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Décisions

CE, 6e et 1re sous-sect. réunies, 18 février 2011, n° 321056

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. de Casanova

Rapporteur :

Mme Bretonneau

Rapporteur public :

M. Guyomar Mattias

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP de Chaisemartin, Courjon

CE n° 321056

17 février 2011

Vu la requête, enregistrée le 26 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Jean-Sebastien A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision du 26 juin 2008 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des Marchés Financiers lui a infligé une sanction pécuniaire de 200 000 euros et en a ordonné la publication au bulletin des annonces légales obligatoires ainsi que sur le site internet et dans la revue mensuelle de l'Autorité des marchés financiers ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code monétaire et financier ;

Vu le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;

Vu la décision du 16 juillet 2010 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Aurélie Bretonneau, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. A et de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de l'Autorité des marchés financiers,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. A et à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;

 


Considérant qu'aux termes de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige : (...) II. La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes : (...) b) Les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article L. 621-9 au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers en vigueur ; / (...) III. Les sanctions applicables sont : / (...) b) Pour les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° du II de l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou définitif de la carte professionnelle, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des activités ; la commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés en cas de pratiques mentionnées aux c et d du II ou à 300 000 euros ou au quintuple des profits éventuellement réalisés dans les autres cas (...) ;

Considérant que, par la décision que M. A attaque, la commission des sanctions a infligé à ce dernier, associé gérant de la société Trusteam Finance, une sanction pécuniaire de 200 000 euros pour avoir utilisé une information privilégiée relative à l'état des stocks et ventes à perte réalisées sur un équipement par la société HF Company, en vendant massivement et de façon inhabituelle, pour le compte d'une société qui les détenait, des titres HF Company avant que soit annoncée la perte exceptionnelle résultant de cette situation ; qu'elle a également décidé que sa décision serait publiée au Bulletin des annonces légales obligatoires ainsi que sur le site internet et dans la revue mensuelle de l'Autorité des marchés financiers ;

Sur les conclusions dirigées contre la sanction pécuniaire de 200 000 euros :

En ce qui concerne les manquements reprochés au requérant :

Considérant qu'en vertu de l'article 622-1 du Règlement général de l'Autorité des marchés financiers : Toute personne mentionnée à l'article 622-2 doit s'abstenir d'utiliser l'information privilégiée qu'elle détient en acquérant ou en cédant, ou en tentant d'acquérir ou de céder, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés ; que l'article 622-2 précise que : Les obligations d'abstention prévues à l'article 622-1 s'appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de : / 1° Sa qualité de membre des organes d'administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l'émetteur ; / 2° Sa participation dans le capital de l'émetteur ; / 3° Son accès à l'information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa participation à la préparation et à l'exécution d'une opération financière (...) / Ces obligations d'abstention s'appliquent également à toute autre personne détenant une information privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu'il s'agit d'une information privilégiée. ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'un représentant de la société Trusteam Finance a, le 27 juin 2006, participé à une réunion, organisée dans les locaux de la banque HSBC, au cours de laquelle ont été révélées des informations relatives aux difficultés financières de la société HF Company ; que M. A a, le même jour, après avoir reçu deux appels téléphoniques de sa collaboratrice présente à cette réunion, émis pour le compte d'OPCVM gérés par sa société un ordre de vente dit soignant , c'est-à-dire laissant à l'intermédiaire le choix du moment de l'exécution de l'ordre de vente, portant sur 20 000 titres HF Company ;

Considérant, d'une part, que si M. A soutient que les informations délivrées lors de la réunion du 27 juin 2006 ne sauraient revêtir un caractère d'information privilégiée, dès lors que les difficultés financières d'HF Company étaient déjà connues du marché, il résulte de l'instruction que ces informations, dont il n'est pas contesté qu'elles étaient précises et de nature à influencer le cours du titre en cause, relatives aux résultats du premier semestre 2006, revêtaient un caractère non public jusqu'à la date de la publication, le 3 juillet 2006, d'un communiqué de presse les révélant ; qu'il résulte également de l'instruction que M. A aurait, en tout état de cause, dû savoir que l'information qu'il détenait avait le caractère d'une information privilégiée lorsqu'il a passé l'ordre de vente portant sur 20 000 titres HF Company, alors même que ce n'est que postérieurement à cet ordre qu'un appel téléphonique d'un responsable de la banque HSBC lui a rappelé le caractère non public des informations délivrées ; qu'il en résulte que les moyens tirés de ce que la commission des sanctions se serait fondée sur des faits matériellement inexacts pour estimer que M. A était détenteur d'une information privilégiée au moment où il a passé l'ordre de vente doivent être écartés ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction qu'en déduisant de la chronologie des faits que M. A avait, en passant l'ordre de vente litigieux, fait un usage prohibé de l'information privilégiée qu'il détenait, la commission des sanctions, qui n'a en tout état de cause pas entendu faire peser sur l'intéressé une présomption irréfragable de manquement, ne s'est pas fondée sur des faits matériellement inexacts et n'a pas commis d'erreur de droit ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. A a, le 3 juillet 2006, indiqué à un intermédiaire son intention ferme de vendre 35 000 actions HF Company à un cours de 31,94 euros, alors qu'il détenait à cette date une information privilégiée se rapportant à ce titre ; que la circonstance que le tribunal de grande instance de Paris statuant en matière correctionnelle ait, par un jugement du 2 décembre 2009, prononcé la relaxe de M. A au titre de ses agissements du 3 juillet 2006, au motif que la preuve formelle de l'utilisation de l'information privilégiée n'était pas apportée, ne faisait pas obstacle à ce que la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers le sanctionne à raison de ces mêmes faits, dès lors qu'elle les estimait, au vu des éléments dont elle disposait, suffisamment établis ; que si M. A, après avoir appris qu'un communiqué de presse rendrait publiques les informations révélées à la réunion du 27 juin 2006, a demandé à l'intermédiaire de différer la vente auprès de l'acheteur, afin qu'elle ne se réalise qu'après la publication du communiqué, cette circonstance est sans incidence sur le fait qu'il avait, avant cette publication, tenté de céder des titres auxquels se rapportait l'information privilégiée qu'il détenait ; qu'ainsi et contrairement à ce qui est soutenu, la commission des sanctions a pu, à bon droit, estimer que M. A avait, en intervenant sur le marché du titre HF Company avant la publication du communiqué de presse du 3 juillet 2006, fait un usage prohibé de l'information privilégiée qu'il détenait sur ce titre ;

En ce qui concerne le montant de la sanction :

Considérant qu'il résulte du III de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, que le montant de la sanction pécuniaire qui, ainsi qu'il a été dit plus haut, ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés, doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquement ; que, contrairement à ce qui est soutenu, la commission des sanctions n'a pas fixé le montant de la sanction en fonction du montant des pertes évitées par la société Trusteam Finance ; que le moyen tiré de ce qu'elle aurait déterminé le quantum de la sanction en fonction d'un critère dont elle ne pouvait tenir compte, et entaché au surplus d'une erreur matérielle, doit dès lors être écarté ; que la commission a pu légalement prendre en compte, pour déterminer le montant de la sanction pécuniaire, la situation financière de M. A ; qu'il résulte enfin de la nature et de la gravité des manquements sanctionnés que la sanction pécuniaire de 200 000 euros infligée à M. A n'a pas revêtu, dans les circonstances de l'espèce, un caractère disproportionné ;

Sur les conclusions dirigées contre la sanction de publication :

Considérant, en premier lieu, que si la décision par laquelle la commission des sanctions rend publique la sanction prononcée a le caractère d'une sanction complémentaire, elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation spécifique, distincte de la motivation d'ensemble de la sanction principale ; que cette motivation d'ensemble ne saurait être regardée, en l'espèce, comme insuffisante ;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que la décision contestée, qui mentionne exactement que M. A a vendu des actions pour le compte de FCP et de SICAV gérés par sa société, indique ensuite à tort que cette société aurait ainsi évité des pertes pouvant atteindre 464 000 euros, alors que ce montant se réfère en réalité aux pertes potentielles des OPCVM gérés par la société ; que M. A est, par suite, fondé à demander la rectification de cette erreur matérielle ; qu'en pareille hypothèse et dans les cas où la décision attaquée a déjà fait l'objet d'une publication, il appartient à l'Autorité des marchés financiers de prévoir la publication de la décision du Conseil d'Etat réformant la décision en tant qu'elle comporte une telle erreur matérielle, dans les mêmes conditions que la décision attaquée ; que pour le reste, compte tenu de la gravité des manquements en cause et de l'intérêt qui s'attache au bon fonctionnement du marché, à la transparence des opérations et à la protection des investisseurs, la sanction de publication ne méconnaît pas le principe de proportionnalité rappelé au V de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est fondé à demander la réformation de la décision attaquée qu'en tant qu'elle comporte l'erreur matérielle relevée ci-dessus ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A le versement à l'Autorité des marchés financiers de la somme de 1 500 euros au titre des faits exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 26 juin 2008 est réformée, en tant qu'elle comporte l'erreur matérielle mentionnée dans les motifs de la présente décision.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : M. A versera à l'Autorité des marchés financiers une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Sebastien A et à l'Autorité des marchés financiers.