AMF, 29 novembre 2007, n° SAN-2008-07
AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Membres :
M. Morin, M. Thouvenel, M. Surzur
Président :
Mme Nocquet
www.amf-france.org
DECISION DE SANCTION A L’EGARD DE
LA SOCIETE X, ET DE MM. A, B ET C
La 2ème section de la Commission des sanctions,
Vu le code monétaire et financier et notamment ses articles L. 621-14 et L. 621-15 dans la version
applicable à l’époque des faits, R. 621-7 et R. 621-38 à R.621-40 ;
Vu le code du commerce, notamment ses articles L. 233-7 et L. 233-8 ;
Vu la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, notamment son article 47 ;
Vu le règlement de la Commission des opérations de bourse (COB) n° 98-07 relatif à l'obligation
d'information du public, notamment ses articles 1 à 3, maintenus en vigueur par l’article 47 de la loi
n° 2003-706 jusqu’à leur reprise, à compter du 25 novembre 2004, par les articles 222-1 et 222-2 -
lesquels sont devenus les articles 221-1 et 223-1, modifié par l’arrêté du 26 février 2007-, et par
l’article 632-1 du règlement général de l’AMF ;
Vu les notifications des griefs adressés à la société X, à M. A, à M. B et à M. C, le 5 décembre 2006 ;
Vu la décision du président de la Commission des sanctions du 22 décembre 2006 désignant M. Alain Ferri, membre de la commission des sanctions, en qualité de rapporteur ;
Vu les observations présentées par Me Catherine Olive pour le compte de la société X en date du
31 janvier 2007, celles de M. A et celles de Me Stéphane Bonifassi pour le compte de M. A en date du 5 février 2007, et celles, communes, de MM. B et C en date du 29 janvier 2007 ;
Vu les auditions par le rapporteur de M. D en date du 8 juin 2007 et celles, en date du 15 juin 2007, de M. A, pour son compte et pour celui de la société X qu’il représente en tant que président ;
Vu les lettres de convocation à la séance du 29 novembre 2007 adressées le 22 octobre 2007 auxquelles a été annexé le rapport signé du rapporteur à cette même date ;
Vu les observations en réponse au rapport du rapporteur présentées par Me Catherine Olive pour le compte de la société X en date du 6 novembre 2007, par Me Stéphane Bonifassi pour le compte de M. A reçues par l’AMF le 6 novembre 2007, par Me Francesca Parrinello pour le compte de M. B en date du 7 novembre 2007 et par Me André-François Bouvier pour le compte de M. C en date du
9 novembre 2007 ;
Vu les conclusions de nullité déposées le 27 novembre 2007 par Me Olivier Schnerb pour le compte de M. A, reprises à son compte par Me Catherine Olive pour la société X ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu au cours de la séance du 29 novembre 2007 :
- M. Alain Ferri en son rapport ;
- Mme Catherine Le Rudulier, commissaire du gouvernement qui a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler ;
- M. D et M. E, à la requête de la société X, en application de l’article R. 621-40 II du code monétaire et financier ;
- Mes Olivier Schnerb et Stéphane Bonifassi, conseils de M. A ;
- Me Catherine Olive, conseil de la société X ;
- Me Francesca Parinello, conseil de M. B ;
La Commission des sanctions
- M. A, pour son compte et celui de la société X qu’il représente en tant que président ;
- M. B ;
- M. C;
les personnes mises en cause ayant pris la parole en dernier.
I - FAITS
A - Présentation des sociétés Z et X et de la société nouvelle des établissements Y
La société Z, la société X et la société nouvelle des établissements Y sont des sociétés foncières cotées en bourse, qui assurent la gestion de biens immobiliers dont elles sont propriétaires et qui détiennent des participations financières dans d'autres sociétés ayant des activités immobilières. La société Z, société-mère de la société X, en détenait, en juillet 2000, 94,82% du capital ; jusqu’en 2003, cette dernière était elle-même la société-mère à 100% de la société W détentrice, quant à elle, de 100% du capital de la société de droit belge V.
L’actionnaire majoritaire de la société Z et X est une société luxembourgeoise, la société U, dont le capital est détenu à 100% par M. A. En 2003 et 2004, celui-ci assurait la présidence des sociétés Z et X, tandis que la direction générale et financière était exercée par M. D.
En 2003 et 2004, la société Y avait pour président M. D. M. A, qui en était l’un des administrateurs,
détenait une part significative du capital, directement ou par l'intermédiaire de deux sociétés
luxembourgeoises : [...], dont il était le seul actionnaire, et [...].
Les sociétés Z, X et Y sont toutes trois devenues, à compter du 1er janvier 2004, des sociétés
d'investissements immobiliers cotées (SIIC) après que chacune d’entre elles eut, pour bénéficier de ce statut instauré par la loi de finances pour 2003, porté son capital au-delà des 15 M€ requis. En décembre 2004, la participation de la société Z dans la société X a considérablement diminué à la suite du versement de dividendes qu'elle a effectué en nature, par distribution d’actions X.
B - Les émissions de bons de souscription d'actions par la société X en septembre 2003 et par la
société Y en décembre 2003
Afin de bénéficier du régime fiscal des SIIC qui était subordonné à un montant du capital social d’au moins 15 M€, la société X et la société Y ont réalisé chacune, respectivement en septembre et en décembre 2003, une opération d'émission de bons de souscription d'actions (BSA).
1°) Les opérations concernant l'émission de BSA par la société X au mois de septembre 2003
L'opération d'émission de « 15 M€ d'actions ou 150 M€ de valeurs mobilières représentatives de créances sur la société », autorisée par l'assemblée générale extraordinaire de la société X, le 18 décembre 2002, a été décidée par le conseil d'administration de la société, le 16 septembre 2003, qui a autorisé le président à émettre gratuitement 2 101 004 BSA, exerçables à raison d'un pour une action sur une période d'un an, jusqu’au 30 septembre 2004.
La société X a annoncé la mise en oeuvre de cette délibération dans un prospectus du 19 septembre 2003, visé par la COB le 17 septembre 2003 comportant diverses informations, notamment sur le prix d'exercice des BSA (13 €) et sur l'objectif de l'opération.
Cette opération a été suivie des décisions suivantes, prises entre octobre et décembre 2003.
Le 27 octobre 2003, une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société V, filiale à
100% de la société W et « petite-fille » de la société X, a décidé la distribution d'un acompte sur
dividendes de 15M€, à verser avant la fin de l'année 2003 à ses actionnaires, c’est à dire à la société W.
Le conseil d'administration de la société X a :
- le 5 novembre 2003, approuvé le projet de fusion par absorption de sa filiale W, qui a été signé
par les deux sociétés le 7 novembre 2003 ;
- le 27 novembre 2003, constaté l’exercice par la société Z de 806 000 de ses BSA et l’exercice
par le public de 45 030 BSA, qui ont donné lieu à l’émission d’autant d’actions nouvelles ;
- le 2 décembre 2003, décidé de porter à 15 265 398 € le capital de la société, par incorporation de
la prime d'émission.
Le paiement par la société Z des 10 478 000 € correspondant à l’exercice des 806 000 BSA s'est effectué par imputation sur son compte courant dans la société X. La société Z ne s’est pas trouvée appauvrie d’autant puisque, le 15 décembre 2003, son conseil d'administration et celui de la société V ont autorisé la vente par la première à la seconde des 1 186 222 BSA qui lui restaient, à raison de 7,93 € l’un : elle a ainsi perçu une somme de 9 406 740 €.
Le 16 décembre 2003, le conseil d'administration de la société V a décidé que le paiement de l'acompte sur dividendes de 15M€ à la société W voté le 27 octobre 2003 serait effectué « par transmission de titres de BSA à hauteur de 9 406 740,46 €, et en numéraire pour la somme de 5 593 259,54 € ».
La fusion de X avec W ayant été entérinée le 19 décembre 2003 par l'assemblée générale ordinaire et extraordinaire de la première société, le conseil d'administration de la société X a, le 22 décembre 2003 :
- annulé les BSA entrés dans ses actifs du fait de la fusion avec la société W ;
- constaté en comptabilité, au titre de l'exercice 2003, une perte de 9 406 740 € correspondant à la
valeur d'apport des BSA annulés ;
- décidé le rachat du reliquat des BSA restant en circulation, soit 63 752, au prix de 7,93 €,
décision qui n’a pas été suivie d’effet, les renseignements sur le circuit de l’ensemble des BSA
alors demandés par l’AMF ne lui ayant pas tous été fournis.
Le 5 avril 2004, dans le cadre de l'audit des comptes annuels de la société, le cabinet [...] a adressé à
M. D une note relative au « régime fiscal de la perte d'annulation, par la société X, de BSA qu'elle avait émis »”, note transmise par fax au cabinet de commissaires aux comptes [...] le 20 avril suivant.
Le 30 avril 2004, les comptes de la société X au titre de l'exercice 2003 ont été publiés au BALO. Dans le compte de résultat, figurait, dans les charges financières, sous la rubrique « charges nettes sur cessions de valeurs mobilières de placement », la somme de 9 406 740 € venant en déduction des produits pour le calcul du résultat, qui était bénéficiaire à hauteur de 13 584 271 €. Les comptes comportaient une annexe composée de sept notes dont la première, intitulée « évènements principaux de l'exercice », faisait état de l'annulation des BSA, à la suite de la fusion avec la société W, et de la perte financière de 9 407 K€ qui en était résultée.
Les comptes annuels de l'exercice 2004 de la société X, publiés au Balo du 4 mai 2005 ont indiqué qu' « il a été constaté au cours de l'exercice 2004 des augmentations de capital à la suite de la création de 6 663 actions entre le 1er janvier et le 30 septembre 2004 » et que « tous les BSA non exercés au 30 septembre 2004 sont arrivés au terme de leur période de validité et ont été annulés conformément aux dispositions de la note d'opération ».
2°) L'émission des BSA par la société Y au mois de décembre 2003 et les déclarations de franchissement de seuil de participation dans le capital de la société
La société Y, au capital de 560 000 € réparti en 36 500 000 actions, a décidé, lors de son assemblée
générale du mois de juin 2003 :
- d'émettre et d'attribuer gratuitement des BSA aux actionnaires sur une période de 26 mois ;
- d'augmenter préalablement son capital en le portant à 26,6 M€, répartis en 166 500 000 actions, afin de bénéficier du statut des SIIC.
La décision d'émission de BSA comportait l'attribution gratuite de 365 millions de BSA à raison de 10 pour une action ; elle a été publiée dans un prospectus du 29 décembre 2003 visé par l'AMF. Dans ce document, M A, à titre personnel et la société T s'étaient engagés à exercer, respectivement, 10 340 900 et 82 199 060 BSA, soit en tout 92 539 960 BSA.
Le 15 décembre 2003, à la suite d'une acquisition d'actions, M. A a fait une déclaration de franchissement du seuil de 20% de sa participation dans le capital de la société Y, précisant avoir atteint 25,48%, soit 9 303 090 actions (2,83%, soit 1 034 090 actions, directement et 22,65%, soit 8 269 000 actions par l'intermédiaire de la société T) : décision et information AMF n° 203C2154.
Le 6 janvier 2004, la société [...] a fait une déclaration de franchissement des seuils de 10% et 20% du capital de la société Y à la suite de l'exercice des BSA émis le 24 décembre 2003, indiquant détenir 30,415% représentant 50 641 000 actions : décision et information AMF n° 204C0084.
II - PROCEDURE
Le secrétaire général de l'AMF a ouvert, le 24 septembre 2004, une enquête sur l’information financière et le marché des titres Z, X et Y à compter du 31 décembre 2002, enquête qui, par décision du 20 octobre 2004, a été étendue à la période commençant le 1er octobre 2002.
Le 16 octobre 2006, à la suite du rapport établi le 25 septembre 2006 par la direction des enquêtes et de la surveillance des marchés (DESM), la commission spécialisée n° 3 du Collège de l’AMF a, en application de l’article R. 621-38 du code monétaire et financier, décidé de notifier des griefs à la société X, à M. A, à M. B et à M. C, ce qui fut fait par lettres du président de l'AMF le 5 décembre 2006.
Il est reproché, sur le fondement des articles 1er à 3 du règlement n° 98-07 de la COB relatif à l’obligation d’information du public, dispositions reprises à compter du 25 novembre 2004, notamment, par les articles 222-2 et 632-1 du règlement général de l’AMF :
- à la société X et à M. A d'avoir communiqué des informations inexactes, imprécises ou trompeuses dans le prospectus du 19 septembre 2003 visé par la COB, à propos de l’objectif d'augmentation du flottant lors de l'émission des BSA réalisée en novembre 2003 ;
- à la société X, à M. A et à MM. B et C, commissaires aux comptes de la société X, d'avoir, dans
l'annexe aux comptes sociaux 2003 que les deux derniers n’auraient pas dû certifier, communiqué
des informations insuffisantes à propos du circuit de l’ensemble des BSA ayant conduit à l’annulation de certains d’entre eux et à la comptabilisation subséquente d’une perte qui a amputé de 40% les résultats de la société.
Il est en outre fait grief à M. A d'avoir omis de déclarer un franchissement de seuil de plus du tiers dans le capital de la société Y au début du mois de janvier 2004, en infraction aux articles L. 233-7 et L. 233-8 du code de commerce.
En application de l’article R. 621-38 du code monétaire et financier, copie des notifications de griefs a été transmise le 5 décembre 2006 par le président de l’AMF au président de la Commission des sanctions qui, par décision du 22 décembre 2006, a désigné M. Alain Ferri en qualité de rapporteur.
Ont formulé des observations écrites, en réponse à la notification des griefs :
- Me Catherine Olive pour la société X, par courrier du 31 janvier 2007 ;
- M. A et Me Stéphane Bonifassi pour le compte de M. A, par deux courriers du 5 février 2007 ;
- MM. B et C, par un courrier commun du 29 janvier 2007.
Par lettres du 12 janvier 2007, les mis en cause ont été informés de la désignation du rapporteur et de la faculté qui leur était offerte d’être entendus à leur demande.
A la demande de M. A, il a été procédé à son audition, à titre personnel et en qualité de dirigeant de la société X, assisté de ses avocats, le 15 juin 2007. Il a été également procédé, le 8 juin 2007, à l'audition de M. D.
Par lettre du 5 octobre 2007, le rapporteur a demandé des précisions au directeur de la DESM sur le
manquement à l'obligation d'information relative au franchissement de seuil dans le capital de la société Y reproché à M. A. Une réponse lui a été adressée le 15 octobre 2007.
Les personnes mises en cause ont été convoquées à une séance du 29 novembre 2007 par des courriers en date du 22 octobre 2007 auxquels était annexé le rapport signé par le rapporteur.
Des observations en réponse au rapport du rapporteur ont été présentées par Me Catherine Olive pour le compte de la société X en date du 6 novembre 2007, par Me Stéphane Bonifassi pour le compte de M. A reçues par l’AMF le 6 novembre 2007, par Me Francesca Parrinello pour le compte de M. B en date du 7 novembre 2007 et par Me André-François Bouvier pour le compte de M. C en date du 9 novembre 2007 ;
Des conclusions de nullité ont été déposées le 27 novembre 2007 par Me Olivier Schnerb pour le compte de M. A, reprises à son compte par Me Catherine Olive pour la société X ;
Par lettre du 21 novembre 2007, le rapporteur a demandé des précisions supplémentaires au DESM sur le nombre de titres Y détenus par la société T au 31 décembre 2003. Une réponse lui a été adressée le 27 novembre 2007.
M. Antoine Courteault, membre de la 2ème section de la Commission des sanctions, s’étant déporté ne prend pas part à la séance mais est réputé présent au titre du quorum conformément aux prévisions de l’article R. 621-7 du code monétaire et financier.
III - SUR LES MANQUEMENTS
A - Sur les textes applicables
Considérant que les manquements objet des notifications de griefs, s'étant déroulés avant le 25 novembre 2004, doivent, en vertu du principe de survie de la loi plus douce, être appréciés au regard des dispositions combinées des articles L. 621-15 et L. 621-14 du code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 qui subordonne la sanction aux effets que doivent avoir eu les pratiques : fausser le fonctionnement du marché, procurer aux intéressés un avantage injustifié qu'ils n'auraient pas obtenu dans le cadre normal du marché, porter atteinte à l'égalité d'information et de traitement des investisseurs ou à leurs intérêts, faire bénéficier les émetteurs et les investisseurs des agissements d'intermédiaires contraires à leurs obligations professionnelles ou porter atteinte aux droits des épargnants ;
Considérant que les notifications de griefs portant sur la communication d'informations inexactes,
imprécises ou trompeuses prévue par les articles 1er à 3 du règlement COB n° 98-07 relatif à l’obligation d’information du public concernent des faits qui se sont produits à la fin de l’année 2003 et au début de l’année suivante, de sorte qu’ils doivent être appréciés au regard des dispositions de ce règlement, alors applicable ; qu’en effet, ces dispositions ont été reprises par les articles 222-1 et 222-2 du règlement général de l’AMF, entrés en vigueur le 25 novembre 2004, devenus les articles 221-1 et 223-1 dudit règlement général ; qu’il convient en outre de faire bénéficier les mis en cause, en vertu du principe de l’application immédiate de la loi plus douce, des dispositions de l’article 632-1 du règlement général de l'AMF, moins sévères en ce qu'elles exigent de rechercher si la société, les dirigeants et les commissaires aux comptes « savaient ou auraient dû savoir » que les informations qu’ils ont communiquées au public étaient inexactes, imprécises ou trompeuses ;
B - Sur les exceptions de procédure
Considérant que, dans ses observations en réponse au rapport du 22 octobre 2007 et en séance, par l’intermédiaire de ses conseils, M. A fait valoir que l'enquête, le rapport et la présente décision sont nuls du fait d’une violation des droits de la défense résultant des conditions dans lesquelles les enquêteurs ont conduit leurs investigations, de l'ampleur des actes coercitifs intervenus, du détournement de procédure qui en serait résulté et de la présomption de partialité qui pèse tant sur la conduite et le contenu du rapport que sur la Commission elle-même ;
Considérant qu’il résulte des pièces du présent dossier, d’une part, que l’enquête a été engagée par le secrétaire général de l’AMF et conduite par les services compétents dans le plein respect des dispositions des articles L. 621-9 à L. 621-12 du code monétaire et financier, d’autre part, que, contrairement à ce qui est soutenu, n’ont été prises que les mesures coercitives strictement nécessaires à la manifestation de la vérité, de sorte qu’aucune atteinte n’a été portée au principe de proportionnalité ;
Considérant que le rapporteur régulièrement désigné a, conformément aux dispositions de l’article R. 621- 39 du même code, procédé à l’audition des personnes qui l’ont demandé, puis consigné dans son rapport le résultat de ses diligences, ainsi que son appréciation sur le bien-fondé des griefs ; que l’énoncé du point de vue du rapporteur, qui n’est interdit par aucun texte, présente l’avantage de permettre aux mis en cause assistés de leurs défenseurs de faire valoir leurs moyens de défense, tant avant que pendant la séance ; que la mise en œuvre, dans une parfaite transparence, d’un tel débat contradictoire respecte pleinement les principes, non seulement de l’égalité des armes, mais aussi de l’impartialité, dès lors que le rapporteur ne délibère pas avec les membres de la Commission qui sont appelés à se prononcer ;
Considérant enfin que, sauf à remettre en cause toutes les décisions rendues par des formations telles que les chambres « correctionnelles » des juridictions ou la chambre « criminelle » de la Cour de cassation, il n’est pas sérieux de soutenir que, du fait même de sa dénomination se rapportant aux « sanctions » qu’elle est susceptible de prononcer, la présente Commission ne présenterait pas les garanties objectives d’impartialité requises par la Convention européenne des droits de l’homme ;
Considérant qu’en conséquence, les demandes d’annulation de l’ensemble des actes de la procédure ne peuvent qu’être rejetées ;
C - Sur le manquement reproché à la société X et à M. A, relatif à l'objectif d'augmenter le flottant
de cette société, tel qu’il est annoncé dans le prospectus du 19 septembre 2003
Considérant qu'en page 2 du prospectus du 19 septembre 2003 diffusé par la société X, dans le
paragraphe « Objectif de l'opération », il est mentionné que « cette opération d'attribution gratuite de [BSA]
a (...) pour but de renforcer à terme les fonds propres et assurer ainsi le développement futur, permettre à la société d'opter en faveur du nouveau régime des [SIIC], augmenter à moyen terme le flottant et l'animation du titre » ;
Considérant qu’il n’est pas contesté que ce dernier objectif n’a pas été atteint, puisque le flottant de la société X est demeuré stable, aux alentours de 5% ; qu’après l'expiration de la période d'exercice des BSA fixée au 30 septembre 2004, la société Z détenait 94,57% des actions de la société, ainsi que le constate la Décision et information de l'AMF n° 204C1530 du 15 décembre 2004 (cotes 2292 et 2291) ; qu’il n’importe que, comme le font valoir les mis en cause, l’élargissement du flottant ait été réalisé à la fin du mois de décembre 2004 à l’occasion de la distribution de la participation de la société Z aux autres actionnaires, dès lors que cet élargissement a été la conséquence de décisions qui, intervenues près de trois mois après la date limite d’exercice des BSA et plus de quinze mois après la publication du prospectus du 19 septembre 2003, étaient tout à la fois étrangères et postérieures à l’opération visée par ce document ;
Considérant que non seulement rien n’a été fait pour atteindre l’objectif annoncé le 19 septembre 2003, mais encore le circuit des BSA mis en place entre le 27 octobre et le 22 décembre 2003 a fait
manifestement obstacle à l’élargissement du flottant ;
Considérant qu’en effet, les explications des mis en cause sur l’émission et l’attribution à la société Z d’un nombre de BSA plus de deux fois supérieur à ce que nécessitait l’augmentation de capital recherchée sont inopérantes, qu’il s’agisse, comme l’a prétendu M. D devant la Commission, du souci de simplification consistant à rattacher une action à chaque BSA, ou de l’idée exprimée par M. A selon laquelle « qui peut le plus peut le moins » (cote 2361) ; qu’une émission aussi importante de BSA n’aurait pu se justifier que dans la perspective de cessions massives à des tiers ; que la société Z ne justifie pas avoir pris une quelconque initiative de mise sur le marché des 1 186 222 BSA qu’elle a décidé de ne pas exercer ;
Considérant que, bien au contraire, ces BSA ont suivi un circuit interne qui les mettait complètement hors de portée d’autres investisseurs ; que, comme le montre la chronologie ci-dessus rappelée (I B 1°), ont été prises entre sociétés-mères, filiales et sous-filiales les décisions :
- dès le 27 octobre 2003, de faire distribuer à W par la société V, « petite-fille » de la société X, un
acompte sur dividendes de 15 M€ ;
- neuf jours plus tard, le 5 novembre 2003, de programmer l’absorption par la société X de sa filiale W, qui allait ainsi bénéficier de cette distribution de dividendes ;
- le 15 décembre 2003, d’organiser la vente par la société Z à la société V des 1 186 222 BSA non
exercés ;
- le lendemain, 16 décembre 2003, d’effectuer le paiement de l'acompte sur dividendes, notamment, au moyen de la transmission des BSA acquis pour 9 406 740 € par la société V à la société W, ce qui allait rendre inéluctable leur annulation à hauteur de ce montant au moment de l’absorption effective, six jours plus tard, de cette dernière société par la société X ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l’émission d’un nombre excessif de BSA, puis la mise en place d’un circuit de transmission “ en vase clos ” de ceux qui n’ont pas été exercés par la société Z, avaient pour objectifs :
- d’une part, pour la société Z, de compenser à hauteur de 9 406 740 €, au moyen d’une remontée de la trésorerie dont disposait V, la réduction de sa créance à l’égard de la société X, grâce à laquelle l’augmentation du capital de cette dernière a pu être faite ;
- d’autre part, d’enregistrer dans les comptes de la société X, pour le même montant, la perte de
9 406 740 € correspondant à l’annulation des BSA, qui est venue s’imputer sur son bénéfice
imposable ;
Considérant que la poursuite de tels objectifs, présupposant la mise en place, pour les BSA
surnuméraires, d’un circuit interne au groupe, allait évidemment à l’encontre de la perspective
d'élargissement du flottant annoncée dans le prospectus diffusé le 19 septembre 2003 ; qu’en sa qualité de dirigeant des sociétés Z et X, M. A avait nécessairement conscience de l’incompatibilité entre cet objectif et, pour en avoir été l’un des organisateurs, les opérations successives entre ces sociétés, leurs « filles » et « petites-filles »; qu’il en est de même de la société X, représentée par son président ;
Considérant que l’annonce inexacte et trompeuse d’un tel objectif d'élargissement du flottant, qui n’a à aucun moment été rectifiée, a eu pour effet de porter atteinte à l'égalité d'information des investisseurs, dès lors que les actionnaires minoritaires et le reste du public ont été abusés sur l’un des buts prétendument poursuivis à l’occasion de l’émission des BSA ; qu’ainsi, le manquement est caractérisé en tous ses éléments ;
D - Sur le manquement reproché à la société X, à M. A, à M. B et à M. C relatif à l’information
donnée dans les comptes sociaux 2003, certifiés sans réserve, à propos de l’annulation des BSA
par la société X ayant conduit à la comptabilisation d’une perte de 9 407 K€
Considérant que les comptes de l’exercice 2003 de la société X comportaient en annexe une note n°1 intitulée « Evènements de l'exercice » (cote 2252) mentionnant :
« Le 16 septembre 2003, la société a procédé à l'émission et à l'attribution gratuite de 2 101 004 [BSA] à raison de 1 BSA par action, chaque BSA donnant droit à la création d'une action nouvelle pour un prix de 13 €. Les titulaires de BSA auront la faculté de souscrire des actions nouvelles à tout moment à partir du 19 septembre 2003 et jusqu'au 30 septembre 2004 inclus. Le 2 décembre 2003, le capital social a été porté de 4 202 008 € à 5 904 068 € (plus 1 702 060 €), suite à l'exercice de 851 030 bons de souscription ayant entraîné la création de 851 030 nouvelles actions. Les actions ont été intégralement libérées du nominal pour un montant de 1 702 06 € et de la prime d'émission pour un montant de 9 361 330 €. Le conseil d'administration a également décidé l'incorporation de l'intégralité de la prime d'émission au capital, celui-ci est donc porté à 15 265 398 €. L'assemblée générale extraordinaire et ordinaire du 19 décembre 2003 a décidé de procéder à une fusion par voie d'absorption de la société W, celle-ci venant par ailleurs de fusionner avec les sociétés [...].
Suite à cette fusion, des BSA étant détenus directement par ADC ont fait l'objet d'une annulation
entraînant une perte financière de 9 407 K€ ».
Considérant qu’il convient de rechercher si l’information donnée est suffisamment précise et complète pour permettre aux investisseurs, et notamment aux actionnaires minoritaires, de porter en connaissance de cause une appréciation sur les rouages essentiels du mécanisme qui vient d’être décrit ci-dessus (III C) et qui a conduit à la prise en compte de la perte de 9 407 K€ ;
Considérant que le déroulement des opérations n’est pas complètement retracé, puisque, comme l’a fait observer en séance M. E, entendu à la demande de la société X, n’apparaissent pas les étapes
intermédiaires qui ont permis d’aboutir à cette annulation, et notamment la cession par la société Z à V de ses 1 186 222 BSA non exercés, puis la remontée de ces BSA à la société W à l’occasion du versement d’un acompte sur dividendes ;
Considérant toutefois que le rapport de gestion du conseil d’administration à l’assemblée générale
d’approbation des comptes de l’exercice 2003 (pages 4 à 6) comporte, ainsi que le soulignent les mis en cause, davantage d’indications sur l’émission des BSA, qu’il s’agisse du nombre de ceux qui ont été exercés par la société Z et dans le public, de l’augmentation du capital de la société X, de sa fusion avec la société W, de l’évolution de la participation de la société Z dans X, enfin, de la décision du conseil d’administration du 22 décembre 2003 ayant “ constaté l’annulation de 1 186 222 BSA X reçus dans le cadre de la fusion par absorption de la société W par X avec effet au 19 décembre 2003 ” ; que ces données permettent de comprendre que les BSA trouvés dans les actifs de W, compte tenu de leur nombre, ne peuvent provenir, directement ou indirectement, que de la société Z et ont, à un moment de leur circuit de transmission, été valorisés à hauteur de 9 406 740 € ; qu’ainsi, s’agissant des comptes de la seule société X, et non des comptes consolidés du groupe, on peut estimer, d’une part, qu’étaient fournies, sinon toutes les précisions, du moins les indications essentielles sur l’origine, le prix et une partie du circuit interne des BSA, d’autre part, que ces données ont permis aux petits actionnaires et au public d’entrevoir les composantes essentielles du mécanisme ayant conduit à la comptabilisation, en perte, de
9 407 K€ et, dès lors, de porter une appréciation sur cette opération ;
Considérant que l’information donnée ne paraît donc pas, pour autant, pouvoir être regardée comme insuffisamment “ précise ” au sens de l’article 2 du règlement COB n° 98-07, de sorte que le manquement ne sera pas retenu ;
E - Sur le manquement reproché à M. A à propos de l'omission de déclaration de franchissement
de seuil dans le capital de la société Y en janvier 2004
Considérant qu'en décembre 2003 et janvier 2004, deux déclarations de franchissement de seuil dans le capital de la société Y ont été effectuées :
- la première de 20%, par M. A, le 15 décembre 2003 : pour 25,48% du capital représentant 9 303 090 titres (dont 1 034 090 titres soit 2,83% directement - décision et information AMF n° 203C1254 du 17 décembre 2003 - cote 565)
- la seconde de 10 et 20%, par la société [...], le 6 janvier 2004 : pour 30,415% du capital représentant 50 641 000 actions sur les166 500 000 actions composant le capital de la société, à la suite de l'émission de BSA le 24 décembre 2003 (Décision et Information AMF n° 204C0084 du 15 janvier 2004 complétée par une décision du 20 janvier 2004 - cotes 563 et 561) ;
Considérant qu’il est reproché à M. A de ne pas avoir déclaré le franchissement de seuil du tiers du capital de la société Y intervenu à la fin de l’année 2003 ; qu’il importe peu que ce seuil ait été ou non franchi, dès lors qu’à l’époque des faits, l’article 1er du règlement COB n° 88-02 précisant, conformément aux prescriptions de l’article L. 233-7, alinéa 2, du code de commerce, les conditions dans lesquelles l’information devait être portée à la connaissance du public, ne visait que le franchissement des seuils de 10% et 20% ; que si l’obligation de déclarer le franchissement du seuil du tiers est maintenant expressément prévue par les articles 222-12 et 222-12-1 du règlement général de l’AMF, tel n’était pas alors le cas, de sorte que le principe de survie de la loi ancienne plus douce interdit de retenir le manquement ;
IV - SUR LES SANCTIONS
Considérant que seront infligées respectivement à la société X et à M. A, dirigeant et actionnaire
majoritaire, au moment des faits, de cette société et de la société Z, des sanctions pécuniaires de
50 000 € et de 100 000 € prenant en compte la gravité du seul manquement retenu, qui a eu pour effet de tromper les investisseurs sur l’un des objectifs recherchés à l’occasion de l’émission de bons de souscription d’actions ;
Considérant que le V de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier dispose que « la commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, à moins que cette publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées » ; que, par ces dispositions, le législateur a entendu mettre en lumière les exigences d’intérêt général relatives à la loyauté du marché, à la transparence des opérations et à la protection des épargnants qui fondent le pouvoir de sanction de la Commission, et prendre en compte l’intérêt qui s’attache, pour la sécurité juridique de l’ensemble des opérateurs, à ce que ceux-ci puissent, en ayant accès aux décisions rendues, mieux appréhender le contenu des règles qu’ils doivent observer ;
qu’aucune circonstance de l’espèce n’est de nature à démontrer que la publication de la décision
entraînerait, compte tenu de ces exigences, des conséquences disproportionnées sur la situation de la société X ou de M. A ; que la publication de la décision sera en conséquence ordonnée ;
PAR CES MOTIFS,
Et après en avoir délibéré, sous la présidence de Mme Claude Nocquet, par MM. Jean-Pierre Morin,
membre de la 2ème section de la Commission des sanctions et Joseph Thouvenel, membre de la 1ère section de la Commission des sanctions, suppléant M. Jean-Jacques Surzur, et en présence de la secrétaire de séance :
DECIDE DE :
- rejeter les conclusions de nullité ;
- mettre hors de cause M. B et M. C ;
- prononcer à l'égard de la société X une sanction pécuniaire de cinquante mille euros (50 000 €) ;
- prononcer à l'égard de M. A une sanction pécuniaire de cent mille euros (100 000 €) ;
- publier la présente décision au Bulletin des Annonces légales obligatoires ainsi que sur le site internet et dans la revue mensuelle de l'AMF.