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Décisions

Cass. crim., 9 novembre 2016, n° 15-84.866

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Planchon

Avocats :

SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Foussard et Froger

Reims, du 28 mai 2015

28 mai 2015

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 459, 464, 591 et 593 du code de procédure pénale, 122-2 du code pénal, 1471 et 1742 du code général des impôts ;

" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement rendu le 7 mars 2014 par le tribunal correctionnel de Reims en ce qu'il avait déclaré M. X... coupable de complicité de fraude fiscale et en ce qu'il l'avait condamné à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à une amende de 10 000 euros, et en ce qu'il avait dit que M. X... serait tenu solidairement avec la société Laurent Y... au paiement de la taxe fraudée et à celui des pénalités y afférentes pour les mois de décembre 2005, février à avril 2006, juin et juillet 2006, septembre à novembre 2006 ;

" aux motifs propres qu'il y a lieu de reprendre l'exposé des faits tel qu'énoncé par le tribunal, qui est suffisamment complet et précis ; que ce dernier, par des motifs pertinents que la cour adopte, a fait une régulière appréciation des faits, qu'il a exactement exposés et qualifiés, et a légalement motivé sa décision, laquelle ne pourra qu'être confirmée sur le principe de la culpabilité du prévenu ; qu'il suffira de rajouter que, si, d'une part, les déclarations de chiffre d'affaires mensuel, trimestriel et annuel n'entraient pas dans la mission de la société Baudelocque & Associés, assumée par M. X..., " seul expert-comptable sur le terrain " (comme il le précise) depuis le retrait du fondateur, et si, d'autre part, étaient complets les états préparatoires à la déclaration de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) établis par les salariés de ladite société d'expertise comptable, M. Z..., puis Mme A..., mis à disposition de la société Laurent Y..., il reste que, même si elle a confirmé que M. Laurent Y..., informé de la TVA à payer, décidait seul de la somme devant être réglée, Mme A...a, néanmoins, ajouté que M. X..., à qui elle avait signalé l'anormalité de la situation, lui avait répondu de faire " comme le client voulait " (D 865) ; que, contrairement à ce que prétend M. X..., il ne lui est donc pas seulement reproché " le fait de reporter sur la déclaration un chiffre minoré ", mais surtout d'avoir donné des instructions aux salariés de la société qu'il gérait, ce qui caractérise sa participation volontaire et consciente â la commission du délit de fraude fiscale commis par M. Y..., délit qui, sans cette aide, n'aurait pu être consommé ; qu'en raison de la gravité des faits, des circonstances de la cause et de la personnalité du prévenu, sans antécédent judiciaire, la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et l'amende délictuelle de 10 000 euros prononcées par le tribunal, sont justifiées et doivent être confirmées ; que, compte tenu de la confirmation de la relaxe partielle, il n'y a pas lieu de prononcer, en outre, une interdiction professionnelle à l'encontre de M. X... ; que celui-ci se contentant d'alléguer, sans en justifier, qu'une éventuelle " sanction inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire va mettre en péril de façon directe son droit d'exercice ", la demande d'exclusion de la condamnation du bulletin n° 2 du casier judiciaire de M. X... ne peut, en cet état, qu'être rejetée ; que l'article 1745 du code général des impôts dispose que " tous ceux qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive, prononcée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l'impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu'à celui des pénalités fiscales y afférentes " ; que l'administration des impôts, s'étant constituée partie civile sur le fondement de l'article L. 232 du Livre des procédures fiscales, est recevable à demander la solidarité de M. X... avec le redevable légal des impôts fraudés ; qu'en l'espèce, celui-ci a passé les écritures de TVA non déclarée sur les balances et les bilans de la société Laurent Y..., de sorte que les liasses envoyées à l'administration fiscale contenaient l'ensemble des éléments qui auraient permis à celle-ci de constater les irrégularités ; que l'administration fiscale s'étant contentée de vérifier si les liasses avaient été déposées, la solidarité de M. X... avec la société Laurent Y... doit être limitée à décembre 2005, février à avril 2006, juin et juillet 2006, septembre à novembre 2006, la décision entreprise étant réformée en ce sens ;

" et aux motifs adoptés qu'il est reproché à M. X..., en sa qualité d'expert-comptable, d'avoir été le complice du délit de soustraction frauduleuse à l'établissement et au paiement partiel de la TVA, au titre des mois de décembre 2005, février à avril 2006, juin et juillet 2006, septembre â novembre 2006, mars à juin 2007, août à d'octobre 2007, commis par M. Y..., en l'aidant ou en l'assistant sciemment dans sa préparation ou sa consommation, en l'espèce en établissant et en transmettant à l'administration fiscale des déclarations minorées ; qu'aux termes de l'article 121. 7 du code pénal, est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation ; qu'il convient de rappeler que M. Y... a été reconnu coupable du délit de fraude fiscale ; qu'il est reproché à M. X... d'avoir facilité la préparation du délit de fraude fiscale ; qu'il résulte de la procédure que M. X..., expert-comptable, avait la charge des sociétés de M. Y..., dans le cadre d'une mission complète (tenue de la comptabilité, révision des comptes, actes juridiques, déclarations sociales et fiscales) depuis le 1er janvier 2001 ; que M. X... a déclaré : " comme prévu dans notre mission, nous préparions les déclarations de chiffre d'affaires " (le document versé à l'audience par M. X..., qui contredit cette affirmation, n'est ni daté ni signé par les parties et ne sera donc pas retenu comme élément de preuve) ; qu'or, il n'est pas contesté que pendant la période de la prévention, ces déclarations de chiffre d'affaires ont été minorées et transmises ainsi à l'administration fiscale, étant ici rappelé que les déclarations de chiffre d'affaire contiennent le calcul du montant de la TVA à payer par l'entreprise ; que le fait que les déclarations minorées aient été transmises par M. Y... jusqu'en décembre 2006 et non par M. X... lui-même ne saurait lui retirer la qualification de complice, compte-tenu de ce que la minoration du chiffre d'affaires, acte préparatoire à la fraude fiscale, était réalisée par lui-même ; qu'à compter de janvier 2007, le système de télé-déclaration, qui a permis à M. X... d'envoyer lui-même les déclarations minorées à l'administration fiscale, le rendent de plus fort complice, étant précisé que la prévention n'exige pas que l'établissement et la transmission des déclarations soient réalisées toutes les deux pour les mêmes périodes ; que si M. X... fait valoir, ce qui est justifié par les déclarations de sa collaboratrice, Mme A..., que les minorations ont été faites à la demande et sur instructions de M. Y..., il convient de constater que M. X... n'a jamais refusé une telle pratique, ni alerté l'ordre professionnel auquel il appartient ; qu'au contraire, il a donné comme instruction à sa collaboratrice de " faire comme le client voulait " ; que son argument selon lequel M. Y... était autoritaire et impressionnant n'est pas recevable de la part d'un expert-comptable, pourvu des capacités nécessaires pour s'opposer à une telle demande, qui par ailleurs, ne souffre d'aucune incompétence notoire en matière de déclaration de chiffre d'affaires ; qu'au contraire, M, X...connaissait parfaitement les conséquences d'une telle minoration de chiffre d'affaires à l'égard de l'administration fiscale, puisque qu'il a lui-même ouvert et alimenté le compte de TVA à régulariser, qui s'élevait à plus d'un million d'euros en fin d'exercice 2007 ; qu'il a donc agi en toute connaissance de cause ; qu'il convient de rappeler qu'aucun lien de subordination n'existait entre M, X...et M. Y..., les relations contractuelles pouvant à tout moment cesser à la demande de l'expert-comptable ; qu'en conséquence, les éléments matériel et moral de l'infraction de complicité sont réunis ; qu'il convient d'entrer en voit de condamnation à l'encontre de M. X... ; que, sur la peine, il convient de condamner M. X... à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 10 000 euros ;

" alors que la contrainte morale est établie lorsqu'elle fait craindre un péril imminent et qu'elle met celui qui en est l'objet dans la nécessité ou de commettre l'infraction ou de subir les violences dont il est menacé ; qu'en se bornant à juger que « l'argument selon lequel M. Y... était autoritaire et impressionnant n'est pas recevable de la part d'un expert-comptable, pourvu des capacités nécessaires pour s'opposer à une telle demande » et qu'« aucun lien de subordination n'existait entre MM. X... et Y..., les relations contractuelles pouvant à tout moment cesser à la demande de l'expert-comptable », sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la circonstance que M. Y... ait « menacé M. X... de s'en prendre à sa famille lorsque le demandeur lui disait qu'il ne souhaitait plus tenir sa comptabilité » n'était pas de nature à établir la contrainte morale pesant sur l'expert-comptable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés " ;

Attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt attaqué ni des conclusions déposées que le demandeur ait invoqué, devant la cour d'appel, la contrainte morale pour s'exonérer de sa responsabilité pénale ;

D'où il suit que le moyen est nouveau et mélangé de fait, et comme tel irrecevable ;

II-Sur le pourvoi de la direction régionale des finances publiques de Champagne-Ardennes :

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 121-7 du code pénal, des articles 1741 et 1745 du code général des impôts, L. 232 du Livre des procédures fiscales, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que si la cour d'appel de Reims a maintenu en son principe la solidarité à l'égard de M. X..., elle a décidé en revanche que la solidarité avec la société Laurent Y... devait être limitée au paiement de la taxe fraudée et des pénalités aux mois suivants : décembre 2005, février, mars et avril 2006, juin et juillet 2006, septembre, octobre et novembre 2006 ;

" aux motifs que l'article 1745 du code général des impôts dispose que « tous ceux qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive, prononcée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l'impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu'à celui des pénalités fiscales y afférentes ; que l'administration des impôts, s'étant constituée partie civile sur le fondement de l'article L. 232 du Livre des procédures fiscales, est redevable à demander la solidarité de M. X... avec le redevable légal des impôts fraudés ; qu'en l'espèce, celui-ci a passé les écritures de TVA non déclarée sur les balances et les bilans de la société Laurent Bernard, de sorte que les liasses envoyées à l'administration fiscale contenaient l'ensemble des éléments qui auraient permis à celle-ci de constater les irrégularités ; que l'administration fiscale s'étant contentée de vérifier si les liasses avaient été déposées, la solidarité de M. X... avec la société Laurent Y... doit être limitée à décembre 2005, février à avril 2006, juin et juillet 2006, septembre à novembre 2006, la décision entreprise étant réformée en ce sens ;

" alors que, dans l'hypothèse où un prévenu, fût-ce en tant que complice, est déclaré coupable de fraude fiscale, pour une période donnée, il est exclu que le juge répressif morcelle la durée pour laquelle la culpabilité a été retenue, pour cantonner la solidarité à certaines périodes ; qu'en l'espèce, M. X... a été déclaré coupable de complicité de fraude fiscale non seulement à raison des déclarations minorées qui ont été déposées au titre des mois de décembre 2005, février, mars et avril 2006, juin et juillet 2006, septembre, octobre et novembre 2006, mais également au titre des déclarations afférentes aux mois de mars, avril, mai et juin 2007, août, septembre et octobre 2007 ; qu'ayant retenu que le prononcé de la solidarité était justifié, il était exclu que les juges du fond écartent du champ de la solidarité les impôts et pénalités afférentes aux mois de mars, avril, mai et juin 2007 ainsi qu'aux mois d'août, septembre et octobre 2007 ; que l'arrêt doit être censuré pour violation des textes susvisés " ;

Vu l'article 1745 du code général des impôts ;

Attendu que, selon ce texte, les juges qui prononcent la solidarité, mesure sans incidence sur la détermination des droits dus, ne peuvent en limiter les effets à une part des impôts fraudés et pénalités fiscales y afférentes ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, qu'après avoir condamné M. X..., comptable de la société Laurent Y..., coupable du délit de complicité de fraude fiscale commis du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008, les juges ne l'ont déclaré solidairement tenu, avec ladite société et le gérant de celle-ci, au paiement des droits fraudés et des pénalités y afférentes, que pour les seules périodes correspondant aux mois de décembre 2005, février à avril 2006, juin et juillet 2006 et septembre à novembre 2006 ;

Mais attendu qu'en limitant ainsi les effets de la solidarité qu'elle a prononcée, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

I-Sur le pourvoi de M. X... :

Le REJETTE ;

II-Sur le pourvoi de la direction régionale des finances publiques de Champagne-Ardennes :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Reims, en date du 28 mai 2015, mais en ses seules dispositions relatives à la solidarité, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Reims et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.