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Décisions

Cass. crim., 19 mai 2016, n° 15-84.526

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Planchon

Avocat général :

M. Le Baut

Avocats :

SCP Foussard et Froger, SCP Waquet, Farge et Hazan

Aix-en-Provence, du 9 juin 2015

9 juin 2015

Statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité formulée par mémoire spécial reçu le 25 mars 2016 et présenté par :

- M. Patrick X...,

à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN PROVENCE, 5e chambre, en date du 9 juin 2015, qui, pour fraude fiscale et omission d'écritures comptables, l'a condamné à 30 000 euros d'amende et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile ;

1- Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

" Les articles 1729 et 1741 du code général des impôts dans leur version applicable à la date des faits, en ce qu'ils permettent, à l'encontre de la même personne et en raison des mêmes faits, le cumul des poursuites ou de sanctions pénales et fiscales, portent-ils atteinte aux principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? " ;

2- Attendu que l'article 1741 du code général des impôts, dans ses rédactions successives issues respectivement des ordonnances n° 2000-916 du 19 septembre 2000 et n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, applicable du 1er janvier 2006 au 14 mai 2009 et de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, applicable du 14 mai 2009 au 11 décembre 2010, qui constitue le fondement des poursuites pénales et détermine des sanctions pénales " indépendamment des sanctions fiscales applicables " et l'article 1729 du même code, dans sa rédaction, actuellement en vigueur, issue de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008, qui prévoit en particulier une pénalité fiscale qu'est la majoration de droits de 40 % en cas de manquement délibéré, mis en oeuvre par l'administration fiscale à l'égard des requérants, sont applicables à la procédure ;

3- Attendu que ces dispositions, dans leur version applicable à la cause, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ; qu'en outre, à supposer que les articles 1729 et 1741 du code général des impôts ont pu être déclarés conformes à la Constitution dans les décisions respectives du Conseil constitutionnel n° 2010-103 QPC du 17 mars 2011 et n° 2013-679 QPC du 4 décembre 2013, les décisions du Conseil n° 2014-453/ 454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015 et n° 2015-513/ 514/ 526 QPC du 14 janvier 2016 sont de nature à constituer un changement de circonstances ;

4- Attendu que la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle ;

5- Attendu qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ;

6- Attendu que, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition ; que le Conseil constitutionnel juge que le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction ; qu'il juge aussi que, si l'éventualité que soient engagées deux procédures peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ;

7- Attendu que la majoration des droits prévue à l'article 1729, a, du code général des impôts en cas de manquement délibéré constitue, selon le Conseil constitutionnel, une sanction ayant le caractère d'une punition ;

8- Attendu que, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le juge judiciaire est tenu de respecter le principe selon lequel le montant global des sanctions pénales et fiscales éventuellement prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l'une de celles encourues ; qu'ainsi la question, en ce qu'elle porte sur la compatibilité des dispositions critiquées avec le principe de proportionnalité des peines, ne présente pas un caractère sérieux ;

9- Attendu que, sur le grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité des délits et des peines, il convient d'apprécier, au regard des critères actuellement dégagés par le Conseil constitutionnel, si les articles 1729 et 1741 du code général des impôts, dans leur version applicable, sont susceptibles de permettre, en violation de ce principe, que des mêmes faits, définis et qualifiés de matière identique, commis par une même personne, fassent l'objet de deux poursuites, fiscale et pénale, qui visent à protéger les mêmes intérêts sociaux, peuvent aboutir au prononcé de sanctions de nature équivalente et relèvent du même ordre de juridiction ;

10- Attendu, en premier lieu, que l'article 1741, alinéa 1, du code général des impôts, en sa première phrase, définit la fraude fiscale comme le fait de se soustraire, ou de tenter de se soustraire, frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts, soit en omettant de faire une déclaration dans les délais prescrits, soit en dissimulant volontairement une part des sommes sujettes à l'impôt, soit en organisant une insolvabilité ou en mettant obstacle par d'autres manoeuvres au recouvrement de l'impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse ; qu'il incrimine ainsi tout procédé frauduleux tendant à se soustraire intentionnellement à l'établissement et au paiement de l'impôt ; que l'article 1729, a, du code général des impôts définit le manquement fiscal comme l'omission ou l'inexactitude, délibérée, dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt, ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat ; que le délit de fraude fiscale a, dans son élément matériel, un champ d'application plus large que le manquement délibéré ; que l'élément moral est semblable dans les deux cas ; qu'il s'en déduit qu'on ne peut pas exclure que les dispositions contestées soient considérées comme susceptibles de réprimer, pour une part, les mêmes faits qualifiés de manière similaire, à savoir les insuffisances de déclaration des éléments d'imposition dans l'intention d'éluder, même partiellement, l'impôt ;

11- Attendu, en deuxième lieu, qu'il est de principe que les poursuites pénales du chef de fraude fiscale, qui visent à réprimer des comportements délictueux tendant à la soustraction à l'impôt, et la procédure administrative tendant à la fixation de l'assiette et de l'étendue des impositions sont, par leur nature et par leur objet, différentes et indépendantes l'une de l'autre ; que la sanction fiscale du manquement délibéré s'inscrit, de façon indivisible, dans cette procédure administrative qui vise principalement à rétablir les impôts éludés ; que, toutefois, les articles 1729 et 1741 du code général des impôts sont tous deux inclus dans un chapitre consacré aux " pénalités " du livre relatif au " recouvrement de l'impôt " ; que la répression de la fraude fiscale et celle du manquement délibéré, singulière parmi les décisions prises dans le cadre de la procédure administrative, poursuivent les mêmes objectifs de prévention et de répression de la fraude et de l'évasion fiscales, afin d'assurer l'égalité devant les charges publiques ; que ces deux répressions s'exercent à l'égard de l'ensemble des contribuables ; qu'il en résulte que les répressions fiscale et pénale pourraient être admises comme protégeant les mêmes intérêts sociaux, même si les pénalités fiscales visent notamment à garantir le recouvrement de l'impôt, tandis que les sanctions pénales répriment l'atteinte à l'égalité qui doit exister entre les citoyens, en raison de leurs facultés, dans la contribution aux charges publiques ;

12- Attendu, en troisième lieu, que seul le juge pénal peut condamner l'auteur d'un délit de fraude fiscale à une peine d'emprisonnement, laquelle constitue la sanction la plus grave au regard du principe de la liberté individuelle ; que le montant de l'amende pénale encourue par la personne physique, soit 37 500 euros, est d'une sévérité relative ; que la majoration fiscale est de nature fort différente en ce qu'elle est assise sur le montant de l'impôt éludé et est donc proportionnelle et variable ; qu'elle peut toutefois, eu égard au taux applicable de 40 % et à l'absence de plafond, être d'une grande sévérité ; que le juge pénal dispose, également, de la faculté de prononcer, sous certaines conditions, des peines complémentaires de confiscation, de privation de droits civiques, civil et de famille, d'interdiction d'exercer une activité professionnelle, qui présentent une rigueur certaine ; qu'en outre, le montant de la pénalité fiscale est fixé, par la loi elle-même, en fonction de la gravité des comportements réprimés, le juge pouvant décider, à l'issue d'un contrôle sur les faits et la qualification retenue par l'administration, de prononcer la décharge de la majoration ; que la peine prononcée en cas de condamnation pour fraude fiscale doit l'être en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur, ainsi que de sa situation ; qu'en conséquence, une incertitude demeure quant à la question de savoir si les sanctions pénales et fiscales doivent être regardées comme étant d'une nature différente ;

13- Attendu, en quatrième lieu, que les poursuites pénales du chef de fraude fiscale sont portées devant le tribunal correctionnel ; que, selon l'article L. 199 du livre des procédures fiscales, la compétence pour examiner les recours contre les décisions de l'administration fiscale en matière de rectification d'imposition et des pénalités y afférentes est partagée entre le juge judiciaire et le juge administratif ; que, s'agissant d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, tels que l'impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée, ces recours sont portés devant le tribunal administratif ; que par conséquent, en application de la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, le critère tiré de la similitude d'ordre de juridiction de nature à prohiber les doubles poursuites n'est pas rempli ; que cependant, cette dernière condition peut susciter des interrogations quant à son applicabilité à la matière fiscale au regard notamment du principe d'égalité devant la justice ;

14- Attendu qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, la question présente un caractère sérieux en ce qu'elle porte sur la compatibilité des dispositions critiquées avec le principe de nécessité des délits et des peines ;

D'où il suit qu'il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;

Par ces motifs :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.