AMF, 16 septembre 2010, n° SAN-2010-20
AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Membres :
M. Jalenques de Labeau, M. Lasserre, M. Thouvenel
Président :
M. Labetoulle
La 1 ère section de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») ;
Vu le code monétaire et financier, notamment ses articles L.621-14, L.621-15, R.621-5 à R.621-7 et R.621-38 à
R.621-40 ;
Vu le code de commerce, notamment son article L.233-11 ;
Vu le règlement général de l’AMF, notamment ses articles 223-1 et 221-1;
Vu les notifications de griefs adressées le 15 décembre 2009 à la société X et à son président M. A ;
Vu la décision du 22 janvier 2010 par laquelle le président de la Commission des sanctions a désigné M. Jean- Claude Hanus, membre de la Commission des sanctions, en qualité de rapporteur ;
Vu les lettres en date du 1 er février 2010 adressées à la société X et à M. A, les avisant de la possibilité leur appartenant de demander la récusation du rapporteur ;
Vu les mémoires en réponse aux notifications de griefs présentés, le 12 février 2010, par Me Jean-Claude Gofard conseil de la société X et de M. A ;
Vu les procès-verbaux des auditions par le rapporteur, en date du 25 mai 2010, de M. A pour le compte de la société X qu’il représente puis pour son propre compte ;
Vu le rapport de M. Jean-Claude Hanus en date du 28 juin 2010 ;
Vu les lettres de convocation à la séance de la Commission des sanctions du 16 septembre 2010 à laquelle était annexé le rapport signé par le Rapporteur, adressées aux mis en cause le 7 juillet 2010 ;
Vu les observations écrites en réponse au rapport du rapporteur présentées par Maître Jean-Claude Gofard pour la société X et pour M. A ;
Vu les lettres du 20 août 2010 informant la société X et M. A de la composition de la formation de la
Commission des sanctions lors de la séance, leur précisant la faculté de demander la récusation de l’un ou l’autre de ses membres ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu au cours de la séance du 16 septembre 2010 :
- M. Jean-Claude Hanus en son rapport ;
- M. Jean-Jacques Barberis, commissaire du gouvernement, qui a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler ;
- M. Ambroise Liard, représentant le Collège de l’AMF ;
- M. A, pour son compte et celui de la société X qu’il représente en tant que président-directeur-général ;
- Mme B, directeur général et administrateur de la société X, assistant M. A ;
- Maître Jean-Claude Gofard, conseil de la société X et de M. A ;
Les personnes mises en cause ayant pris la parole en dernier.
I - FAITS ET PROCEDURE
La société X a été créée en 1987 par M. A, à la suite de la reprise de la société X Industries au groupe [...]. Son action est cotée sur le compartiment [...] d’Euronext.
Le capital social de la société X était détenu, en juin 2007, pour 77,2% par le groupe familial A et d’autres actionnaires nominatifs, pour 7,9% par la société elle-même sous forme d’autocontrôle et pour 14,8% par le public.
La Commission des sanctions
Au 31 décembre 2006, le chiffre d’affaires consolidé du groupe s’élevait à [...] millions d’euros, le résultat opérationnel à [...] million d’euros et le résultat net se traduisait par une perte de [...] million d’euros.
Le groupe comptait 9 sites de production et était organisé autour de trois secteurs :
- la division « Chimie fine » (sociétés Orgapharm, Orgasynth Industries, Synthexim et All’Chem),
- la division « Spécialités » et « Colorants industriels » (sociétés Orgachim et Steiner Finances),
- la division « Arômes et Parfums » (sous-groupes « Floresscence », « Adrian » et société Fontarôme).
La société X, holding du groupe, n’exerçait aucune activité opérationnelle.
Le 30 avril 2007, la société X annonçait la cession à Argos Soditic de ses deux divisions « chimie fine » et « colorants », lesquelles représentaient un chiffre d’affaires total de 77,2 millions d’euros et le recentrage sur ses activités « Arômes et parfums » (seulement 33 millions d’euros de chiffre d’affaires).
Le 24 décembre 2008, le secrétaire général de l’AMF a ordonné à la Direction des enquêtes et de la surveillance des marchés de procéder à une enquête portant sur l’information financière diffusée par la société X à compter du 1 er janvier 2006, qui a été étendue le 30 janvier 2009 au marché du titre Orgasynth à compter du 1 er janvier 2006.
Conformément aux dispositions de l’article L.621-15 du code monétaire et financier, le rapport établi par cette Direction a été examiné par la commission spécialisée n° 1 du Collège de l’AMF, lors de sa séance du24 novembre 2009.
Le président de l’AMF, agissant pour la commission spécialisée n° 1 du Collège, a adressé, le15 décembre 2009, par lettres recommandées avec demande d’avis de réception, des notifications de griefs à l’encontre de M. A et de la société X, représentée par celui-ci.
En premier lieu, les notifications de griefs reprochent à M. A et à la société X :
1- d’avoir publié deux communiqués de presse, les 18 juin et 16 juillet 2007, « manquant de précision, d’exactitude et de sincérité », puisqu’ils laissaient croire qu’une offre publique de retrait (« OPR ») des actions La société X pourrait intervenir à brève échéance, alors que la société avait finalement sollicité auprès de l’AMF le bénéfice d’une exemption à l’obligation de déposer une OPR ;
2- d’avoir publié un communiqué de presse, le 13 mai 2008, indiquant que le résultat opérationnel du groupe pour 2007 s’élevait à 21,382 millions d’euros « après impact des différentes cessions effectuées en 2007 » alors que 20,893 millions d’euros étaient imputables au seul résultat de cession des divisions « Chimie fine et colorants » et que, net de ces activités, le résultat opérationnel était déficitaire de 4,575 millions d’euros ;
3- d’avoir publié un communiqué de presse, le 13 octobre 2008, indiquant que l’évolution des comptes traduisait une nette amélioration de la rentabilité au 30 juin 2008, alors que l’amélioration de la performance économique des divisions « Arômes et Parfums » tenait intégralement à la diminution de dépenses non récurrentes et non à l’amélioration des conditions d’exploitation ;
4- de n’avoir porté aucun détail sur les tests de dépréciation mis en œuvre pour l’unité génératrice de trésorerie (« UGT ») Floressence dans les annexes aux comptes consolidés pour les exercices 2006, 2007 et 2008 publiés au Bulletin d’annonces légales obligatoires (« BALO ») des 30 avril 2007, 30 avril 2008 et 27 avril 2009.
En second lieu il est reproché à M. A de ne pas avoir déclaré à l’AMF une promesse de vente signée avec un autre actionnaire, le 11 juin 2007, portant sur la cession par ce dernier de 4,4% du capital de la société X au prix préférentiel de 14 €, en infraction aux dispositions de l’article L. 233-11 du code de commerce.
Conformément aux dispositions de l’article R.621-38 du code monétaire et financier, le président de l’AMF a transmis la copie des notifications de griefs au président de la Commission des sanctions.
Par décision du 22 janvier 2010, le président de la Commission des sanctions a désigné M. Jean-Claude Hanus, en qualité de rapporteur, lequel a envoyé le 26 janvier 2010 aux personnes mises en cause une lettre afin de les informer de cette désignation en leur rappelant la possibilité d’être chacune entendue à sa demande.
Par lettres recommandées avec demandes d’avis de réception du 1 er février 2010, les personnes mises en cause ont été informées conformément à l’article R.621-39-2 du code monétaire et financier, de ce qu’elles disposaient d’un délai d’un mois pour demander la récusation du rapporteur, dans les conditions prévues aux articles R.621-39-2 à R.621-39-4 du code monétaire et financier.
Le 12 février 2010, Me Jean-Claude Gofard a adressé au rapporteur des observations pour le compte de la société X et de M. A en réponse aux notifications de griefs.
Le rapporteur a procédé, le 25 mai 2010, à l’audition de M. A, pris en sa qualité de représentant de la société X, puis à titre personnel, à la demande de ce dernier.
M. A a présenté par ailleurs une demande de confrontation avec plusieurs salariés de l’AMF, à laquelle il n’a pas été donné suite.
Le rapporteur a rendu son rapport le 28 juin 2010.
Les mis en cause ont été convoqués par lettres recommandées avec demande d’avis de réception, en date du 7 juillet 2010, auxquelles était joint le rapport du rapporteur, à la séance de la 1ère section de la Commission des sanctions du 16 septembre 2010.
Par lettres du 20 août 2010, les mis en cause ont été informés de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance et de la faculté qui leur était offerte de demander la récusation d’un ou de plusieurs de ses membres, en application des articles R.621-39-2 à R.621-39-4 du code monétaire et financier.
Le 14 septembre 2010 des observations écrites en réponse au rapport du rapporteur ont été présentées par Me Jean-Claude Gofard pour la société X et pour M. A.
II - MOTIFS DE LA DECISION
A – Sur les exceptions de procédure
1- Considérant qu’aux termes de l’article L.621-10 du code monétaire et financier : « Les enquêteurs peuvent, pour les nécessités de l’enquête, se faire communiquer tous documents, quel qu’en soit le support (...) et en obtenir la copie. Ils peuvent convoquer et entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations.
Ils peuvent accéder aux locaux à usage professionnel » ; qu’aux termes de l’article L. 621-11 : « Toute personne convoquée a le droit de se faire assister d’un conseil de son choix. Les modalités de cette convocation et les conditions dans lesquelles est assuré l’exercice de ce droit sont déterminées par décret en Conseil d’Etat » ; qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article R.621-35 : « (...) La convocation (...) rappelle à la personne convoquée qu’elle est en droit de se faire assister d’un conseil de son choix » ;
Considérant d’une part qu’il résulte du rapprochement de ces dispositions que si, en cas de « convocation » pour une audition dans les locaux de l’AMF, les enquêteurs sont tenus d’indiquer aux personnes convoquées la possibilité d’être assistées d’un conseil de leur choix, cette indication n’est pas requise lorsque les enquêteurs demandent par écrit la communication de documents ; que toutefois la personne à qui une telle demande est adressée a – bien évidemment ! – la possibilité de recourir à l’assistance d’un conseil avant d’y répondre ;
Considérant d’autre part qu’en prévoyant la possibilité pour les enquêteurs de demander la communication de « tous documents », l’article L.621-10 précité n’a pas entendu viser seulement le cas de documents préexistants et ne fait pas obstacle à ce que les enquêteurs sollicitent la production par écrit d’éléments d’information ou de réponse à des questions posées par eux ;
Considérant ainsi que le fait, pour les enquêteurs, d’avoir les 10 février 2009 et 7 avril 2009 demandé production de l’ « historique » d’une négociation, d’une « synthèse des motifs à l’évolution de la communication », ou encore « tous éléments afférents à la réflexion engagée préalablement à la publication du communiqué du 18 juin 2007 », et de n’avoir pas assorti ces demandes d’une mention relative à la possibilité de recourir à l’assistance d’un conseil n’est constitutif d’aucune irrégularité ;
Considérant, de même, que si après avoir entendu M. A le 27 août 2009 l’enquêteur lui a adressé par écrit le 31 août une « demande de précisions » à laquelle M. A a répondu également par écrit, la circonstance que la lettre du 31 août ne réitérait pas l’indication relative à la possibilité d’être assisté d’un conseil, donnée par la convocation à l’audition du 27 août, est sans incidence sur la régularité de la procédure ;
2- Considérant qu’aux termes du troisième alinéa de l’article R. 621-35 du code monétaire et financier « les procès-verbaux établis dans le cadre des enquêtes énoncent la nature, la date et le lieu des constatations opérées. Ils sont signés par l’enquêteur et la personne concernée par les investigations. En cas de refus de celle-ci, mention en est faite au procès-verbal » ;
Considérant que le « procès-verbal de constatation et de remise de documents » établi au terme de la visite à laquelle les enquêteurs de l’AMF ont procédé le 9 février 2009 au siège social de la société X, et dûment signé par les enquêteurs et par M Emmanuel Alves (cotes 59 à 61), relate de façon précise les conditions dans lesquelles, en présence des intéressés, il a été procédé à la duplication de messageries électroniques professionnelles ; qu’il indique que « Monsieur Emmanuel ALVES accepte de remettre [ces documents] aux agents de l’Autorité des marchés financiers pour les besoins de l’enquête » et que « Monsieur Emmanuel ALVES nous informe ne pas avoir de remarques à formuler sur le déroulement de la visite » ;
Considérant, dans ces conditions, qu’La société X et M. A ne sont pas fondés à soutenir que les enquêteurs auraient méconnu les dispositions précitées de l’article L. 621-10 du code monétaire et financier en se faisant remettre une copie de ces correspondances électroniques ; qu’eu égard à la façon dont ces correspondances ont été remises aux enquêteurs, la circonstance que certaines d’entre elles auraient été échangées avec un avocat de la société est sans incidence sur la régularité de la procédure ;
Considérant par ailleurs que, si les correspondances électroniques ainsi appréhendées par les enquêteurs n’ont pas été annexées au rapport d’enquête, cette circonstance, dont il n’est pas allégué qu’elle aurait conduit à distraire du dossier des pièces de nature à influer sur l’appréciation du bien-fondé des griefs invoqués, n’est pas par elle-même de nature à établir que la procédure aurait en l’espèce été conduite de façon déloyale et d’une façon portant concrètement atteinte aux droits de la défense ; qu’au demeurant les mis en cause, qui avaient conservé la disposition de l’original de ces correspondances, avaient toute possibilité de les invoquer au soutien de leur argumentation ;
3- Considérant que si, ainsi qu’il vient d’être dit, l’article R. 621-35 code monétaire et financier exige que les procès-verbaux établis dans le cadre des enquêtes soient signés par l’enquêteur, ni l’article R.621-36 du même code (« les résultats des enquêtes et des contrôles font l’objet d’un rapport écrit. Ce rapport indique les faits relevés susceptibles de constituer des manquements au règlement général de l’AMF, des manquements aux autres obligations professionnelles ou une infraction pénale ») ni aucune autre disposition n’étend cette règle au rapport établi à la suite de l’enquête ;
4- Considérant que la notification de griefs, qui a pour seul objet d’énoncer l’accusation portée par l’autorité de poursuite contre la personne poursuivie afin de provoquer ses moyens de défense et d’ouvrir la phase contradictoire de l’instruction, n’emporte ni déclaration de culpabilité, ni préjugement dans la décision à intervenir ; qu’elle ne saurait par suite être constitutive d’une méconnaissance de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’à cet égard, la circonstance, invoquée en l’espèce, que les services de l’AMF et le Collège lui-même auraient eu antérieurement à débattre avec la société de questions évoquées par cette notification de griefs est sans incidence ;
5- Considérant qu’il ne résulte d’aucune disposition du code monétaire et financier que le membre de la Commission des sanctions désigné comme rapporteur d’une affaire – qui, en application du III. de l’article R. 621-40 du code monétaire et financier, ne participe pas au délibéré – devrait dans son rapport se borner, après avoir rappelé la teneur des griefs notifiés et des observations présentées en réponse par les mis en cause, à identifier les questions posées en s’abstenant d’exprimer à leur sujet quelque opinion que ce soit ; que, tout au contraire, tant pour mettre à même la Commission de se prononcer en toute connaissance de cause que pour donner, conformément au principe du caractère contradictoire de la procédure, toute sa portée aux dispositions du III. de l’article R. 621-39 du code monétaire et financier, qui prévoient qu’au vu de la communication qui leur est donnée du rapport les mis en cause peuvent présenter des observations écrites distinctes de celles consécutives à la notification des griefs, il lui appartient de procéder à l’étude, l’analyse et la discussion de ces questions, et, par suite, d’indiquer la solution que, selon son opinion, elles appellent ;
B – Sur les manquements à l’information du public reprochés à la société et à M. A
Considérant qu’aux termes de l’article 223-1 du règlement général de l’AMF : « l’information donnée au public par l’émetteur doit être exacte, précise et sincère » ;
1- En ce qui concerne les communiqués des 18 juin 2007 et 16 juillet 2007
Considérant qu’à l’appui du grief, fondé sur l’article 223-1 du règlement général de l’AMF et tiré de ce que les communiqués de presse des 18 juin et 16 juillet 2007 relatifs à la cession des activités « chimie fine » et « colorants » auraient entretenu une ambigüité sur l’intention de la société de déposer une offre publique de retrait à la suite de cette cession, la notification de griefs fait valoir qu’alors que les communiqués antérieurs des 10 avril, 30 avril et 4 mai 2007, relatifs au même projet de cession, utilisaient le futur de l’indicatif (« En cas de succès des négociations, Orgasynth réalisera1 une offre publique de retrait »), ceux, critiqués, des 18 juin et 16
1 Souligné par la décision juillet évoquent au mode conditionnel (« la cession devrait être suivie 1 d’une offre publique de retrait ») l’hypothèse d’une offre publique de retrait, « tout en laissant à croire que l’offre pourrait intervenir à échéance prochaine » pour reprendre les termes de la notification de griefs ;
Considérant qu’en principe, compte tenu de la sensibilité et de l’importance pour le marché d’une information relative à une éventuelle offre publique de retrait, l’existence d’une ambigüité résultant, notamment, de l’emploi successif de formulations légèrement différentes, peut constituer, tout particulièrement si cette ambigüité correspond à un défaut de sincérité, un manquement au principe rappelé par l’article 223-1 précité et peut alors justifier une sanction substantielle ;
Mais considérant, en premier lieu, que la portée syntaxique du rapprochement que fait la notification de griefs entre, d’une part, les communiqués des 10 et 30 avril et 4 mai, et, d’autre part, ceux des 18 juin et 16 juillet 2007, doit être relativisée dans la mesure où le mode conditionnel avait déjà été utilisé dans les communiqués antérieurs des 8 août et 22 novembre 2006 ;
Considérant, surtout, qu’il ressort du dossier que les dirigeants d’Orgasynth ont toujours éprouvé et marqué une réticence à faire suivre d’une offre de retrait la cession des activités « chimie fine » et « colorants » ; que c’est sur l’insistance des services de l’AMF -qui invoquaient les termes de l’article 236-6 du règlement général- que, à la différence, ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, des communiqués antérieurs des 8 août et 22 novembre 2006, ceux des 10 et 30 avril et 4 mai 2007 ont utilisé le futur ; que toutefois, antérieurement à l’élargissement de son champ d’application par l’article 153 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, l’article L. 433-4 du code monétaire et financier ne conférait pas à l’AMF la possibilité, quels que fussent les termes de l’article 236-6 de son règlement général, d’imposer légalement la mise en œuvre d’une offre publique de retrait à une société procédant à la cession de la totalité ou du principal de ses actifs ; qu’ainsi la rédaction des communiqués critiqués des 18 juin et 16 juillet 2007, et notamment le retour à l’emploi du mode conditionnel, cohérents avec l’incertitude sur l’état du droit alors en vigueur et avec l’état des échanges entre la société et les services de l’AMF –ainsi d’ailleurs qu’avec le fait, ultérieur, que se plaçant, comme l’y invitaient ces services, sur le terrain de l’article 236-6 du règlement général, la société a, le 29 octobre 2007, présenté une demande tendant à être exonérée de la mise en œuvre d’une offre publique de retrait- ne caractérisent pas un manquement à l’obligation de sincérité de l’article 223-1 précité du règlement général ;
Considérant, dès lors, que dans ces circonstances particulières, le manquement n’est pas caractérisé ;
2- En ce qui concerne le communiqué du 13 mai 2008 relatif aux résultats de l’exercice 2007
Considérant que le communiqué publié le 13 mai 2008 indiquait que le résultat opérationnel du groupe au 31 décembre 2007 s’élevait à 21,382 millions d’euros « après impact des différentes cessions effectuées en 2007 pour un montant de 62.308 K€ (provenant pour l’essentiel de la cession des divisions Chimie Fine et Colorants) » contre 1,706 million d’euros en 2006 ;
Considérant que ce communiqué s’abstenait de faire apparaître que le chiffre de 21,382 millions d’euros qu’il indiquait comme étant celui du résultat opérationnel, englobait en vérité le produit de la cession des divisions « chimie fine » et « colorants » (20,893 millions d’euros) ; qu’il manquait ainsi à l’obligation de sincérité prévue à l’article 223-1 du règlement général ;
Considérant, il est vrai, que la société et M. Alves font valoir que le résultat de cession de ces deux activités figurait dans une note de l’annexe aux comptes consolidés d’Orgasynth, précédemment publiés au BALO du 30 avril 2008 ;
Considérant toutefois que, lorsqu’un support d’information comporte -comme en l’espèce le communiqué du 13 mai 2008- des indications susceptibles d’induire le public en erreur, la circonstance que la portée de ces indications pouvait être rectifiée par la consultation d’un autre support, ne saurait être utilement invoquée ; qu’il en va tout particulièrement ainsi lorsqu’en raison notamment de la diffusion, de la présentation ou du contenu de cet autre support, l’accès à l’information qu’il délivre est moins aisé ;
Considérant par ailleurs que la circonstance qu’avant la publication intervenue le 13 mai 2008 le projet de communiqué avait été transmis aux services de l’Autorité des marchés financiers qui n’avaient pas formulé d’observations à son sujet ne peut être utilement invoquée, une telle transmission ne pouvant avoir pour effet d’exonérer l’émetteur de ses obligations relatives à l’information du marché ;
Considérant, par suite, que le manquement est constitué.
3- En ce qui concerne le communiqué du 13 octobre 2008 relatif aux comptes du 1 er semestre 2008
Considérant que le communiqué diffusé par Orgasynth, le 13 octobre 2008, à l’occasion de la publication de ses résultats du premier semestre 2008, évoque une « Nette amélioration de la rentabilité » dans un sous-titre placé en tête de communiqué ; que ce communiqué mentionne un résultat opérationnel des « Activités poursuivies (après déconsolidation d’Orgachim) » de -585.000 euros au 30 juin 2008 contre -1,502 million d’euros au titre des « Activités poursuivies hors Orgachim » au 30 juin 2007, évolution illustrant, en apparence, ce sous-titre ;
Considérant toutefois, d’une part, que le résultat opérationnel des « Activités poursuivies » au 30 juin 2007 comprenait 1,330 million de dépenses liées à la mise en liquidation judiciaire d’Orgachim et 1,695 million d’euros de charges non récurrentes sur Adrian Industries et La société X ;
Considérant, d’autre part, que le groupe avait constitué, au titre de la garantie de passif accordée au cessionnaire de sa branche « Chimie fine et colorants », une provision de 545.000 euros au 30 juin 2008 ;
Considérant, ainsi, que le résultat opérationnel des « Activités poursuivies » retraité de l’incidence des charges non récurrentes, était, en réalité, passé de 124.000 euros au 30 juin 2007 à -40.000 euros au 30 juin 2008 et que la rentabilité de son activité résiduelle « Arômes et Parfums » était au mieux stable, voire en légère diminution ;
Considérant dès lors qu’en portant la mention « Nette amélioration de la rentabilité » de manière très apparente, en tête de son communiqué, tout en s’abstenant d’y préciser que le résultat opérationnel des « Activités poursuivies » aux 1 ers semestres 2007 et 2008 comprenait des éléments non récurrents, la société X et son président, M. A, ont diffusé une information imprécise, voire insincère ; que le fait que la diffusion du communiqué n’a pas eu d’incidence sur le cours de l’action est indifférent et que le grief est constitué ;
4- En ce qui concerne les informations données dans les annexes aux comptes pour 2006, 2007 et 2008 concernant les tests de dépréciation de l’activité « Floressence »
Considérant qu’eu égard tant à la diversité des hypothèses raisonnablement susceptibles d’être retenues pour la réalisation du test de dépréciation d’un « goodwill » qu’à la nécessité pour le public destinataire de l’indication relative aux résultats d’un tel test d’être en mesure de comparer, d’un exercice sur l’autre, la façon dont le « goodwill » a été calculé, l’exigence de précision de l’information formulée par l’article 223-1 du règlement général de l’AMF, ne peut être tenue pour satisfaite que si, conformément aux préconisations des normes IAS
36 § 134 et IAS 1 § 116, le cadre et les modalités de réalisation du test de dépréciation du « goodwill » ont été clairement indiqués ;
Considérant qu’à la suite de l’acquisition de la société Floressence en janvier 2005, Orgasynth a comptabilisé dans ses comptes un « goodwill » de 3,643 millions d’euros, qui a été rattaché à l’unité génératrice de trésorerie (« UGT ») Floressence ; que l’UGT Floressence représentait une part importante du total des goodwills comptabilisés au bilan d’Orgasynth ;
Considérant, en premier lieu, que, pour chacun des deux exercices 2006 et 2007, la société et ses commissaires aux comptes ont, après calcul, estimé qu’il n’y avait pas lieu de constater une perte de valeur pour cette UGT ; que la société n’a toutefois assorti la publication de ses comptes pour 2006 et 2007 d’aucune information sur les tests de dépréciation réalisés ; que cette absence d’information sur les tests de dépréciation mis en œuvre constitue une méconnaissance de la norme IAS 36 et affecte la qualité de l’information délivrée au public ; qu’ainsi, et alors même que la non dépréciation du goodwill n’est pas contestée, le manquement est constitué ;
Considérant en second lieu qu’au 31 décembre 2008, le goodwill de l’UGT Floressence a été déprécié de 2,345 millions d’euros ; que l’annexe aux comptes pour 2008 présente le test qui a conduit à cette dépréciation ; que, toutefois, si les hypothèses-clé retenues pour calculer la valeur d’utilité de l’UGT Floressence sont mentionnées, aucune indication n’est donnée, contrairement aux préconisations des normes précitées, sur les éventuels effets de la variation de ces hypothèses sur le test de dépréciation ; qu’à cet égard également, le manquement est caractérisé ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit précédemment, la circonstance que les services de l’Autorité des marchés financiers, auxquels ces comptes avaient été communiqués n’auraient pas formulé d’observation sur ce point est sans incidence ;
5- Sur l’imputabilité des manquements retenus :
Considérant que l’article L. 621-15 II. du code monétaire et financier prévoit que : « La Commission des sanctions peut prononcer une sanction à l’encontre de (...) c) toute personne qui, sur le territoire français s’est livrée ou a tenté de se livrer à (...) la diffusion d’une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l’article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé (...) » ;
5.1- En ce qui concerne la société
Considérant qu’un émetteur est responsable des informations publiées en son nom par ses représentants légaux ; que, dès lors, les manquements mentionnés aux 2, 3 et 4 ci-dessus sont imputables à la société X ;
5.2- En ce qui concerne M. A
Considérant qu’en vertu de l’article 221-1 du règlement général de l’AMF, les dispositions précitées de l’article 223-1 sont « applicables aux dirigeants de l’émetteur, de l’entité ou de la personne morale concernés. » ; qu’il suit de là que les manquements mentionnés aux 2, 3 et 4 ci-dessus sont également imputables à M. A, Président-directeur-général d’Orgasynth dont, au demeurant, le rôle a été prééminent dans la diffusion des informations ou communiqués visés ;
C – Sur la non-déclaration à l’AMF de la promesse de cession du 11 juin 2007 par M. A
Considérant que l’article L. 233-11 du code de commerce dispose que : « Toute clause d'une convention prévoyant des conditions préférentielles de cession ou d'acquisition d'actions admises aux négociations sur un marché réglementé et portant sur au moins 0,5 % du capital ou des droits de vote de la société qui a émis ces actions doit être transmise dans un délai de cinq jours de bourse à compter de la signature de la convention ou de l'avenant introduisant la clause concernée, à la société et à l'Autorité des marchés financiers (...). La société et l'Autorité des marchés financiers doivent également être informées de la date à laquelle la clause prend fin
(...) Les informations mentionnées aux alinéas précédents sont portées à la connaissance du public dans les conditions fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers » ;
Considérant que l’acte conclu le 11 juin 2007 entre M. A et sa famille d’une part, un actionnaire et sa famille, d’autre part, consistait en une promesse de cession par laquelle ces derniers promettaient de vendre aux premiers 107.800 actions, soit 4,4% du capital de la société X, sur simple demande des premiers ; que la levée de la promesse était assortie d’une condition suspensive tenant à la réalisation effective de la cession des activités « Chimie fine » et « Colorants » de la société X ;
Considérant que l’acte indiquait que la promesse de cession d’actions était acceptée par ses bénéficiaires de manière irrévocable ; que le prix de cession prévu -14 euros- correspondait à une substantielle surcote par rapport aux cours pratiqués à l’époque de la signature de la promesse ; qu’ainsi, -sans qu’y fît obstacle la présence de conditions suspensives-, cette promesse constituait, au sens de l’article L. 233-11 du code de commerce, une « convention prévoyant des conditions préférentielles de cession ou d'acquisition d'actions (...) et portant sur au moins 0,5% du capital (...) » ;
Considérant, en conséquence, que M. A aurait dû en informer l’AMF dans les cinq jours de bourse à compter du 11 juin 2007, ce qu’il a omis de faire ; que le manquement est ainsi constitué et peut être sanctionné sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 621-14, L. 621-15 du code monétaire et financier et
L. 233-11 du code de commerce ;
Considérant, s’agissant de l’appréciation, en vue de la détermination de la sanction encourue, de la gravité de ce manquement, qu’il y aura lieu de tenir compte de l’importance qu’aurait pu présenter pour la bonne information du marché la connaissance d’une promesse de vente portant sur une part du capital (4,4%) de la société X d’autant plus significative que le « flottant » était à l’époque légèrement inférieur à 15% ;
Considérant, de même, que si M. A fait valoir qu’il n’avait aucune intention de dissimulation ce que corrobore, selon lui, le fait que, lors du dénouement de la promesse, il a porté à la connaissance du régulateur son acquisition de titres Orgasynth dans une déclaration de transactions personnelles, faite le 3 mars 2008, sur le fondement de l’article L. 621-18-2 du code monétaire et financier, il y a lieu de relever que, pour l’information du marché, la déclaration faite le 3 mars 2008 n’a pas la même portée que celle qui aurait dû être donnée d’une promesse comportant des conditions préférentielles et souscrite dans un contexte où une offre publique de retrait pouvait être envisagée à brève échéance ;
Considérant, enfin, que M. A parait mal fondé à soutenir que ni lui ni ses conseils ne connaissaient l’existence de la règle posée à l’article L. 233-11 du code de commerce ;
D – Sur les sanctions encourues et la publication
1 – Sur les sanctions encourues
Considérant qu’aux termes de l’article L. 621-15 III. c) du code monétaire et financier, les sanctions encourues sont une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à un montant déterminé par la loi ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ;
Considérant que, pour les manquements antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du
4 août 2008 (communiqué du 13 mai 2008, absence d’information sur les tests de dépréciation pour les comptes de 2006 et 2007 et omission de déclaration à l’AMF de la promesse de cession du 11 juin 2007), ce montant s’établissait à 1,5 million d’euros ;
Considérant que, pour les manquements postérieurs (communiqué du 13 octobre 2008 et absence d’information sur la sensibilité des hypothèses du test de dépréciation dans les comptes de 2008), ce montant s’établissait à 10 millions d’euros ;
Considérant, s’agissant de la société X qui, ainsi qu’il a été dit, doit répondre des griefs retenus aux 2,3 et 4 du II ci-dessus, il sera fait une juste appréciation de la répétition et -notamment pour ceux relatifs aux communiqués des 13 mai et 13 octobre 2008, qui ont été de nature à induire le public en erreur- de l’importance de ces manquements à la bonne information financière, en prononçant à son encontre une sanction pécuniaire de 50 000 (cinquante mille) euros ;
Considérant, s’agissant de M. A, qu’il doit répondre, en sus des griefs retenus à l’encontre de la société, de la méconnaissance de l’article L. 233-11 du code de commerce ; qu’ainsi qu’il a été dit au III ci-dessus, ce dernier manquement, relatif à une opération d’un montant un peu supérieur à 1,4 million d’euros, revêt un caractère avéré de gravité ; que, tout en tenant compte de ce que, dans les circonstances de l’espèce, c’est la société qui
doit répondre principalement des manquements relevés au II ci-dessus et imputables tant à elle-même qu’à son dirigeant, il y a lieu de prononcer à l’encontre de M. A une sanction pécuniaire de 100 000 (cent mille) euros ;
2 – Sur la publication
Considérant qu’aux termes de l’article L. 621-15 V du code monétaire et financier, « La Commission des sanctions peut rendre publique sa décision (...) à moins que cette publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause » ; que, par ces dispositions, le législateur a entendu permettre à la Commission de tenir compte des exigences d’intérêt général relatives à la loyauté du marché, à la transparence des opérations et à la protection des épargnants qui fondent son pouvoir de sanction ainsi que de l’intérêt qui s’attache pour la sécurité juridique de l’ensemble des opérateurs à ce que ceux-ci puissent, en ayant accès à ses décisions, connaître son interprétation des règles qu’ils doivent observer ; qu’aucune circonstance de l’espèce n’est de nature à faire obstacle à ce que la présente décision soit rendue publique ;
PAR CES MOTIFS,
Et après en avoir délibéré sous la présidence de M. Daniel Labetoulle, par MM. Guillaume Jalenques de Labeau, Pierre Lasserre et Joseph Thouvenel, membres de la Commission des sanctions, en présence de la secrétaire de séance ;
DECIDE DE :
- prononcer une sanction pécuniaire de 50 000 € (cinquante mille euros) à l’encontre de la société X et de 100 000 € (cent mille euros) à l’encontre de M. A ;
- publier la présente décision sur le site internet et dans le recueil annuel des décisions de la Commission des sanctions.