Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 14-82.047
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
M. Germain
Avocats :
SCP Foussard et Froger, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 77, 78, 802, 591 et 593 du code de procédure pénale, insuffisance de motifs ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a rejeté l'exception de nullité de l'audition du demandeur réalisée le 4 juin 2009 par les services de police hors du cadre protecteur de la garde à vue ;
" aux motifs que sur l'action publique sur l'exception de nullité aucun texte n'impose le placement en garde à vue d'une personne qui, pour les nécessités de l'enquête accepte de se présenter sans contrainte aux OPJ afin d'être entendue et n'est à aucun moment privée de sa liberté d'aller et venir ; que l'audition extrêmement succincte de M. X... le 4 juin 2009 par les officiers de police judiciaire avait uniquement pour but de recueillir ses observations à la suite de la plainte déposée par l'administration fiscale, le prévenu a répondu aux questions de façon très lapidaire, sans déclaration incriminante, contestant les faits, faisant état d'une saisine du tribunal administratif, ce qui s'est d'ailleurs révélé inexact et mettant fin ainsi à son audition qui a duré quarante minutes ; que la cour confirmera en conséquence le rejet de l'exception de nullité soulevée ;
"1°) alors que le droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, suppose que toute personne, à partir du moment où il existe à son des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, bénéficie de tous les droits de la défense énumérés au paragraphe 3 de cet article et ne puisse être entendue sur les faits reprochés qu'après avoir été informée du droit de se taire et du droit d'être assistée au cours de son audition par un avocat, indépendamment de l'exercice ou non d'une mesure de contrainte à son égard de sorte qu'en se bornant à affirmer qu'aucun texte n'imposait le placement en garde à vue d'une personne qui, pour les nécessités de l'enquête, accepte de se présenter sans contrainte aux OPJ afin d'être entendue et n'est à aucun moment privée de sa liberté d'aller et venir sans rechercher si M. X..., en ce qu'il existait à son égard des raisons plausibles de soupçonner qu'il ait commis des infractions de fraude fiscale en l'état de la plainte déposée à son encontre par l'administration fiscale le 25 mars 2009, ne devait pas lors de son audition du 4 juin 2009 pouvoir bénéficier des droits de la défense et notamment être informé de son droit de se taire et de se faire assister par un avocat, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"2°) alors que l'insuffisance de motifs équivaut à l'absence de motifs ; pour considérer qu'aucune atteinte n'avait été portée aux droits de la défense du demandeur, la cour d'appel a retenu que l'audition du 4 juin 2009 de M. X... par les services de police avait été extrêmement succincte, qu'elle avait eu uniquement pour but de recueillir ses observations suite à la plainte de l'administration fiscale, que l'exposant avait répondu aux questions des enquêteurs de façon très lapidaire, sans déclaration incriminante, contestant les faits et ce pendant une durée de quarante minutes de sorte qu'en affirmant le caractère « extrêmement succinct » de l'audition et « très lapidaire » des réponses du demandeur aux enquêteurs tout en constatant une durée d'audition de pas moins de quarante minutes et en retenant que l'audition ne contenait pas de « déclaration incriminante » de la part de le demandeur, lorsqu'elle a fait siens les motifs des premiers juges retenant, au soutien de la déclaration de culpabilité de l'exposant, que celui-ci « contrairement à ce qu'il énonce dans son audition du 4 juin 2009, n'a pas estimé utile de saisir la juridiction administrative », ce qui était de nature à l'incriminer puisque le demandeur y était présenté comme ayant menti tandis que la force probante des pièces de la procédure fiscale en sortait renforcée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 802 du code de procédure pénale ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-3 du code pénal, 1741, 1743 du code général des impôts, L. 227 du livre des procédures fiscales, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, insuffisance de motifs, violation de la loi ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré le demandeur coupable des délits de fraude fiscale par soustraction à l'établissement et au paiement de l'impôt et de fraude fiscale par omission de passer ou faire passer des écritures comptables obligatoires, l'a en répression à une peine d'un an d'emprisonnement assorti du sursis avec mise à l'épreuve d'une durée de deux ans et à une peine d'amende de 20 000 euros et, sur l'action civile, a confirmé le jugement en ce qu'il a dit que le demandeur sera solidairement tenu avec la société SI Restaurants au paiement des impôts fraudés et à celui des pénalités y afférentes ;
" aux motifs propres que sur la culpabilité c'est par de justes motifs que la cour adopte que les premiers juges ont considéré que la matérialité des infractions résultait du rapport clair, précis et complet de l'administration fiscale sur la comptabilité de la Sari SI Restaurant, validé par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, que faute par le prévenu d'avoir sur deux exercices successifs mis en place une comptabilité probante de nature notamment à justifier le montant des recettes du restaurant, les vérificateurs ont du se fonder sur la méthode dite "des vins" leur permettant de déterminer le chiffre d'affaires en multipliant le nombre de bouteilles vendues par le prix de vente unitaire puis en répartissant le chiffre d'affaires "vins" reconstitué entre les ventes sur place et les ventes à emporter ; que cette reconstitution a été rendue nécessaire par l'absence de justification du détail des recettes que M. X... a imputé à une panne du système informatique ce qui ne l'empêchait pas de conserver les bandes de caisse, les factures ou les carnets de commande, fiches de repas. Dans son avis du 15 avril 2008, la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a validé la reconstitution effectuée et constaté que les coefficients de ventes HT sur achats HT n'étaient pas exagérés et que les pourcentages de pertes, d'offerts, des prélèvements pour la cuisine et de consommation du personnel étaient corrects ; que cette absence de toute pièce comptable probante, l'importance des droits éludés au titre des exercices concernés suffisent à caractériser l'infraction dans tous ses éléments, étant précisé que la société a été liquidée en 2009 et que M. X... dirigeant de multiples sociétés (la SA Valmoudel, la SCI Colbert Pierre, la SCI SI Gestion la SARL SDI ... ), ne peut prétendre avoir ignoré les règles élémentaires en matière de comptabilité. La cour confirmera en conséquence le jugement sur la culpabilité ;
" et aux motifs adoptés que sur l'action publique : sur les faits, que la matérialité des infractions résulte du rapport clair, précis et complet de l'administration fiscale sur la comptabilité de la société SI Restaurants ; que ce rapport a été validé par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, étant observé que M. X..., contrairement à ce qu'il énonce dans son audition du 4 juin 2009, n'a pas estimé utile de saisir la juridiction administrative ; que tant le rapport de l'inspecteur vérificateur que l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ont estimé que, faute de pouvoir déterminer le détail des recettes journalières, la comptabilité de la société SI Restaurants n'était ni sincère ni probante ; qu'en effet, il a été constaté à la fois l'absence de production de bandes de caisse journalière que de présentation de fiches de repas, de fiches de commande ou de notes de restaurant ; que ce n'est donc pas le défaut de présentation de latotalité des tickets "S" qui constituerait le délit d'omission de passation d'écritures comptables obligatoires, comme le fait valoir le prévenu, mais le fait qu'à défaut d'avoir pu déterminer le détail des recettes journalières, et compte tenu de la reconstitution du chiffre d'affaires par la méthode dite "des vins", l'administration fiscale en déduit à juste titre que la comptabilité n'est pas sincère ; que, sur l'élément moral de l'infraction, qu'en matière de fraude fiscale et d'infractions assimilées, l'intention nécessite seulement que le contribuable ait eu conscience que son comportement aurait pour effet d'empêcher ou de fausser l'établissement de l'impôt ; qu'il n'est nullement besoin que le contribuable ait eu l'intention "positive" de frauder, c'est à dire un dol spécial, mais qu'il suffit qu'il ait eu simplement conscience d'éluder l'impôt ; qu'au demeurant, l'intention de l'infraction résulte tant de l'importance de la fraude (90% en 2004, 100% en 2005 pour un montant total de 125 944 euros) que de son caractère réitéré ; qu'il résulte des éléments du dossier que les faits reprochés à M. X... sous la prévention de soustraction frauduleuse a l'établissement ou au paiement de l'impôt dissimulation de sommes - fraude fiscale, faits commis le 25 mars 2009 à La Grande Motte, omission d'écriture dans un document comptable : fraude fiscale, faits commis du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2006 à La Grande Motte, sont établis ; qu'il convient donc de l'en déclarer coupable et d'entrer en voie de condamnation à son encontre ;
"1°) alors que le droit à un procès équitable et l'exigence de motivation des décisions de justice, garantis par l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, interdisent que le juge répressif puisse fonder l'existence du délit de fraude fiscale sur les seules conclusions du rapport de vérification établi par l'administration selon ses procédures propres et imposent un examen effectif par les juges du fond des moyens de défense invoqués par le prévenu au soutien de sa relaxe si bien qu'en se bornant, pour déclarer le demandeur coupable du délit d'omission de passer des écritures comptables obligatoires, à faire siens les motifs des premiers juges se référant exclusivement au rapport de l'inspecteur vérificateur et à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qui ont retenu que la comptabilité de la société SI restaurants n'était ni sincère ni probante en l'absence de production de bandes de caisse journalière, de présentation de fiches de repas, de fiches de commande ou de notes de restaurant sans rechercher, comme elle y était invitée, si la comptabilité de la société SI Restaurants n'était pas, en l'état de la production par l'exposant des tickets Z comptabilisant les recettes journalières de la caisse enregistreuse, suffisamment complète pour justifier les résultats de sorte qu'aucune omission de passer des écritures comptables n'était matériellement caractérisée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1743 du code général des impôts et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"2°) alors qu'en se référant exclusivement, pour déclarer le demandeur coupable de fraude fiscale par minoration des déclarations de résultats pour les exercices 2004 et 2005, au rapport de l'administration fiscale et à l'avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires validant l'appréciation du vérificateur en date du 15 avril 2008 sans examiner de façon effective les moyens invoqués par la défense du prévenu démontrant le résultat exagéré auquel aboutissait la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires employée par l'administration fiscale en l'absence de prise en compte des conditions réelles de fonctionnement de l'exploitation, et notamment du caractère atypique de l'activité du restaurant au printemps 2007 à raison de travaux réalisés sur la chaussée, de la baisse de la consommation de vin par la clientèle résultant de la politique de lutte contre l'alcool au volant et de la réalité de la consommation de vin par le personnel du restaurant dont deux membres ont été licenciés pour alcoolisme, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1741 du code général des impôts et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"3°) alors que la présomption d'innocence fait obstacle aux présomptions de culpabilité ; que les délits de fraude fiscale des articles 1741 et 1743 du code général des impôts étant des délits intentionnels et la preuve de cet élément intentionnel incombant au ministère public et à l'administration, le dirigeant de droit d'une société ne peut se voir imputer le délit de fraude fiscale à raison de cette seule qualité de sorte qu'en relevant, pour considérer que l'élément moral des délits de fraude fiscale des articles 1741 et 1743 du code général des impôts était caractérisé, que le demandeur ne pouvait prétendre avoir ignoré les règles élémentaires en matière de comptabilité dès lors qu'il était dirigeant de multiples sociétés, la cour d'appel a consacré une présomption de culpabilité contra legem et a violé les articles 121-3 du code pénal, 1741 et 1743 du code général des impôts, L. 227 du livre des procédures fiscales, 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, contrairement à ce qui est soutenu au premier moyen, les dispositions conventionnelles invoquées n'ont pas été méconnues dès lors qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la déclaration de culpabilité du prévenu n'est fondée ni exclusivement ni même essentiellement sur l'audition, du 4 juin 2009, à laquelle celui-ci s'est rendu librement, sans qu'il ait été nécessaire de le placer en garde à vue ;
Attendu que, pour dire constituées les infractions poursuivies, et notamment le délit d'omission d'écritures en comptabilité, les juges puisent les éléments de leur conviction dans les constatations, dont ils ont préalablement apprécié l'exactitude, faites lors de la vérification fiscale ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous leurs éléments, tant matériel qu'intentionnel, les infractions dont elle a déclaré M. X... coupable, a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens qui, pour le surplus, reviennent à remettre en question l'appréciation souveraine , par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.