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Décisions

Cass. 1re civ., 9 mai 2019, n° 18-12.073

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Avocats :

SCP Delvolvé et Trichet, SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer

Rennes, du 12 déc. 2017

12 décembre 2017


Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à la suite d'un différend entre MM. A..., Q..., W..., N... et F..., associés au sein de la société civile professionnelle d'avocats L... A... et associés (la SCP), devenue la société Evolis avocats, M. A... et la société L...-Q..., tous deux retrayants de la SCP, ont saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Rennes, par lettre du 23 mars 2010, d'une demande d'arbitrage portant notamment sur l'établissement des comptes intermédiaires au 30 octobre 2009, date de leur retrait, et sur la valorisation de leurs parts sociales détenues dans la SCP ; que, par décision avant dire droit du 21 juin 2010, le bâtonnier a désigné M. V... en qualité d'expert pour déterminer la valeur des parts sociales de la SCP et en qualité de sapiteur pour lui proposer des éléments lui permettant de trancher les autres points en litige, puis a statué par décision du 27 février 2017 ;

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que la société Evolis avocats et ses associés font grief à l'arrêt de dire que l'expert a commis une erreur grossière, d'écarter en conséquence le caractère impératif de son évaluation des parts sociales, et de renvoyer les parties à désigner ensemble un expert ou à saisir le président du tribunal de grande instance de Rennes pour y procéder, alors, selon le moyen :

1°/ que l'expertise en vue d'évaluer des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats ordonnée par le bâtonnier chargé, par application de l'article 21, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971, d'arbitrer un différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel, déroge à l'article 1843-4 du code civil ; que, saisi d'une demande d'arbitrage à l'occasion d'une cession ou d'un rachat de parts sociales, le bâtonnier doit lui-même fixer la valeur des parts sociales, au regard de l'évaluation de l'expert, sans qu'en application de ce dernier texte, il soit lié par celle-ci ; qu'en renvoyant les parties à désigner un nouvel expert ou saisir le président du tribunal de grande instance de Rennes à fin de désignation d'un expert à fin d'évaluation des parts sociales, la cour d'appel, qui a ainsi refusé de procéder elle-même à cette évaluation, a violé l'article 1843-4 du code civil, par fausse application et, par refus d'application, l'article 21, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971 ;

2°/ que le bâtonnier chargé, par application de l'article 21, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971, d'arbitrer un différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel, ne peut soumettre l'expertise qu'il ordonne en vue d'évaluer des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats aux dispositions d'ordre public de l'article 1843-4 du code civil ; qu'en retenant que l'expertise ordonnée par le bâtonnier était soumise à ce texte dès lors que la décision de désignation de l'expert avait été rendue au visa de celui-ci, la cour d'appel violé les textes susvisés ;

Mais attendu que l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, ne dérogeait pas à l'article 1843-4 du code civil ; que, dans sa rédaction issue de cette dernière loi, il n'y déroge qu'en ce qu'il donne compétence au bâtonnier pour procéder à la désignation d'un expert aux fins d'évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats ; que c'est donc à bon droit qu'ayant constaté que l'expert avait été désigné le 21 juin 2010, la cour d'appel a retenu que son évaluation était soumise aux dispositions d'ordre public de l'article 1843-4 du code civil et qu'elle-même ne pouvait procéder à l'évaluation des parts sociales ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 1843-4 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 ;

Attendu que, pour écarter le caractère impératif de l'évaluation par l'expert des parts de la SCP, l'arrêt retient qu'en se fondant sur une disposition abrogée qui a déterminé son choix et en refusant de prendre en compte un usage non discuté conforme tant au règlement intérieur qu'aux statuts modifiés et créateurs de droit, l'expert a commis une erreur grossière quant au mode même de détermination de la valeur des parts sociales ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, sous l'empire des dispositions applicables à la date de sa désignation, l'expert disposait d'une entière liberté d'appréciation pour fixer la valeur des parts sociales selon les critères qu'il jugeait opportuns, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser une erreur grossière dans cette évaluation, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que M. V... a commis une erreur grossière, en ce qu'il écarte le caractère impératif de son évaluation des parts de la SCP L... et A..., devenue Evolis avocats, et en ce qu'il renvoie les parties à désigner ensemble un expert pour évaluer lesdites parts ou la plus diligente à saisir le président du tribunal de grande instance de Rennes pour y procéder, l'arrêt rendu le 12 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée.