CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 21 novembre 2019, n° 18/16992
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
L'Autorité des Marchés Financiers
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mollard
Conseillers :
Mme Schmidt, Mme Maîtrepierre
FAITS ET PROCÉDURE
1.M. Gaboleiro S. M., de nationalité portugaise et résidant au Portugal, s'est livré, à partir de l'année 2007, à une activité de négociation, principalement sur Euronext, en émettant ses ordres par l'intermédiaire des plateformes électroniques de deux banques portugaises. Cette activité a été exercée quotidiennement et pour son propre compte.
2.Des interventions inhabituelles de l'une des banques portugaises ayant été détectées sur de nombreux titres français côtés sur Euronext Paris, le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (ci-après l’« AMF ») a décidé, le 19 février 2015, d'ouvrir une enquête portant sur le marché de trente et un titres.
3.Le 22 juin 2016, la direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF a adressé à M. Gaboleiro S. M. une lettre l'informant de manière circonstanciée des faits éventuellement susceptibles de lui être reprochés au regard des constats des enquêteurs et l'invitant à présenter ses observations, ce qu'il a effectué par courrier du 7 août 2016.
4.A la suite du dépôt du rapport d'enquête, en date du 24 octobre 2016, une commission spécialisée du collège de l'AMF a décidé, le 3 novembre 2016, de lui notifier des griefs. M. Gaboleiro S. M. a accusé réception, le 14 février 2017, de la notification des griefs, sans déposer d'observations en réponse. Il lui a été reproché d'avoir, entre le 11 novembre 2013 et le 29 septembre 2015, manqué à son obligation de s'abstenir de procéder à une manipulation de cours sur les titres ayant fait l'objet de l'enquête, en violation des articles 631-1 et 631-2 du règlement général de l'AMF.
5.Le rapporteur désigné par la présidente de la Commission des sanctions de l'AMF a déposé son rapport le 20 février 2018. M. Gaboleiro S. M. n'a pas déposé d'observations en réponse à ce rapport, mais a exposé, le 5 avril 2018, ses moyens de défense en vue de la séance de la Commission des sanctions qui s'est tenue le lendemain.
6.Par décision n° 3 du 2 mai 2018 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission des sanctions de l'AMF a :
' prononcé à l'encontre de M. Gaboleiro S. M. une sanction pécuniaire de quatre cent mille euros et
' ordonné la publication de cette décision sur le site internet de l'AMF et fixé à cinq ans, à compter de celle-ci, la durée de son maintien en ligne de manière anonyme.
7.Cette décision a été notifiée à M. Gaboleiro S. M., par lettre adressée par la voie postale, dont il a accusé réception le 9 mai 2018.
8.Le 9 juillet 2018, M. Gaboleiro S. M. a formé un recours contre cette décision.
9.Par mémoire du 19 juillet 2018, il demande à la cour :
' à titre principal, d'annuler la décision attaquée ;
' à titre subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions le montant de la sanction pécuniaire prononcée.
10.L'AMF invite la cour à déclarer d'office ce recours irrecevable et, à défaut, à le rejeter et à condamner le requérant au paiement des dépens.
11.En réponse à cette contestation sur la recevabilité du recours, le requérant verse aux débats, le 24 janvier 2019, une « Déclaration de recours », jointe à un courriel envoyé le 9 juillet 2018 par son conseil portugais à l'avocat français postulant, en vue du dépôt de celle-ci au greffe, le jour même. Le 17 avril 2019, il verse aux débats un nouveau document intitulé « Déclaration valant ratification du recours à l'encontre de la décision de l'AMF du 2 mai 2018 ».
12.Par avis écrit du 17 septembre 2019, le Ministère public invite la cour à déclarer le recours recevable et à le rejeter.
Sur la recevabilité du recours
13.A titre principal, constatant qu'il n'existe aucune trace de déclaration de recours écrite au dossier, l'AMF soutient que ce recours n'a pas été formé par déclaration écrite, mais par une simple déclaration orale, contrairement aux exigences de l'article R. 621-46 I, première phrase, du code monétaire et financier.
14.A titre subsidiaire, elle relève que le document versé aux débats par le requérant, le 24 janvier 2019, pour justifier du dépôt d'une déclaration écrite, ne comporte pas de date, ne mentionne pas la profession et le lieu de naissance de celui-ci et ne précise pas l'objet du recours, ce qui ne satisfait pas aux exigences de l'article R. 621-46 I, deuxième phrase, du code monétaire et financier.
15.Le requérant réplique que le procès-verbal de réception du recours, établi par le greffe de la cour le 9 juillet 2018, fait foi du dépôt d'une déclaration écrite. Il soutient que la déclaration de recours, dont il a versé une copie aux débats le 24 janvier 2019, comporte son état civil complet et indique l'objet du recours, à savoir « qu'il n'est pas d'accord avec la décision prise à son encontre le 2 mai 2018 par la Commission des sanctions de l'AMF ». Il ajoute que, dans son mémoire du 19 juillet 2018, il demande l'annulation de la décision attaquée et, à titre subsidiaire, la réduction du montant de la sanction pécuniaire prononcée.
16.Le Ministère public fait valoir que le procès-verbal de réception du recours fait foi de la date de formation du recours et indique les informations nécessaires à l'identification du requérant. Il relève que l'objet du recours est clairement précisé dans l'exposé des moyens et que ce dernier a été déposé dans les délais requis.
Sur quoi, la cour :
17.L'article R. 621-44 alinéa 1er du code monétaire et financier dispose :
« Le délai de recours contre les décisions individuelles prises par l'Autorité des marchés financiers est de dix jours, sauf en matière de sanctions, où il est de deux mois. Le délai court, pour les personnes qui font l'objet de la décision, à compter de sa notification [...] ».
18.L'article R. 621-46 I du même code énonce :
« Le recours devant la cour d'appel de Paris est formé par une déclaration écrite déposée en quadruple exemplaire au greffe de la cour d'appel de Paris contre récépissé. A peine d'irrecevabilité prononcée d'office, elle comporte les mentions prescrites par l'article 648 du code de procédure civile et précise l'objet du recours. Lorsque la déclaration ne contient pas l'exposé des moyens invoqués, le demandeur doit, sous la même sanction, déposer cet exposé au greffe dans les quinze jours qui suivent le dépôt de la déclaration [...] ».
19.En l'espèce, le procès-verbal de réception de recours, dressé par le greffe le 9 juillet 2018, indique que la déclaration de recours contre la décision attaquée a été déposée en six exemplaires par l'avocat postulant du requérant et que, le même jour, cette déclaration de recours a été transmise par lettre recommandée avec accusé de réception à l'AMF et a été communiquée au Ministère public.
20.Ce procès-verbal faisant foi, en vertu de l'article 1371 du code civil, jusqu'à inscription de faux de ce que le greffier dit avoir personnellement accompli ou constaté, et l'engagement d'une telle procédure n'étant ni démontré, ni même allégué, il convient de retenir que le recours a bien été formé par le dépôt au greffe de la cour, le 9 juillet 2018, d'une déclaration écrite, nonobstant le fait qu'il n'en a pas été trouvé trace dans le dossier.
21.Il résulte des explications du requérant que la déclaration de recours écrite déposée au greffe de la cour le 9 juillet 2018 est celle dont il a produit une copie en pièce jointe de ses conclusions déposées le 24 janvier 2019.
22.Dans cette déclaration, il est indiqué, sous la rubrique intitulée « objet de l'appel », que le requérant « n'est pas d'accord avec la décision prise à son encontre le 2 mai 2018 par la Commission des sanctions de l'AMF ».
23.Nonobstant la qualification erronée d’« appel », donnée par le requérant à son recours, il résulte sans équivoque du visa de l'article R. 621-46 I du code monétaire et financier que celui-ci a bien exercé le recours ad hoc prévu par cette disposition.
24.Toutefois, la mention reproduite au paragraphe 22 du présent arrêt ne permet pas de déterminer l'objet du recours, au sens de l'article R. 621-46 I du code monétaire et financier, c'est-à-dire la finalité de celui-ci, laquelle peut consister à annuler ou à réformer la décision attaquée et, dans le second cas, peut porter sur le principe même de la condamnation ou sur la fixation du montant de la sanction pécuniaire. L'indication selon laquelle le requérant « n'est pas d'accord avec la décision [attaquée] », par sa généralité, ne suffit donc pas à cerner les conséquences opérationnelles que ce dernier entend tirer de la formation de son recours. Il s'ensuit que la présente déclaration de recours ne satisfait pas à l'exigence de précision de l'objet du recours, prescrite, sous peine d'irrecevabilité prononcée d'office, à l'article R. 621-46 I du code monétaire et financier.
25.Le requérant a produit un document intitulé « Déclaration valant ratification du recours à l'encontre de la décision de l'AMF du 2 mai 2018 », qui précise notamment que « le recours porte tant sur la recevabilité et le fondement de la décision susvisée, ainsi que sur le quantum de l'amende ».
26.A cet égard, il résulte de l'article 126 du code de procédure civile que, « [d]ans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si la cause a disparu au moment où le juge statue ».
27.Cette disposition, qui figure au chapitre III du titre V du livre Ier du code de procédure civile, n'est pas écartée par l'article R. 621-45 II du code monétaire et financier. Elle est donc applicable aux recours formés devant la cour d'appel de Paris contre les décisions de l'AMF. C'est d'ailleurs en ce sens qu'a statué la Cour de cassation, s'agissant des recours formés devant la cour d'appel de Paris en application de l'article 12 de l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 instituant une Commission des opérations de bourse et relative à l'information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse, aujourd'hui abrogé (Com., 14 juin 2005, pourvois n° 04-14.329 et 04-15.562, Bull. IV, n° 128).
28.Néanmoins, en vertu de l'article R. 621-44 du code monétaire et financier, le recours contre une décision de la Commission des sanctions de l'AMF doit être introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision attaquée. Le non-respect de ce délai est sanctionné, au besoin d'office, par l'irrecevabilité du recours, conformément à l'article 125 du code de procédure civile.
29.Il résulte de l'application combinée des articles R. 621-44 et R. 621-46 I du code monétaire et financier que, lorsque la déclaration de recours ne précise pas l'objet du recours, la régularisation de celle-ci n'est plus possible une fois le délai de recours expiré, le requérant se trouvant forclos.
30.En l'espèce, à supposer que le document versé aux débats le 17 avril 2019 permette d'identifier l'objet du recours, force est de constater que sa production est intervenue plus de neuf mois après l'expiration du délai de recours, de sorte que, la forclusion étant acquise à cette date, ce document n'a pas pu régulariser la déclaration de recours. En outre, quand bien même une déclaration de recours serait régularisable par le biais de l'exposé des moyens, indépendamment de la formalisation d'une nouvelle déclaration de recours, en l'espèce, l'exposé des moyens a également été déposé postérieurement à l'expiration du délai de recours, soit à une date où le requérant était déjà forclos.
31. Il s'ensuit que le recours est irrecevable.
Sur les dépens
32. Le requérant étant irrecevable en son recours, il supportera les dépens de l'instance.
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevable le recours formé par M. Gaboleiro S. M. contre la décision de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers n° 3 du 2 mai 2018 ;
Le condamne aux dépens.