CA Douai, 3eme ch., 5 janvier 2023, n° 21/03184
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Manitowoc Crane Group France (Sasu), US LLC (Sté)
Défendeur :
Loxam (SAS), Powered Access Certification LTD (Sté), Bureau Veritas Exploitation (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Salomon
Conseillers :
Mme Bertin, Mme Belkaid
Avocats :
Me Camus-Demailly, Me Dumas-l'Hoir, Me Paternoster, Me Laforce, Me Dupied, Me Darras, Me Moreau, Me Vannelle, Me Vallet
EXPOSE DU LITIGE :
1. Les faits et la procédure antérieure :
Le 13 septembre 2012, M. [F] [T] a été victime d'un accident du travail alors qu'il utilisait une nacelle élévatrice dont la chute a causé son décès. Il était salarié de la société Sofremi, devenue la société Sommet, laquelle a été ultérieurement placée en liquidation judiciaire. Il était le conjoint de Mme [C] [V] et le père de leur fille mineure [I].
La nacelle litigieuse a été fabriquée par la société [Localité 3] US Lcc en 2000. Elle a été vendue à la société Manitowoc Crane Group France (la société Manitowoc).
A la date de l'accident, la société Loxam était propriétaire de la nacelle qu'elle avait acquise le 25 décembre 2005. Elle l'avait louée à la société Sofremi pour la réalisation de travaux à effectuer en hauteur.
Le 13 novembre 2000, la société Powered access certification a certifié la conformité de la nacelle à la directive 98/37 CE dite directive machines.
La société Bureau Veritas a procédé à la vérification périodique de la nacelle le 20 mai 2012.
Trois séries de procédures ont été engagées à la suite du décès de M. [T], préalablement à l'introduction de la présente instance devant le tribunal judiciaire de Béthune :
- une procédure pénale : ayant donné lieu à une expertise réalisée par M. [N] [Y], dont le rapport a été déposé le 28 octobre 2014. Les poursuites pénales engagées à l'encontre de la seule société Sofremi du chef d'homicide involontaire ont donné lieu à un jugement de relaxe prononcé le 19 mai 2020 par le tribunal correctionnel de Béthune ;
- une procédure devant le pôle social du tribunal judiciaire de Lille en reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur de M. [T] : ayant donné lieu à une radiation, puis à un sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir dans le cadre du présent litige ;
- une procédure devant le juge des référés du tribunal de commerce d'Arras engagée par la société Sofremi à l'encontre de la société Loxam au titre d'un défaut de conformité de la nacelle : ayant donné lieu à une nouvelle désignation de l'expert [Y], qui a déposé son rapport le 20 juillet 2016. Le tribunal de commerce ayant été saisi au fond par acte du 13 décembre 2016, il a sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir dans le cadre du litige pendant devant le pôle social du tribunal judiciaire de Lille. Enfin, le tribunal de commerce a été à nouveau saisi par acte du 20 juin 2020 aux mêmes fins que celles visées par l'assignation du 13 décembre 2016. Par jugement du 20 novembre 2021, le tribunal judiciaire a débouté les sociétés Manitowoc et Loxam de leur demande de sursis à statuer.
Par actes des 13, 18 et 19 septembre 2017, Mme [V] a assigné tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de sa fille [I], les sociétés Loxam et Manitowoc devant le tribunal judiciaire de Béthune aux fins d'indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
La société [Localité 3] US Lcc est intervenue volontairement à l'instance. La société Manitowoc a par ailleurs assigné en intervention forcée Me [P] [A], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Sommet, ainsi que les sociétés Powered access certification et Bureau Veritas.
2. Le jugement dont appel :
Par jugement rendu le 18 mai 2021, le tribunal judiciaire de Béthune a :
1- déclaré irrecevable l'action de Mme [V] es qualité d'ayant droit de M. [T] agissant tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille [I] [T] sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle de droit commun ;
2- rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'extinction de la responsabilité de l'article 1386-16 ancien du code civil devenu 1245-15 dudit code ;
3- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'article 1386-16 ancien du code civil devenu 1245-16 dudit code ;
4- déclaré recevable l'action de Mme [V] es qualité d'ayant droit de M. [T] agissant tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille [I] [T] sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ;
5- déclaré Mme [V] es qualité d'ayant droit de M. [T] agissant tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille [I] [T] irrecevable en ses demandes formulées à l'encontre de la société Loxam ;
6- condamné in solidum la société Manitowoc, société par actions simplifiée, et la société [Localité 3] US Lcc, société de droit américain, à payer à Mme [V] agissant es qualité d'ayant droit de M. [T] tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille mineure, [I] [T], les sommes suivantes, outre les intérêts au taux légal à compter de la présente décision
* 20 000 euros au titre des souffrances endurées,
* 8 794,40 euros au titre des frais funéraires,
* 27 000 euros au titre du préjudice d'affection personnel de Mme [V],
* 25 000 euros au titre du préjudice d'affection subi par [I] [T],
* 21 056,72 euros au titre du préjudice économique subi par Mme [V];
7- ordonné, s'agissant des sommes versées à Mme [V] agissant es qualité d'ayant droit de M. [T] tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille mineur, [I] [T], la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, à compter du 19 juillet 2018 ;
8- déclaré irrecevable l'action intentée par la société Manitowoc, société par actions simplifiée, et la société [Localité 3] US Lcc, société de droit américain à l'encontre de Me [A] es qualité de mandataire liquidateur de la société Sommet tendant à les relever et garantir de toute condamnation qui pourrait être mise à leur charge ;
9- condamné in solidum la société Manitowoc et la société [Localité 3] US Lcc à payer à la caisse primaire d'assurance-maladie la somme de 378 436,16 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de sa décision ;
10- condamné la société Powered access certification Ltd à garantir la société Manitowoc et la société [Localité 3] US Lcc, à hauteur de 25 % des condamnations prononcées à leur encontre en ce compris les dépens et les frais irrépétibles ;
11- condamné in solidum la société Manitowoc et la société [Localité 3] US Lcc à payer à Mme [V] agissant es qualité d'ayant droit de M. [T] tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille mineure, [I] [T], la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
12- condamné in solidum la société Manitowoc et la société [Localité 3] US Lcc à payer à la société Bureau Veritas Exploitation la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
13- condamné in solidum la société Manitowoc et la société [Localité 3] US Lcc à payer à Me [A] es qualité de liquidateur judiciaire de la société Sommet la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
14- condamné in solidum la société Manitowoc et la société [Localité 3] US Lcc à payer à la société Loxam la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
15- condamné la société Manitowoc à payer à la caisse primaire d'assurance-maladie des Flandres la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
16- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires
17- ordonné l'exécution provisoire de sa décision clans la limite de la moitié des condamnations prononcées.
3. La déclaration d'appel :
Par déclaration du 11 juin 2021, la société Manitowoc et la société [Localité 3] US Lcc ont formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement. 2 à 4 et 6 à 17 ci-dessus.
Par ordonnance du 25 novembre 2021, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement partiel d'appel des sociétés Manitowoc et [Localité 3] US Lcc à l'égard de la société Powered access certification.
4. Les prétentions et moyens des parties :
4.1. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 20 janvier 2022, les sociétés Manitowoc et [Localité 3] US LLC, appelantes, demandent à la cour, au visa des articles 1240 et suivants, 1245 et suivants du code civil, des articles 325 et suivants et 331 et suivants du code de procédure civile, et des articles L. 451-1 et L. 452-5 du code de la sécurité sociale, de :
=> à titre principal :
Confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de Mme [V], ès qualité d'ayant-droit de M. [T], agissant tant en son nom personnel qu'au nom et pour le compte de sa fille mineure, [I] [T], fondée sur l'article 1240 du code civil.
L'infirmer en ses dispositions visées par la déclaration d'appel et statuant à nouveau :
- dire et juger irrecevable puisque prescrite l'action de Mme [V], ès qualité d'ayant-droit de M. [T], agissant tant en son nom personnel qu'au nom et pour le compte de sa fille mineure, [I] [T], fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil, régissant la responsabilité du fait des produits défectueux ;
- dire et juger éteinte la responsabilité des sociétés Manitowoc et [Localité 3] US Lcc fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil.
- en conséquence, débouter de ses demandes Mme [V], ès qualité d'ayant-droit de M. [T], agissant tant en son nom personnel qu'au nom et pour le compte de sa fille mineure, [I] [T]
=> à titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour de céans n'infirmait pas le jugement du Tribunal judiciaire de Béthune en ce qu'il a jugé recevable l'action de Mme [V], ès qualités, fondée sur les articles 1245 et suivants du code civil :
Infirmer le jugement en ce qu'il a jugé Mme [V], ès qualité d'ayant-droit de M. [T], agissant tant en son nom personnel qu'au nom et pour le compte de sa fille mineure, [I] [T], bien fondée en ses demandes à l'encontre de Manitowoc et [Localité 3] US Lcc et n'a pas retenu les fautes commises par les sociétés Sofremi (désormais Sommet), Loxam, Powered access certification, Bureau Veritas et par la victime, en lien direct avec l'accident ;
Et statuant à nouveau : l'en débouter ;
=> à titre plus subsidiaire, si par encore plus extraordinaire la Cour de céans ne réformait pas le jugement en ce qu'il a jugé l'action de Mme [V], ès qualité, bien fondée :
Infirmer le jugement en ce qu'il a jugé irrecevable l'appel en garantie de ces derniers formulés à l'encontre de Me [A], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Sommet (anciennement Sofremi) et des sociétés Loxam et Bureau Veritas.
Et statuant à nouveau :
- dire et juger recevables et bien fondées en leurs demandes à l'encontre de Me [A], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Sommet (anciennement Sofremi) et des sociétés Loxam et Bureau Veritas.
- en conséquence, condamner les sociétés Loxam et Bureau Veritas Exploitation, venant aux droits de la société Bureau Veritas, et Me [A], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Sommet (anciennement Sofremi) à relever et garantir la société Manitowoc et / ou la société [Localité 3] US Lcc de l'intégralité des condamnations qui pourrait être mise à leur charge ;
=> en tout état de cause, sur le quantum du préjudice :
Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [V], ès qualité d'ayant-droit de M. [T], agissant tant en son nom personnel qu'au nom et pour le compte de sa fille mineure, [I] [T], de sa demande au titre des frais divers et de sa demande au titre du préjudice économique de Madame [I] [T].
Confirmer le jugement en ce qu'il a fixé le préjudice d'affection de Madame [I] [T] à la somme de 25 000 euros ;
L’infirmer sur le surplus et, statuant à nouveau :
- débouter Mme [V], ès qualité d'ayant-droit de M. [T], agissant tant en son nom personnel qu'au nom et pour le compte de sa fille mineure, [I] [T], de sa demande :
* au titre des souffrances endurées par M. [T]
* au titre de son préjudice économique, et en tout état de cause, de ses demandes excédant la somme de 10 258,01 euros ;
- fixer l'indemnité au titre des frais d'obsèques à la somme de 135,50 euros ;
- apprécier dans de plus justes proportions la demande de Mme [V], ès qualité d'ayant-droit de M. [T], agissant tant en son nom personnel qu'au nom et pour le compte de sa fille mineure, au titre de son préjudice d'affection ;
=> en toute hypothèse : condamner solidairement Me [A], ès qualité de Liquidateur judiciaire de la société Sommet (anciennement Sofremi), les sociétés Loxam et Bureau Veritas Exploitation, ainsi que Mme [V], ès qualité d'ayant-droit de M. [T], agissant tant en son nom personnel qu'au nom et pour le compte de sa fille mineure, [I] [T], à verser à la société Manitowoc la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.
4.2. Aux termes de ses conclusions notifiées le 6 mai 2022, Mme [V], tant en son nom personnel qu'ès qualités, intimée et appelante incidente, demande à la cour, au visa de l'article L. 454- 1 du code de sécurité sociale, de l'article L. 4321-2 du code du travail, de l'article 1240 du code Civil et subsidiairement les articles 1245-1 et suivants du code civil, de :
- infirmer le jugement dont appel à titre principal, et le confirmer à titre subsidiaire, en tout état de cause de le réformer sur le montant des indemnités allouées qu'il convient de recalculer à la hausse,
et de :
- dire son action recevable et bien fondée ;
- juger que les sociétés Loxam, Manitowoc et [Localité 3] US ont engagé leur responsabilité du fait de l'accident survenu le 13 septembre 2012 ; à titre principal du fait de leur responsabilité délictuelle de droit commun, à titre subsidiaire du fait des produits défectueux, au vu des fautes qu'elles ont commises,
- en conséquence, condamner in solidum les sociétés Loxam, Manitowoc et [Localité 3] US Lcc à indemniser l'entier préjudice de M. [T], tombé dans sa succession, de Mme [V] et de leur fille, [I] [T], pour laquelle Mme [V] intervient à titre de représentante légale, tel que chiffré ci-après,
Subsidiairement, si les appels en garantie de Loxam et Manitowoc prospéraient :
- condamner in solidum les sociétés Loxam, Manitowoc, [Localité 3] US Lcc, Bureau Veritas, Power access certification, Me [P] [A], ès qualité de liquidateur de la société Sommet, à indemniser l'entier préjudice de M. [T], tombé dans sa succession, de Mme [V] et de leur fille, [I] [T], pour laquelle Mme [V] intervient à titre de représentante légale, tel que chiffré ci-après,
- condamner in solidum les sociétés Loxam et Manitowoc, le cas échéant solidairement avec les sociétés [Localité 3] US Lcc, Bureau Veritas, Power access certification, Me [P] [A], ès qualité de liquidateur de la Société Sommet, à lui payer, ès qualité et ès qualité de représentante légale de sa fille mineure, [I] [T], la somme de 372 867,36 euros, créance de la CPAM déduite, dont répartition proposée comme suit :
o Souffrances endurées de M. [T] : 20 000 euros, tombés dans la succession de sa fille [I],
o Frais d'obsèques : 8 794, 40 euros, dont remboursement à Mme [V]
o Autres frais divers présentés par Mme [V] au titre du besoin en aide humaine : 84 856, 70 euros
o Préjudice économique de Melle [I] [T] : 86 785, 98 euros, créance CPAM à déduire
o Préjudice économique de Mme [V] : 194 216, 26 euros après déduction de la créance de la CPAM,
o Préjudice d'affection de Mme [V] : 35 000 euros
o Préjudice d'affection de Madame [I] [T] représentée par Mme [V] : 30 000 euros ;
- assortir les condamnations à venir du taux d'intérêt légal à compter du 28 octobre 2014 ;
- ordonner la capitalisation des intérêts à compter de la première demande, soit le 18 juillet 2018 ;
- condamner in solidum les sociétés Loxam et Manitowoc, le cas échéant [Localité 3] US, Bureau Veritas, Power access certification, Me [P] [A], ès qualité de liquidateur de la Société Sommet, à lui verser la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de Procédure Civile,
- condamner in solidum les sociétés Loxam et Manitowoc, le cas échéant avec Bureau Veritas, Power access certification, Me [P] [A], ès qualité de liquidateur de la Société Sommet aux entiers dépens de l'instance.
4.3. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 29 avril 2022, la société Loxam, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :
1. à titre principal, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux :
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que seul le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux est applicable au litige ;
Par conséquent :
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé irrecevable l'action des ayants droit fondée sur la responsabilité civile délictuelle de droit commun ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé irrecevable l'action des ayants droit fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux, à son encontre dès lors que le producteur de la nacelle défectueuse est identifié et qu'aucune faute distincte ne peut être reprochée à la société Loxam ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé qu'aucune faute ne peut lui être reprochée ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les ayants droit de l'ensemble de leurs demandes formées à son encontre ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés Manitowoc et [Localité 3] US, ainsi que les autres parties de leurs actions en garantie à son encontre ;
À titre subsidiaire, si la cour écartait la fin de non-recevoir tirée de l'identification du producteur,
- infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable comme ni prescrite ni forclose, l'action des ayants droit en application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux ;
Statuant à nouveau : juger irrecevable, comme prescrite et/ou forclose, l'action des ayants droit en application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux ;
2- à titre subsidiaire, si par impossible la cour retenait sa responsabilité :
- juger que les fautes commises par la victime constituent une cause d'exonération totale de sa propre responsabilité ;
- juger que les fautes commises par les sociétés Manitowoc et [Localité 3] US constituent une cause d'exonération totale de sa propre responsabilité ;
En conséquence : débouter de plus fort les ayants droit de l'ensemble de leurs demandes ;
3- à titre infiniment subsidiaire :
- infirmer le jugement en ce qu'il a écarté la faute de la victime ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a, en revanche, jugé que les fautes commises par les sociétés Manitowoc / [Localité 3] US, par la société Sofrémi/Sommet et par la société Powered access certification sont en lien de causalité directe avec l'accident ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a réparti les parts de responsabilités entre les sociétés Manitowoc, [Localité 3] US, Powered access certification, et Sofrémi/Sommet ;
et statuant à nouveau :
- juger que les fautes commises par la victime doivent être prises en compte dans le cadre du partage de responsabilité à hauteur, à minima, de 50 % ;
- juger que la société Loxam sera relevée et garantie de toute condamnation qui serait prononcée contre elle, y compris au titre des éventuels frais et dépens, par les sociétés [Localité 3] US, Manitowoc et Powered access certification, in solidum, solidairement ou par les unes à défaut des autres.
- confirmer le jugement s'agissant de la fixation des préjudices des ayants droit de la victime, à l'exception du préjudice d'angoisse de mort imminente subi par M. [T] ;
Statuant à nouveau : débouter les ayants droit de leur demande d'indemnisation au titre du préjudice d'angoisse de mort imminente subi par M. [F] [T] ;
En tout état de cause :
- condamner les sociétés [Localité 3] US et Manitowoc, in solidum, solidairement ou par l'une à défaut de l'autre, à payer à la société Loxam la somme de 25 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- les condamner aux entiers dépens.
4.4. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 21 janvier 2022, Me [A], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Sommet, intimée et appelante incidente, demande à la cour, au visa des articles L. 451-1 et L. 452-5 du code de la Sécurité Sociale, de :
=> confirmer le jugement en ce qu'il a été déclaré irrecevable l'action intentée par la Société Manitowoc et par la société [Localité 3] US Lcc à son encontre, action tendant à les relever et garantir de toutes condamnations qui pourraient être mises à leur charge ;
=> infirmer le jugement en ce que la Société Loxam n'a pas vu sa propre responsabilité consacrée ;
En tout état de cause,
- dire et juger que l'accident dont a été victime M. [T] le 13 septembre 2012 incombe exclusivement aux Sociétés Loxam, Manitowoc et [Localité 3] LLC ;
En conséquence,
- débouter les Sociétés [Localité 3] US Lcc, Loxam et Manitowoc de leur recours en garantie formé à son encontre ;
- de manière générale, débouter l'ensemble des parties adverses de toutes leurs demandes plus amples ou contraires en ce qu'elles seraient portées à son encontre ;
- débouter les appelants incidents de leur appel incident et de toutes leurs demandes fins et conclusions ;
- condamner in solidum les Sociétés [Localité 3] US Lcc, Loxam et Manitowoc à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel, en sus de l'indemnité qui lui a été allouée à raison de la procédure de première instance pour le montant de 3 000 euros ;
- condamner in solidum les Sociétés [Localité 3] US Lcc, Loxam et Manitowoc aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.
4.5. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 9 décembre 2021, la société Bureau Veritas, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :
- considérer qu'elle n'est valablement saisie à son égard que de l'action en garantie que la société Manitowoc et la société [Localité 3] US Lcc ont formé à son encontre ;
- considérer l'absence de toute articulation de moyens en fait ou en droit de la demande de condamnation telle que formulée par Mme [V] à son égard ;
- déclarer cette demande radicalement irrecevable et confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande formée à son encontre ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que seul le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux est applicable au litige ;
En conséquence,
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action des ayants-droits fondée sur la responsabilité civile délictuelle de droit commun ;
- confirmer le jugement en ce qu'iI a jugé irrecevable l'action des ayants-droits fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux à son encontre ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé qu'aucune faute ne pouvait lui être reprochés ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés Manitowoc et [Localité 3] US Lcc de leurs appels en garantie à son encontre ;
- considérer en effet l'absence de tout fondement a fortiori admissible de l'action en garantie tant de la société Manitowoc que de la société [Localité 3] US. LLC, qui n'auraient pu prospérer que sur un fondement extracontractuel ;
- considérer que le rapport de l'expert judiciaire ne peut permettre à la société Manitowoc et la société [Localité 3] US Lcc d'exciper d'une faute quelconque à son encontre, a fortiori de nature à les décharger ne serait-ce que pour partie de la responsabilité qu'elles peuvent encourir ;
- considérer que ce rapport établit au contraire non seulement que le grief fait à son encontre est sans relation avec ceux faits à l'encontre de la société Manitowoc et la société [Localité 3] US Lcc au titre du défaut de conformité de la machine en cause, mais encore sans relation avec le dysfonctionnement a l'origine de l'accident ;
- débouter en conséquence tant la société Manitowoc que la société [Localité 3] US Lcc de toutes leurs demandesà son encontre ;
- débouter à fortiori Mme [C] [V] de sa demande en tant que dirigée à son encontre ;
- confirmer le jugement du Tribunal Judiciaire de Béthune du 18 mai 2021 en ce qu'il a exclu toute responsabilité à son encontre ;
- confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a débouté tant les sociétés société Manitowoc que la société [Localité3] US Lcc de leur appel en garantie à son encontre, ainsi qu'il débouté a fortiori Mme [V] de sa demande en tant que dirigée à son encontre ;
=> à titre subsidiaire, si par impossible la cour retenait sa responsabilité,
- juger que les fautes commises par la victime et par les sociétés Manitowoc et [Localité 3] US constituent une cause d'exonération totale de sa responsabilité ;
=> en tout état de cause,
- confirmer l'indemnité de procédure qui lui a été allouée en première instance ;
Et statuant à nouveau,
- condamner la société Manitowoc et la société [Localité 3] US Lcc ou Madame [C] [V], comme tout succombant, aux entiers dépens ainsi qu'à lui verser une indemnité de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La caisse primaire d'assurance-maladie à laquelle la déclaration d'appel et les conclusions d'appelant ont été signifiées, n'a pas constitué avocat devant la cour.
Pour un exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'application du régime de responsabilité fondé sur l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
L'article 1386-18, devenu 1245-17 du code civil dispose que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité, alors que le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.
Pour autant, la CJCE a dit pour droit que, si selon l'article 1386-18, devenu l'article 1245-17 du code civil, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas la possibilité pour la victime d'un dommage d'agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents, telles la garantie des vices cachés ou la faute » (CJCE, 25 avril 2002, C-183/00, point 31).
La possibilité d'invoquer un régime de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle autre que celui de la responsabilité du fait des produits défectueux, suppose ainsi d'établir une faute distincte du défaut de sécurité du produit.
En l'espèce, l'expert judiciaire a relevé que la nacelle litigieuse était affectée d'un défaut du boitier du bloc logique, qui constitue un dispositif de sécurité intégré, avant de conclure qu'un tel défaut est à l'origine du basculement ayant entraîné l'accident subi par M. [T].
En présence d'un tel produit défectueux impliquant l'application du régime de responsabilité sans faute issu de la directive, il convient par conséquent de rechercher l'existence ou non d'une faute distincte d'un tel défaut, à l'égard de chaque société dont Mme [V] invoque la responsabilité pour faute.
=> s'agissant de l'action engagée par Mme [V] à l'encontre des sociétés Manitowoc et [Localité 3] US Lcc :
Pour solliciter l'application du régime de responsabilité pour faute de droit commun, Mme [V] invoque, sans contester pour autant l'existence d'un défaut de sécurité affectant la nacelle qu'elle invoque d'ailleurs à titre subsidiaire, une double faute à l'encontre des sociétés Manitowoc et [Localité 3] US Lcc :
- d'une part, ne pas avoir respecté les règles techniques de conception des machines, telles qu'elles sont prévues par la directive 98/37/CE ;
- d'autre part, ne pas avoir indiqué dans le manuel d'instruction de la nacelle les moyens à mettre en œuvre pour vérifier le bon fonctionnement du bloc logique dans le cadre des opérations de maintenance.
Pour autant, de telles fautes ne sont pas distinctes du défaut de sécurité affectant la nacelle, dès lors que :
- d'une part, le défaut intrinsèque du produit résulte notamment de sa conception elle-même ;
- d'autre part, le défaut extrinsèque de présentation du produit, résultant notamment d'une rédaction défectueuse de sa notice d'utilisation, s'analyse lui-même comme un défaut du produit, conformément à l'article 1386-4, devenu 1245-3 alinéa 2 du code civil.
Enfin, les sociétés Manitowoc et [Localité 3] US Lcc observent valablement que les seules dispositions de l'article L. 4321-2 du code du travail qu'invoque exclusivement Mme [V], mettant à la charge de l'employeur une obligation de sécurité dans ses relations avec ses salariés, ne leur sont pas applicables, en l'absence de tout contrat de travail les liant à M. [T]. Aucune faute distincte d'un défaut de sécurité du produit ne peut être par conséquent invoquée par Mme [V] à leur encontre sur ce fondement, alors qu'en présence d'un fondement expressément invoqué par cette dernière, il n'incombe pas à la cour de rechercher d'office un fondement alternatif. La même analyse s'applique à l'égard de la société Loxam, qui n'est pas davantage l'employeur de M. [T] et ne peut par conséquent engager sa responsabilité au titre d'une telle obligation de sécurité.
Dans ces conditions, Mme [V] est irrecevable à invoquer le régime de responsabilité de droit commun à l'encontre des sociétés Manitowoc et [Localité 3] US Lcc. Le jugement critiqué est par conséquent confirmé en ce qu'il a prononcé une telle irrecevabilité.
=> s'agissant de l'action engagée par Mme [V] à l'encontre de la société Loxam :
A l'égard de la société Loxam, Mme [V] invoque :
- 1. D’une part, un défaut de maintenance, dès lors que le boitier du bloc logique présentait une forte corrosion, alors que cette dernière ne résultait pas d'une exposition de la nacelle aux intempéries postérieure à l'accident mortel ;
- 2. D’autre part, une absence d'instructions fournis par ce loueur aux utilisateurs, notamment s'agissant d'une possibilité de « frauder certains capteurs de sécurité » ;
- 3. Enfin, une déconnexion du capteur came à roulette, lors de la livraison de la nacelle à la société Sofremi, qu'elle impute au loueur.
Il apparaît toutefois que :
- l'absence d'instructions s'analyse en réalité comme un défaut de présentation du produit et n'est pas conséquent pas distinct du défaut affectant le produit ; en l'espèce, la notice d'utilisation se trouvait en réalité dans le boitier encore plombé du panier nacelle, selon les constatations de l'expert judiciaire ;
- les griefs de défaut d'entretien et de déconnexion du capteur came à roulette constituent en revanche des fautes qui sont distinctes du caractère défectueux de la nacelle : à ce titre, Mme [V] est recevable à agir à l'encontre de la société Loxam sur le fondement des articles 1240 du code civil et L. 454-1 du code de la sécurité sociale.
Sur ce dernier point, il convient de réformer le jugement critiqué en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action diligentée par Mme [V] à l'encontre de la société Loxam en excluant toute application de l'article 1245-17 du code civil à son égard. En effet, la motivation des premiers juges fait apparaître qu'ils ont en réalité statué sur le fond pour estimer qu'aucun lien de causalité n'était établi entre le dommage subi et la faute invoquée par Mme [V] sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'identification du producteur :
La cour adopte la motivation des premiers juges, par laquelle est démontrée qu'en présence d'une identification du producteur de la nacelle litigieuse, les dispositions de l'article 1386-7, devenu 1245-6, du code civil ne sont pas applicables pour retenir la responsabilité subsidiaire des vendeurs ou loueurs du produit défectueux.
Le jugement critiqué est confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes formulées par Mme [V] à l'encontre de la société Loxam sur le fondement du régime des produits défectueux.
Sur la prescription de l'action en responsabilité du fait des produits défectueux :
A titre liminaire, la cour observe que les appelantes ont indiqué dans leurs conclusions que l'extinction de responsabilité prévue par l'article 1245-15 du code civil s'analyse comme une fin de non-recevoir, de sorte qu'elles sollicitent dans le corps de leurs écritures de statuer d'abord sur une telle extinction, puis sur la prescription de l'action en responsabilité engagée par Mme [V] à leur encontre. Pour autant, alors que l'extinction de responsabilité constitue une défense au fond, l'ordre des prétentions figurant dans le dispositif lui-même de leurs conclusions (page 82) implique en définitive que la cour statue d'abord sur une telle extinction, avant de se prononcer sur la prescription.
Le délai de prescription relatif à l'action en responsabilité du fait des produits défectueux est de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, en application de l'article 1386-17, devenu 1245-16 du code civil.
Ce délai spécial est exclusif de celui prévu par l'article 2226 du code civil, applicable en matière de préjudice corporel.
En l'espèce, Mme [V] a invoqué pour la première fois le fondement subsidiaire des articles 1245 et suivants du code civil dans ses conclusions notifiées le 10 juillet 2019.
D'une part, les seules déclarations faites le 21 septembre 2012 par Mme [V] devant les services de gendarmerie ne permettent pas de caractériser une connaissance du défaut, alors qu'elles restent particulièrement floues, se limitant à indiquer qu'elle avait appris par les autres employés de la société Sofremi qu'il « y avait eu un problème technique avec la nacelle ».
D'autre part, si Mme [V] a eu connaissance du dommage subi dès le décès immédiat de son conjoint, elle n'a en revanche réellement connu la réalité et l'ampleur du défaut affectant le bloc logique de la nacelle qu'à la date du dépôt du rapport définitif d'expertise, étant observé que le producteur était lui-même partie à la mesure d'instruction.
Sa seule participation aux opérations d'expertise ne suffit pas à établir une telle connaissance, alors que :
- si la note adressée le 12 mai 2014 par l'expert aux parties comporte certes une mention indiquant « réunion technique d'expertise du 25 avril 2014 : compte tenu du défaut constaté sur le bloc technique », une telle mention n'est d'une part pas circonstanciée et ne s'analyse pas d'autre part formellement comme une conclusion apportée par l'expert en réponse aux questions qui lui sont posées ;
- à l'inverse, seules les conclusions définitives de l'expert sont de nature à apporter à Mme [V] la connaissance précise du défaut affectant la nacelle après que les parties ont pu discuter contradictoirement le pré-rapport, et à lui permettre ainsi d'introduire une action en responsabilité reposant sur des éléments probants.
Le rapport définitif d'expertise ayant été déposé le 20 juillet 2016, il en résulte que l'assignation délivrée en septembre 2017 aux sociétés Maniwotoc et [Localité 3] US Llc est intervenue avant l'expiration du délai triennal de prescription.
Le jugement critiqué est par conséquent confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée d'une prescription de l'action engagée à leur encontre par Mme [V].
Sur l'extinction de la responsabilité du producteur :
En application de l'article 1386-16, devenu 1245-15, du code civil, sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent chapitre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n 'ait engagé une action en justice.
Sur la notion de « faute du producteur » :
La faute du producteur permettant de retenir par exception sa responsabilité en dépit de l'expiration du délai décennal doit être distincte du défaut de sécurité affectant le produit, sous peine de vider de sa substance le dispositif spécifique résultant de l'application combinée des articles 1245- 15 et 1245-16 du code civil qui enferme l'action ouverte à la victime à l'encontre du producteur dans un double délai.
La cohérence entre les articles 1254-15 et 1245-17 du code civil implique en outre que la notion de « faute du producteur » soit identique pour l'application de ces deux textes.
Sur ce point, l'article 11 de la directive n° 85/374/CEE dispose exclusivement que « les Etats membres prévoient que les droits conférés à la victime en application de [ladite] directive s'éteignent à l'expiration d'un délai de dix ans à compter de la date à laquelle le producteur a mis en circulation le produit, même qui a causé le dommage, à moins que durant cette période la victime n'ait engagé une procédure judiciaire contre celui-ci ». Il en résulte que cette disposition ne prévoit pas la réserve de la faute du producteur figurant dans sa transposition en droit interne. Dans ces conditions, la précision apportée sur ce point par l'article 1386-16 du code civil ne résulte pas de la directive, mais doit s'interpréter comme une coordination avec l'article 1386-18 même code, dont elle introduit par anticipation l'exception à l'application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux relative à la seule hypothèse d'une responsabilité pour faute distincte d'un tel régime.
Admettre que la victime puisse à l'inverse invoquer à l'encontre du producteur une faute contractuelle ou extracontractuelle quelconque, y compris reposant sur le même fondement que le défaut du produit, équivaut à contourner en droit interne le dispositif mis en œuvre par la directive n° 85/374/CEE, en violation de l'objectif d'harmonisation de ce régime spécial de responsabilité du fait des produits défectueux qu'elle vise. A cet égard, la CJCE a dit pour droit que « l'article 13 de la directive doit être interprété en ce sens que les droits conférés par la législation d'un État membre aux victimes d'un dommage causé par un produit défectueux, au titre d'un régime général de responsabilité ayant le même fondement que celui mis en place par ladite directive, peuvent se trouver limités ou restreints à la suite de la transposition de celle-ci dans l'ordre juridique interne dudit État » (CJCE 25 avril 2002, dans l'affaire C-183/00).
L'application d'un tel délai-butoir à une action en responsabilité fondée sur un produit défectueux est ainsi légitime, dès lors que la faute invoquée ne se distingue pas du défaut affectant ce produit.
En l'espèce, ainsi qu'il a été précédemment établi, Mme [V] invoque des fautes à l'encontre des sociétés Maniwotoc et [Localité 3] US Llc qui se confondent avec le défaut affectant la nacelle litigieuse.
Il en résulte qu'elle ne justifie pas d'une faute du producteur permettant d'écarter l'application de l'article 1245-15 précité.
Sur l'application du délai-butoir :
La mise en circulation d'un produit intervient quand celui-ci « est sorti du processus de fabrication mis en œuvre par le producteur et qu'il est entré dans un processus de commercialisation dans lequel il se trouve en l'état offert au public aux fins d'être utilisé ou consommé » (CJCE 9 févr. 2006, aff. C-127/04, Declan O'Byrne c/ Sanofi Pasteur MSD Ltd).
En l'espèce, il n'est pas contesté que cette mise en circulation est intervenue à la date de vente de la nacelle litigieuse par la société [Localité 3] US Llc, fabricante, à la société [Localité 3] France aux droits de laquelle est venue Maniwotoc, importateur assimilé à un producteur. Dès lors qu'il est admis que cette vente est intervenue le 20 novembre 2000, Mme [V] devait engager une action en justice avant le 20 novembre 2010.
La seule action en justice engagée par Mme [V] elle-même à l'encontre des sociétés Maniwotoc et [Localité 3] US Llc a été diligentée selon assignations délivrées en septembre 2017, de sorte qu'elle est intervenue postérieurement à l'expiration du délai décennal prévu par l'article 1245-15 précité.
Le jugement ayant débouté les sociétés Maniwotoc et [Localité 3] US Llc de leur demande aux fins de constater l'extinction de leur responsabilité est par conséquent réformé de ce chef.
La responsabilité des producteurs était éteinte à la date d'introduction de l'instance exercée par Mme [V].
Sur la responsabilité pour faute de la société Loxam :
En application de l'article 1382, devenu 1240 du code civil, il appartient à Mme [V] de rapporter la preuve à la fois d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre ces deux premiers éléments constitutifs de la responsabilité civile de droit commun.
=> au titre d'un défaut d'entretien :
Si l'oxydation du boitier a été constatée dans la quinzaine suivant l'accident litigieux, l'expert judiciaire a toutefois ultérieurement relevé que cette corrosion externe n'avait pas affecté le fonctionnement de la carte électronique qui s'y trouvait, selon les constatations qu'il a pu en définitive effectuer par radiographies ou après l'ouverture du boitier plombé. Il a pu en conclure valablement qu'à défaut de corrosion interne de la carte électronique, le défaut d'entretien par la société Loxam n'avait pas causé la défaillance du système de sécurité de la nacelle, et partant son basculement ayant entrainé le décès de M. [T].
Mme [V] n'apporte aucun élément technique permettant de remettre en cause une telle appréciation.
=> au titre de la déconnexion du capteur came à roulette :
Le capteur came à roulette constitue un dispositif mécanique, ayant vocation à compléter le dispositif électronique constitué par le bloc logique de sécurité.
Dans ses propres conclusions (page 24), Mme [V] indique que l'expert judiciaire a « estimé après différents essais et analyse qu'in fine, la connexion du capteur came à roulette n'aurait rien changé », de sorte qu'un tel dispositif, même connecté, n'aurait pas permis de faire obstacle à la survenance d'une position dangereuse de l'élévateur qu'a autorisé le dysfonctionnement du bloc logique de sécurité.
À cet égard, l'expert judiciaire indique avoir constaté que « le boitier du bloc logique "riser control module" était fortement corrodé, qu'un capteur dénommé "came à roulettes" n'était plus connecté et que l'armoire d'appareillage électrique avait subi des modifications de cablages sans toutefois affecter les fonctions de sécurité ».
En tout état de cause, si Mme [V] précise qu'on ne comprend pas l'analyse de l'expert, elle n'apporte toutefois aucun élément extérieur pour établir l'existence lien de causalité entre une telle déconnexion et le dommage, alors que la cour n'a aucune obligation de relever d'office des faits adventices qu'elle n'a pas elle-même invoqués.
Au surplus, Mme [V] estime elle-même (page 18 de ses conclusions) que le défaut affectant la nacelle entraîne un basculement de l'alimentation électrique vers une autre source, de sorte qu'elle « fonctionne alors par "à-coups", détournant totalement le bloc logique de sa fonction. Le bloc logique ne détectant pas les capteurs inductifs et capteur mécanique » : sans que la cour n'ait à se prononcer sur la validité d'une telle analyse technique au regard des conclusions d'un rapport établi par M. [X], expert mandaté par les sociétés Maniwotoc et [Localité 3] US Llt, Mme [V] admet ainsi que l'absence de connexion du capteur mécanique est indifférente à la réalisation de l'accident, dès lors qu'à défaut d'une quelconque détection de ce capteur came à roulette par le bloc logique, le relais par ce dispositif mécanique n'aurait pu intervenir.
A défaut de lien de causalité établi par Mme [V] entre les fautes invoquées et le dommage subi, la responsabilité de la société Loxam n'est pas engagée.
Statuant à nouveau, il convient par conséquent de débouter Mme [V] de ses demandes indemnitaires formée à l'encontre de la société Loxam sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil.
Sur les autres demandes et les recours en garantie :
Dans le cadre de la présente instance, la responsabilité de l'employeur de M. [T] n'est invoquée qu'au titre des recours exercés par les sociétés Maniwotoc, [Localité 3] US ltt et Loxam, étant rappelé que Mme [V] a pour sa part agit devant le pôle social en reconnaissance d'une faute inexcusable de la société Sommet.
En l'absence de responsabilité des sociétés Maniwotoc, Groove US Ltt et Loxam, il n'y a pas lieu de statuer sur les appels en garanties formées par ces dernières, étant observé que les demandes formulées par Mme [V] à l'encontre des sociétés Loxam, Bureau Veritas, Power access certification, et de Me [P] [A], ès qualité de liquidateur de la société Sommet ne sont formulées qu'à titre subsidiaire dans l'hypothèse où « les appels en garantie de Loxam et Manitowoc prospéraient ».
Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit :
- d'une part à infirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,
- d'autre part, à condamner Mme [V] aux dépens de première instance et d'appel,
- enfin, de laisser à la charge de chaque parties les frais irrépétibles qu'elles ont respectivement exposés au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel, conformément à l'équité et à leur situation économique respective, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Réforme le jugement rendu le 18 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Béthune, sauf en ce qu'il a :
- déclaré irrecevable l'action de Mme [V] en sa qualité d'ayant droit de M. [T] agissant tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille [I] [T] sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle de droit commun à l'égard des sociétés Manitowoc Crane Group France et [Localité 3] US Llc, d'une part, et à l'égard de la société Loxam s'agissant exclusivement la faute reprochée au titre d'une absence d'instructions fournies à l'utilisateur de la nacelle litigieuse, d'autre part ;
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'article 1386-16 ancien du code civil devenu 1245-16 dudit code ;
- déclaré Mme [V] agissant tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille [I] [T] irrecevable en ses demandes formulées à l'encontre de la société Loxam, au titre du régime de responsabilité du fait des produits défectueux ;
Statuant à nouveau des chefs réformés et y ajoutant :
Déclare recevable l'action de Mme [C] [V], agissant tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille [I] [T] sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle de droit commun à l'égard de la société Loxam s'agissant des fautes reprochées au titre d'un défaut d'entretien et d'une déconnexion du capteur « came à roulettes » ;
Déboute Mme [C] [V], agissant tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille [I] [T], de l'ensemble de ses demandes fondées sur une responsabilité pour faute à l'encontre de la société Loxam ;
Dit que la responsabilité des sociétés Manitowoc Crane Group France et [Localité 3] US Llc est éteinte en application de l'article 1386-16, devenu 1245-15, du code civil, dans sa rédaction postérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Déboute par conséquent Mme [C] [V], agissant tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille [I] [T], de l'ensemble de ses demandes fondées sur une responsabilité du fait des produits défectueux à l'encontre des sociétés Manitowoc Crane Group France et [Localité 3] US Llc ;
Condamne Mme [C] [V], agissant tant en son nom personnel qu'au nom de sa fille [I] [T], aux dépens de première instance et d'appel ;
Laisse à la charge de chaque partie les frais irrépétibles qu'elles ont respectivement exposés tant en première instance qu'en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.