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Décisions

Cass. crim., 16 juin 2011, n° 10-83.800

COUR DE CASSATION

Arrêt

Autre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme Desgrange

Avocats :

Me Foussard, SCP Waquet, Farge et Hazan

Angers, du 22 oct. 2009

22 octobre 2009

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 du code pénal, 1741 du code général des impôts, 227 du livre des procédures fiscales et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de fraude fiscale ;

"aux motifs que M. X... a été, entre le 1er juin 2000 et le 23 mars 2004, associé et salarié de la Sari Puissance plus au sein de laquelle il occupait les fonctions de directeur commercial ; cette société exerçait une activité de négoce, de location et de réparation de matériel de travaux publics et disposait d'un capital social de 42 000 euros ; que ce capital était divisé en 420 parts réparties entre M. X... qui en détenait 340 et Mme Y... qui en détenait 80 ; que celle-ci était par ailleurs la gérante de la société jusqu'en février 2002, alors remplacée dans ses fonctions par une certaine madame Z... ; que le 6 février 2004, l'administration fiscale a avisé le prévenu de ce qu'elle allait procéder à un examen de sa situation fiscale personnelle ; que cette vérification portait notamment sur l'année 2002 ; que, dans le cadre de cette vérification, l'administration n'a pu rencontrer M. X... qu'à une seule occasion malgré les nombreux entretiens proposés ; que cet entretien a eu lieu le 26 mai 2004 dans les locaux de l'administration ; qu'il a été suivi d'un autre entretien entre le conseil de M. X... et l'administration le 6 octobre 2004 ; qu'à l'appui de l'examen de la situation fiscale du contribuable, plusieurs procédures ont été mises en oeuvre par les services fiscaux ; qu'afin d'obtenir des renseignements complémentaires, l'administration a exercé son droit de communication auprès de l'établissement financier teneur du compte personnel de M. X... ; qu'elle a également requis l'Etat du Canada dans le cadre de la procédure conventionnelle d'assistance administrative, ce qui a donné lieu à plusieurs communications des autorités canadiennes ; qu'enfin l'administration a vérifié la comptabilité de la société Puissance plus dont monsieur X... était l'associé majoritaire ; que comme tout contribuable passible de l'impôt sur le revenu, M. X... était tenu de souscrire une déclaration d'ensemble de ses revenus personnels en application de l'article 170 du code général des impôts ; que l'impôt est en effet assis sur les bénéfices que le contribuable réalise ou les revenus dont il dispose au titre de l'année considérée ; or l'examen de la situation personnelle de M. X... ainsi que la vérification de la comptabilité de la SARL Puissance plus ont permis de constater un certain nombre d'irrégularités ; que M. X... s'est abstenu de souscrire la déclaration d'ensemble de ses revenus au titre de l'année 2002, alors qu'il est établi qu'il avait perçu des salaires et qu'il avait bénéficié de revenus distribués au titre de cette année ; que l'examen des crédits portés sur ses comptes financiers personnels a révélé l'existence de sommes importantes dont la nature et l'origine sont demeurées injustifiées ; que l'infraction est reconnue par M. X... au moins en ce qui est de la non déclaration de ses revenus pour un montant de 25 432 euros ; qu'en revanche, il conteste avoir perçu les revenus de capitaux mobiliers pour une somme de 420 340 euros, et de revenus d'origine indéterminée pour 68 657 euros, les droits éludés se montant ainsi à la somme de 171 534 euros ; que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré qu'il résultait de l'ensemble de ces éléments que M. X... s'était rendu coupable des faits qui lui sont reprochés ;

"et aux motifs qu'en l'absence de déclaration souscrite par l'intéressé, le vérificateur a été contraint de reconstituer les bases dissimulées ; que la comptabilité de la société Puissance plus et les crédits portés sur le compte bancaire de M. X... ont permis de chiffrer le montant des traitements et salaires reçus par lui au titre de l'année 2002 (25 432 euros ) ; qu'une déduction pour frais de 10% a été retenue, le prévenu ne pouvant en effet bénéficier de l'abattement de 20% prévu par le code général des impôts en cas de déclaration spontanée ; que, par ailleurs, des sommes importantes appartenant à la société Puissance plus et transférées sur un compte bancaire ouvert par M. X... au Canada ont été considérées comme des revenus distribués au sens de l'article 109-1 20 du code général des impôts ; que ces sommes ont été en conséquence soumises à l'impôt dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sans ouvrir droit à l'avoir fiscal (420 340 euros ) ; qu'enfin, l'analyse des relevés bancaires de M. X... a mis en évidence que ce dernier a bénéficié d'importants crédits bancaires dont la nature et l'origine sont restées inexpliquées à l'issue de la vérification (68 657 euros ) ; que, dès lors, le chiffrage de la fraude se présente comme suit : Le montant des bases dissimulées s'élève donc à 514 429 euros, correspondant à un montant de droits éludés de 171 534 euros ; qu'une proposition de rectification a été adressée au contribuable le 25 mars 2005 ; que le conseil de M. X... a adressé plusieurs courriers à l'administration dans lesquels il considérait que son client avait été victime d'une escroquerie et que, sauf à démontrer sa collusion frauduleuse avec l'escroc présumé, les éléments fournis par le contribuable établissaient sa sincérité et celle de la société Puissance plus ; qu'en conséquence, il estimait que les sommes identifiées par M. X... comme correspondant à une créance en compte courant et transférées par la SARL sur le compte personnel de celui-ci ouvert à la Société générale ne pouvaient pas recevoir la qualification de bénéfice distribué tant qu'une procédure pénale était en cours au Canada dans cette affaire ; mais M. X... ne peut se retrancher derrière de prétendus agissements frauduleux de l'escroc présumé dès lors que celui-ci n'apparaît nullement dans la transaction consistant au versement de 200 000 euros à la société fictive canadienne et que dès lors l'argument tendant à établir que M. X... a été victime d'une escroquerie ne peut prospérer tandis qu'il n'est pas justifié d'un dépôt de plainte auprès des autorités canadiennes ; que, par ailleurs, il n'est pas établi que la somme de 200 000 euros qui a été versée sur le compte bancaire personnel du prévenu avait été reversée à son fournisseur canadien Iron Office Solutions dont les autorités canadiennes ont confirmé qu'il s'agissait d'une société purement fictive ; que s'agissant des sommes transférées sur le compte personnel canadien de M. X..., l'administration a considéré qu'il en avait eu la disposition puisqu'elles ont été portées au crédit de ce compte et que les chèques débités de celui-ci ont été établis à son ordre ;

"1°) alors qu'il résulte des mentions de l'arrêt que le prévenu était ni comparant ni représenté ; qu'il résulte en outre du dossier qu'il n'a déposé aucune conclusion en première instance comme en appel ; qu'en constatant dès lors que l'intéressé ne conteste pas l'infraction s'agissant des revenus d'un montant de 25 432 euros, là où elle ne disposait d'aucun élément pour procéder à une telle affirmation, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision ;

"2°) alors que le délit de fraude fiscale suppose l'intention de se soustraire à l'établissement ou au paiement de l'impôt ; qu'en se bornant à relever que le prévenu n'a pas souscrit de déclaration de revenus pour l'année 2002 sans constater que son comportement avait pour but de se soustraire à l'établissement ou au paiement de l'impôt, la Cour d'appel a violé les textes précités ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que M. X... s'est abstenu de souscrire une déclaration d'ensemble de ses revenus au titre de l'année 2002, alors qu'il a perçu des salaires pour un montant de 25 432 euros ainsi que des revenus de capitaux mobiliers et des revenus d'origine indéterminée ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de fraude fiscale, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que le prévenu, lorsqu'il a comparu en personne devant les premiers juges, a reconnu les faits reprochés en ce qui concerne la non déclaration de la somme de 25 432 euros ; qu'après avoir écarté l'argumentation du prévenu qui prétendait avoir été victime des agissements d'un fournisseur canadien, les juges du fond ont établi l'intention délictueuse de M. X... en retenant qu'il a constitué un montage destiné à encaisser, sur son compte, des sommes versées par la société qu'il dirigeait, sur le fondement d'une facture émise par une société canadienne fictive ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations ,procédant de son pouvoir souverain d'appréciation des faits et circonstances de la cause , la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments tant matériels qu'intentionnel l'infraction reprochée et a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-19 et 132-24 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu à une peine d'un an d'emprisonnement ;

"aux motifs que la peine d'emprisonnement prononcée en première instance n'est pas adaptée à la nature des faits commis au regard des antécédents judiciaires et de la personnalité du prévenu ; que le jugement dont appel sera donc infirmé quant à la peine qui sera portée à un quantum d'une année d'emprisonnement ferme ;

"1°) alors qu'en se bornant à constater qu'une peine de six mois d'emprisonnement n'est pas adaptée à la nature des faits commis au regard et des antécédents judiciaires et de la personnalité du prévenu, pour l'élever à une durée d'un an sans motiver le choix de ne pas assortir cette peine d'un sursis, la cour d'appel a violé les textes précités ;

"2°) alors qu'en tout état de cause, le choix d'une peine d'emprisonnement sans sursis doit être spécialement motivé en fonction de la personnalité de son auteur, laquelle ne se limite pas à ses antécédents judiciaires ; qu'en se bornant à constater l'existence de précédentes condamnations, la cour d'appel a violé les articles 132-19 et 132-24 du code pénal" ;

Et sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-24 du code pénal, en sa rédaction issue de la loi du 24 novembre 2009, 112-1 du même code et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base léqale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné M. X... à une peine d'un an d'emprisonnement ;

"aux motifs que la peine d'emprisonnement de six mois prononcée en première instance n'est pas adaptée à la nature des faits commis au regard des antécédents judiciaires et de la personnalité du prévenu ; le jugement dont appel sera donc infirmé quant à la peine qui sera portée à un quantum d'une année d'emprisonnement ferme ;

"1°) alors qu'en application de l'article 112-1 du code pénal, les dispositions d'une loi nouvelle s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée, lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ; que sont notamment immédiatement applicables les dispositions des articles 132-24, 132-25 et 132-26-1 du code pénal, dans leur rédaction issue de la loi du 24 novembre 2009, aux termes desquelles en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l'article 132-19-1 du code pénal, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate et que, dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permet et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du Code pénal ; qu'ainsi, la condamnation de M. X..., le 22 octobre 2009, à un an d'emprisonnement est privée rétroactivement de fondement en raison de l'intervention postérieure de la loi du 24 novembre 2009 ; que l'annulation est en conséquence encourue ;

"2°) alors que l'état de récidive n'est de nature à supprimer l'exigence de motivation résultant de l'article 132-24 modifié que dans la mesure où il est visé par la prévention ; que tel n'était pas le cas en l'espèce, et que l'allusion à des « antécédents judiciaires » n'exclut pas l'application du texte précité" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 132- 24 du code pénal en sa rédaction issue de la loi du 24 novembre 2009 ;

Attendu qu'il résulte de ce texte, qu'en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l'article 132-19-1, du code pénal, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu' en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que, dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132- 28 du code pénal ;

Attendu qu'après avoir déclaré M. Daniel X... coupable de fraude fiscale, pour le condamner à la peine d'un an d'emprisonnement sans sursis, l'arrêt attaqué se borne à retenir les antécédents judiciaires et la personnalité du prévenu ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le troisième moyen de cassation , pris de la violation de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des principes de nécessité et d'individualisation des peines, de l'article 132-24 du code pénal, des articles 1741 du code général des impôts et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a ordonné aux frais du prévenu la publication de la décision par extraits dans l'édition d'Angers des journaux quotidiens Le Courrier de l'Ouest et Ouest France et au Journal officiel de la République française ainsi que son affichage intégral ou par extraits pendant trois mois sur les panneaux réservés à l'affichage des publications officielles de la commune où le contribuable a son domicile ainsi que sur la porte extérieure de l'immeuble de l'établissement professionnel de ce contribuable ;

"alors que l'article 1741, alinéa 4, du code général des impôts, en ce qu'il impose, de manière automatique, la publication et l'affichage aux frais du condamné, d'un jugement de condamnation, sans que le juge puisse tenir compte des circonstances propres à l'espèce et au prévenu pour apprécier la nécessité d'une telle peine, porte atteinte aux principes de nécessité et d'individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que la cour d'appel ne pouvait donc prononcer une telle peine sans en examiner la nécessité et l'opportunité ; qu'au demeurant, l'abrogation par le Conseil constitutionnel de l'article susvisé dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à titre subsidiaire par M. X... privera de fondement la condamnation à publication ou affichage" ;

Et sur le quatrième moyen de cassation , pris de la violation des articles 2, 3, 515 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que, l'arrêt attaqué a ordonné, sur les intérêts civils, aux frais du prévenu sa publication par extraits dans l'édition d'Angers des journaux quotidiens Le Courrier de l'Ouest et Ouest France et au Journal officiel de la République française ainsi que son affichage intégral ou par extraits pendant trois mois sur les panneaux réservés à l'affichage des publications officielles de la commune où le contribuable a son domicile ainsi que sur la porte extérieure de l'immeuble de l'établissement professionnel de ce contribuable ;

"1°) alors que la cour d'appel ne peut, sur le seul appel du prévenu, aggraver les dispositions civiles du jugement ; qu'en ajoutant aux dispositions civiles du jugement la publication et l'affichage de la décision, sur le seul appel du prévenu, la cour d'appel a violé les articles précités ;

"2°) alors qu'en ordonnant sur l'action civile des mesures de publication et d'affichage sans déterminer le montant des frais qui pourront être mis à ce titre à la charge du prévenu, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu les articles 61-1 et 62 de la Constitution, ensemble l'article 113-3 du code pénal ;

Attendu, d'une part, qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 précité est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ;

Attendu , d'autre part, que nul ne peut être puni, pour un délit, d'une peine qui n' est pas prévue par la loi ;

Attendu qu'après avoir déclaré M. Daniel X... coupable de fraude fiscale l'arrêt ordonne la publication et l'affichage de la décision sur le fondement de l'article 1741, alinéa 4, du code général des impôts ;

Mais attendu que ces dispositions ont été déclarées contraires à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel du 10 décembre 2010, prenant effet à la date de sa publication au Journal officiel de la République française le 11 décembre 2010 ;

D'où il suit que l'annulation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Angers, en date du 20 juin 2010, en ses seules dispositions ayant prononcé sur la peine et ordonné des mesures de publication et d'affichage, toutes autres dispositions étant maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Angers autreement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Angers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.