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Décisions

Cass. com., 11 janvier 2023, n° 21-18.299

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Gervais transports (Sté)

Défendeur :

Hasbro European Trading Bv (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

M. Regis

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Ghestin, SCP Bouzidi et Bouhanna

T. com. Lyon, du 22 mai 2018

22 mai 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 avril 2021), la société Gervais transports s'est vue confier, à partir de 1996, par la société Hasbro France puis, à compter de 2013, par la société Hasbro European Trading (la société Hasbro), des missions de transports routiers sur le territoire français.

2. Cette relation a pris la forme d'une succession de contrats à durée déterminée d'un an, lesquels, à partir de 2010, ont été renouvelés chaque année, après une procédure d'appel d'offres.

3. Par un courriel du 22 août 2016, à l'issue d'une procédure d'appel d'offres, la société Hasbro a informé la société Gervais transports de l'arrêt de leur collaboration.

4. Soutenant que la société Hasbro avait rompu brutalement une relation commerciale établie, la société Gervais transports l'a assignée en réparation des préjudices subis.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société Gervais transports fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation des préjudices découlant de la rupture brutale de la relation commerciale établie avec la société Hasbro, alors :

« 1°/ qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que depuis le 1er juillet 1996, les sociétés Hasbro France puis Hasbro ont confié des prestations de transport à la société Gervais transports dans le cadre de contrats à durée déterminée du 1er juillet au 30 juin, constamment renouvelées y compris après les appels d'offres intervenus depuis 2011, qu'en l'état d'une "incorrection" de la procédure d'appel d'offre lancée en mars 2016 les prestations commerciales de messagerie ont été poursuivies à compter du 1er juillet 2016 jusqu'en septembre 2016 et que la rupture est intervenue par un courriel d'Hasbro du 22 août 2016 motivé par l'absence de compétitivité tarifaire de Gervais transports ; qu'il résulte encore des constatations de l'arrêt que la collaboration intervenue entre 1996 et 2016 avait généré pour Gervais transports un chiffre d'affaires annuel moyen de 798 436 euros ; qu'en cet état, en l'absence d'écrit faisant ainsi courir les délais de préavis, la cour d'appel devait imputer à Hasbro la rupture brutale des relations régulières, stables et significatives qu'elle avait établies avec Gervais transports ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code commerce ;

2°/ qu'en l'état des relations contractuelles régulières, stables et significatives constatées entre juillet 1996 et septembre 2016, auxquelles il avait été mis fin par un courriel d'Hasbro du 22 août 2016 motivé par l'absence de compétitivité tarifaire de Gervais transports, la précarisation recherchée par les procédures d'appel d'offres annuelles entre 2010 et 2015 était inopérante ; qu'en jugeant tout au contraire que la circonstance que la relation se soit poursuivie entre les parties pour les prestations de messagerie de juillet à septembre 2016 était sans incidence sur la précarité de la relation commerciale, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code commerce ;

3°/ que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de préavis au regard des relations commerciales antérieures ; qu'après avoir constaté des relations contractuelles régulières, stables et significatives entre juillet 1996 et septembre 2016, auxquelles un courriel d'Hasbro du 22 août 2016 motivé par l'absence de compétitivité tarifaire de Gervais transports, la cour d'appel devait s'interroger sur l'absence d'appel d'offres écrit constituant un préavis à la rupture des relations commerciales, qui aurait dû accompagner "l'appel d'offres complémentaire" allégué d'Hasbro pour justifier la précarité dont elle se prévalait ; qu'en s'abstenant de s'interroger sur l'absence d'écrit constitutif d'un préavis avant de rejeter la demande en indemnisation des préjudices découlant de la brutalité de la rupture, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code commerce ;

4°/ que s'il permet de précariser la relation commerciale en présence d'un écrit constituant un préavis à la rupture des relations commerciales, l'appel d'offres n'écarte pas automatiquement le caractère établi d'une relation commerciale ; qu'en considérant, en l'absence d'écrits manifestant l'intention de ne pas poursuivre les relations commerciales dans les conditions antérieures et faisant ainsi courir les délais légaux de préavis, que le recours régulier à des appels d'offres était à lui seul de nature à conférer à la relation commerciale, quelle que soit sa durée, une précarité exclusive de toute rupture brutale, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du code commerce. »

Réponse de la Cour

6. Après avoir énoncé que la relation commerciale établie doit présenter un caractère suffisamment prolongé, significatif et stable entre les parties, permettant à la victime de la rupture d'anticiper légitimement et raisonnablement pour l'avenir la persistance d'un flux d'affaires avec son partenaire commercial, et relevé que si, dans un premier temps, les relations entre les parties avaient été fixées par des contrats à durée déterminée d'un an, courant du [1er juillet] au 30 juin de l'année suivante, à compter de 2010, la société Hasbro a mis en oeuvre une procédure d'appels d'offres annuelle, à laquelle la société Gervais transports a systématiquement participé, l'arrêt retient que cette procédure a modifié la nature de la relation entre les parties en la rendant précaire et qu'elle a ainsi introduit, chaque année, dans cette relation, un aléa qui ne permettait pas à la société Gervais transports d'avoir une croyance légitime dans sa pérennité.

7. L'arrêt retient, ensuite, que la circonstance que la relation se soit poursuivie ponctuellement entre les parties, pour les seules prestations de messagerie, de juillet 2016 à septembre 2016, cependant que la société Gervais transports n'avait pas été retenue à la suite de l'appel d'offres de mars 2016, pour les prestations de transport, est également sans incidence sur la précarité de cette relation.

8. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée à la troisième branche, que ces constatations rendaient inopérante, a pu retenir que c'est sans engager sa responsabilité que la société Hasbro avait mis fin à la relation d'affaires en août 2016.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi