Livv
Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 3 janvier 2023, n° 22/02751

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cod Clean (SARL)

Défendeur :

Ferroille Safe And Clean (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Clément, Mme Jeorger-Le Gac

Avocats :

Me Tournade, Me Demidoff, Me Menguy

T. com. Nantes, prés., du 26 avr. 2022

26 avril 2022

FAITS
 
La sarl Ferroille Safe and Clean (FSC) a été créée en 2000. Elle est spécialisée dans le secteur du nettoyage courant des bâtiments et notamment la décontamination de haute technologie après sinistres. Cette société gérée par M. [B] [L] était exploitée sous l'enseigne BMS Technologies et bénéficiait d'un contrat de master franchise de la société de droit nord-américain STEAMATIC.
 
La sarl COD CLEAN est détenue à 65 % par M. [G] [H], gérant et par la société EAR dont le gérant est M. [B] [L]. Ellle a également pour activité le nettoyage industriel et la réalisation de prestations après sinistres.
 
Les sociétés FSC (le franchiseur ) et COD CLEAN (le franchisé) ont signé le 1er août 2006 un contrat de franchise pour une durée de dix années à compter de la date de signature.
 
Le 10 février 2009, elles ont régularisé un avenant à ce contrat de franchise, modifiant l'article 9.2 relatif à la redevance d'exploitation proportionnelle.
 
La société COD CLEAN a exécuté ses obligations pendant cinq ans, jusqu'au mois de juillet 2011.
 
A compter de cette date elle a cessé de régler les redevances.
 
Le 26 novembre 2013, elle a donc notifié la résiliation unilatérale du contrat de franchise au 31 mars 2014 reprochant au franchiseur une asbence de transparence sur sa stratégie, le développement d'un réseau parallèle de franchises au détriment de ses franchisés indépendants et la dissimulation de la fin du contrat de master franchise à compter du 31 décembre 2014 ce qui lui tait tout droit sur la marque.
 
Au 31 décembre 2013, la sarl FSC a évalué sa créance à la somme de 159 548,62 euros TTC, outre intérêts de retard. Les documents n'ayant plus été transmis après juillet 2011, elle a chiffré le montant des redevances dues entre janvier et mars 2014 à 13 812,90 euros.
 
Le 21 janvier 2014 la sarl FSC a mis en demeure la sarl COD CLEAN de lui transmettre ses déclarations de TVA et de régler les redevances demeurées impayées. Aucune suite n'a été donnée à cette mise en demeure.
 
Les deux cocontractants sont à l'origine de nombreuses procédures.
 
La première procédure judiciaire a été initiée par la sarl COD CLEAN par assignation en date du 31 juillet 2013 de la société FSC devant le tribunal de commerce de Lille aux fins de nullité et de résiliation du contrat de franchise, outre l'allocation de dommages et intérêts.
 
Par jugement du 13 mars 2014 le tribunal de commerce de Lille a déclaré irrecevables les demandes de la sarl COD CLEAN et de M. [H], faute d'avoir mis en oeuvre une médiation préalable.
 
La cour d'appel de Douai a confirmé le jugement le 16 avril 2015.
 
L'échec de la tentative de médiation a donné lieu à l'assignation de la sarl COD CLEAN par la sarl FSC devant le juge des référés du tribunal de commerce de Nantes le 25 mars 2014, aux fins d'obtenir la condamnation de COD CLEAN à lui verser la somme de 158.447,34 euros.
 
A la suite du rejet de leurs demandes par le tribunal de commerce de Lille, la sarl COD CLEAN et M. [H] ont assigné la sarl FSC le 24 juin 2014, devant le tribunal judiciaire de Nantes aux fins de mettre en oeuvre une procédure de déclaration de faux concernant les paraphes du contrat de franchise que M. [H] contestait avoir signé.
 
Par ordonnance en date du 8 août 2014, le président du tribunal de commerce de Nantes, statuant en référé, a sursis à statuer sur la demande de la sarl FSC dans 1'attente de la décision du tribunal de grande instance de Nantes appelé à statuer sur la déclaration de faux.
 
Dans le cadre de cette procédure, une expertise judiciaire a été ordonnée le 21 mai 2015.
 
Le rapport d'expertise, remis le 18 décembre 2015, a attribué la patemité des paraphes litigieux à M. [G] [H].
 
Suivant ce rapport, le tribunal judiciaire de Nantes, par unjugement en date du 31 janvier 2019, a considéré que M. [H] était bien l'auteur de ces paraphes et a, en conséquence, débouté la sarl COD CLEAN de l'ensemble de ses demandes.
 
Par un arrêt du 30 mars 2021, la cour d'appel de Rennes a confirmé ce jugement.
 
Le 23 juillet 2021, la sarl FSC a déposé une requête aux fins d'inscription d'un nantissement judiciaire provisoire du fonds de commerce.
 
Le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Nantes a, par ordonnance du 29 juillet 2021, autorisé l'inscription d'un nantissement judiciaire provisoire sur le fonds de commerce de la sarl COD CLEAN pour la sûreté et la conservation d'une créance évaluée provisoirement à la somme de 449 567,81 euros hors taxes.
 
La sarl COD CLEAN a saisi 1e juge de l'exécution en vue d'obtenir la mainlevée de l'inscription judiciaire de nantissement de fonds de commerce.
 
Le 28 septembre 2021, la sarl FSC a régularisé des conclusions de reprise d'instance devant le juge des référés du tribunal de commerce de Nantes et a sollicité la condamnation de la sarl COD CLEAN à lui verser la somme de 280 376,13 euros.
 
Le 4 octobre 2021 la société FSC a assigné la sarl COD CLEAN devant le tribunal de commerce de Lille pour obtenir le versement de la somme de 173 188,74 euros au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait de la résiliation unilatérale abusive et irrégulière du contrat de franchise.
 
Le 26 avril 2022 le président du tribunal de commerce de Nantes statuant en référé a :
 
- Au fond, renvoyé les parties à se pourvoir comme il appartiendra ;
- Condamné par provision la société COD CLEAN à payer à la société FSC la somme de 173 361,52 euros correspondant aux redevances impayées augmentée de la somme de 142 120,78 euros correspondant aux intérêts de retard contractuels ;
- Débouté la société COD CLEAN de ses demandes ;
- Condamné la société COD CLEAN à payer à la société FSC la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société COD CLEAN aux dépens de l'instance dont frais de Greffe liquidés à 40,67 euros toutes taxes comprises.
 
La sarl COD CLEAN a interjeté appel de cette ordonnance le 28 avril 2022.
 
Une médiation a été proposée aux parties.
 
La société COD CLEAN y a répondu favorablement mais la société FSC l'a refusée.
 
Le 20 juillet 2022 la société COD CLEAN a assigné la sarl FSC aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire devant le premier president de la cour d'appel de Rennes.
 
Par ordonnance du 6 septembre 2022 le premier président a :
- Rejeté la demande d'irrecevabilité des conclusions de la socété FSC en date du 2 août 2022
- Rejeté la demande de la société COD CLEAN aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire concernant la somme en principal de 173 361,52 euros ;
- Arrêté l'exécution provisoire dont est assortie l'ordonnance de référés du 26 avril 2022 pour le surplus des condamantions ;
- Condamné la sarl COD CLEAN et la FSC aux dépens par moitié.
 
L'ordonnance de clôture a fait l'objet d'un report au 6 octobre 2022.
 
Par une note en délibéré autorisée le conseil de la société FSC a transmis sa pièce 20 en remplacement de la pièce 20 de son dossier de plaidorie communiquée par erreur.
 
 PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
 
Dans ses écritures notifiés le 27 septembre 2022 la société COD CLEAN demande à la cour au visa des articles 872, 873 et 700 du code de procédure civile, 1109, 1116, 1134 et 1315 (anciens) du code civil, L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, de :
 
- Infirmer l'ordonnance rendue le 26 avril 2022 par le tribunal de commerce de Nantes en ce qu'elle a :
- Renvoyé les parties à se pourvoir comme il appartiendra ;
- Condamné par provision la société COD CLEAN à payer à la société FSC la somme de 173 361,52 euros correspondant aux redevances impayées augmentée de la somme de 142 120,78 euros correspondant aux intérêts de retards contractuels ;
- Débouté la société COD CLEAN de ses demandes ;
- Condamné la société COD CLEAN à payer à la société FSC la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société COD CLEAN aux dépens de l'instance dont frais de greffe liquidés à 40,67 euros toutes taxes comprises.
Statuant à nouveau, de :
- Dire n'y avoir lieu à référé en raison de l'existence d'une contestation sérieuse ;
En conséquence,
- Débouter la société F.S.C. FERROILLE SAFE AND CLEAN de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusion ;
- Condamner la société F.S.C. FERROILLE SAFE à verser à la société COD CLEAN la somme de 8 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société F.S.C. FERROILLE SAFE aux entiers dépens.
 
Au contraire dans ses écritures notifiées le 27 septembre 2022 la société F.S.C. FERROILLE SAFE AND CLEAN demande à la cour au visa des articles 1134 ancien du code civil, 379 du code de procédure civile de :
 
- Confirmer l'ordonnance du 26 avril 2022 en toutes ces dispositions ;
- Condamner la société COD CLEAN à payer à la société FERROILLE SAFE AND CLEAN la somme de 173.361,52 euros correspondant aux redevances impayées augmentées de la somme de 142 120,78 euros correspondant aux intérêts de retard contractuels dus jusqu'au 29 mars 2022, à actualiser au jour de la décision à intervenir en appel ;
- Débouter la société COD CLEAN de toutes ses demandes moyens et conclusions ;
- Condamner la société COD CLEAN à payer à la société FERROILLE SAFE AND CLEAN la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.
 
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leur dernières conclusions visées supra.
 
 MOTIFS
 
Il appartient au demandeur d'une provision de rapporter la preuve de sa qualité de créancier d'une obligation et au débiteur, s'il entend le contester, d'en démontrer le caractère sérieusement contestable.
 
Article 835 du code de procédure civile :
 
Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas, où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
 
La société FSC demande le paiement de certaines sommes au titre des redevances de franchise dues jusqu'à la résiliation du contrat par la société COD CLEAN avec effet au 31 mars 2014.
 
La société COD CLEAN fait valoir que le contrat de franchise serait nul et à défaut devrait être résolu pour manquement de la société FSC à ses obligations.
 
 
La société FSC réplique qu'il n'existerait aucune contestation concernant les factures à régler durant la période de l'exécution du contrat de franchise du 1er août 2006 au 1er avril 2014 alors que toute discussion sur la validité du contrat de franchise serait irrecevable en raison de l'effet dévolutif de l'appel ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Douai.
 
Le jugement du tribunal de commerce de Lille en date du 13 mars 2014, et l'arrêt confirmatif de la cour d'appel de Douai en date du 16 avril 2015, n'ont pas statué au fond sur une demande d'annulation ou de résiliation du contrat de franchise. Ces décisions ont décidé d'une irrecevabilité de la demande d'annulation ou de résiliation et n'ont donc pas l'autorité de la chose jugée sur ce point.
 
L'exception de nullité ou de résolution présentée par la société COD CLEAN est donc recevable.
 
Sur la nullité du contrat de franchise :
 
La nullité du contrat de franchise ne doit s'apprécier qu'au vu des éléments de fait établis à la date de sa signature. Le comportement ultérieur de la société FSC ne sera examiné qu'au titre de la demande de résolution du contrat. Les éléments de fait postérieurs à la date de signature du contrat seront examinés au titre de la demande de résolution du contrat pour manquement du franchiseur à ses obligations.
 
La société COD CLEAN fait valoir que le contrat de franchise encourt la nullité pour vice du consentement et défaut de cause, en raison du non respect de son obligation d'information précontractuelle par la société FSC quant à la durée de ses droits sur l'exploitation de la marque BMS Technologie, et en l'absence d'avantage concurrentiel, économique et de contre-partie réelle pour le franchisé.
 
Il apparaît que la société BMS n'a pas précisé quelle était la durée de la licence de marque dont elle bénéficiait et pour l'exploitation de laquelle elle consentait un contrat de franchise. La société COD CLEAN fait valoir que la société BMS lui aurait concédé un contrat de franchise pour une durée supérieure à celle de la licence dont elle bénéficiait.
 
La société COD CLEAN ajoute que contrairement aux termes du contrat de franchise, la marque BMS Technologie ne bénéficiait d'aucune notoriété nationale et de la publicité que le franchiseur aurait dû apporter au réseau.
 
Elle considère en outre que l'accumulation de stipulations abusives dans le contrat provoque un déséquilibre contractuel au préjudice du franchisé notamment au visa de la clause de formation qui permet au franchiseur de ne mettre en oeuvre que des formations payantes et de la clause de contrôle qui ne prévoit aucune limite dans le contenu du contrôle ou dans le temps.
 
La société BMS fait valoir en réponse que la demande de paiement concerne une période au cours de laquelle elle bénéficiait de la licence de la marque franchisée.
Cet élément n'apparaît pas déterminant dans l'examen de la validité du contrat de franchise, le franchisé ayant pu avoir la volonté de s'engager de façon pérenne pour une certaine période minimale.
 
La société BMS ne réfute pas dans le détail les arguments exposés par la société COD CLEAN afférents à la nullité du contrat de franchise.
 
Au vu des moyens développés par la société COD CLEAN et des pièces du dossier, la contestation de la demande de paiement apparaît sérieuse en ce qu'elle invoque la nullité du contrat de franchise. Cette demande dépasse les pouvoirs du juge des référés.
 
Sur la résolution du contrat de franchise :
 
La société COD CLEAN fait valoir qu'il y aurait lieu de prononcer la résolution du contrat. Alors que le contrat a déjà été résilié avec effet au 31 mars 2014, elle ne précise pas quelle serait la date à retenir pour prononcer la résolution.
 
Elle reproche au franchiseur le défaut de développement et d'uniformité du réseau BMS Technologie au profit de son propre réseau qu'il a commencé à créer dès 2009 via sa société BMS pour exploiter la marque BMS Technologie avec ses filiales devenues le groupe ADS et ce au détriment des franchisés indépendants.
 
Elle estime également que le contrat doit être résilié en raison des manquements de la société FSC à ses oligations au titre de la formation permanente, de l'assistance et de la mise à jour du savoir faire.
 
La société BMS ne répond pas dans le détail à ces arguments de la société COD CLEAN.
 
Là aussi, l'examen du bien fondé de cette exception nécessite de trancher une contestation sérieuse. Cet examen dépasse les pouvoirs du juge des référés. L'absence de contestation sérieuse de la demande de paiement n'est pas établie.
 
La demande de provision sera rejetée et l'ordonnance sera ainsi réformée sur ce point.
 
L'équité commande de ne pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
 
Chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.
 
PAR CES MOTIFS
 
La cour statuant dans les limites de l'appel,
 
- Infirme l'ordonnance,
 
Statuant à nouveau et y ajoutant,
 
- Dit n'y avoir lieu à référé,
 
- Rejette les autres demandes des parties,
 
- Dit que chacune des parties conservera à sa charge les dépens de première instance et d'appel par elle engagés.