CA Paris, 1re ch. H, 3 juillet 2007, n° 06/19083
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Président de l'Autorité des Marchés Financiers
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
M. Le Dauphin, Mme Mouillard
Avoués :
SCP Monin - D'auriac De Brons, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Me Lehoczky Colombo, Me Mongin
Créée en 1996, et admise au nouveau marché d'Euronext, la société française Nicox a pour activité la recherche et le développement de produits pharmaceutiques. Elle est spécialisée dans les composés d'oxyde nitrique destinés au traitement des inflammations et des maladies cardio-vasculaires, sa filiale italienne, Nicox s.r.l. s'occupant de la seule recherche.
En 1998, la société Nicox a conclu avec une multinationale de l'industrie pharmaceutique, la société Astra Zeneca, un accord portant sur le développement, à partir de molécules découvertes par M. Piero Del Soldato, chercheur à l'Université de Pérouse, vice-président exécutif et responsable scientifique de Nicox, de produits pharmaceutiques anti-inflammatoires non stéroïdiens, appartenant à la classe des Cinod (Cox Inhibiting Nitric Oxyde Donators), destinés notamment au traitement de l'arthrose. Les revenus provenant de cet accord de partenariat représentaient en 2002 près de 90% du chiffre d'affaires de la société Nicox.
A la suite de l'annonce par un communiqué de presse publié le 23 septembre 2003, de la décision de la société Astra Zeneca de mettre fin à l'accord qui la liait à la société Nicox, décision prise par Astra Zeneca le 18 septembre 2003 et dont quatre dirigeants de la société Nicox, M. Michele Garufi, président de Nicox, Mme Elizabeth Robinson, vice-président exécutif, M. Giancarlo Santus, vice-président, et M. Piero Del Soldato, avaient été informés au cours d'une réunion tenue le 19 septembre 2003, le cours de l'action Nicox a reculé de 26%, passant de 5,30 euros à 3,95 euros dès l'ouverture de la séance.
Des mouvements inhabituels sur le titre Nicox ayant été constatés le 22 septembre 2003 de la part notamment de deux donneurs d'ordre résidant à Pérouse, Mme Eleonora Distrutti, médecin, épouse de M. Stefano Fiorucci, professeur associé de gastro-entérologie à l'Université de Pérouse et membre du comité consultatif de Nicox, et M. Antonio Morelli, professeur à l'Université de Pérouse et directeur du département de gastro-entérologie où figurent parmi ses collaborateurs Mme Distrutti et M. Fiorucci, celui-ci étant placé à la tête d'un groupe de recherche, le secrétaire-général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) décidait, le 15 septembre 2003, d'ouvrir une enquête sur le marché du titre Nicox à compter du 1er août 2003.
Au vu des éléments réunis dans le rapport d'enquête du 18 novembre 2005, la commission spécialisée du collège de l'AMF décidait, lors de sa séance du 12 décembre 2005, de notifier, par lettre recommandées du 26 janvier 2006, les griefs suivants :
- à M. Morelli, d'avoir, le 22 septembre 2003, cédé 55.000 titres Nicox au cours de 5,31 euros par l'intermédiaire de la Banca dell'Umbria, fait susceptible de s'analyser comme l'exploitation d'une information privilégiée prohibée par les articles 4 et 5 du règlement n° 90-08 de la COB relatif à l'utilisation d'une information privilégiée et de donner lieu à une sanction sur le fondement des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier,
- à Mme Distrutti, d'avoir, le 22 septembre 2003, cédé 6.900 titres Nicox au cours de 5,50 euros par l'intermédiaire de la Banca dell'Umbria, fait susceptible de s'analyser comme l'exploitation d'une information privilégiée prohibée par les articles 4 et 5 du règlement n° 90-08 de la COB relatif à l'utilisation d'une information privilégiée et de donner lieu à une sanction sur le fondement des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier.
Par décision du 28 septembre 2006, le deuxième section de la commission des sanctions de l'AMF, après avoir estimé que si la violation des dispositions de l'article 4 du règlement n° 90-08 de la COB susvisé ne pouvait être retenue, tous les éléments constitutifs du manquement visé à l'article 5 dudit règlement étaient réunis, a décidé de prononcer à l'encontre de M. Morelli et de Mme Distrutti une sanction pécuniaire s'élevant respectivement à 75.000 euros et 11.000 euros et de publier sa décision au Bulletin des annonces légales obligatoires ainsi que sur le site internet et dans la revue de l'AMF.
La cour ;
Vu le recours formé le 7 novembre 2006 par M. Antonio Morelli à l'encontre de cette décision, tendant à son annulation et subsidiairement à sa réformation ;
Vu le mémoire du 20 novembre 2006 contenant l'exposé des moyens développés à l'appui de ce recours et par lequel M. Morelli demande à la cour :
- à titre principal de dire que le manquement à l'article 5 du règlement n° 90-08 n'est pas constitué,
- à titre subsidiaire de dire que le montant de la sanction doit être réduit au montant que la cour jugera équitable compte tenu des circonstances de l'espèce, de dire qu'il n'y a pas lieu à publication et, en tout état de cause, qu'il y a lieu de préserver l'anonymat de M. Morelli lors de la publication de la décision ;
Vu le recours formé le 14 décembre 2006 par Mme Distrutti à l'encontre de la décision déférée, contenant l'exposé des moyens visé à l'article R. 621-46 I du code monétaire et financier, par lequel Mme Distrutti demande à la cour, à titre principal, d'annuler la procédure et, subsidiairement, de dire que la preuve du manquement retenu à son encontre n'est pas rapportée ;
Vu les observations de l'AMF, en date du 14 février 2007 ;
Vu le mémoire en réplique de M. Morelli, en date du 23 avril 2007 ;
Vu le mémoire en réplique de Mme Distrutti, en date du 24 avril 2007 ;
Vu les conclusions du ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience, tendant au rejet des recours ;
Ouï à l'audience publique du 22 mai 2007, en leurs observations orales, les conseils des requérants, la représentante de l'AMF, ainsi que le ministère public, les conseils des requérants ayant eu la parole en dernier ;
Sur ce :
Considérant que pour conclure à 'l'annulation de la procédure' pour violation de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, Mme Distrutti expose que les principes d'impartialité et des droits de la défense n'ont pas été respectés dans le cadre de l'enquête menée par l'AMF ; qu'en effet le rapporteur a indiqué dans son rapport du 4 août 2006, page 13, point 3.2.2, que Mme Distrutti n'avait pas présenté d'observations alors que son avocat italien avait déposé des conclusions le 6 mars 2006 ; qu'elle ajoute que l'enquête a évidemment été menée de manière partiale puisque l'AMF a omis d'interroger les représentants de la société Astra Zeneca et a fondé sa décision uniquement sur des témoignages provenant de dirigeants de la société Nicox ;
Mais considérant, en premier lieu, que la commission des sanctions a statué après avoir entendu Mme Distrutti et son conseil lors de sa séance du 28 septembre 2006 et après avoir pris connaissance de la traduction en français des conclusions de ce dernier datées des 6 mars et 5 septembre 2006, toutes produites à l'AMF le 11 septembre 2006, comme le mentionnent la décision déférée et le bordereau des pièces déposées par Mme Distrutti à l'appui du présent recours, étant ici précisé que si l'AMF avait reçu le 7 mars 2006 des observations du conseil italien de Mme Distrutti datées du 6 mars 2006, celles-ci n'étaient rédigées qu'en langue italienne comme le relève le rapporteur, qui ajoute (rapport p. 2) qu'il a adressé à Mme Distrutti le 25 avril 2006 une lettre recommandée l'informant que l'AMF ne pouvait accepter d'observations rédigées en italien et lui demandant de bien vouloir les faire traduire en français ;
Considérant, en second lieu, qu'aucune conséquence de droit ne saurait être tirée du manquement allégué au principe d'impartialité, inapplicable lors de la phase d'enquête, observation étant encore faite que les enquêteur de l'AMF ont recueilli les explications d'un membre du service juridique de la société Astra Zeneca (R 47 et R 75) et que la décision déférée n'est pas uniquement fondée sur les déclarations des dirigeants de la société Nicox ;
Considérant, sur le fond, que M. Morelli, après avoir contesté le caractère privilégié de l'information en cause, la rupture des relations entre Nicox et Astra Zeneca étant selon lui hautement prévisible, fait essentiellement valoir que l'AMF, ne disposant d'aucun élément prouvant que cette information lui a été communiquée, a procédé par voie de déductions, suppositions et hypothèses et n'a pas satisfait à l'obligation pesant sur elle de démontrer tant la possession par le prétendu initié de l'information privilégiée que son exploitation en connaissance de cause, sans pouvoir recourir, dans le cas d'un 'initié tertiaire' visé à l'article 5 du règlement 90-08, à des présomptions fondées sur les fonctions de l'intéressé et le rapprochement chronologique entre la connaissance présumée de l'information et son exploitation sur le marché ; que selon le requérant, il n'a fait que tirer les conséquences de la conviction qu'il s'était forgée au fil du temps quant à la probabilité de l'échec du partenariat entre Astra Zeneca et Nicox, au vu des résultats de l'expérimentation des Cinod, qui faisaient l'objet de communications, ainsi que des importants volumes d'actions vendus à compter du mois de septembre 2003, suivant le rythme des réunions tenues par Astra Zeneca et Nicox ; que Mme Distrutti soutient de son côté que l'AMF n'a pas apporté la preuve qu'une information privilégiée lui serait parvenue par l'intermédiaire de son mari, M. Fiorucci qui aurait détenu une telle information ;
Mais considérant que la commission des sanctions de l'AMF a justement estimé, par des motifs qui répondent, en les écartant, à l'argumentation des requérants et que la cour fait siens, que les manquements aux dispositions de l'article 5 du règlement n° 90-08 du règlement de la COB relatif à l'utilisation d'une information privilégiée, applicable en la cause, imputés à M. Morelli et à Mme Distrutti, étaient caractérisés en tous leurs éléments constitutifs ;
Considérant qu'il suffit de relever ici, en premier lieu, que prise le 18 septembre 2003 au cours d'une réunion du conseil d'administration de la société Astra Zeneca Ireland, responsable du programme Cinod et expliquée par le fait que l'ensemble des études cliniques effectuées sur les molécules de la classe des Cinod avaient mis en évidence des éléments certes favorables mais toutefois insuffisants pour être commercialement intéressants, la décision de mettre fin au partenariat avec la société Nicox a été annoncée oralement aux représentants de la société Nicox dont les noms ont été ci-dessus indiqués lors de la réunion organisée le lendemain à Francfort, les sept participants à cette réunion, dont il n' a pas été dressé de compte rendu, ayant alors estimé que cette décision devait être tenue secrète jusqu'à sa communication publique (R. 095) ; que tandis que rien dans la communication de la société Nicox ne pouvait laisser présager que le contrat la liant à Astra Zeneca serait rompu à cette date, le communiqué de Nicox du 24 juillet 2003 relatif à ses résultats financiers pour le premier semestre 2003 étant au contraire rassurant quant à la poursuite de son partenariat avec Astra Zeneca, ainsi que le relève le rapport d'enquête (p. 4), la diffusion du communiqué de presse du 23 septembre 2003 informant le public de la rupture de cet accord a aussitôt eu une influence très sensible sur le cours du titre Nicox, en recul de 26% ; qu'il est ainsi établi que cette information était privilégiée au sens du règlement susvisé, peu important à cet égard que la cessation de la collaboration de Astra Zeneca avec Nicox ait été prévisible pour certains observateurs, comme le soutient M. Morelli, dès lors que le public n'en a pas eu connaissance avant sa communication par l'émetteur ;
Considérant, en deuxième lieu, que la preuve qu'une personne non visée par les articles 2, 3 et 4 du règlement susvisé possédait en connaissance de cause une information privilégiée, que cette information provenait directement ou indirectement d'une personne mentionnée par ces articles et que la personne l'a exploitée sur le marché peut être rapportée au moyen d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants, sans que l'autorité de marché ait l'obligation d'établir précisément les circonstances dans lesquelles l'information privilégiée est parvenue jusqu'à la personne qui l'a exploitée ;
Considérant que constituent de tels indices, desquels il résulte que M. Morelli et Mme Distrutti étaient en possession, avant qu'elle ne soit rendue publique, de l'information relative à la rupture de l'accord conclu en 1998 entre Astra Zeneca et Nicox et que cette information provenait directement ou indirectement d'une personne qui en avait eu connaissance à raison de sa qualité de membre des organes d'administration et de direction ou de l'exercice de ses fonctions au sein de la société Nicox, la date des ventes de titres Nicox dont M. Morelli et Mme Distrutti ont pris l'initiative, soit le 22 septembre 2003, le fait que ces ventes, portant sur 55.000 actions pour M. Morelli et sur la totalité de ses titres Nicox pour Mme Distrutti, revêtaient un caractère exceptionnel au regard de la gestion habituelle de leur portefeuille de valeurs mobilières, le fait qu'elles ne répondaient à aucun besoin de trésorerie ainsi que les liens de proximité tant professionnelle que personnelle existant entre M. Del Soldato, participant à la réunion du 19 septembre 2003 et M. Fiorucci, avec qui il était fréquemment en contact, ce dernier collaborant de manière intensive à l'activité de la société Nicox avec laquelle il était lié par des contrats de recherche, au moins jusqu'en décembre 2005 (R. 127), entre M. Fiorucci et Mme Distrutti, son épouse et entre celle-ci et M. Morelli, avec qui elle travaille et qu'elle voit 'tous les jours' (R. 116), observation étant encore faite que M. Morelli connaît M. Fiorucci, qui est l'un de ses collaborateurs, ainsi que M. Del Soldato, ceci 'depuis 25-30 ans' (R. 138) ;
Considérant que la preuve est également rapportée que c'est en connaissance du fait que l'information relative à la rupture du contrat liant Astra Zeneca et Nicox était de nature, une fois qu'elle serait rendue publique, à avoir une incidence sensible sur le cours des actions émises par la société Nicox que M. Morelli et Mme Distrutti ont exploité pour leur compte cette information sur le marché ; qu'en effet, ni M. Morelli, qui indique dans ses écritures devant la cour avoir été un observateur attentif, en sa double qualité de scientifique et investisseur, des mouvements de vente des titres Nicox comme des résultats de l'expérimentation des Cinod, ni Mme Distrutti, qui déclare au demeurant n'avoir 'jamais nié le caractère privilégié de l'information relative à la rupture du partenariat décidée par Astra Zeneca et annoncée à Nicox lors de la réunion du 19 septembre 2003" , n'ont pu ignorer l'importance que revêtait pour celle-ci l'issue de sa collaboration avec celle-là ;
Considérant que les manquements ainsi retenus à l'encontre des requérants ont eu pour effet de leur procurer un avantage injustifié qu'ils n'auraient pas obtenu dans le cadre normal du marché et de porter atteinte à l'égalité de traitement des investisseurs ; que c'est par une juste application du principe de proportionnalité que la commission des sanctions a, eu égard à la gravité desdits manquements et des profits qui en ont été retirés, soit 74.800 euros pour M. Morelli et 10.695 euros pour Mme Distrutti, prononcé les sanctions pécuniaires ci-dessus mentionnées et décidé de rendre publique sa décision ; qu'il y a lieu toutefois, compte tenu de certaines particularités de l'espèce tenant à la vie privée des requérants et conformément à leur demande à laquelle l'AMF déclare ne pas s'opposer, de dire que l'anonymat des personnes physiques visées par la décision déférée et le présent arrêt devra être préservé lors des mesures de publication dont ladite décision, et le cas échéant, le présent arrêt feront l'objet ;
Par ces motifs :
Rejette les recours ;
Dit toutefois que l'anonymat des personnes physiques visées par la décision de la commission des sanctions de l'AMF du 28 septembre 2006 devra être préservé lors des mesures de publication de ladite décision et, le cas échéant, du présent arrêt ;
Condamne les requérants aux frais de la présente instance.