CE, 6e et 1re sous-sect. réunies, 13 juillet 2011, n° 327980
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigouroux
Rapporteur :
Mlle Bretonneau
Rapporteur public :
M. Guyomar
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP de Chaisemartin, Courjon
Vu, 1° sous le n° 327980, la requête, enregistrée le 14 mai 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour la SOCIETE EDELWEISS GESTION, dont le siège est 18, rue de l'Arcade à Paris (75008) et pour M. Christian B, demeurant 86, avenue Gambetta à Annecy (74000) ; la SOCIETE EDELWEISS GESTION et M. B demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 26 février 2009 en tant qu'elle a infligé à M. B un blâme et une sanction pécuniaire de 30 000 euros et à la SOCIETE EDELWEISS GESTION une sanction pécuniaire de 300 000 euros, et ordonné sa publication au bulletin des annonces légales obligatoires ainsi que sur le site internet et dans la revue de l'Autorité des marchés financiers ;
2°) d'enjoindre à l'Autorité des marchés financiers, d'une part, de retirer la décision attaquée de son site internet et d'autre part, de publier sur ce site une mention indiquant que cette décision a été annulée par le Conseil d'Etat ;
Vu, 2° sous le n° 329120, la requête, enregistrée le 23 juin 2009, présentée par M. A, demeurant 3, rue du Luxembourg à Nouméa (98857 Cedex) ; M. A demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 26 février 2009 en tant qu'elle lui a infligé un blâme et une sanction pécuniaire de 30 000 euros, et ordonné sa publication au bulletin des annonces légales obligatoires ainsi que sur le site internet et dans la revue de l'Autorité des marchés financiers ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibérée, enregistrée le 26 juin 2011, présentée par M. B ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Aurélie Bretonneau, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIÉTÉ EDELWEISS GESTION et de M. Christian B et de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de l'Autorité des marchés financiers,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIÉTÉ EDELWEISS GESTION et de M. Christian B et à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de l'Autorité des marchés financiers,
Considérant qu'à la suite d'une enquête ouverte par l'Autorité des marchés financiers (AMF) sur les activités de la société de gestion de portefeuille EDELWEISS GESTION, l'AMF a décidé, le 1er avril 2008, de retirer à compter du 16 mai 2008 l'agrément dont disposait cette société, en tant qu'il concernait l'activité de gestion d'organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) contractuels avec ou sans effet de levier ; que par une décision du 26 février 2009, la commission des sanctions de l'AMF a infligé à la SOCIETE EDELWEISS GESTION une sanction pécuniaire de 300 000 euros et à MM. B et A, ses dirigeants, un blâme et une sanction pécuniaire de 30 000 euros chacun et décidé de publier la décision au bulletin des annonces légales obligatoires ainsi que sur le site internet et dans la revue de l'AMF ;
Considérant que les requêtes présentées, respectivement, par la SOCIETE EDELWEISS GESTION et M. B sous le n° 327980 et par M. A sous le n° 329120, sont dirigées contre cette même décision de sanction en tant qu'elle concerne chacun des requérants ; qu'il y a lieu des les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la régularité de la procédure :
Considérant, en premier lieu, que l'article R. 621-38 du code monétaire et financier, dans sa version applicable au litige, dispose que : " (...) La notification des griefs est transmise au président de la commission des sanctions. / La personne mise en cause dispose d'un délai d'un mois pour transmettre au président de la commission des sanctions ses observations écrites sur les griefs qui lui ont été notifiés (...) " ; qu'il résulte de l'instruction que M. A a pris connaissance le 29 mars suivant des griefs qui lui ont été notifiés par un courrier du 22 février 2008 ; que par un courrier du 24 avril 2008, la commission des sanctions l'informait, en réponse à une demande qu'il avait formée en ce sens le 18 avril 2008, de ce que le délai qui lui était imparti pour présenter ses observations, dont il avait été informé, était prolongé jusqu'au 2 mai suivant ; que dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les droits de la défense auraient été méconnus au motif que l'intéressé n'aurait disposé que de quelques jours pour présenter ses observations sur la notification des griefs mis à sa charge doit être écarté ;
Considérant, en second lieu, que l'article R. 621-7 du code monétaire et financier dispose que, quand la commission des sanctions statue en formation de section, le président de la section peut demander, en cas d'absence d'un membre relevant d'une des catégories de personnes mentionnées au 3° ou 4° du IV de l'article L. 621-2 du même code, à un membre de l'autre section choisi dans la même catégorie de personnes de le suppléer ; que ces dispositions, qui ouvrent au président de la section une simple faculté, ne sauraient être interprétées comme imposant qu'un membre de chacune des deux catégories de personnes mentionnées ci-dessus statue à peine d'irrégularité de la formation ; que doit ainsi être écarté le moyen tiré de ce que la commission des sanctions a statué en formation de section irrégulière au seul motif que n'a siégé aucun membre issu de la catégorie de personnes mentionnée au 4° de l'article L. 621-2 du code monétaire et financier ;
Sur le bien-fondé de la décision :
En ce qui concerne les manquements :
Considérant, en premier lieu, que l'article 322-31 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers dans sa version applicable, pose une obligation de promotion de l'intérêt des mandants ; qu'il ressort des termes mêmes de la décision litigieuse que la commission des sanctions n'a pas, au titre du manquement à cet article, entendu sanctionner le principe même de la mise en place d'un triple niveau d'investissement, mais la circonstance que le dispositif mis en place en l'espèce, qui, contrairement à ce qui est soutenu, n'avait pas été agréé par l'Autorité des marchés financiers, entraînait pour les mandants une multiplication des frais de gestion fixes sans qu'aucun avantage spécifique n'en découle à leur profit ; qu'ainsi, en sanctionnant ce mécanisme de triple niveau d'investissement nonobstant la circonstance qu'aucun texte ne l'interdit pour les fonds contractuels, la commission des sanctions n'a pas méconnu le principe de légalité des délits et des peines ni, par voie de conséquence, les principes du droit à un procès équitable ; que la commission des sanctions n'a pas entaché sa décision de contradiction de motifs en affirmant que le prélèvement de frais de gestion fixes avait préjudicié aux intérêts des mandants tout en reconnaissant que la société avait mis en place un système de restitution après provisionnement des frais de gestion variables ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que les avantages allégués, pour les mandants, de ce système de provisionnement des frais de gestion variables ait été de nature à justifier le dispositif mis en place s'agissant des frais de gestion fixes ; que la circonstance alléguée que la commission des sanctions aurait à tort qualifié d'artifice le dispositif de restitution des frais de gestion variables mis en place par la SOCIETE EDELWEISS GESTION est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de sa décision, dès lors qu'elle n'a pas sanctionné ce dispositif ;
Considérant, en deuxième lieu, que l'article R. 214-19 du code monétaire et financier impose que les OPCVM puissent à tout moment valoriser de manière précise et indépendante leurs éléments d'actif et de hors-bilan ; que la circonstance qu'aucune disposition n'interdit qu'un OPCVM investisse dans des titres non cotés est sans incidence sur la circonstance, relevée par la commission des sanctions, que l'importance des titres non cotés dans les actifs du fonds Edelweiss contractuel 7.6, combinée aux insuffisances du processus de détermination de la valeur effective du fonds, rendait très incertaine sa valorisation liquidative, en méconnaissance de ces dispositions ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que la commission des sanctions ait commis une erreur d'appréciation en retenant un tel manquement ;
Considérant, en troisième lieu, que les circonstances que les manquements de la société à ses obligations en matière de publicité, posées par les articles 322-64, 322-66 et 411-45 du règlement général, auprès des clients potentiels de certains fonds qu'elle gérait aient été circonscrits dans le temps et qu'elles n'aient eu, en l'espèce, que des conséquences limitées, sont sans incidence sur la matérialité de ces manquements ;
Considérant, en revanche, en quatrième lieu, qu'il résulte de l'instruction que les mandants dont les actifs ont été investis dans les fonds Edelweiss contractuel 7.6 et Edelweis contractuel 5 avaient signé des avenants à leurs mandats de gestion autorisant l'investissement dans des fonds contractuels ; que ces avenants étaient, lors de leur présentation aux mandants, assortis de prospectus les informant des risques qu'impliquait la détention de parts dans ces fonds contractuels ; que les mandants devaient, dans ces conditions, être regardés comme ayant, en signant les avenants en cause, consenti à assumer de tels risques ; que c'est ainsi au prix d'une erreur d'appréciation que la commission des sanctions a estimé que les investissements opérés en leur nom par la SOCIETE EDELWEISS GESTION n'étaient pas adaptés à leur situation et aux objectifs de gestion prudente qu'ils poursuivaient, en méconnaissance de l'article 322-63 du règlement général de l'AMF ;
En ce qui concerne les sanctions pécuniaires :
S'agissant de l'imputabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les statuts de la SOCIETE EDELWEISS GESTION dont M. A était directeur général à l'époque des faits désignaient ce dernier en qualité de personne chargée de sa direction effective au sens de l'article L. 532-9 du code monétaire et financier, aux termes duquel les sociétés de portefeuille doivent, pour être agréées, " (...) être dirigées effectivement par deux personnes au moins possédant l'honorabilité nécessaire et l'expérience adéquate à leur fonction, en vue de garantir sa gestion saine et prudente (...) " ; que M. A ne saurait, dans ces conditions, soutenir qu'en vertu des règles d'organisation de la société, les manquements sanctionnés aux articles R. 214-19 du code monétaire et financier ainsi qu'aux articles 322-63, 322-64, 322-66 et 411-45 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers relevaient du champ de compétence de M. B et, de ce fait, de la responsabilité exclusive de ce dernier ;
S'agissant du quantum :
Considérant qu'il appartient au juge administratif, saisi d'une requête dirigée contre une sanction pécuniaire prononcée par la commission des sanctions de l'AMF, de vérifier que son montant était, à la date à laquelle elle a été infligée, proportionné tant aux manquements commis qu'à la situation, notamment financière, de la personne sanctionnée ; que dans l'hypothèse où il est amené à réformer cette sanction, il lui appartient également, eu égard à son office de juge de plein contentieux, de tenir compte de la situation de la personne sanctionnée à la date où il statue pour apprécier si le montant de l'amende, qu'il substitue à celle prononcée par la commission des sanctions, n'est pas excessif au regard de cette situation ;
Quant aux sanctions infligées à MM. B et A :
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, le manquement tiré de la méconnaissance des objectifs des mandants ne pouvait être retenu à l'encontre de M. B et M. A ; qu'il y a lieu de minorer en conséquence les sanctions pécuniaires de 30 000 euros qui leur ont été infligées ; qu'il résulte de l'instruction que la gravité des autres manquements sanctionnés justifie l'infliction d'un blâme et d'une sanction de 25 000 euros, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elles emporteraient pour ces derniers des conséquences disproportionnées ;
Quant à la sanction infligée à la SOCIETE EDELWEISS GESTION :
Considérant que l'article 312-3 du règlement général de l'AMF dispose que " la société de gestion de portefeuille doit pouvoir justifier à tout moment d'un niveau de fonds propres au moins égal au plus élevé des deux montants mentionnés aux 1° et 2° ci-après :/ 1° 125 000 euros complété d'un montant égal à 0,02 % du montant de l'actif géré par la société de gestion de portefeuille excédant 250 millions d'euros./ (...) 2° Le quart des frais généraux annuels de l'exercice précédent. (...) " ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, le caractère non fondé de l'un des manquements retenus par la commission des sanctions à l'encontre de la société justifie que soit réformée en conséquence la sanction prononcée à son encontre ; qu'il résulte de l'instruction que la gravité des autres manquements sanctionnés justifie l'infliction d'une sanction pécuniaire de 250 000 euros ; qu'il résulte toutefois également de l'instruction, et notamment des situations comptables certifiées de la société versées au dossier par les requérants, qu'à la date de la présente décision, la situation financière de la société s'est dégradée dans des proportions telles que l'infliction d'une sanction pécuniaire d'un montant supérieur à 80 000 euros l'empêcherait de respecter le ratio prudentiel exigé par l'article 312-3 du règlement général de l'AMF et pourrait de ce fait conduire au retrait d'agrément de cette société et emporter des conséquences disproportionnées sur la situation de la société ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de ramener la sanction pécuniaire à un montant de 80 000 euros, dont il résulte de l'instruction qu'il est proportionné au regard des manquement commis comme de la situation financière de la SOCIETE EDELWEISS GESTION ;
En ce qui concerne la publication de la décision de sanction :
Considérant que le V de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version applicable, dispose que " La commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, à moins que cette publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause " ;
Considérant, d'une part, que les requérants ne sauraient soutenir que la publication d'une décision de sanction qui n'est pas devenue définitive méconnaît les stipulations des l'article 6-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aux termes duquel : " Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement admise ", dès lors que lorsqu'elle prononce la sanction complémentaire de publication de sa décision, l'Autorité des marchés financiers doit être regardée comme ayant légalement admis les manquements qui la fondent et que, dans l'hypothèse où la sanction serait ultérieurement jugée illégale, les personnes sanctionnées pourraient obtenir, outre son annulation, l'indemnisation du préjudice né de sa publication antérieurement à la décision d'annulation ;
Considérant, d'autre part, que la seule circonstance alléguée que la commission des sanctions aurait procédé à la publication de la décision de sanction litigieuse plus rapidement qu'à celle d'autres décisions de sanction est sans incidence sur la légalité de la sanction de publication ;
Considérant, enfin, qu'il ne résulte pas de l'instruction que la publication de la décision de sanction litigieuse ait causé aux requérants un préjudice disproportionné ; que la présente décision, qui réforme les sanctions pécuniaires infligées, implique toutefois que l'AMF en fasse mention sur son site internet ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui vient d'être dit que les requérants ne sont fondés à demander la réformation de la décision qu'ils attaquent qu'en tant qu'elle inflige à la SOCIETE EDELWEISS GESTION une sanction pécuniaire d'un montant supérieur à 80 000 euros et à MM. B et A une sanction pécuniaire d'un montant supérieur à 25 000 euros ; que doit, en revanche, être rejeté le surplus des conclusions à fin d'annulation et d'injonction ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a pas lieu de mettre à la charge des requérants une somme à verser à l'AMF au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les sanctions pécuniaires de 30 000 euros infligées à MM. B et A sont ramenées à 25 000 euros.
Article 2 : La sanction pécuniaire de 300 000 euros infligée à la SOCIETE EDELWEISS GESTION est ramenée à 80 000 euros.
Article 3 : La décision de la commission des sanctions du 26 février 2009 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Il est enjoint à l'Autorité des marchés financiers de mentionner la présente décision sur son site internet.
Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes et les conclusions de l'Autorité des marchés financiers tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SOCIÉTÉ EDELWEISS GESTION, à M. Christian B et à l'Autorité des marchés financiers.