Cass. crim., 9 janvier 1989, n° 87-90.951
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
M. Tacchella
Avocat général :
M. Lecocq
Avocats :
Me Célice, Me Foussard
Sur le premier moyen de cassation proposé en faveur de Louis Z..., et pris de la violation des articles 12, 1741 et suivants du Code général des impôts, L. 227 du Livre des procédures fiscales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Louis Z... coupable de fraude fiscale à l'impôt sur le revenu par minoration des salaires perçus dans le cadre des sociétés dont il était dirigeant et par défaut de déclaration de revenus fonciers en nature ou en espèce ;
" aux motifs qu'" est établi le défaut de déclaration de revenus fonciers que Louis Z... percevait, soit en nature sous la forme d'un droit de chasse sur les terres de la SCI Duvivier dont il était le dirigeant, soit sous forme de quote part des biens détenus par la société Le Parc ; qu'il est acquis que Louis Z... disposait à titre personnel de la chasse sur la propriété de la Bergerie les jours, autres que ceux où la SCI Duvivier réservait ce droit à une association et que, d'autre part, il a perçu une quote part des locations de biens de la SCP du Parc, sans procéder aux déclarations corrélatives pour les années considérées ; que des redressements assez importants sont intervenus à ce titre pour les années 1978 et 1979 ; qu'il ressort, d'autre part, du rapport de vérification et des indications fournies par M. X... (cote D. 89), qu'au titre de l'année 1979, le prévenu a minoré sa déclaration de salaires de 17 583 francs ; que le prévenu a parlé, quant à lui, d'une omission quant à la déclaration de primes d'assurance-vie et d'un décalage survenant du fait que les services fiscaux avaient tenu compte de ces salaires au moment où ils avaient été crédités sur ses comptes, et non, lorsqu'ils avaient été acquis ; qu'il y a eu ainsi dissimulation de sommes sujettes à l'impôt pour des montants excédant les tolérances légales " ;
" alors, d'une part, que l'impôt sur le revenu n'est dû chaque année qu'à raison des bénéfices ou des revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ; que, dans ses conclusions, Z... faisait valoir que le redressement opéré par la vérification au titre de la déclaration de ses salaires de 1979 portait sur des sommes mises à sa disposition antérieurement en 1978 et déclarées par lui à cette date et qu'en outre, il avait régulièrement déclaré l'avantage correspondant à la prime d'assurance versée par l'une des sociétés qui l'employait ; qu'en s'abstenant de répondre à ces moyens et notamment de rechercher si le prévenu avait eu, en 1979, la disposition des sommes qu'il lui était reproché de n'avoir pas déclarées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés et notamment des articles 12 et 1741 du Code général des impôts ;
" alors, d'autre part, que le délit de fraude fiscale est une infraction intentionnelle qui suppose que les parties poursuivantes démontrent l'intention de fraude du coupable ; qu'en déduisant du redressement opéré l'existence d'une dissimulation de sommes sujettes à l'impôt sans répondre aux conclusions du prévenu faisant valoir que les sommes en cause avaient été déclarées au titre d'une année précédente, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision qui encourt, dès lors, la cassation ;
" alors, enfin, que le prévenu faisait encore valoir que, loin de constituer un revenu foncier, le droit de chasse sur les terres de la société Duvivier, qui les lui donnait à bail rural, constituait un bénéfice agricole compris dans sa déclaration ; qu'en n'indiquant pas davantage en quoi les revenus prétendûment omis excèderaient le dixième du revenu imposable ou le chiffre de 1 000 francs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes précités et notamment de l'article 1741 du Code général des impôts " ; Vu lesdits articles ;
Attendu, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 227 du Livre des procédures fiscales, en cas de poursuites pénales tendant à l'application de l'article 1741 du Code général des impôts, les juges doivent constater le caractère intentionnel, soit de la soustraction, soit de la tentative de soustraction à l'établissement et au paiement des impôts concernés par cet article ;
Attendu, d'autre part, qu'aux termes de l'article 593 du Code de procédure pénale encourent la cassation les arrêts qui ont omis de se prononcer sur les arguments péremptoires des conclusions présentées par les parties ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué lequel a annulé à bon droit le jugement du tribunal correctionnel et a, en conséquence, évoqué, que les juges du second degré devaient, aux termes de la prévention, dire si Louis Z..., en sa qualité de contribuable personne physique, s'était frauduleusement soustrait, au titre des années 1978 et 1979, au paiement de l'impôt sur le revenu, en minorant les salaires par lui reçus et en omettant de faire, dans ses déclarations, mention de l'encaissement de revenus fonciers en nature ou en espèces ;
Que régulièrement saisis de conclusions dudit prévenu qui contestaient d'une part que les salaires par lui déclarés aient pu concerner les déclarations annuelles visés à la prévetion, et que par suite ses omissions de revenus par lui déclarés aient, au total, dépassé en 1978 et 1979 le montant des tolérances légales et le dixième des bénéfices imposables, d'autre part, qu'il ait intentionnellement procédé à ces minorations, les juges, après n'avoir reproduit que partiellement les conclusions de ce prévenu, se bornent à énoncer " qu'il ressort du rapport de vérification de l'inspecteur des impôts qu'en 1979 Louis Z... a éludé 17 583 francs de salaires et qu'ainsi il y avait eu de sa part dissimulation de sommes sujettes à l'impôt pour des montants excédant les tolérances légales " ;
Mais attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel ayant méconnu les textes susvisés, sa décision encourt la cassation ; Et sur le second moyen de cassation proposé en faveur de Louis et Daniel Z..., et pris de la violation des articles 1er, 12, 108 et suivants, 205, 238 ter, 1741 et 1743 du Code général des impôts, L. 227 du Livre des procédures fiscales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Louis et Daniel Z... coupables de fraude fiscale à l'impôt sur les sociétés à raison des opérations accomplies par le Groupement Forestier de Bourgogne et le Groupement Forestier du Centre, et de fraude fiscale à l'impôt sur le revenu à raison des bénéfices réputés distribués par ces deux sociétés civiles ;
" aux motifs d'une part que " le 30 novembre 1972, a été constituée la GRO FO BOURG ayant pour objet social déclaré la gestion de massifs forestiers ; que le gérant en a été Louis Z..., remplacé le 15 juillet 1977 par son fils Daniel ; que le capital social de 100 parts de 100 francs chacune a été réparti entre Louis Z... (67 parts à l'origine, puis 80 parts) ses 4 fils (8 parts à l'origine puis 20 parts) et Y... et sa fille (25 parts à l'origine toutes cédées ensuite à Louis Z... et ses enfants) ; qu'en 1973 et 1974, la SCI a procédé à l'acquisition d'un massif forestier, d'environ 1 200 ha pour un prix de 2 420 000 francs, puis a procédé à 3 cessions : en 1974, 9 ha pour 575 francs, en 1976, 1 100 ha pour 11 500 000 francs, en 1978, 1 ha 58 pour 18 750 francs ; qu'ainsi le bénéfice réalisé s'est élevé à 9 099 325 francs, une superficie forestière de 98 ha restant à la disposition de la SCI, laquelle a acquis un nouveau massif forestier de 409 ha pour 4 200 000 francs, ce massif étant acheté à la société Setic dont le gérant était Louis Z... ; qu'il sera rappelé, d'autre part, que la SCI GRO FO CENTRE a été créée le 16 janvier 1973 avec pour objet déclaré la gestion de massifs forestiers ; que le gérant d'origine en a été Louis Z..., remplacé le 3 décembre 1977 par Bernard B... qui n'était autre qu'un préposé de Louis Z... (son garde chasse) ; que le capital social de 100 parts de 100 francs chacune a été réparti entre Louis Z... (80 parts) et ses 4 fils (20 parts au total) ; qu'en février 1973, la SCI a procédé à l'acquisition d'un massif forestier de 569 ha pour un prix de 800 000 francs puis a effectué 2 ventes, en 1974, 2 ha pour 4 000 francs, en 1976, 567 ha pour 6 700 000 francs ; qu'il est constant que les déclarations à l'impôt sur les sociétés n'ont pas été faites dans le cadre des SCI GRO FO CENTRE et GRO FO BOURG et que Louis Z... n'a pas déclaré, non plus, à l'impôt sur le revenu les sommes qu'il a perçues lors des distributions effectuées par les deux sociétés " ;
" et aux motifs d'autre part que " les éléments de la cause démontrent-ainsi que le soutiennent les parties poursuivantes-que Louis Z... a utilisé les sociétés GRO FO BOURG et GRO FO CENTRE comme " façades " pour masquer des opérations commerciales fructueuses, et qu'il a poursuivi un but spéculatif, se plaçant ainsi hors de l'objet social, propre aux groupements forestiers ; que compte tenu de son activité habituelle (marchand de biens depuis 1967), (gérant ou associé de 19 sociétés ou associations), de ses connaissances en matière de transactions immobilières, compte tenu de l'importance des transactions et des gains réalisés, du délai relativement bref séparant les acquisitions des reventes, le caractère intentionnel des montages consistant pour Z... Louis à éluder la déclaration et le paiement de l'impôt, est établi, caractérisant le délit de fraude fiscale ; certes, que Louis Z... prétend avoir revendu pour faire face à des échéances financières ; qu'aucune démonstration n'en est apportée ; que l'achat d'une propriété pour l'un de ses fils procédait d'une libre décision ; que les liquidités qu'il s'est procuré pour faire face aux malversations d'un notaire, étaient très inférieures aux sommes produites par les ventes " ;
" alors d'une part qu'aux termes de l'article 205 du Code général des impôts, l'impôt sur les sociétés est établi sur les bénéfices ou revenus réalisés par les sociétés et autres personnes morales désignées à l'article 206 ; qu'aux termes de l'article 238 ter du même Code, les groupements forestiers constitués dans des conditions prévues par les articles L. 241-1 à L. 246-2 du Code forestier ne sont pas assujettis à l'impôt sur les sociétés ; qu'en n'indiquant par aucun motif en quoi les sociétés GRO FO BOURG et GRO FO CENTRE ne pourraient bénéficier des dispositions de l'article 238 ter du Code général des impôts et en n'indiquant pas davantage en quoi ces sociétés seraient désignées par l'article 206 du même Code pour être assujetties à l'impôt sur les sociétés, la cour d'appel, qui affirme seulement que ces sociétés auraient été utilisées comme des façades pour masquer des opérations commerciales du prévenu, ce qui ne suffit pas à établir qu'elles seraient assujetties à l'impôt sur les sociétés, n'a pas légalement justifié sa décision ;
" alors d'autre part que les prévenus faisaient valoir que, s'ils avaient réalisé eux-mêmes, et en leur propre nom, les plus-values dégagées de la vente des forêts acquises par le Groupement Forestier de Bourgogne et le Groupement Forestier du Centre, ces plus-values auraient été exonérées de l'impôt sur le revenu en application des articles 155- A et 150- D du Code général des impôts ; qu'en considérant que les deux prévenus auraient eu recours à des montages pour éluder la déclaration et le paiement de l'impôt dont ils auraient été exonérés, de plein droit par l'effet de la loi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
" alors enfin que, à supposer que la qualification fiscale des plus-values réalisées lors de la vente des forêts soit susceptibles de controverse, les prévenus faisaient valoir qu'ils avaient interrogé, à l'époque, un haut fonctionnaire de l'administration Fiscale ainsi que le Centre de documentation des notaires, lesquels avaient confirmé l'absence d'imposition ; qu'en se fondant sur la qualité des prévenus pour en déduire le caractère intentionnel de l'infraction qui leur était reprochée, sans avoir égard aux informations recueillies alors par les prévenus, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir des motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs, équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que les deux prévenus pris en leurs qualités, Daniel Z... de dirigeant légal de la SCI " Groupement Forestier de Bourgogne ", Louis Z... de dirigeant de fait de ladite SCI, et d'une autre dénommée " Groupement Forestier du Centre " ont été poursuivis du chef de fraude fiscale à l'impôt sur les sociétés, pour avoir, ès-qualités, et au titre des années 1978 et 1979, omis de déclarer les bénéfices réalisés par ces deux sociétés et pour n'avoir pas passé les écritures comptables prévues au livre journal et au livre d'inventaire, délits distincts prévus et punis par les articles 1741 et 1743 du Code général des impôts ;
Attendu que saisie par ces deux prévenus de conclusions aux termes desquelles ils soutenaient, d'une part, qu'en vertu de l'article 238 ter du même Code, les groupements forestiers constitués dans les conditions prévues par les articles L. 241-1 à L. 246-2 du Code forestier n'étaient pas soumis à l'impôt sur les sociétés, et, d'autre part, que les plus-values qu'ils avaient pu l'un et l'autre réaliser à l'occasion de la revente des forêts acquises par lesdits groupements se trouvaient exonérées de l'impôt sur le revenu, en application de l'article 150D, 2° du Code général des impôts, le prix de revente n'ayant pas excédé 5 francs le m2, la cour d'appel, tout en relevant que les cessions des massifs forestiers acquis s'étaient réalisées à environ 1 franc le m2, se borne à énoncer que les SCI " GRO FO BOURG " et " GRO FO CENTRE " ont été volontairement utilisées comme " façades pour masquer des opérations commerciales à but spéculatif et qu'ainsi les prévenus s'étaient placés hors de l'objet social propre aux groupements forestiers " ;
Mais attendu qu'en l'état de ces seuls motifs qui ne répondent pas aux arguments péremptoires des conclusions et n'examinent pas les éléments constitutifs du délit prévu par l'article 1743 du Code général des impôts dont les deux prévenus avaient à répondre et ont été déclarés coupables, la Cour de Cassation n'est pas en mesure de s'assurer de la légalité de la décision attaquée ;
Que dès lors la cassation est encourue ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE mais en ses seules dispositions concernant Louis Z... et Daniel Z..., l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Orléans, en date du 23 octobre 1987, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Orléans, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.