Cass. crim., 21 septembre 2005, n° 04-87.701
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Rognon
Avocat général :
M. Mouton
Avocats :
SCP Choucroy-Gadiou-Chevallier, Me Foussard
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Stéphane,
- Y... Nathalie,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 29 novembre 2004, qui, pour fraude fiscale, a condamné le premier, à 10 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d'amende, la seconde, à 5 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende, a ordonné l'affichage et la publication de la décision, et a prononcé sur les demandes de l'administration des Impôts, partie civile ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 229 et L. 231 du Livre des procédures fiscales, 4-B, 1741 et 10 du Code général des impôts et 102 du Code civil, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 459, 382 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse aux conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté les exceptions d'incompétence et de nullité soulevées par les prévenus ;
"aux motifs que l'article L. 231 du Livre des procédures fiscales dispose que les poursuites en vue de l'application des sanctions pénales, prévues à l'article 1741 du Code général des impôts en cas de fraude fiscale, sont portées devant le tribunal correctionnel dans le ressort duquel l'un quelconque des impôts en cause aurait dû être établi ou acquitté ; qu'il est constant que le domicile fiscal peut être déterminé par un seul des trois critères énoncés à l'article 4-B du Code général des impôts qui sont le lieu du foyer ou du séjour principal, le lieu de l'activité professionnelle et le centre des intérêts économiques ; que le lieu du foyer s'établit au lieu de la résidence habituelle du contribuable et sa famille ; qu'à l'examen des pièces versées aux débats, la Cour constate que, durant l'année 1993, les époux X... Y..., propriétaires d'un immeuble à Soissons, y ont réglé la taxe d'habitation ; que leurs enfants étaient alors scolarisés dans des écoles de Soissons à compter du mois de novembre 1993 et, enfin, que, durant les années 1992 et 1993, les époux ont régulièrement employé à temps complet une aide ménagère à leur domicile de Soissons ; que tous ces éléments permettent d'établir que le lieu du foyer se situait à Soissons, qu'en conséquence le foyer fiscal des époux X... Y... s'établissait bien à Soissons, en 1993, que c'est donc à cette adresse qu'ils auraient dû déposer leur déclaration de revenus pour l'année 1993 et s'acquitter des cotisations dues à ce titre ; qu'en conséquence, le tribunal correctionnel de Soissons était bien compétent pour connaître du litige ;
"alors que, d'une part, aux termes de l'article 459 du Code de procédure pénale, quand une partie soulève une exception qui relève de l'ordre public, comme une exception relative à la compétence territoriale du tribunal correctionnel ayant statué, les juges du fond doivent statuer sur cette exception sans la joindre au fond ; qu'en l'espèce où les prévenus avaient soulevé une exception d'incompétence du tribunal correctionnel de Soissons, la Cour qui a joint l'incident au fond a violé le texte précité ;
"alors que, d'autre part, les articles L. 229 et L. 231 du Livre des procédures fiscales disposent qu'en cas de poursuites pénales tendant, comme en l'espèce, à l'application de l'article 1741 du Code général des impôts, les plaintes doivent être déposées par le service chargé de l'assiette ou du recouvrement de l'impôt litigieux, les poursuites pénales devant, sous réserve des règles applicables en matière de connexité, être portées devant le tribunal correctionnel dans le ressort duquel l'un quelconque des impôts en cause aurait dû être établi ou acquitté, les contribuables qui disposent de plusieurs résidences en France, devant, en vertu de l'article 10 du Code général des impôts, être assujettis à l'impôt au lieu où ils sont réputés y posséder leur principal établissement, l'article 4-B dudit Code étant inapplicable s'agissant de déterminer le domicile fiscal de contribuables occupant plusieurs résidences en France ; qu'en l'espèce où les prévenus, qui rappelaient ces principes dans leurs conclusions d'appel, y faisaient valoir qu'ils avaient transféré leur domicile fiscal en Guadeloupe dès l'année 1991, leurs passeports mentionnant cette adresse qui figurait sur les courriers qui leur avaient été adressés en 1993, leurs revenus professionnels provenant essentiellement du cabinet d'avocat qu'ils possédaient aux Antilles et accessoirement de leur cabinet en cours de liquidation situé à Paris, aucun revenu ne provenant de leur résidence secondaire fixée à Soissons pour des raisons de santé, en sorte qu'ils avaient adressé leurs déclarations aux services fiscaux de Guadeloupe et les services fiscaux leur ayant adressé de nombreuses demandes d'information, d'éclaircissement ou mises en demeure aux Antilles avant de les aviser que leurs réclamations seraient soumises à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires de la Guadeloupe, le centre des Impôts de Basse-Terre leur ayant, par la suite, adressé une notification de redressement, les juges du fond, qui ont retenu la compétence du tribunal correctionnel de Soissons sans répondre à ces moyens ni rechercher le lieu du principal établissement des prévenus et en se bornant à se référer à des éléments seulement susceptibles d'établir que les prévenus possédaient une résidence à Soissons, ont ainsi violé les textes précités et entaché leur décision d'un défaut de réponse aux conclusions qui doit entraîner sa censure" ;
Attendu que, poursuivis pour s'être frauduleusement soustraits à l'établissement et au paiement de l'impôt sur leurs revenus encaissés au cours de l'année 1993, en déposant une déclaration annuelle dissimulant des revenus fonciers et de capitaux mobiliers, des plus-values de cessions de valeurs mobilières, des sommes d'origine indéterminée et partie de leurs bénéfices non commerciaux grevés de charge non déductibles, Stéphane X... et Nathalie Y..., mariés sous le régime de la participation aux acquêts, ont décliné la compétence du tribunal correctionnel de Soissons en soutenant que leur domicile fiscal avait été transféré à Lorient, sur l'Ile de Saint-Barthélémy ;
Attendu que, pour écarter cette exception, par motifs propres et adoptés, l'arrêt retient, notamment, que le foyer fiscal s'établit au lieu de la résidence habituelle du contribuable et qu'en 1993, Stéphane X... et Nathalie Y... résidaient à Soissons, dans un immeuble leur appartenant sous le couvert d'une société civile gérée par l'épouse, qu'ils y ont payé la taxe d'habitation, scolarisé leurs trois enfants à charge et employé une aide ménagère à temps complet ; que les juges ajoutent que cette adresse était celle mentionnée pour le fonctionnement de leurs comptes bancaires, dans des conventions de prêts et des actes portant sur des transactions immobilières ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que la décision de joindre l'incident au fond constitue une mesure d'administration judiciaire qui n'est pas soumise au contrôle de la Cour de cassation, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche et qui, pour le surplus, se borne à remettre en question l'appréciation souveraine des juges du fond, doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1741 du Code général des impôts, L. 227 du Livre des procédures fiscales, de l'article préliminaire et des articles 459 et 593 du Code de procédure pénale, 6.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de réponse aux conclusions, défaut de motifs, renversement de la charge de la preuve, violation des droits de la défense, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables de soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt ;
"aux motifs propres à la Cour qu'il est constant que les charges, non appuyées de justifications suffisantes ou dont une société ne prouve pas qu'elles ont été engagées dans son intérêt, ne sont pas déductibles de son résultat ; qu'il appartient donc au contribuable de justifier de la déductibilité d'une charge en son principe et de fournir, en plus des documents de facturation, des justificatifs extra-comptables démontrant de la réalité, de l'étendue et de l'objet des services rendus ; qu'à l'examen des pièces versées aux débats, la Cour constate que les charges litigieuses enregistrées par les époux X... Y... ne sont pas suffisamment justifiées ; qu'ils n'ont en effet pas produit les justificatifs essentiels permettant d'évaluer si ces dépenses ont été engagées dans l'intérêt de leur activité ; qu'il apparaît en outre que les époux X... Y... ont omis de déclarer des revenus mobiliers, à savoir des dividendes perçus sur leurs comptes personnels et professionnels au titre de la SA Groupe Kleber dont Stéphane X... est associé ; que ce défaut de déclaration de revenus dont ils ne pouvaient ignorer qu'ils étaient imposables, ainsi que l'absence de justificatifs essentiels permettant de rapporter la déductibilité des charges litigieuses, suffisent à caractériser l'intention frauduleuse de Nathalie Y... et de Stéphane X... et donc de démontrer qu'ils ont l'un et l'autre entendu se soustraire au paiement de la totalité de l'impôt sur le revenu dû au titre de l'année 1993 ;
"et au motif adopté des premiers juges que les prévenus ont majoré les charges déductibles de leurs revenus fonciers et ont ainsi largement minoré les revenus imposables dus au titre de leur patrimoine immobilier ;
"alors que, d'une part, en matière de fraude fiscale, les poursuites correctionnelles et la procédure administrative sont indépendantes l'une de l'autre en sorte que la décision du juge de l'impôt n'a pas autorité de chose jugée à l'égard du juge répressif, qui ne peut, en l'absence de toute constatation puisée dans les éléments soumis aux débats contradictoires, fonder l'existence de dissimulations volontaires de sommes sujettes à l'impôt sur les seules évaluations que l'Administration a été amenée à faire selon ses procédures propres, pour établir l'assiette de l'impôt et notamment sur les redressements effectués par les vérificateurs ;
que, dès lors, en l'espèce où les prévenus invoquaient ce principe en faisant valoir qu'en l'absence de toute information, les dissimulations qui leur étaient reprochées, ne pouvaient être déduites que des seules évaluations de l'administration fiscale, les juges du fond, qui, au prix d'un renversement de la charge de la preuve ainsi que d'une violation de l'article L. 227 du Livre des procédures fiscales, ont, sans faire état d'un quelconque élément de nature à caractériser l'élément intentionnel des infractions poursuivies, cru pouvoir déduire la culpabilité des prévenus d'un défaut de justification des charges qu'ils ont déduites, ont ainsi violé tant l'article 1741 du Code général des impôts que l'article L. 227 du Livre des procédures fiscales, l'article préliminaire du Code de procédure pénale ainsi que l'article 6.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
"alors, d'autre part, que les juges du fond ont laissé sans réponse les moyens péremptoires de défense des prévenus invoqués dans leurs conclusions d'appel et tirés de la requalification erronée effectuée par l'administration fiscale des sommes perçues à titre d'honoraires de la SA Groupe Kleber, en revenus mobiliers et de l'erreur qu'ils auraient commise de bonne foi eu égard à la jurisprudence du Conseil d'Etat, en déduisant les intérêts d'un emprunt contracté pour acquitter les droits de succession afférents à des immeubles des revenus en provenant, violant ainsi les dispositions de l'article 459 du Code de procédure pénale ;
"et alors qu'enfin, la Cour a encore une fois laissé sans réponse le chef des conclusions des prévenus expliquant que, eu égard à son état de santé au moment des faits et à celui d'un de ses enfants gravement malade, Nathalie Y... n'avait pris aucune part à la rédaction de la déclaration des revenus litigieuse qu'elle s'était contentée de contresigner comme elle en avait l'obligation, violant ainsi encore une fois l'article 459 du Code de procédure pénale ainsi que les articles 1741 du Code général des impôts et L. 227 du Livre des procédures fiscales ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit de fraude fiscale dont elle a déclaré les prévenus coupables ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.