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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 26 novembre 2008, n° 2007/14613

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ferox Capital Management Limited (Sté), GLG Partners LP (Sté), Meditor Capital Management (Sté)

Défendeur :

President de l'Autorité des Marches Financiers

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Mouillard

Avoués :

Me Teytaud, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Me Martel, Me Dezeuze, Me Lallemand, Me Benouville

CA Paris n° 2007/14613

25 novembre 2008

LA COUR,

Vu les recours formés :

1°) le 14 août 2007 par la société de droit anglais meditor capital management,

2°) le 21 août 2007 par la société de droit britannique glg partners lp,

3°) 21 août 2007 par la société de droit anglais ferox capital management limited,

En annulation, subsidiairement en réformation de la décision rendue le 7 juin 2007 par la Commission des Sanctions de l' Autorité des Marchés Financiers (ci-après : l'A.M.F) qui a prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires,

Vu l'exposé des moyens déposé au soutien de son recours le 4 septembre 2007 par ferox capital management,

Vu les observations de l'A.M.F., déposées le 19 février 2008,

Vu le mémoire en réponse aux observations de l'A.M.F. déposé le 2 avril 2008 par glg partners,

Vu le mémoire en réponse aux observations de l'A.M.F. déposé le 2 avril 2008 par ferox capital management,

Vu les observations en réplique déposées le 2 avril 2008 par meditor capital management,

Vu les observations du ministère public, du 20 octobre 2008, mises à la disposition des parties avant l'audience,

Les requérantes et leurs conseils, qui ont pu prendre la parole en dernier, le représentant de l'A.M.F. et le ministère public entendus en leurs observations orales,

* *

SUR QUOI,

Considérant que la société vivendi universal, (ci-après : vivendi), société anonyme dont les actions sont admises aux négociations sur le compartiment A de l'Eurolist d'EURONEXT Paris, a annoncé, le 14 novembre 2002 à 12h11, le lancement d'une émission d'obligations remboursables en actions (ci-après : ora) pour un montant maximal de 1 milliard d'euros ; que le placement auprès des investisseurs institutionnels a été précédé, la veille de l'annonce de l'opération, d'un pré-sondage effectué par deutsche bank, qui intervenait comme coordinateur global et chef de file teneur de livre, lequel a été suivi d'un sondage formel impliquant la transmission d'informations privilégiées à la personne sondée et l'obligation subséquente, pour cette dernière, de s'abstenir de toute intervention sur le titre tant que l'information n'était pas publique ; que, dans ce contexte, une enquête a été ouverte le 17 décembre 2002 sur « le marché du titre vivendi universal et de tout produit financier qui lui est attaché, à compter du 1er septembre 2002 » à l'issue de laquelle des griefs ont été notifiés notamment aux sociétés britanniques meditor capital management, glg partners et ferox capital management ; qu'il était reproché à ces sociétés, en synthèse, l'exploitation de l'information privilégiée qui leur avait été transmise par deutsche bank à l'occasion du sondage de marché préalable à l'émission des ora vivendi ; que la commission des sanctions, par la décision frappée des présents recours, ayant retenu que, dans la journée du 13 novembre et la matinée du 14 novembre 2002, soit pendant les heures qui ont immédiatement précédé l'annonce officielle de l'émission, les sociétés mises en cause avaient procédé sur le marché de l'action vivendi à des opérations sur des montants très importants et très sensiblement supérieurs à ceux des jours précédents et qu'aucune explication n'était donnée de cette concentration d'opérations, a prononcé, à l'égard de chacune des sociétés meditor capital management et de glg partners, une sanction de 1,5 million d'euros et, à l'égard de ferox capital management, une sanction de 1 million d'euros ;

1. Sur la procédure :

1.1. Sur la compétence :

Considérant que meditor capital management et glg partners exposent que les  articles L.621-30 et R.621-45 du code monétaire et financier, en ce qu'ils répartissent entre le Conseil d'État et la cour d'appel de Paris la connaissance des recours formés contre les décisions de portée individuelle de l'A.M.F. par référence à l'article L.621-9 du même code, ne permettent pas de déterminer la juridiction compétente pour statuer sur leurs recours et indiquent avoir en conséquence simultanément saisi les deux juridictions ; que ferox capital management conteste inutilement la compétence de la cour pour sanctionner une éventuelle carence de son organisation interne puisque tel n'est pas l'objet de la procédure suivie à son encontre ;

Considérant que les parties ne prétendent pas formellement que la cour, qu'elles ont jugé à propos de saisir, serait incompétente ; que l'A.M.F. s'abstient de prendre position ; que la cour n'est saisie d'aucune exception d'incompétence ;

Considérant qu'il résulte de la combinaison des  articles L.621-30 et R.621-45 du code monétaire et financier que les recours formés contre les décisions individuelles de l'A.M.F. sont portés devant la cour d'appel de Paris sauf quand les décisions attaquées sont relatives aux agréments ou aux sanctions concernant les personnes et entités mentionnées au II de l'article L.621-9, les recours étant alors portés devant le Conseil d'État ;

Considérant que ces textes établissent la compétence de principe du juge judiciaire, celle du Conseil d'État se trouvant limitée par l'article L.621-9, II, 1° à 15°, du code monétaire et financier, qui énumère les entités ou personnes sujettes à la surveillance de l'A.M.F. quant aux respect des règles professionnelles auxquelles elles sont astreintes en vertu des dispositions législatives et réglementaires ;

Considérant que les sociétés requérantes ne sont pas des prestataires de services d'investissement agréés en France et n'y exercent pas leur activité au sens du 1° de ce texte ; qu'elles ne sont pas davantage assimilables aux personnes, organismes ou entités visées du 2° au 15° de ce même article ; que l'A.M.F. n'a donc pas la mission de veiller au respect de leurs obligations professionnelles ; qu'il n'est d'ailleurs pas contesté que cette mission est assurée, à leur égard, par l'autorité de régulation britannique ;

Considérant qu'il n'y a donc pas lieu, appliquant l'article 92 du code de procédure civile, de prononcer d'office l'incompétence ;

1.2. Sur le moyen de nullité tiré par meditor capital management des conditions de l'enquête :

Considérant que meditor capital management soutient que, du fait de la durée excessive de l'enquête, certains éléments de preuve, tels que les enregistrements de conversations téléphoniques, ont été perdus et que les souvenirs des personnes entendues n'étaient plus suffisamment précis, de sorte que les enquêteurs auraient, selon elle, procédé par « par conjectures, spéculations et présentation tendancieuse et erronée des faits, conduisant une enquête exclusivement à charge et ignorant systématiquement les éléments contrariant leur argumentation » ; qu'elle a donc été privée d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais considérant que la durée excessive d'une procédure n'en justifie l'annulation que lorsqu'il est établi concrètement qu'elle a fait obstacle à l'exercice normal des droits de la défense ;

Qu'en l'espèce, loin d'être excessive, la durée de l'enquête, soit moins de deux ans (du 17 décembre 2002, date de l'ouverture, au 8 novembre 2004, date du rapport d'enquête) était justifiée par le caractère complexe de l'affaire qui a nécessité une coopération internationale délicate ; que meditor capital management ne démontre pas que la déperdition ou l'altération alléguée des éléments de preuve l'aurait mise dans l'impossibilité d'en discuter la suffisance ou la force probante dans le cadre du débat contradictoire ; que ce premier moyen de nullité sera écarté ;

1.3. Sur le moyen de nullité tiré par meditor capital management de ce que le rapport du rapporteur aurait été établi uniquement à charge et sur le fondement d'une présomption de culpabilité :

Considérant que meditor capital management reproche au rapporteur d'avoir négligé d'examiner les raisons qu'elle avait données pour expliquer la vente des titres litigieux, d'avoir postulé qu'une société de gestion « hedge funds » telle qu'elle se définit avait nécessairement accès à des informations privilégiées et d'avoir, en synthèse, méconnu les principes d'administration de la preuve et d'objectivité ainsi que la présomption d'innocence qui imposent d'instruire à charge et à décharge ;

Mais considérant que le rapport du rapporteur n'est qu'un des éléments du dossier sur lesquels se prononce la commission des sanctions ; que la requérante ne conteste pas que, devant la formation saisie, elle a pu présenter sa défense dans les conditions prévues par l'article R.621-40, II, du code monétaire et financier ; que le moyen est inopérant ;

1.4. Sur le moyen de nullité tiré par meditor capital management d'une présomption de culpabilité :

Considérant que meditor capital management estime que la commission des sanctions a abaissé le seuil probatoire en adoptant le mode de preuve du faisceau d'indices et ainsi méconnu tous les principes essentiels du droit à un procès équitable ;

Mais considérant que les sociétés requérantes ont été mises en mesure, devant la commission des sanctions comme devant la cour, dans le cadre du débat contradictoire, de contester la réalité des indices retenus et d'en discuter la force probante, pris individuellement ou réunis en faisceau ; qu'en l'absence de toute atteinte aux droits de la défense le moyen sera écarté ;

1.5. Sur le moyen de nullité tiré par glg partners du défaut de motivation :

Considérant que glg partners reproche à la décision attaquée, d'une part, de n'avoir repris aucun des faits visés dans la notification de griefs, notamment de n'avoir pas indiqué la ou les personnes qui aurai(en)t détenu, transmis et utilisé l'information privilégiée, la date et l'heure auxquelles elle aurait été communiquée et les interventions qui auraient été déterminées par la détention de celle-ci, d'autre part, de n'avoir pas énoncé l'article du règlement général de l'A.M.F. sur lequel elle s'est fondée pour considérer que le manquement d'initié était constitué, l'empêchant ainsi d'en vérifier le bien fondé ou d'en contrôler la légalité ;

Mais considérant que la décision, rendue au visa des articles 611-1, 621-1, 622-1 et 622-2 du règlement général de l'A.M.F., analyse les textes applicables, spécialement ceux relatifs à l'information privilégiée et à son utilisation (II, dernier alinéa et § 4.2.1.), et mentionne les circonstances sur lesquelles elle se fonde pour retenir que glg partners a reçu une information privilégiée et l'a exploitée (§ 4.5.) ; qu'elle contient donc l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles elle est fondée et qui permettent à la juridiction de recours d'en contrôler la légalité ; que, l'exigence de motivation étant ainsi satisfaite, le moyen sera rejeté ;

2. Sur le fond :

2.1. Sur l'information privilégiée :

Considérant que l'article 621-1 du règlement général de l'A.M.F. définit l'information privilégiée comme « une information précise qui n'a pas été rendue publique et qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers ou un ou plusieurs instruments financiers et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers qui leur sont liés ;

Considérant que l'A.M.F., dans la décision attaquée, a démontré en quoi l'annonce de l'émission de titres donnant accès au capital d'une société était par nature susceptible, par la dilution du capital qui doit en résulter, d'avoir une influence sensible sur le cours des titres déjà émis ;

Que cette démonstration s'est vérifiée en l'espèce où l'annonce, le 14 novembre à 12 heures 11, de l'émission d'ora vivendi qui emportait une dilution potentielle de 7 % du capital, s'est traduite dans les minutes qui ont suivi par une chute de 7,23 % du cours de l'action vivendi, et ce dans un contexte où, avant l'annonce, ce titre était en progression et où l'indice cac gagnait à la même heure 2,24 % ;

Que l' annonce publique d'un tel l'événement lui confère un caractère de certitude et entraîne des effets immédiats, ce qui la distingue des rumeurs antérieures, aussi précises ou fondées fussent-elles ;

Considérant qu'il en résulte que les personnes qui ont connu, avant qu'elle ne soit rendue publique dans les conditions de temps ci-dessus rappelées, le contenu de l'annonce relative à l'émission d'ora vivendi, ont été détentrices d'une information privilégiée au sens de l'article 621-1 du règlement général de l'A.M.F. et dès lors soumises à l'obligation d'abstention édictée par l'article 622-1 du même règlement selon lequel « toute personne mentionnée à l'article 622-2 doit s'abstenir d'utiliser l'information privilégiée qu'elle détient en acquérant ou en cédant, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, soit directement ou indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés » ;

2.2. Sur le manquement d'initié imputé à meditor capital management :

Considérant qu'il est constant que, dans la matinée du 13 novembre 2002, meditor capital management a vendu 3.230.000 titres vivendi en plusieurs ordres successifs passés à 8 heures 11 (170.000 actions), 8 heures 30 (775.000), 9 heures 18 (160.000), 9 heures 24 (100.000), 9 heures 33 (100.000), 9 heures 38 (150.000), 9 heures 54 (25.000) et 10 heures 6 (1.750.000) ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que meditor capital management a eu connaissance de l'émission d'ora vivendi avant son annonce publique ; qu'il y a lieu, en conséquence, de rechercher si elle détenait cette information privilégiée quand elle a passé les ordres susvisés ;

Considérant qu'il est établi par les éléments du dossier que le vendeur de deutsche bank (M. Mac Innes) a été en relation téléphonique à trois reprises avec le dirigeant de meditor capital management dans l'intervalle de temps où les ordres litigieux ont été passés, soit à 8 heures 20 (durée de la communication : 1 minute 5 secondes), 8 heures 22 (32 secondes) et 9 heures 47 (25 secondes) ; qu'il ressort de l'enquête que, chargé au début de la matinée de procéder à des sondages portant uniquement sur l'intérêt du marché pour le titre vivendi et progressivement  informé par la suite du détail de l'émission d'ora, M. Mac Innes était initié à 9 heures 50, et l'était même juste avant l'appel de 9 heures 47 ;

Considérant que ces appels, passés depuis le téléphone mobile de M. Mac Innes alors que celui-ci se trouvait à son bureau, ont été soustraits à l'obligation d'enregistrement ;

Considérant qu'il est symptomatique que la plus grosse partie des ventes, portant sur 25.000 + 1.750.000 = 1.775.000 actions, soit 54,95 % du total vendu au cours des deux heures précédentes, a été décidée en deux ordres passés précisément après l'appel téléphonique de 9 heures 47 où il est établi que le correspondant de la deutsche bank était lui même initié ;

Considérant que le total des ventes de titres vivendi effectuées dans la matinée du 13 novembre 2002 par meditor capital management présente un caractère remarquable dans la mesure où, d'une part, concentrées sur une brève durée de deux heures, elles représentaient 38 millions d'euros, correspondant à une part significative du marché de ce titre, soit le double de la plus grosse transaction réalisée au cours d'une même journée par cette société, étant d'autre part observé que la requérante n'avait effectué aucune opération sur ce titre depuis le 31 octobre 2002 ;

Considérant, enfin, que le fait qu'un courriel envoyé le 13 novembre 2002 à 11 heures 26 (heure de Londres) par un préposé de deutsche bank indique que « meditor » a été mise « dans la confidence », c'est-à dire initiée, et que le nom de la société meditor capital management figurait sur le tableau des investisseurs sondés achèvent de constituer le faisceau d'indices concordants qui établit que les ventes litigieuses ont été effectuées, au moins en partie, alors que meditor capital management était en possession de l'information privilégiée et soumise à l'obligation d'abstention ;

Considérant que, pour expliquer les divers signes qui, pris ensemble, donnent toute sa singularité à cette accumulation massive de ventes dans les heures qui ont précédé l'annonce de l'émission d'ora, meditor capital management invoque les informations et rumeurs exploitées par ses analystes, l'évolution du cours du titre et sa propre situation au regard de ce même titre au jour de l'opération qui lui est reprochée ;

Qu'elle expose notamment que le titre vivendi présentait en 2002 des caractères de liquidité et de volatilité et un intérêt toujours renouvelé de la part des investisseurs qui le désignaient comme pouvant faire l'objet de transactions à court terme ; que vivendi se trouvait au second semestre 2002 dans une situation difficile, ayant à affronter une crise de liquidité, un niveau d'endettement très élevé et la difficulté d'obtenir du crédit ; qu'elle devait pourtant trouver de nouvelles ressources pour exercer son droit de préemption, qui expirait le 26 novembre 2002, sur la participation de british telecom dans cegetel à laquelle s'intéressait vodafone ;

Que meditor capital management évoque en outre l'accélération des informations publiées à ce sujet dans la presse entre le 6 et le 12 novembre 2002 ; qu'il résulte d'ailleurs des auditions de l'enquête, spécialement des auditions du directeur financier de vivendi et de celle d'un directeur de jp morgan, confirmées par l'analyse effectuée par deutsche bank après l'opération, et rappelées par la requérante, que des rumeurs à propos d'une prochaine émission d'ora par vivendi ont circulé dès le 12 ou 13 novembre ;

Considérant que meditor capital management explique encore que l'une des motivations de sa décision de vendre à découvert des titres vivendi universal était qu'elle lui permettait de couvrir efficacement le risque de sa position longue sur vivendi environnement, de 30 millions d'euros, qu'elle avait prise le 8 novembre précédent alors que, dans la mesure où vivendi environnement était une filiale importante de vivendi universal, toute baisse du titre de la filiale entraînerait a priori une baisse du titre de la société-mère ;

Considérant que meditor capital management observe enfin que, le 12 novembre 2002, le cours du titre vivendi avait connu une chute de 8,7 %, passant de 13,73 euros à 12,53 euros ;

Mais considérant que ces informations qui, pour l'essentiel, étaient connues du marché avant le 13 novembre, en tout cas le 12, n'ont pas déterminé meditor capital management à procéder à des ventes massives de titre vivendi avant d'avoir été en contact avec la banque chargée du placement des ora dans les conditions précédemment décrites ; que les raisons avancées par meditor capital management pour expliquer ses ordres sur le titre vivendi passés dans la matinée du 13 novembre 2002 ne sont pas de nature à retirer sa force probante au faisceau d'indices concordants précédemment décrit qui donne l'exploitation de l'information privilégiée comme le motif déterminant de ces opérations ; que le manquement est ainsi caractérisé ;

2.3. Sur le manquement d'initié imputé à glg partners :

Considérant que la décision attaquée retient à la charge de glg partners la vente de 2.040.000 titres vivendi entre le 13 et le 14 novembre 2002, avant l'annonce publique de l'émission des ora, ne pouvant s'expliquer que par l'exploitation d'une information privilégiée ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que M. Lagrange, qui dirige l'équipe « European Strategies » de glg partners, a été en communication téléphonique le 13 novembre 2002 à 8 heures 10 (heure de Londres) pendant plus de huit minutes avec M. Keller, responsable mondial des marchés des capitaux de deutsche bank et principal contact de vivendi pour les opérations de marchés de capitaux et l'un des responsables de l'opération, lequel n'a pas démenti qu'il était, à cette heure-là, au fait des détails de l'émission d'ora qui serait annoncée le lendemain  ; que, compte tenu de la qualité de M. Keller, du moment de l'appel par rapport à celui où l'émission d'ora allait être annoncée et de sa durée, il y a lieu de conclure à la communication de l'information privilégiée au moment de cet entretien ; que ni le fait que le contenu de la conversation, tenue entre téléphones mobiles, n'ait pas été conservé et ne puisse être reconstitué, ni la circonstance que M. Lagrange ait déclaré ne pas se souvenir de cet appel et que M. Keller ait affirmé qu'il n'avait pas alors transmis d'information privilégiée ne suffisent à réfuter cette conclusion ;

Considérant que ce premier indice est renforcé par la déclaration de M. Maslen, responsable de l'équipe « trading » pour l'Europe de deutsche bank, qui a indiqué aux enquêteurs de la Financial Services Authority (fsa), à propos d'une conversation téléphonique qu'il avait eue avec M. Van Dam, trader de glg partners, le 13 novembre 2002 à 9 heures 52 (heure de Londres) que ce dernier « était au courant des détails de la transaction, en gros » ;

Considérant que M. Miller, employé de deutsche bank à Londres, a envoyé à certains de ses collègues le 13 novembre 2002 à 19 heures 46 un courriel indiquant que glg partners avait été informée de l'opération ; que la requérante soutient que les messages émis ce jour-là par M. Miller contiennent, quant aux personnes initiées et au moment de leur initiation, des lacunes et des inexactitudes ; qu'il n'est toutefois pas démontré que la mention relative à l'initiation de glg partners serait inexacte ; que, même en l'absence de précision de l'heure, elle va dans le sens d'une initiation de glg partners le 13 novembre 2002 avant 19 heures 46 ;

Considérant encore que le tableau des investisseurs contactés dans le cadre du sondage de marché établi par deutsche bank indique que « Pierre Lagrange » aurait été « formally wall-crossed » par « Hubert » Keller, responsable de l'équipe ecm de deutsche bank ayant participé à la préparation de l'opération ; que, certes, ainsi qu'il a été précédemment indiqué, le tableau est incomplet en ce qu'il n'est pas daté et surtout ne mentionne ni la date ni l'heure auxquelles les personnes sondées ont été contactées ; que, cependant, le fait qu'il comporte des lacunes ou des inexactitudes ne conduit pas à cette conclusion que les mentions qu'il contient seraient nécessairement controuvées ;

Considérant enfin que l'A.M.F. souligne que, à l'occasion de l'émission d' ora, glg partners a bénéficié d'une excellente allocation dans le cadre de la construction du livre d'ordres d'actions, ayant reçu 1.800.000 titres pour 2.397.619 demandés, alors que la demande des investisseurs non sondés n'a été servie qu'à hauteur de 22,8%;

Considérant que glg partners fait valoir que les positions prises par deux des fonds dont elle assure la gestion, en l'espèce « glg European Opportunity Fund »et « glg European Long/Short Fund » sur le marché du titre vivendi les 13 et 14 novembre 2002 étaient parfaitement conformes à leur pratique habituelle tant par leur fréquence que par leur montant, ne peuvent être qualifiées comme étant d'une ampleur exceptionnelle et ne peuvent dès lors constituer une preuve de la détention par glg partners d'une information privilégiée ; qu'elle ne démontre pas pour autant qu'elle avait, aux dates précises des opérations litigieuses, une autre raison de les effectuer que l'exploitation d'une information privilégiée ;

Considérant que c'est dès lors par une exacte appréciation de la force probante qui résulte de ce faisceau d'indices convergents constitué par l'ensemble des éléments précédemment examinés que l'A.M.F. a conclu que le manquement imputé à glg partners était caractérisé à son encontre ;

2.4. Sur le manquement d'initié imputé à ferox capital management :

Considérant que ferox capital management soutient qu'elle a respecté son obligation d'abstention dès lors que celui de ses préposés qui a reçu l'information privilégiée ne l'a pas lui-même exploitée et que celui qui a passé l'ordre de vente n'avait pas lui-même été initié ;

Mais considérant qu'il est constant que ferox capital management, en la personne de l'un de ses directeurs M. Mathews, a été initiée au projet d'émission d'ora vivendi par un vendeur de la deutsche bank à Londres le 13 novembre 2002 à 10 heures 23 ; que c'est dès lors sur cette société, et non sur M. Mathews personnellement que pesait l'obligation d'abstention ; qu'il ressort de l'enquête que ferox capital management, agissant par un autre de ses directeurs, M. Herrmann, a vendu 992.000 actions vivendi le 14 novembre 2002 avant l'annonce publique de l'émission d'ora ; qu'il en résulte que c'est bien ferox capital management qui a enfreint l'obligation d'abstention qui pesait sur elle, de sorte que le manquement d'initié est caractérisé à son encontre ;

Considérant, surabondamment, que les explications de ferox capital management concernant son système de sécurité interne et le rôle de son consultant en déontologie ne suffisent pas à rendre plausible l'absence de communication entre M. Mathews et M. Herrmann au sujet de l'opération en cause dès lors qu'il est établi par les éléments de l'enquête, notamment des auditions de M. Mathews devant le fsa, que ces deux personnes travaillaient ensemble chez jp morgan, étaient ensemble chargés des convertibles pour ferox capital management, parlaient généralement entre elles des décisions d'investissement et travaillaient dans la même pièce autour de la même table, M. Mathews ayant en outre spécialement précisé qu'il avait instruit de l'affaire un troisième directeur et qu'il s'était entretenu avec M. Herrmann pour lui indiquer que deutsche bank lui avait demandé s'il voulait être mis dans la confidence au sujet de « ces remboursables vivendi dont tout le monde parle » ; qu'il en résulte, à tout le moins, que M. Herrmann savait que son collègue avait été contacté par deutsche bank au sujet de l'imminence d'une émission d'obligations remboursables en actions par vivendi ;

3. Sur les sanctions :

Considérant que, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2002 au 2 août 2003, applicable aux faits de l'espèce, l'article L.621-15 du code monétaire et financier dispose :

« A l'encontre des auteurs des pratiques visées à l'article L.621-14, la Commission des opérations de bourse peut, après une procédure contradictoire, prononcer les sanctions suivantes :

1. une sanction pécuniaire qui ne peut excéder 1.500.000 euros.

2. ou, lorsque des profits ont été réalisés, une sanction pécuniaire qui ne peut excéder le décuple de leur montant.

Le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages et les profits tirés de ces manquements.

[...]

La commission des opérations de bourse peut également ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'elle désigne.» ;

Considérant que les pratiques visées à l'article L.621-14 auquel renvoie le texte ci-dessus reproduit sont notamment celles qui ont pour effet de fausser le fonctionnement du marché, de procurer aux intéressés un avantage injustifié qu'ils n'auraient pas obtenu dans le cadre normal du marché, de porter atteinte à l'égalité d'information et de traitement des investisseurs ou à leurs intérêts ;

Considérant qu'aucune des sociétés requérantes ne soutient que les faits qui leur sont reprochés seraient étrangers aux prévisions de l'article L.621-14 ;

Considérant que glg partners et ferox capital management critiquent la décision attaquée en ce qu'elle ne respecte pas le principe de proportionnalité en ne précisant pas les raisons pour lesquelles les faits prétendument commis par elles pourraient être qualifiés, au cas d'espèce, de graves, et ne comporte aucune indication chiffrée sur l'hypothétique profit qu'elle aurait pu tirer de l'opération litigieuse ;

Mais considérant que l'A.M.F. a rappelé à juste titre la gravité de principe des manquements d'initié et souligné la particulière gravité des faits de l'espèce en raison de l'importance des sommes en jeu ; qu'il résulte par ailleurs de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier précité que le pouvoir de sanction n'est pas conditionné par l'existence d'un profit, d'où il résulte que, en l'absence de profit ou avantage spécialement démontré, l'exigence d'une relation entre le montant de la sanction pécuniaire et de tels profits ou avantages est sans objet ; que le moyen sera écarté ;

Considérant que ferox capital management reproche en outre à la décision attaquée d'avoir retenu, pour limiter la sanction prononcée à son encontre, que le manquement, en ce qui la concerne, « résulte d'une carence de l'organisation interne et non d'une volonté consciente et délibérée » alors que l'A.M.F. n'est pas compétente pour sanctionner un tel dysfonctionnement, lequel, à le supposer démontré, relèverait du seul contrôle de l'autorité de régulation britannique ;

Mais considérant que le motif critiqué ne fait pas grief à ferox capital management puisqu'il n'est au contraire mentionné que pour justifier une modération de la sanction ; que le moyen n'est donc pas pertinent ;

Considérant, en définitive, que l'A.M.F. a fait une juste appréciation du montant des sanctions ; que les recours seront rejetés ;

* *

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les recours,

CONDAMNE les sociétés requérantes aux dépens,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.