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Décisions

Cass. crim., 1 juin 2011, n° 10-83.671

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme Ract-Madoux

Avocats :

Me Foussard, SCP Waquet, Farge et Hazan

Rennes, du 6 mai 2010

6 mai 2010

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Mme Nadine X..., 

contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 3e chambre, en date du 6 mai 2010, qui, pour fraude fiscale, l'a condamnée à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d'amende, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile ;


Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et de réponse à conclusions ;

"en ce que l'arrêt attaqué n'a pas répondu à la demande de Mme X... tendant à ce qu'il soit sursis à statuer jusqu'à ce que la juridiction commerciale de la cour d'appel de Rennes ait statué dans l'instance opposant la société RDB à la société ACMF ;

"alors que les arrêts des juridictions de jugement sont nuls lorsqu'il a été omis ou refusé de prononcer sur une demande des parties ; que Mme X... demandait au juge pénal de surseoir à statuer dans l'attente que la cour d'appel se prononce sur la responsabilité de la société ACMF dans l'irrégularité des déclarations de TVA remplies au nom de la société RDB ; qu'en ne se prononçant pas sur cette demande contenue dans des conclusions régulièrement soumises à son examen, la cour a violé l'article 593 du code de procédure pénale" ;

Attendu que la demanderesse ne saurait faire grief à l'arrêt attaqué de ne pas avoir répondu à une demande de sursis à statuer dès lors que celle-ci n'était pas de nature à faire obstacle à l'exercice de l'action publique ;

D' où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1741 et 1750 du code général des impôts, de l'article 50 §1 de la loi n°52-401 du 14 avril 1952, et des articles 121-1 et 121-3 du code pénal, violation de la loi ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Mme X... coupable de soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt ;

"aux motifs que Mme X... exerçait les fonctions de gérance de plusieurs sociétés ; qu'elle n'ignorait rien des obligations fiscales et sociales qui étaient les siennes ; qu'ainsi qu'elle le reconnaît, c'est de manière volontaire et délibérée qu'elle signait en blanc des déclarations de TVA sans se soucier d'aucune manière de savoir si les obligations déclaratives de la société, qui lui incombaient en propre, étaient effectivement remplies ; que les spécificités du fonctionnement de la société Résidence de Bretagne dont l'activité de conseil était rémunérée par les autres sociétés du groupe de manière ponctuelle et pour des montants importants devaient nécessairement amener sa gérante à être particulièrement vigilante les mois où son entreprise recevait des paiements importants dont elle avait connaissance au travers du compte bancaire de la société, alors au surplus qu'en plusieurs occurrences elle a retiré de l'argent de son compte courant d'associé à des dates proches de ces encaissements dont elle avait en conséquence parfaitement connaissance ;

"et aux motifs adoptés que l'établissement des déclarations fiscales relève de la seule responsabilité du dirigeant social, ce que Mme X... ne conteste pas ; que les prétendues carences de l'expert comptable ne peuvent donc exonérer la prévenue de sa responsabilité pénale ; qu'elle ne saurait en particulier se borner à invoquer sa négligence alors que les opérations réalisées par la SARL Résidence de Bretagne étaient très ponctuelles mais pour des montants importants, de sorte qu'elle ne pouvait ignorer que les trois déclarations « néant » qui lui sont reprochées ne correspondaient pas à la réalité ;

"1°) alors que nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; que la responsabilité pénale d'un dirigeant pour la fraude fiscale résultant de l'irrégularité des comptes de sa société suppose que soit établie sa participation personnelle, par action ou par abstention consciente, à la fraude commise ; qu'en déclarant Mme X... coupable de fraude fiscale pour avoir signé en blanc des déclarations de TVA remplies par la société AEMS, cabinet d'expertise chargé de tenir la comptabilité de sa société, la cour d'appel, qui n'a pas constaté sa participation personnelle à ladite fraude, ni sa connaissance de ce que des déclarations irrégulières étaient rédigées et transmises à l'administration fiscale par la société AEMS, a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"2°) alors qu'il n'existe ni crime ni délit sans intention de le commettre ; qu'en condamnant Mme X... pour fraude fiscale au motif que les spécificités du fonctionnement de sa société dont l'activité de conseil était rémunérée de manière ponctuelle et pour des montants importants devaient nécessairement l'amener à être particulièrement vigilante les mois où son entreprise recevait des paiements importants dont elle avait connaissance au travers du compte bancaire de la société, et au motif qu'en plusieurs occurrences elle avait retiré de l'argent de son compte courant d'associé à des dates proches de ces encaissements dont elle avait eu conséquence parfaitement connaissance, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé sa volonté de frauder, ni même sa connaissance de l'irrégularité des comptes établis par la société AEMS a violé l'article 121-3 du code pénal et les articles 1741 et 1750 du code général des impôts ;

"alors qu'enfin, sauf si la loi en dispose autrement, le chef d'entreprise qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il apporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ; que lorsque le pouvoir d'établir les comptes d'une entreprise a été régulièrement délégué à un cabinet d'expertise comptable, la responsabilité pénale du dirigeant pour fraude fiscale ne peut être engagée sauf s'il est établi sa connaissance de l'irrégularité des comptes déposés par le cabinet délégataire ; qu'en condamnant Mme X... pour une fraude fiscale qui résultait d'une erreur de comptabilité commise par le cabinet AEMS, sans rechercher si la délégation de pouvoirs consentie à cette société n'était pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité pénale, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 121-2 du code pénal" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, a sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des principes de nécessité et d'individualisation des peines, de l'article 132-24 du code pénal, des articles 1741 du code général des impôts et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a ordonné aux frais de Mme X... la publication et l'affichage dans les journaux « Ouest-France » et le « Télégramme édition du Finistère », de la condamnation à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende, pour avoir établi mensongèrement trois déclarations de TVA brute de 126 994 euros ;

"aux motifs que la publication et l'affichage (de ladite condamnation) sont des peines complémentaires obligatoires, dont le relèvement est exclu par les dispositions de l'article 132-21 du code pénal ;

"alors que l'article 1741, alinéa 4, du code général des impôts, en ce qu'il impose, de manière automatique, la publication et l'affichage aux frais du condamné, d'un jugement de condamnation, sans que le juge puisse tenir compte des circonstances propres à l'espèce et au prévenu pour apprécier la nécessité d'une telle peine, porte atteinte aux principes de nécessité et d'individualisation des peines garantis par l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que l'abrogation par le Conseil constitutionnel de l'article susvisé dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnel soulevée à titre subsidiaire par Mme X... privera de fondement la condamnation à publication et affichage" ;

Vu les articles 61-1 et 62 de la Constitution ;

Attendu qu' une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 précité est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ;

Attendu qu'après avoir condamné Mme X..., déclarée coupable de fraude fiscale, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende, l'arrêt ordonne la publication de la décision sur le fondement de l'article 1741, alinéa 4, du code général des impôts ;

Mais attendu que cet article a été déclaré contraire à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel du 10 décembre 2010, prenant effet à la date de sa publication au Journal officiel de la République française, le 11 décembre 2010 ;

D'où il suit que l' annulation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs ;

ANNULE, par voie de retranchement, en ses seules dispositions ayant ordonné des mesures de publication, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 6 mai 2010, toute autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.