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Décisions

Cass. crim., 5 mai 2004, n° 03-85.103

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Roger

Chambery, ch. corr., du 3 juill. 2003

3 juillet 2003

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 412, 520, 591 à 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de Christiane X... Y... tirée de ce qu'elle ne pouvait être jugée pour la première fois contradictoirement par la cour d'appel ;

"aux motifs que, contrairement à ce que prétend l'avocat de Christiane X... Y..., cette dernière a bien été régulièrement citée devant le tribunal correctionnel, qu'elle a eu connaissance de la citation qui lui a été délivrée alors, que cela résulte de l'avis de réception de la lettre recommandée qui lui a été adressée le 10 juillet 2002 et qu'elle a signé, qu'au demeurant, même si son avocat n'était pas présent à l'audience du tribunal qui s'est tenue le 23 octobre 2002, celui-ci a fait parvenir des conclusions au premier juge ;

"1- alors que l'évocation par la cour d'appel est impossible lorsque le prévenu n'a pas été régulièrement informé de la date d'audience devant la juridiction qui a rendu le jugement frappé d'appel, lequel lui est alors inopposable ; qu'en l'espèce, en se bornant à affirmer que Christiane X... Y... avait été régulièrement citée devant le tribunal correctionnel et avait eu connaissance de la citation, sans constater qu'elle avait régulièrement été informée de la date d'audience du 23 octobre 2002, laquelle avait été fixée lors d'une audience de renvoi où Christiane X... Y... avait déjà fait défaut, la cour d'appel n'a pas justifié son droit d'évocation ;

"2 - alors que le dépôt de conclusions par l'avocat commun à deux prévenus, dont l'un a été régulièrement cité, ne permet aucunement, d'en déduire la régularité de la citation de l'autre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait donc, pour retenir à tort son droit d'évocation, affirmer que l'avocat de Christiane X... Y... avait déposé des conclusions récapitulatives devant le tribunal, quand il était constant que Josiane X..., qui avait le même défenseur, avait quant à elle été régulièrement citée ;

"3 - alors que l'exception tirée de l'impossibilité d'évoquer avait été soulevée par Christiane X... Y..., à l'encontre de laquelle le tribunal avait statué par défaut ; que la cour d'appel ne pouvait donc sans inopérance rejeter cette exception au prétexte que le jugement aurait à tort été rendu par défaut à l'encontre de Josiane X..." ;

Attendu que, pour écarter l'argumentation de l'avocat de Christiane X... Y... qui soutenait que la prévenue ne pouvait être jugée contradictoirement pour la première fois par la cour d'appel dès lors qu'elle n'avait pas été régulièrement citée devant le tribunal correctionnel qui l'avait relaxée par défaut, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations d'où il résulte que le tribunal a statué à tort par défaut, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article préliminaire du Code de procédure pénale, des articles 203, 210, 382, 387, 512, 591 à 593 du même Code, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale ;

"en ce que la cour d'appel a rejeté les demandes de jonction et de renvoi de l'affaire ;

"aux motifs que la Cour ne peut ordonner la jonction d'une affaire dont elle est saisie à la suite de déclarations d'appel avec une autre procédure, non encore jugée, toujours en cours d'instruction ; que par ailleurs, la Cour possède en l'état les éléments d'information suffisants pour examiner les faits de fraude fiscale dont elle est saisie ;

"1 - alors que la juridiction pénale peut si besoin est surseoir à statuer ou renvoyer l'affaire jusqu'à ce qu'une procédure connexe soit menée à son terme ; qu'en l'espèce, il était constant qu'était en cours devant la juridiction pénale de Thonon-les-Bains une instruction relative aux faits litigieux, dont le dossier comportait de très nombreuses pièces essentielles pour établir l'absence de culpabilité des prévenues quant aux infractions poursuivies et dont était saisie la cour d'appel ; que cette dernière ne pouvait donc se borner à affirmer qu'elle ne pouvait ordonner la jonction d'une affaire dont elle était saisie avec une autre procédure non encore jugée et toujours en cours d'instruction, sans même rechercher si, comme elle y était d'ailleurs invitée, elle ne pouvait à tout le moins renvoyer l'affaire en vue d'une jonction ;

"2 - alors que tout prévenu a droit à un procès équitable, ce qui implique le droit pour lui de disposer de tous les éléments de preuve pertinents pour pouvoir se disculper ou obtenir l'atténuation de sa peine ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait sans méconnaître ce principe rejeter la demande de complément d'information consistant en l'apport du dossier d'instruction de la procédure connexe, qui contenait des pièces essentielles à la défense des prévenues" ;

Attendu que l'opportunité d'accueillir des demandes de renvoi et de jonction est une mesure d'administration judiciaire qui échappe au contrôle de la Cour de Cassation ;

Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1741 du Code général des impôts, L. 227 du Code des procédures fiscales, 122-2 du Code pénal, 591 à 593 du Code de procédure pénale, défaut, insuffisance et contradiction de motifs, mangue de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Josiane X... à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis, outre au paiement des impôts fraudés et à celui des pénalités y afférentes ;

"aux motifs que Josiane X... disposait d'un pouvoir général de sa soeur, Christiane X... Y..., aux fins d'exercer en permanence la gestion de la société ; que dans les faits, elle avait en charge l'ensemble des tâches administratives et financières, en étant titulaire de la signature sur les comptes bancaires, en présidant les assemblées et en signant les déclarations fiscales ; qu'elle a reconnu lors de l'enquête préliminaire avoir été gérante de fait de la société ; que la société Phoenicia a manqué à toutes ses obligations déclaratives au cours des périodes visées pénalement ; que l'élément intentionnel de l'infraction résulte du caractère systématique et de l'importance des irrégularités constatées ; que l'absence de souscription systématique des relevés de taxes sur le chiffre d'affaires indique de façon non équivoque la volonté délibérée des prévenues de se soustraire à l'établissement et au paiement de l'impôt ; qu'en outre, l'intention de frauder ressort de la diversité des procédés de fraude utilisés ; que les dissimulations mises en évidence, ne serait-ce qu'en raison de leur importance, ne laissent aucun doute sur le caractère intentionnel des infractions ;

"et aux motifs adoptés qu'il résulte des éléments du dossier et des débats que Josiane X... est coupable en raison de sa gérance de fait et de ce que, antérieurement, elle établissait les déclarations de TVA ; qu'elle s'est abstenue de faire les déclarations en 1996 ; que les faits sont établis à l'encontre de la prévenue ;

"1 - alors que n'est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l'empire d'une force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pas pu résister ; qu'en l'espèce, Josiane X... invoquait devant les juges du fond le moyen de défense tiré de ce qu'elle avait subi des contraintes morales et même physiques, de la part des organisateurs de l'escroquerie à la TVA dont la société était en réalité un instrument et la prévenue une victime, et que ces contraintes l'avait empêchée d'effectuer correctement les déclarations litigieuses ; qu'en ne répondant aucunement à ce chef péremptoire des conclusions de la prévenue, de nature à l'exonérer de toute responsabilité pénale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

"2 - alors que les juges du fond ne peuvent condamner un prévenu pour fraude fiscale sans qu'ait été établie son intention personnelle de commettre le délit poursuivi ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait donc se référer à l'intention "des prévenus", sans distinguer la situation de la demanderesse et celle de Franck Z..., a fortiori quand la demanderesse insistait précisément sur le fait que ce dernier et ses acolytes l'avaient empêchée d'effectuer les déclarations fiscales litigieuses, et que Franck Z... était le seul maître d'oeuvre des fraudes litigieuses ;

"3 - alors que la demanderesse insistait à ce titre sur la décision du tribunal qui, dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société, avait refusé de lui étendre cette liquidation, et avait écarté toute faute de sa part en constatant au contraire sa collaboration active et loyale à la reconstitution des comptes sociaux, tandis que le tribunal avait dans le même temps prononcé l'extension à Franck Z... sur le fondement de nombreuses fautes (cf : prod. 5) ; que la cour d'appel ne pouvait donc retenir la culpabilité de la demanderesse en s'appuyant sur un élément intentionnel prétendument commun à Franck Z... et Josiane X..., sans même prendre en considération cet élément déterminant, de nature à caractériser l'absence de toute communauté d'intention entre ces deux prévenus" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit de fraude fiscale dont elle a déclaré la prévenue coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1351 du Code civil, 2 du Code pénal, 591 à 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a dit que Christiane X... Y... et Josiane X... seraient tenues solidairement avec la SARL Phoenicia France au paiement des impôts fraudés et à celui des pénalités y afférentes ;

"1- alors que l'action civile portée devant la juridiction pénale reste une action purement civile, soumise comme telle à l'autorité de la chose jugée d'une décision civile antérieure ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait donc condamner solidairement les demanderesses avec la société, sans même tenir compte de la décision du tribunal ayant définitivement rejeté la demande du ministère public tendant à ce que les demanderesses puissent être solidairement tenues des dettes de la société (cf : prod. 5) ;

"2 - alors qu' il appartenait à tout le moins à la cour d'appel de répondre au chef péremptoire des conclusions des demanderesses, tiré d'une autorité de la chose jugée faisant obstacle à leur condamnation solidaire avec la société ; qu'en omettant de le faire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision" ;

Attendu que les demanderesses ne sauraient faire grief à l'arrêt de ne pas avoir tenu compte du jugement du tribunal de commerce de Thonon-les-Bains, statuant en matière commerciale, qui a refusé de leur étendre la liquidation judiciaire de la société Phoenicia France, dès lors que cette décision n'a pas l'autorité de la chose jugée à l'égard du juge répressif ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1741 du Code général des impôts, L. 227 du Code des procédures fiscales, 591 à 593 du Code de procédure pénale, défaut, insuffisance et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné Christiane X... Y... à la peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis, outre le paiement des impôts fraudés et des pénalités y afférentes ;

"aux motifs que Christiane X... Y... exerçait les fonctions de gérante de droit de la SARL Phoenicia France ; qu'en cette qualité elle était tenue pour responsable des obligations fiscales de la société vis-à-vis de l'Administration sauf à en être empêchée par un événement revêtant les circonstances de la force majeure ; qu'elle ne rapporte pas la preuve d'un tel événement ; qu'il s'ensuit que Christiane X... Y..., par infirmation du jugement déféré, doit être retenue dans les liens de la prévention ; que Josiane X... disposait d'un pouvoir général de sa soeur, Christiane X... Y..., aux fins d'exercer en permanence la gestion de la société ; que dans les faits, elle avait en charge l'ensemble des tâches administratives et financières, en étant titulaire de la signature sur les comptes bancaires, en présidant les assemblées et en signant les déclarations fiscales ;

"1 - alors qu'il appartient au ministère public et à l'administration fiscale, parties poursuivantes, d'établir l'élément intentionnel du délit de fraude fiscale ; qu'à ce titre, la mauvaise foi d'un dirigeant légal d'une société commerciale ne saurait résulter de cette seule qualité ; que le juge doit caractériser la participation personnelle et effective que le prévenu a pris, de mauvaise foi, aux faits de fraude fiscale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté explicitement que Christiane X... Y... avait donné à sa soeur un pouvoir général aux fins d'exercer en permanence la gestion de fait de la société, d'assumer l'ensemble des tâches administratives et financières, et en particulier d'établir et signer les déclarations fiscales de l'entreprise ; qu'elle ne pouvait dès lors, sans caractériser aucunement la participation effective et personnelle de Christiane X... Y... à la gestion de la société ni encore moins aux fraudes poursuivies, retenir sa culpabilité sur le seul fondement de sa qualité de gérante de droit ;

"2 - alors qu'en outre, même le gérant qui participe de manière effective à la gestion de la société et répond en principe à ce titre des obligations fiscales de l'entreprise peut s'exonérer de sa responsabilité pénale, s'il est établi qu'il avait dûment délégué les pouvoirs dans l'exercice desquels ont été commises les infractions poursuivies ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait par conséquent retenir la culpabilité de Christiane X... Y... sur le seul fondement de sa qualité de gérante de droit de la société, sans même rechercher si le pouvoir général de gestion permanente de l'entreprise qu'elle avait donné à sa soeur ne constituait pas une délégation de pouvoirs de nature à la décharger des obligations fiscales, et partant à l'exonérer de sa responsabilité pénale" ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ;

que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour déclarer Christiane X... Y... coupable de fraude fiscale, l'arrêt attaqué, après avoir relevé qu'elle était gérante de droit de la société Phoenicia France, constate qu'elle avait donné pouvoir général à sa soeur Josiane aux fins d'exercer en permanence la gestion de la société et que, dans les faits, cette dernière avait en charge l'ensemble des tâches administratives et financières, notamment, en étant titulaire de la signature sur les comptes bancaires, en présidant les assemblées générales et en signant les déclarations fiscales de l'entreprise ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans tirer les conséquences légales de ses propres constatations, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Chambéry, en date du 3 juillet 2003, mais en ses seules dispositions concernant Christiane X... Y..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Chambéry, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.