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Décisions

Cass. 1re civ., 13 mai 2014, n° 12-25.900

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Charruault

Rapporteur :

M. Girardet

Avocat général :

M. Pagès

Avocats :

SCP Lévis, SCP Piwnica et Molinié, SCP Waquet, Farge et Hazan

Paris, du 27 juin 2012

27 juin 2012

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 juin 2012), que la société Xooloo, fondée par les consorts X..., qui avait mis au point un système de contrôle parental sur internet reposant sur le principe du « rien sauf » selon lequel aucun site n'est accessible aux mineurs sauf ceux répertoriés sur une « liste blanche » dénommée « Guide Juniors », a conclu le 16 août 2004, avec la société Wanadoo, aux droits de laquelle vient France Télécom, devenue la société Orange, un contrat de mise à disposition de son « Guide Junior » ; qu'ayant découvert que la société Optenet, avec laquelle elle était en pourparlers pour la fourniture d'une solution globale de contrôle parental, avait élaboré une même « liste blanche » qu'elle avait diffusée à des fournisseurs d'accès à Internet, la société Xooloo a assigné en contrefaçon de base de données et en concurrence déloyale les sociétés Optenet et Optenet Center, puis a assigné en intervention forcée la société France Télécom, devenue société Orange ;

Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu que la société Orange fait grief à l'arrêt attaqué de la condamner, in solidum avec la société Optenet, à payer à la société Xooloo les sommes de 1 861 604,05 euros et 2 000 000 euros à titre de dommages-intérêts et à rembourser à la société Xooloo le prix d'une insertion dans trois publications de son choix, du dispositif du jugement et de la mention de l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en condamnant la société France Télécom à réparer le préjudice de la société Xooloo sans préciser le fondement juridique de sa décision, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, la responsabilité de la société France Télécom était recherchée par la société Xooloo sur un fondement délictuel au titre de l'atteinte portée à ses droits d'auteur et de producteur de base de données ; qu'à supposer la condamnation prononcée sur un fondement contractuel, en relevant d'office le moyen tiré de la responsabilité contractuelle de la société France Télécom, sans inviter au préalable les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ que l'action en réparation de l'atteinte portée au droit d'auteur ou au droit du producteur de base de données ne tend pas aux mêmes fins que l'action en responsabilité contractuelle ; qu'à supposer la condamnation prononcée sur un fondement contractuel, en relevant d'office le moyen tiré de la responsabilité contractuelle de la société France Télécom, la cour d'appel a modifié l'objet du litige, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

4°/ que le contrat conclu entre la société Xooloo et la société Wanadoo France, devenue France Télécom, avait pour objet l'intégration du « Guide junior » développé par la société Xooloo dans la solution de contrôle parental « Securitoo » développée par la société Optenet et commercialisée par Wanadoo France et sa filiale, Nordnet ; qu'il prévoyait le transfert de la base de donnée cryptée de Xooloo à la société Nordnet, le décryptage par cette dernière de cette base de données pour intégration dans le logiciel de contrôle parental puis un nouveau cryptage avant mise à disposition des utilisateurs ; qu'à supposer la condamnation prononcée sur un fondement contractuel, en jugeant que France Télécom avait commis des fautes contractuelles parce qu'il incombait au fournisseur d'accès à Internet ou à Nordnet, et non à Optenet, d'intégrer la base de données de la société Xooloo dans le logiciel de contrôle parental Securitoo et de crypter la base destinée aux clients, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du code civil ;

5°/ que les dispositions des articles 1382 et suivants du code civil sont inapplicables à la réparation d'un dommage se rattachant à l'inexécution d'un engagement contractuel ; qu'à supposer la condamnation prononcée sur un fondement délictuel, en condamnant la société France Télécom sur un fondement délictuel à raison de l'inexécution de ses obligations contractuelles, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que la société Xooloo ayant, aux termes de ses écritures, recherché la responsabilité de la société France Télécom pour avoir manqué à ses obligations contractuelles en ne mettant pas en oeuvre une solution de cryptage, en violant la clause de confidentialité et en acceptant que sa filiale ( Nordnet) viole délibérément les engagements contractuels souscrits par ses soins, c'est sans méconnaître le principe de la contradiction, ni modifier l'objet du litige, que la cour d'appel a retenu que la société France Télécom avait commis des fautes contractuelles qui avaient permis et facilité l'appropriation illicite de la base de données par la société Optenet et avaient concouru à la réalisation du dommage ;

Et attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que l'article 3-5 du contrat conclu entre la société Wanadoo et la société Xooloo prévoyait que l'intégration du « Guide Junior » à l'offre de contrôle parental était assurée « par le fournisseur d'accès à Internet et /ou sa filiale Nordnet » et que celui-ci s'engageait à mettre en oeuvre toute mesure de protection de la base notamment par son cryptage, la cour d'appel a pu en déduire que le contrat mettait à la charge de la société Wanadoo et / ou de la société Nordnet les opérations d'intégration de la base de données dans le logiciel de contrôle parental et le cryptage de la base destinée aux clients ;

Que le moyen, qui manque en fait en ses première et cinquième branches, n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Orange fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que seule l'extraction et/ou la réutilisation de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d'une base de données ayant requis un investissement substantiel peut être interdite par son producteur ; qu'en se fondant sur le pourcentage d'identité entre les adresses URL et les noms de domaines de la base de données de la société Optenet et ceux composant la base de données de la société Xooloo pour caractériser l'atteinte au droit du producteur de bases de données reconnu à cette dernière, sans constater que les données extraites devraient correspondre, quantitativement ou qualitativement, à un investissement substantiel de la société Xooloo, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et L. 342-1 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ que la protection d'une base de données par le droit d'auteur s'applique au choix ou à la disposition des données qu'elle contient, à l'exclusion de son contenu ; qu'en se fondant sur le pourcentage d'identité entre les adresses URL et les noms de domaines de la base de données de la société Optenet et ceux composant la base de données de la société Xooloo pour caractériser la contrefaçon résultant des actes de reproduction sans autorisation de son auteur de la base de données de celle-ci, sans constater qu'auraient été reproduits des éléments liés au choix ou à la disposition du contenu de cette base de données constituant une expression originale de la liberté créatrice de son auteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 111-1, L. 112-3, L. 122-5 et L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle, tels qu'interprétés à la lumière des articles 3 et suivants de la directive n° 96/9/CE du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a apprécié souverainement l'importance des extractions litigieuses, a constaté que mille adresses URL complètes à l'octet près, et neuf cent soixante-quatorze noms de domaines de la « liste blanche » se retrouvaient dans la base incriminée, caractérisant ainsi l'extraction d'une partie substantielle de la base de données de la société Xooloo, sans l'autorisation de cette dernière ;

Et attendu qu'après avoir relevé que la base de données de la société Xooloo, construite sur le principe du « rien sauf », se présentait sous la forme d'une « liste blanche » (dénommée « Guide junior »), porteuse d'une sélection d'adresses URL et retenu que celle-ci reflétait des choix éditoriaux personnels, opérés au regard de la conformité des contenus qui la constituent à la charte qui gouverne la démarche de la société Xooloo, l'arrêt constate que la société Optenet a constitué une base de données fondée sur le même principe, dont la partie visible présentait avec la partie non cryptée de la base de données de la société Xooloo un taux d'identité s'élevant à 35,05 % des adresses URL complètes -parmi lesquelles des adresses dites « sentinelles » délibérément tronquées par Xooloo-, et à 59,82 % des noms de domaine, que la cour d'appel en a déduit que ces actes de reproduction constituaient des actes de contrefaçon de droit d'auteur, justifiant ainsi légalement sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.