Cass. crim., 10 février 2010, n° 09-81.195
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
Mme Slove
Avocats :
Me Foussard, SCP Waquet, Farge et Hazan
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Thierry,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BASSE-TERRE, chambre correctionnelle, en date du 27 janvier 2009, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, 20 000 euros d'amende, six mois d'interdiction professionnelle, a ordonné l'affichage et la publication de la décision, et a prononcé sur les demandes de l'administration des impôts, partie civile ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 72 et 74 de la Constitution, LO 6211-1, LO 6213-4, LO 6214-3, LO 6214-4 et LO 6251-2 du code général des collectivités territoriales, du principe de rétroactivité des lois pénales de fond plus favorables, de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 170 à 175 A et 1741 et suivants du code général des impôts, 1 à 5 du code des contributions de la collectivité de Saint-Barthélémy, 112- 1 du code pénal, 6 et 593 du code de procédure pénale, excès de pouvoir, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Thierry X... coupable de s'être, à Saint-Barthélémy, courant 2002, soustrait à l'établissement et au paiement total de l'impôt sur le revenu dû au titre des années 2001 et 2002 en omettant volontairement de faire sa déclaration dans les délais prescrits, et l'a en conséquence condamné à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d'amende, prononçant en outre à son encontre l'interdiction d'exercer la profession de notaire pendant une durée de six mois et ordonnant la publication et l'affichage de la décision, et a reçu l'administration des impôts en sa constitution de partie civile ;
"aux motifs que la compétence fiscale de la collectivité de Saint-Barthélémy est fixée par les articles LO 6214-3 et LO 6214-4 du code général des collectivités territoriales, introduite dans le code par la loi organique du 27 février 2007 ; que le code des contributions de Saint-Barthélémy entré en vigueur le 1er juillet 2008 définit les personnes physiques qui peuvent être considérées comme ayant leur domicile fiscal à Saint-Barthélémy à compter de cette date ; que les dispositions des articles 1741 et suivants du code général des impôts restent applicables aux personnes physiques qui ne rempliraient pas ces critères ; qu'en droit, l'abrogation de la loi pénale ne peut résulter que de la volonté du législateur ; qu'ainsi, l'action publique est éteinte lorsqu'une loi nouvelle abroge l'infraction poursuivie ; qu'en l'espèce, quand bien même une délibération du conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélémy a décidé, en date du 27 octobre 2007, que « les dispositions du code général des impôts sont abrogées en tant qu'elles s'appliquent au territoire de la collectivité de Saint-Barthélémy », ce n'est pas cette délibération n'ayant aucune valeur législative qui a suffit à abroger, au sens de l'article 6 du code de procédure pénale, l'application sur le territoire de la collectivité d'un code qui s'applique sur tout le territoire français ; qu'en conséquence, il y a lieu de constater qu'aucune disposition de la loi organique ou du code des contributions de Saint-Barthélémy ne prévoit l'abrogation du code général des impôts, et notamment ses articles 1741 et 1750, ou encore une loi pénale moins sévère que les dispositions antérieures, et ce, quelque soit le statut fiscal privilégié dont pourrait bénéficier Thierry X... à compter de l'année 2009 ; qu'il en résulte que les dispositions de l'article 112-1, alinéa 3, du code pénal ne trouvent pas à s'appliquer en l'espèce ;
"1) alors que le conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélémy a compétence pour fixer les règles applicables à Saint-Barthélémy dans les matières énumérées à l'article LO 6214-3 du code général des collectivités territoriales parmi lesquelles figurent les impôts, droits et taxes dans les conditions prévues à l'article LO 6214-4 du même code ; qu'il a, dans cette matière, le pouvoir d'abroger toute disposition législative ou réglementaire intervenue avant l'entrée en vigueur de la loi du 21 février 2007 en tant qu'elle s'applique à Saint-Barthélémy ; qu'en affirmant que l'abrogation du code général des impôts en tant qu'il s'applique sur le territoire de la collectivité ne pouvait résulter de la délibération par laquelle le conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélémy avait, conformément aux pouvoirs qui sont les siens, expressément prononcé cette abrogation, la cour d'appel a violé les principes et textes susvisés ;
"2) alors que, sauf dispositions expresses contraires, une loi nouvelle qui modifie une incrimination par des dispositions plus favorables s'applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés ; que les personnes physiques justifiant avoir à Saint-Barthélémy, depuis cinq années au moins au 1er janvier de l'année d'imposition, leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ou celles qui y exercent depuis le même temps à titre principal une activité professionnelle, salariée ou non, ne sont plus soumises au code général des impôts, expressément abrogé par délibération du conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélémy du 30 octobre 1997, mais au code des contributions de Saint-Barthélémy, adopté par cette même délibération et en vigueur depuis le 1er janvier 2008 ; que ce texte, qui supprime l'exigence de déclaration de revenus pour les personnes physiques ayant leur domicile fiscal à Saint-Barthélémy, modifie à leur égard l'incrimination de défaut de déclaration fiscale par des dispositions plus favorables et s'applique nécessairement aux faits commis avant son entrée en vigueur ; qu'en refusant de faire application à Thierry X... pour des faits commis en 2002 et non définitivement jugés, des dispositions de la loi plus favorables dispensant de l'obligation déclarative de revenus auxquelles il est soumis dès lors qu'il justifie avoir son domicile fiscal à Saint-Barthélémy depuis 1992, tout en retenant dans le même temps que les dispositions des articles 1741 et suivants du code général des impôts ne restent applicables qu'aux seules personnes physiques qui ne rempliraient pas les critères de domicile fiscal posés par le code des contributions de Saint-Barthélémy, la cour d'appel a violé les principe et textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Thierry X..., qui réside à Saint-Barthélémy, est poursuivi du chef de fraude fiscale pour s'être soustrait à l'établissement et au paiement de l'impôt sur le revenu dû au titre des années 2001 et 2002 ;
Attendu que, pour écarter l'argumentation du prévenu qui soutenait que les résidents de l'île de Saint-Barthélémy, érigée en collectivité d'Outre-mer par la loi du 21 février 2007, ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu, dès lors que le conseil territorial de cette collectivité a adopté, le 13 novembre 2007, un code des contributions qui institue à partir du 1er janvier 2008, pour les personnes y résidant depuis au moins cinq ans, un nouveau régime fiscal ne comportant pas d'imposition sur le revenu, l'arrêt énonce qu'aucune disposition de la loi organique ou du code des contributions n'ayant abrogé l'article 1741 du code général des impôts, qui reste applicable à Saint-Barthélémy, le nouveau statut fiscal qui y est institué ne saurait avoir un effet rétroactif sur la constitution du délit de fraude fiscale ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 122-3 du code pénal, 1741 et suivants du code général des impôts, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du code de procédure pénale, du principe de sécurité juridique, défaut de motifs, défaut de réponse aux conclusions et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Thierry X... coupable de s'être, à Saint-Barthélémy, courant 2002, soustrait à l'établissement et au paiement total de l'impôt sur le revenu dû au titre des années 2001 et 2002 en omettant volontairement de faire sa déclaration dans les délais prescrits, et l'a en conséquence condamné à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d'amende, prononçant en outre à son encontre l'interdiction d'exercer la profession de notaire pendant une durée de six mois et ordonnant la publication et l'affichage de la décision, et a reçu l'administration des impôts en sa constitution de partie civile ;
"aux motifs que Thierry X... fait état d'une situation de fait tenant à la rareté des poursuites pour fraude fiscale par omission déclarative à l'égard des résidents de Saint-Barthélémy et invoque à cet égard une tolérance administrative, de sorte que les poursuites engagées à son encontre relèvent d'une attitude discriminatoire et de l'arbitraire et non de la défense de l'intérêt général ; qu'il y a lieu de souligner que la commission des infractions fiscales, de même que le ministère public, demeurent libres des suites à donner au dépôt d'une plainte pour fraude fiscale ; qu'en l'espèce, il n'est nullement démontré que l'administration fiscale a agi de façon discriminatoire à l'égard de tel ou tel contribuable et, en toute hypothèse, la discrimination invoquée ne saurait fonder une cause exonératoire de la responsabilité pénale en une matière où le principe de la soumission à l'impôt sur le revenu des habitants de Saint-Barthélémy a été reconnu par le Conseil d'Etat en son arrêt de principe du 22 mars 1985, cet arrêt ayant exclu l'existence d'un régime particulier d'exonération fiscale pour cette commune ; que, de même, l'erreur de droit, également invoquée par le prévenu, ne peut faire disparaître l'élément intentionnel de la fraude fiscale qui résulte de la conscience qu'a le contribuable de ne pas avoir déposé de déclaration de revenus dans le délai légal ; qu'en l'espèce, il n'existait aucune incertitude de la loi, des règlements applicables, des décisions et des pratiques et ainsi que l'a souligné à juste titre le tribunal, Thierry X... « de par ses fonctions de notaire se devait de maîtriser l'ensemble des dispositifs fiscaux applicables pour apporter les conseils les plus appropriés à ses clients et devait donc être parfaitement informé de la jurisprudence du Conseil d'Etat ; qu'il est dès lors établi que Thierry X... qui, malgré les mises en demeure qui lui ont été adressées le 18 juin 2003 par l'administration fiscale, a manifesté son opposition à toute imposition, adoptant ainsi une attitude qui, loin d'être le fruit d'une erreur commune, est celui d'un parti délibérément adopté à l'instar de la quasi totalité des habitants de Saint-Barthélémy et, conformément à la position d'élus locaux, s'est volontairement soustrait à ses obligations déclaratives en ne déposant pas de déclaration d'ensemble de ses revenus des années 2001 et 2002 ; que les premiers juges, qui ont exactement relevé à l'encontre du prévenu les éléments constitutifs du délit de fraude fiscale par des motifs particulièrement circonstanciés et pertinents, sont à bon droit entrés en voie de condamnation ;
"alors que la méconnaissance d'une obligation pénalement sanctionnée qui n'a pas été définie avec clarté par l'autorité compétente ne peut entraîner l'application de la loi pénale sauf à violer le principe de la sécurité juridique ; que, dans ses conclusions régulièrement déposées, Thierry X... s'était prévalu de la situation particulière existant en matière fiscale sur l'île de Saint-Barthélémy, où l'administration fiscale, bien qu'elle ait obtenu des décisions de principe de la part du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation sur l'absence d'exonération des résidents de l'île du paiement de l'impôt sur le revenu, avait cependant reçu de la part du Gouvernement des instructions pour ne pas poursuivre le recouvrement de cet impôt et s'était ainsi abstenue de poursuivre la très grande majorité des contribuables qui ne déclaraient pas leurs revenus ; qu'il en déduisait que l'information délivrée par l'administration, par son attitude et par les déclarations d'élus du plus haut niveau de l'Etat, a créé un environnement juridique auquel les administrés, quels qu'ils soient, pouvait légitimement se fier, et que l'application stricte du droit positif perturbe gravement, portant ainsi atteinte au principe de sécurité juridique ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions péremptoires, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision" ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de fraude fiscale, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen et énonce que le prévenu, qui ne conteste pas la matérialité des faits, connaissait ses obligations fiscales et a persisté à ne pas déposer de déclarations de revenus, postérieurement à une mise en demeure reçue le 18 juin 2003 ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Qu'ainsi, le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 131-10 et 132-24 du code pénal, 1750 du code général des impôts, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse aux conclusions et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a prononcé à l'encontre de Thierry X... l'interdiction d'exercer la profession de notaire pendant une durée de six mois ;
"aux motifs que, ainsi que l'ont souligné les premiers juges, « s'agissant d'un officier public et ministériel, investi en tant que tel d'une mission aux termes de laquelle il est chargé de veiller au respect des lois et règlements applicables notamment en matière fiscale » la peine d'interdiction professionnelle d'une durée de six mois, prévue par l'article 1750 du code général des impôts est tout à fait adaptée à la personnalité du prévenu et aux circonstances de l'espèce ;
"alors que le juge prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ; que Thierry X... avait fait valoir dans ses conclusions d'appel que le ministère de la Justice avait prononcé sa nomination en tant que notaire à Saint-Barthélémy sans qu'il ait produit de certificat de non-imposition ni d'avis d'imposition sur le revenu, mais au vu d'une attestation du maire de la commune de Saint-Barthélémy rappelant le régime fiscal particulier de l'île et le non-recouvrement des impôts sur instructions du ministre de l'économie et des finances au directeur des services fiscaux de la Guadeloupe, cependant que la Chancellerie aurait pu parfaitement décider, dans ces conditions, de refuser sa nomination ; qu'il soulignait la transparence dont il a toujours fait preuve sur cette question, tant auprès du ministère de tutelle, que des instances professionnelles et rappelait que les infractions qui lui étaient reprochées ne concernaient que sa vie privée et étaient sans rapport ni incidence sur son activité professionnelle, aucune méconnaissance des règles applicables à la profession de notaire ou à sa qualité d'officier public ne lui étant reprochée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans s'expliquer sur ces conclusions péremptoires, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision" ;
Attendu qu'aucune disposition légale ou conventionnelle n'imposant au juge de motiver spécialement le choix d'une peine complémentaire, il ne saurait être fait grief à l'arrêt d'avoir infligé au prévenu l'interdiction d'exercer la profession de notaire pendant une durée de six mois, prévue par l'article 1750 du code général des impôts ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.