M. Michel P. a tiré profit de cette situation lors de la revente de ses titres, et bien qu'il ait été licencié, il ne justifie pas que cette situation a porté atteinte à son patrimoine alors qu'il a obtenu sa mise à la retraite quelques mois après.
En conséquence, c'est à juste titre, proportionnellement à la gravité du manquement, que la Commission des sanctions a prononcé à son égard une sanction pécuniaire de 600 000 euros.
La décision entreprise sera confirmée concernant le montant des sanctions.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.
Les appelants sont condamnés, s'il y a lieu, aux dépens de l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
Dit n'y avoir lieu de soumettre à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles soulevées par M. Jacques K. et la société Ormylia ;
Rejette le moyen tiré de l'autorité de la chose jugée du jugement rendu le 11 décembre 2012 par le tribunal de commerce de Pontoise ;
Rejette l'ensemble des moyens tendant à l'annulation ou à la réformation de la décision de la Commission des sanctions prononcée le 2 juin 2015 ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne les appelants aux dépens de l'instance d'appel.