CA Nîmes, 2e ch. B, 14 janvier 2022, n° 21/00749
NÎMES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Crédit Immobilier de France Développement (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Girona
Conseillers :
Mme Jacquot-Perrin, Mme Granier
Avocat :
Me Chagnaud
Par jugement en date du 18 janvier 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Avignon statuant en matière immobilière a déclaré adjudicataire la SA Crédit immobilier de France d'un bien immobilier, sis sur la commune de Lauris (84) et appartenant à X… et a ordonné l'expulsion des saisis, si besoin avec le concours de la force publique.
Par procès-verbal d'huissier de justice en date du 10 juin 2020, il a été constaté le maintien dans les lieux de X… et par exploit, en date du 11 juin 2020, la SA Crédit immobilier de France a sollicité la réquisition de la force publique.
Par acte du 30 juillet 2020, la SA Crédit immobilier de France a assigné X… devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d'Avignon, statuant en référé aux fins de voir, en substance, constater l'occupation sans droit ni titre de X… et fixer le montant de l'indemnité d'occupation à payer par celle-ci.
Par ordonnance réputée contradictoire du 15 décembre 2020, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d'Avignon a :
- condamné X… à payer à la SA Crédit immobilier de France une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant des loyers et charges qui auraient été dus en cas de location régulière, soit la somme de 650 €, et ce à compter du 18 janvier 2020,
- condamné X… à payer à la SA Crédit immobilier de France la somme de 300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance comprenant le coût du commandement de payer.
Par déclaration du 22 juin 2021, X… a interjeté appel de cette ordonnance.
Par acte du 9 avril 2021, la SA Crédit immobilier de France a dénoncé l'acte d'appel et appelé en intervention forcée Y…, mandataire judiciaire, es qualité de liquidateur de X….
Aux termes de ses conclusions notifiées le 29 septembre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, X…, appelante, demande à la cour de réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
- à titre principal, dire qu'il ne peut y avoir lieu à poursuite compte tenu de la procédure de liquidation judiciaire toujours en cours et qu'aucune indemnité d'occupation n'est due compte tenu de la poursuite du remboursement de l'emprunt hypothécaire,
- reconventionnellement, condamner la SA Crédit immobilier de France à rembourser la somme de 1450 € au titre des taxes foncières 2018, 2019 et 2020,
- à titre subsidiaire, dire que l'indemnité d'occupation doit être fixée à 585 € par mois à compter du 18 janvier 2020 et autoriser X… à s'acquitter de ce montant à raison de 35 mensualités de 100 € par mois et le solde à la 36e mensualité,
- ordonner la suspension de toute poursuite compte tenu du délai d'un an qu'il a été accordé pour quitter les lieux,
-en toute hypothèse, condamner la SA Crédit immobilier de France à lui régler la somme de 1800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1991, dont distraction au profit de Me Chagnaud, cette dernière s'engageant à renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
L'appelante soutient, en premier lieu, qu'en raison de la procédure de liquidation judiciaire et du principe d'ordre public de l'arrêt des poursuites prévu par l'article L622-21 du code de commerce, la SA Crédit immobilier de France ne peut continuer à poursuivre son expulsion. Elle indique que l'intimée a toujours été informée de la procédure de liquidation judiciaire en cours, précisant que la SA Crédit immobilier de France a déclaré sa créance le 21 février 2019 et l'a ensuite actualisée, et ajoute que cette créance est née antérieurement au jugement d'ouverture du 27 février 2018, le jugement d'adjudication datant du 18 janvier 2018.
En second lieu, X… met en exergue qu'elle ne peut être redevable d'une indemnité d'occupation, dès lors que les mensualités du crédit immobilier sont encore réglées par l'intermédiaire de l'assurance du prêt et que le relevé de propriété mentionne toujours sa qualité de propriétaire du bien immobilier sis à Lauris.
A l'appui de sa demande reconventionnelle, X… expose qu'elle continue de régler les taxes foncières qui lui sont adressées directement et ce alors que la SA Crédit immobilier de France se déclare propriétaire du bien immobilier litigieux.
Subsidiairement et au soutien de sa demande de délai de paiement, l'appelante expose être atteinte d'une maladie génétique invalidante qui la contraint à demeurer sans emploi. Elle indique percevoir uniquement le revenu de solidarité active d'une montant de 497 € par mois. X… fait, en outre, savoir qu'ensuite de la signification du commandement de quitter les lieux le 13 février 2020, elle a saisi le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Avignon, lequel, par jugement en date du 25 février 2021, lui a accordé un délai de 12 mois pour quitter les lieux. Elle précise que cette affaire est pendante devant la cour d'appel de Nîmes.
La SA Crédit immobilier de France, en sa qualité d'intimée, par conclusions en date du 7 octobre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, demande à la cour, au visa des articles L322'13, R322'64 du code des procédures civiles d'exécution, L622'21 et L641'13 du code de commerce, de confirmer l'ordonnance entreprise vu l'occupation sans droit ni titre de X… et de débouter cette dernière de ses demandes, fins et conclusions. Subsidiairement, au visa de l'article 564 du code de procédure civile, la SA Crédit immobilier de France demande à la cour de juger que les sommes qui seraient dues au titre des taxes foncières seront compensées avec celles dues au titre de son indemnité d'occupation et condamner X… à lui payer la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
La SA Crédit immobilier de France fait valoir que X… occupe l'immeuble litigieux sans droit ni titre depuis le 18 janvier 2018, date du jugement d'adjudication et rappelle que conformément à l'article L322-33 du code des procédures civiles d'exécution, ce jugement constitue un titre d'expulsion du saisi. Elle ajoute que, par l'effet du même jugement, le débiteur saisi, qui reste dans les lieux, est tenu au paiement d'une indemnité d'occupation. L'intimée entend rappeler que l'adjudication emporte vente forcée du bien et en transmet la propriété à l'adjudicataire et que le saisi est tenu à la délivrance du bien. Elle fait savoir que le jugement d'adjudication a été publié le 6 juillet 2020 au service de la publicité foncière d'Avignon 2.
La SA Crédit immobilier de France indique justifier que la valeur moyenne du loyer d'une maison similaire sur la commune de Lauris est de 10 € /m², précisant que selon le procès-verbal descriptif, l'immeuble est en excellent état.
En réponse à l'argumentation adverse, l'intimée indique que X… est effectivement doublement débitrice à son égard, d'une part, au titre du prêt consenti pour l'achat de l'immeuble, nonobstant le fait que celui-ci ait été saisi, dès lors que l'appelante n'a pas fini de désintéresser son préteur de deniers, la SA Crédit immobilier de France, et, d'autre part, au titre du paiement de l'indemnité d'occupation du fait de l'occupation sans droit ni titre de l'immeuble saisi.
Concernant les taxes foncières que X… prétend avoir acquittées, la SA Crédit immobilier de France souligne que cette dernière ne verse aucune pièce justificative des sommes qu'elle affirme avoir acquittées. Elle relève, par ailleurs, qu'il s'agit d'une demande nouvelle, qui doit être écartée, dès lors qu'elle n'a pas été formulée en première instance.
Également, s'agissant de la procédure collective dont X… fait l'objet, la SA Crédit immobilier de France soutient que l'indemnité d'occupation est une créance née des besoins de la vie courante de la débitrice, qui doit être payée à l'échéance, nonobstant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire. A titre subsidiaire, l'intimée considère que la procédure en cours doit tendre à la fixation de la créance et que le principe de la suspension des poursuites ne s'applique pas.
Enfin, la SA Crédit immobilier de France expose que la procédure aux fins d'obtention d'un délai de grâce, dont l'appelante fait état, est totalement indépendante de la présente procédure visant à obtenir paiement d'une indemnité d'occupation. L'intimée relève, en dernier lieu, que la demande de délai de paiement n'est étayée d'aucune garantie de paiement et considère que l'ancienneté de l'occupation s'oppose à toute faveur qui pourrait être accordée à X….
Y…, ès qualité de liquidateur de X… n'a pas constitué avocat.
MOTIFS DE LA DECISION :
Aux termes de l'article 567 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles sont recevables en appel. Conformément à ces dispositions, la demande relative au paiement de la taxe foncière de X…, partie non comparante en première instance, constitue une demande reconventionnelle qui se rattache par un lien suffisant aux prétentions originaires, en ce qu'elle concerne la propriété du bien immobilier objet de la présente procédure. Il n'y a, en conséquence, pas lieu d'écarter cette demande.
Par jugement d'adjudication en date du 18 janvier 2018, le tribunal de grande instance d'Avignon a adjugé à la SA Crédit immobilier de France, dernier enchérisseur, le bien immobilier mis en vente et a rappelé que le jugement valait titre d'expulsion à l'encontre des saisis.
Au visa de ce jugement et du procès-verbal d'huissier de justice du 10 juin 2020 constatant l'occupation des lieux par X…, le premier juge a, à bon droit, constaté que cette dernière occupait sans droit ni titre l'immeuble objet du jugement d'adjudication.
X… ne peut soutenir qu'elle est toujours propriétaire dudit bien immobilier tenant la procédure de saisie immobilière et la publication de cette vente forcée le 6 juillet 2020 au service de la publicité foncière d'Avignon, et ce nonobstant la production d'un relevé de propriété non mis à jour et l'envoi des avis de taxes foncières à son attention. Ces éléments sont sans conséquence sur la qualité de propriétaire de la SA Crédit immobilier de France et l'occupation sans droit ni titre par X… du bien immobilier litigieux qui en résulte.
L'occupation sans droit ni titre dudit immeuble cause, nécessairement et de manière non sérieusement contestable, un préjudice à la SA Crédit immobilier de France qu'il convient de réparer en condamnant l'occupant à une indemnité d'occupation.
X… soutient que cette indemnité d'occupation constitue un règlement indû en raison du paiement par l'assurance des mensualités du prêt immobilier. Cependant, les paiements réalisés au titre des sommes restant dues au titre du prêt immobilier sont sans emport avec l'indemnité due du fait de l'occupation sans droit de l'immeuble. L'appelante ne précise, en tout état de cause, aucunement sur la base de quel fondement le paiement par l'assurance des mensualités du prêt immobilier rendrait l'indemnité d'occupation indue.
De la même manière, les délais accordés par le juge de l'exécution pour quitter les lieux ne rendent pas infondée la procédure initiée par la SA Crédit immobilier de France pour voir constater l'occupation sans droit ni titre de l'immeuble en cause et voir fixer l'indemnité d'occupation due par l'occupante.
S'agissant de la procédure de liquidation judiciaire prononcée par jugement en date du 27 février 2018, il convient de rappeler les dispositions de l'article L641-13 du code de commerce aux termes desquelles sont payées à leur échéance les créances nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, si elles sont nées des besoins de la vie courante du débiteur, personne physique.
Une indemnité d'occupation, de la même manière qu'une créance de loyer, a pour fait générateur la jouissance des locaux dont elle constitue la contrepartie. Ainsi, conformément aux dispositions susvisées, est une créance née régulièrement après le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, les indemnités afférentes à une occupation postérieure à l'ouverture de cette procédure de liquidation, étant précisé que ces indemnités d'occupation peuvent être qualifiées de créances « nées pour les besoins de la vie courante du débiteur, personne physique », dès lors que l'immeuble occupée par X… constitue sa résidence principale.
Dès lors, s'agissant de créances nées régulièrement après l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, la règle relative à l'arrêt des poursuites individuelles, corollaire de celle relative à l'interdiction de paiement de certaines créances, n'est pas applicable et les créanciers conservent leur droit de poursuite (Cass. com., 25 juin 1996, nº 94-20.850). Les poursuites tendant au paiement peuvent dont être exercées devant la juridiction ordinairement compétente. Le moyen soulevé par X… relatif à l'arrêt des poursuites doit, en conséquence, être écarté.
Ainsi, X… peut être condamnée, à titre provisionnel, au paiement d'une indemnité d'occupation qui doit être fixée au montant qui aurait été dû en cas de location régulière. La SA Crédit immobilier de France justifie de ce montant en produisant une annonce de location d'un immeuble similaire situé dans la même commune et en démontrant que la valeur locative dans ce secteur est de 10 € le m². X… conteste cette évaluation en affirmant que la maison est vétuste et nécessite des travaux, mais ne produit aucune pièce pour en justifier. A l'inverse, l'intimée verse au dossier le procès-verbal descriptif de l'immeuble, en date du 6 mai 2015, justifiant de son état correct.
Tenant ces éléments, il convient de confirmer le montant de 650 €, retenu par le premier juge, au titre de l'indemnité d'occupation et de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné X… à payer chaque mois cette somme à la SA Crédit immobilier de France.
A titre reconventionnelle, X… réclame le remboursement des taxes foncières de 2018 à 2021 qu'elle indique avoir réglé à la place de la SA Crédit immobilier de France. Elle justifie avoir réglé les sommes de :
- 486 € au titre de la taxe foncière pour l'année 2019,
- 49 € (après dégrèvement) au titre de la taxe foncière pour l'année 2020,
- 536 € au titre de la taxe foncière pour l'année 2021,
Soit la somme totale de 1071 €.
En sa qualité de propriétaire du bien immobilier, seule la SA Crédit immobilier de France est redevable des taxes foncières afférentes à cet immeuble et doit donc être condamnée à rembourser X… des sommes indûment réglées par celle-ci.
En conséquence, la SA Crédit immobilier de France sera condamnée, à titre provisionnel, à payer à X… la somme de 1071 €, laquelle viendra, conformément à l'article 564 du code de procédure civile, en compensation des sommes dues par l'appelante.
La demande de délai de paiement formulée par X… ne peut être retenue, celle-ci ne démontrant pas, au regard de ses faibles ressources, être en capacité d'assumer le paiement, en sus de l'indemnité d'occupation mensuelle fixée, des mensualités nécessaires pour apurer sa dette.
Le sort des dépens et des frais irrépétibles a été exactement réglé par le premier juge.
X… qui succombe, à titre principal, devra supporter les dépens de la procédure d'appel.
En cause d'appel, l'équité ne commande pas de faire droit aux demandes des parties au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en référés et en dernier ressort,
Confirme l'ordonnance de référé rendue le 15 décembre 2020 par le président du tribunal judiciaire d'Avignon, en toutes ses dispositions,
Et y ajoutant,
Déboute X… de sa demande de délais de paiement,
Condamne la SA Crédit immobilier de France à payer à X…, à titre provisionnel, la somme de 1071 € au titre des taxes foncières de 2019, 2020 et 2021,
Dit que cette somme sera compensée avec celles dues par X… au titre des indemnités d'occupation,
Déboute les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne X… aux dépens de la procédure d'appel.