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Décisions

CA Douai, premier président, 12 janvier 2023, n° 21/02054

DOUAI

Ordonnance

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Eiffage Route Nord Est (Sté)

Défendeur :

Direction Régionale de l'Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités des Hauts de France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Château

Avocats :

Me Boudjemaa, Me Lacaze

CA Douai n° 21/02054

12 janvier 2023

Exposé du litige

Le 4 août 2015, le conseil départemental de l'Oise a lancé un appel d'offres pour la réalisation de travaux d'aménagement et de grosses réparations des chaussées et de leurs dépendances dans deux zones géographiques distinctes. Cet appel d'offres a été publié sous la forme d'un accord-cadre multi attributaires.

Pour répondre à l'appel d'offres, les candidats devaient présenter une offre financière consistant en un référentiel de prix maximum détaillés.

Aux termes de l'article 18 du cahier des clauses administratives particulières, il était prévu que les prix d'un marché subséquent ne sauraient être supérieurs à ceux définis dans le référentiel des prix maxima détaillés applicables à l'accord-cadre, révisés à la date de mise en ligne de la consultation relative au marché subséquent. Toutefois, dans le cadre de marchés subséquents autorisant le recours aux variantes, les titulaires de l'accord cadre pourront proposer des prix variantés non prévus dans le RPMD de l'accord cadre.

Le 8 octobre 2015, la commission d'appel d'offres a retenu la candidature d'Eiffage Route Nord Est avec cinq autres titulaires, Eurovia Picardie, le groupement des sociétés Guintoli-Siorat, Colas Nord Picardie, Ramery TP et Oise TP Établissement Lhotellier, le maximum possible étant de 6 opérateurs.

En application de l'accord-cadre, le conseil départemental a alors lancé un appel d'offres pour des marchés subséquents.

Les 28 février et 2 mars 2017, le conseil départemental de l'Oise a rencontré les attributaires des différents marchés qui lui ont fait part de plusieurs problèmes auxquels ils avaient été confrontés, notamment des difficultés dans la détermination des prix.

Par requête en date du 24 février 2021, Monsieur [N] [F], chef du pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie au sein de la direction régionale des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts-de-France, devenue la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail, et des solidarités depuis le 1er avril 2021, ci-après la DREETS, a présenté au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d'Arras une demande aux fins d'autorisation de visite et saisie au sein des locaux de la société Oise Estrées Saint Denis anciennement Eiffage TP Nord, [Adresse 5], ainsi que dans ceux des sociétés Oise TP Lhotellier, Colas Beauvais, Colas Nord Est, Ramery TP, et, Guintoli et Siorat ainsi que dans les entreprises des mêmes groupes qui seraient situées à la même adresse, au motif que lesdites entreprises auraient pris une part active ou à plusieurs pratiques visant à se répartir des marchés d'aménagement et les travaux de chaussée et ce en violation des dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce relatif aux pratiques anti-concurrentielles.

Par ordonnance du 9 mars 2021, le juge des libertés et de la détention d'Arras a autorisé, en application de l'article L. 450-4 du code de commerce, une opération de visite et saisie au sein notamment des locaux de la société Oise Estrées Saint Denis anciennement Eiffage TP Nord, [Adresse 5].

Cette opération a été exécutée par la DREETS le 16 mars 2021.

Par déclaration au greffe du tribunal judiciaire d'Arras en date du 25 mars 2021, la société Eiffage Route Nord Est « ci-après la société Eiffage - a formé un recours contre l'ordonnance rendue le 9 mars 2021 par [T] [D] juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire d'Arras.

Cette affaire a été enrôlée sous le numéro de répertoire général 21/2054.

Par déclaration au greffe du tribunal judiciaire d'Arras en date du 25 mars 2021, la société Eiffage Route Nord Est » ci-après la société Eiffage - a formé un recours contre les opérations de visite et saisies qui se sont déroulées le 16 mars 2021 dans ses locaux, à l'encontre du procès-verbal de visite et saisie dressé le 16 mars 2021 dans le cadre de l'ordonnance rendue le 9 mars 2021 par le juge des libertés et de la détention d'Arras.

Cette affaire a été enrôlée sous le numéro de répertoire général 21/5300.

Moyens

Prétentions et moyens des parties :

La société Eiffage demande, au visa des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme et de l'article L. 450-4 du code de commerce, de :

- constater que le juge des libertés et de la détention n'a pas procédé à une appréciation concrète des éléments d'informations fournies par la DIRRECTE ;

- constater l'absence de justification du caractère suffisant des éléments soumis par la DIRRECTE ;

- constater l'absence de contrôle de proportionnalité de la mesure demandée par la DIRRECTE ;

- juger qu'aucun élément de fait ne peut justifier en l'espèce le recours à des opérations de visites et saisies ;

- juger que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention d'Arras du 9 mars 2021 a été prise en violation de l'article L. 450-4 du code de commerce et des articles 6, §1 et 8 de la CEDH ;

En conséquence :

- annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention d'Arras du 9 mars 2021 et l'ensemble des opérations de visites et saisies réalisées en exécution de cette ordonnance ;

- ordonner la restitution de l'ensemble des pièces et fichiers informatiques saisis dans le cadre de ces opérations de visites et saisies ;

- interdire à toute personne ou autorité autre que leur propriétaire de faire usage desdits documents ;

- ordonner qu'aucune copie et/ou original de ces documents ne soit conservé ou utilisé ;

- condamner la DIRRECTE au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale et aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société Eiffage estime que :

1 - le juge des libertés et de la détention saisi d'une demande de l'administration d'autoriser une opération de visite et saisie, doit procéder à un contrôle juridictionnel effectif du bien-fondé de la demande en vérifiant les documents communiqués par l'administration, appréciant leur caractère suffisant et réel et en contrôlant la proportionnalité de la demande.

En l'espèce, la société Eiffage fait valoir que :

2 - le juge des libertés et de la détention d'Arras n'a pas procédé à une vérification concrète des éléments soumis à son examen :

- 2.1 il n'a pas cherché à connaître la chronologie selon laquelle les marchés subséquents ont été conclus ;

- 2.2 il n'a pas analysé les différents marchés et n'a pas ainsi pu observer que les erreurs commises s'expliquent toutes par des difficultés à se conformer aux règles du cahier des clauses administratives particulières, n'ayant pas analysé l'Annexe 17 intitulée « rencontre des titulaires de l'accord-cadre des 28 février et 2 mars 2017 » reprenant les difficultés des entreprises ;

- 2.2.1 elle souligne une erreur dans la comptabilisation des erreurs relevées par la DIRRECTE : 9 consultations pour 7 marchés subséquents car certaines consultations ont été concomitantes ce qui a augmenté artificiellement le nombre d'erreurs commises ;

- 2.2.2 le juge des libertés et de la détention n'a pas examiné la manière et les circonstances dans lesquelles les candidats ont pu remettre des prix supérieurs au RPMD : il y a seulement des erreurs dans les trois premiers marchés subséquents et non dans les suivants, ce qui sous-entend qu'il y a eu une correction ; le calendrier de l'appel d'offres était très serré d'où la reproduction inévitable des erreurs qui n'étaient donc pas délibérées.

- 2.2.3 si certaines entreprises n'ont pas participé aux marchés subséquents, c'est en raison d'une surcharge de travail, ce que le juge des libertés et de la détention n'a pas relevé ;

- 2.2.4. des variantes pouvaient être proposées en plus des offres de base et la proposition d'une variante ne peut être retenue comme indice de la volonté de réaliser une pratique anti-concurrentielle.

- 2.3 Le juge des libertés et de la détention n'a pas analysé les caractéristiques particulières des erreurs commises qui étaient en lien avec les difficultés, pour la société, d'appliquer les règles du cahier des clauses administratives particulière. Ainsi l'erreur commise par Eiffage était une erreur arithmétique liée au caractère des moins-values des lignes de prix concernées.

- 2.4 le juge des libertés et de la détention n'a pas procédé à l'analyse du document établi par le département de l'Oise recensant toutes les difficultés rencontrées par les attributaires des marchés subséquents - difficultés concernant le libellé et la révision des prix, problèmes sur les moins-values)- alors que ce document suffit à remettre en cause une éventuelle entente entre les entreprises.

3 - le juge des libertés et de la détention n'a pas procédé à la vérification concrète des éléments soumis par l'administration à son examen afin de s'assurer du caractère fondé et suffisant de ceux-ci et du caractère proportionné de la mesure :

3.1 l'examen concret des Annexes permet de démontrer que les éléments présentés par la DIRRECTE sont insuffisants : il y a eu des consultations concomitantes, ce que l'administration a tu ; il n'y a eu des erreurs que sur les trois premiers marchés seulement ; le nombre d'entreprises ayant commis les erreurs n'est pas important ; la non-participation de certaines entreprises s'explique par une surcharge de travail et non par une exclusion du marché ; il existait bien une possibilité de proposer des variantes ;

3.2 le juge des libertés et de la détention ne vise même pas dans son ordonnance l'Annexe 17 relative aux difficultés auxquelles ont dû faire face les entreprises.

3.3 le juge des libertés et de la détention n'a pas procédé au contrôle de proportionnalité au titre de l'article L. 450-4 du code de de commerce en ce qu'il n'y a aucune appréciation en fonction des circonstances particulières de l'espèce.

En réponse, la DREETS demande de :

- dire et juger mal fondé la société Eiffage dans toutes ses demandes et de l'en débouter ;

- de déclarer régulière l'ordonnance du juge des libertés et de la détention d'Arras en date du 9 mars 2021 autorisant les opérations de visites et de saisies, notamment dans les locaux de la société Eiffage.

- condamner, en conséquence, la société Eiffage aux entiers dépens.

Elle expose que :

1 - Le juge des libertés et de la détention a assuré un contrôle effectif du caractère suffisant des éléments de présomptions présentés dans la requête de l'administration :

- il a assuré un contrôle effectif et concret des éléments de la requête :

- à ce stade de l'enquête, il ne s'agit que de présomptions simples, surtout qu'aucun grief n'a été formulé à l'encontre des entreprises ;

- un faisceau de présomptions est suffisant pour prendre la décision de procéder à une opération de visite ;

- les irrégularités de certains attributaires ont eu pour conséquence d'éliminer leurs candidatures et ainsi, réduire l'offre à la collectivité ;

- la société appelante a commis des violations délibérées dès l'instant où ses obligations contractuelles et ses engagements étaient constamment réitérés dans les différents courriers envoyés par le conseil départemental de l'Oise et les documents de travail ;

- la prééminence de la société appelante est concomitante aux comportements suspects, lesquels sont mis en œuvre par une entreprise habituée des appels d'offres.

=> tout cela contribue à bâtir le faisceau d'indices.

- le caractère concomitant des erreurs entre des entreprises indépendantes candidates à des marchés publics alimente les présomptions :

- la « présomption d'entente illicite exposée et étayée dans la requête ne se résume pas à la détermination exacte du quantum des irrégularités constatées, ni à leur répétition systématique par un même candidat, ou encore à leur étalement dans le temps ;

- la simultanéité et la récurrence des irrégularités, concomitante entre plusieurs entreprises indépendantes et expérimentées sont de nature à alimenter les présomptions. »

- le juge des libertés et de la détention motive sa décision au regard des pièces dans leur ensemble.

- bien que certaines entreprises ne soient pas concernées par certains indices pris isolément, cela n'est pas incompatible avec leur participation à une concertation globale :

- à ce stade, il y a des éléments suffisants de nature à bâtir des présomptions même sur les entreprises absentes de certaines consultations ou peu concernées par les indices ;

- de plus, le faisceau d'indices balaie à la fois les réponses et non-réponses des entreprises visées.

- le dépôt d'une offre variante irrégulière et les erreurs arithmétiques commises sont susceptibles de constituer des indice de concertation « en ce qu'ils ont entraîné l'élimination de la candidature de la société appelante, ce qui a amoindri la concurrence effective proposée à la collectivité publique », alors même que l'entreprise appelante est «'rompue aux marchés publics ».

2 - Le juge des libertés et de la détention a assuré un contrôle effectif du caractère fondé et suffisant des éléments de présomptions et du caractère proportionné de la mesure demandée :

- il a motivé sa décision au regard de présomptions suffisantes et établies par des faits constants :

- la reprise, par le juge des libertés, du raisonnement de l'administration ne veut pas dire que le juge s'est affranchi de son obligation de vérifier toutes les pièces qui lui ont été remises ;

-il s'est appuyé sur des éléments objectifs : erreurs, absences d'offres, caractère conscient et répété des erreurs, concomitance, prééminence de certaines entreprises) ;

- il a assuré un contrôle de proportionnalité de la mesure au regard de l'article L. 450-4 du code de commerce.

Motivation

MOTIFS DE LA DECISION

1. Si la société Eiffage Route Nord Est a formé d'une part appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention d'Arras du 9 mars 2021 et a formé un recours à l'encontre des opérations de visite et saisies qui se sont déroulées le 16 mars 2021 dans ses locaux, à l'encontre du procès-verbal de visite et saisie dressé le 16 mars 2021 dans le cadre de l'ordonnance rendue le 9 mars 2021 par le juge des libertés et de la détention d'Arras, elle n'a déposé qu'un seul jeu de conclusions, ses demandes de restitution des pièces saisies, d'interdiction d'en faire usage étant une conséquence de la demande d'annulation de l'ordonnance du juge des libertés, de sorte qu'il convient d'ordonner la jonction des deux affaires sous le numéro de répertoire général 21.2054.

2. Il sera rappelé que si l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, il résulte de l'article L. 450-4 du code de commerce dans sa version en vigueur du 5 décembre 2020 au 28 mai 2021, suite à la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 - art. 37 (V), version applicable à la date du 9 mars 2021 à laquelle le juge des libertés et de la détention d'Arras a statué que :

« Les agents mentionnés à l'article L. 450-1 ne peuvent procéder aux visites en tous lieux ainsi qu'à la saisie de documents et de tout support d'information que dans le cadre d'enquêtes demandées par la Commission européenne, le ministre chargé de l'économie ou le rapporteur général de l'autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter. Ils peuvent également, dans les mêmes conditions, procéder à la pose de scellés sur tous locaux commerciaux, documents et supports d'information dans la limite de la durée de la visite de ces locaux. Lorsque ces lieux sont situés dans le ressort de plusieurs juridictions et qu'une action simultanée doit être menée dans chacun d'eux, une ordonnance unique peut être délivrée par l'un des juges des libertés et de la détention compétents.

Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée. »

3. En l'espèce, dans le cadre de la vérification du caractère bien-fondé de la demande d'autorisation, le juge des libertés et de la détention d'Arras devait rechercher s'il existait bien des indices suffisamment sérieux et probants pour permettre de présumer que la société Eiffage avait pu participer à des pratiques anti-concurrentielles dans le secteur de l'aménagement et des travaux de chaussées, aux côtés notamment des sociétés Oise TP Lhotellier, Colas Beauvais, Colas Nord Est, Ramery TP, Eurovia Picardie, Guintoli et Siorat à partir des éléments d'information que lui soumettait l'administration requérante à travers les pièces versées à l'appui de la requête et opérer un contrôle de proportionnalité de la mesure restrictive des libertés demandée.

4. Pour obtenir cette autorisation du juge des libertés et de la détention d'Arras, la DIRECCTE des Hauts de France, actuelle DREETS avait joint, outre la demande d'enquête du ministre de l’Économie, en date du 22 février 2021, seize autres Annexes à savoir :

Annexe 2 : les procès-verbaux d'ouverture et d'analyse des candidatures des 6 octobre 2015 et 30 septembre 2015, relatifs à l'accord-cadre relatif au projet d'aménagement et de grosses rénovations des chaussées et de leur dépendances dans le département de l'Oise,

Annexe 3 : le rapport de présentation du 26 octobre 2015 relatif à cet accord-cadre,

Annexe 4 : les détails financiers, techniques et environnementaux de l'analyse des offres relatifs à cet accord-cadre,

Annexe 5 : le dossier de consultation relatif à cet accord-cadre, comprenant le règlement de la consultation, le cahier des clauses administratives particulières, l'acte d'engagement, le référentiel des prix maximaux détaillés, le détail quantitatif estimatif et le cahier des clauses techniques particulières,

Annexe 6 : l'avis de marché n° 15-117560 du 4 août 2015 et l'avis d'attribution n° 15-168954 du 6 novembre 2015,

Annexes 7 et 8 : les rapports de présentation et d'analyses de la commission d'appel d'offres des 9 février 2016 et 2 mars 2016, relatifs à des marchés subséquents à l'accord-cadre,

Annexes 9 à 13 : les procès-verbaux d'ouverture et d'analyses des offres de la commission d'appel d'offres du 24 février 2016 au 6 avril 2016, des 2 juin au 27 juin 2016, 23 juin au 4 juillet 2016 et 11 juillet 2016 au 26 juillet 2016, relatifs à des marchés subséquents à l'accord-cadre,

Annexe 14 : les lettres de consultation des marchés subséquents,

Annexe 15 : courriers de rejet des offres,

Annexe 16 : coordonnées des entreprises visées,

Annexe 17 : explications recueillies auprès des entreprises par le département de l'Oise au sujet des difficultés rencontrées dans le cadre de l'exécution de l'accord-cadre.

5. La société Eiffage fait grief au juge des libertés de ne pas avoir procédé à une vérification concrète des erreurs commises par les entreprises dans leurs offres, telles que relevées par la DIRRECTE, dont elle ne conteste pas néanmoins la réalité et qui seront rappelées :

5.1 Commission d'appel d'offres du 9 février 2016 : pour les lots 1 et 2, offres irrégulières pour prix supérieurs au référentiel de prix maximaux détaillés (RPMD) que les sociétés avaient présentés lors de leur réponse à l'appel d'offre à l'accord-cadre, et ce de la part de la société Eiffage,à savoir 2 prix unitaires supérieurs pour chacun des lots 1 et 2, du groupement Guintoli-Siorat, à savoir 3 prix unitaires supérieurs pour chacun des lots 1 et 2, de la part de Colas Nord Picardie à savoir 1 prix unitaire supérieur pour le lot 1 et enfin de la part de Oise TP à savoir 5 prix unitaires supérieurs pour le lot 2, de sorte que 50 % des offres ont été jugées irrégulières.

5.2 Commission d'appel d'offres du 2 mars 2016 : pour les lots 1 et 2, offres irrégulières pour prix supérieurs au RPMD du groupement Guintoli-Siorat et pour le lot 1 de la part de la société Oise TP de sorte que deux offres sur six ont été déclarées irrégulières.

5.3 Commission d'appel d'offres du 6 avril 2016 : une offre irrégulière pour prix supérieurs au RPMD du groupement Guintoli-Siorat et deux offres variantes irrégulières de la part d'Eurovia et d'Eiffage, soit 3 offres irrégulières sur 12,

5.4 Commission d'appel d'offres du 27 juin 2016 : aucune réponse du groupement Guintoli-Siorat et offre irrégulière d'Eurovia pour délai d'exécution trop long, soit 2 offres irrégulières sur 6.

5.5 Commission d'appel d'offres du 28 juin 2016 : aucune réponse du groupement Guintoli-Siorat.

5.6 Commission d'appel d'offres du 5 juillet 2016 : aucune réponse du groupement Guintoli-Siorat.

5.7 Commission d'appel d'offres du 29 juillet 2016 : aucune réponse du groupement Guintoli-Siorat et de Oise TP.

6. La société Eiffage fait grief à l'ordonnance de ne pas avoir pris en compte du fait que les marchés 1 et 2 avaient fait l'objet d'appels d'offre concomitants, ce qui expliquait qu'on retrouvait les mêmes erreurs et que la notification du rejet des offres n'est intervenue que trois jours avant la date maximale de dépôt des offres pour la seconde consultation ; elle explique par ailleurs que les erreurs liées à des prix supérieurs au prix révisé de même référence proposé dans l'accord-cadre au motif que ce sont de simples erreurs arithmétiques liées au caractère de moins-value des lignes de prix concernées. Il est exact que dans l'Annexe 17 visée dans l'ordonnance du 9 mars 2019, mais non analysée par le juge des libertés dans le cadre de sa motivation, était reprise la difficulté rencontrée par la société Eiffage au sujet des moins-values.

Toutefois aucune disposition légale ne fait obligation au juge des libertés et de la détention de former une appréciation sur chacune des pièces qui lui sont soumises, mais il peut motiver sa décision au regard des pièces communiquées dans leur ensemble.

Cette erreur émanant d'acteurs habitués à répondre à des marchés publics, qui venait s'ajouter aux autres irrégularités a pu être considérée comme volontaire et donc suspecte par le juge et constituer des présomptions d'entente prohibée.

7. La société Eiffage fait grief au juge des libertés d'Arras d'avoir également retenu comme indice le fait que le groupement Guintoli-Siorat n'a plus fait d'offres suite aux consultations des 12 mai 2016 (2) 3 et 17 juin 2016, alors même que le magistrat disposait des explications de ce groupement qui avait mis en avant la surcharge de travail.

La présente juridiction note toutefois que le juge pouvait légitimement trouver suspect qu'un groupement qui se voit retenu dans le cadre d'un appel d'offres le 8 octobre 2015 fasse choix de ne répondre qu'aux cinq premières consultations de 2016, puis ne déposent aucune offre pour les quatre consultations suivantes des 12 mai (2), 3 et 17 juin 2016, alors même qu'il s'était engagé à présenter des offres, invoquant une surcharge de travail, alors même qu'il n'avait été retenu pour aucun des cinq marchés antérieurs.

8. La commission d'analyse des offres a déclaré irrecevables le 6 avril 2016 les offres variantes des sociétés Eurovia Picardie et Eiffage en ce qu'elles ne répondaient pas aux exigences du cahier des clauses techniques particulières.

La société Eiffage reproche au juge de ne pas avoir retenu que son offre de base avait été jugée recevable est que seule son offre variante avait été jugée irrégulière par le pouvoir adjudicateur.

La présente juridiction note que si ce sont bien en effet les offres variantes des sociétés Eurovia Picardie et Eiffage qui ont été déclarées irrecevables, c'est l'offre variante de la société Colas Nord Picardie qui a été retenue et que l'irrégularité des offres variantes présentées par des sociétés rompues aux marchés publics et aux cahiers des clauses techniques particulières dans le secteur des chaussées qu'elle maîtrise. Peut légitimement être apparu au premier juge comme un indice au titre des présomptions d'entente prohibée, les possibilités de choix du pouvoir adjudicateur s'étant trouvées réduites.

9. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la société Eiffage est mal fondée à soutenir que le juge des libertés n'a pas procédé à la vérification du bien fondée de la requête, de sorte que sera écartée sa demande d'annulation de l'ordonnance en qu'elle n'était soutenue que par un raisonnement déductif basé sur de simples probabilités, alors qu'elle reposait sur des irrégularités objectives et non contestées, l'appelante en proposant seulement une autre lecture que l'administration et le juge des libertés.

10. La société Eiffage reproche enfin au juge des libertés d'avoir omis de procéder au contrôle de proportionnalité, se contentant de reprendre in extenso la formule utilisée par l'administration dans sa requête, sans viser les circonstances particulières de chaque dossier. Il est exact que la motivation de l'ordonnance sur ce point reprend celle énoncée dans la requête.

En l'espèce, il ne peut être conclu que la reproduction dans l'ordonnance d'une motivation énoncée dans la requête équivaut à une absence de motivation, alors qu'il vient d'être démontré que le juge des libertés avait énoncé antérieurement les éléments spécifiques concrets qui viennent d'être à nouveau analysés, sur lesquels il basait sa conclusion, de sorte que ce moyen ne sera pas non plus retenu.

11. Les demandes subséquentes d'annulation des opérations de visites et saisies réalisées en exécution de cette ordonnance, de restitution des pièces et fichiers informatiques saisis dans le cadre des opérations, d'interdiction d'utilisation desdits documents par une personne ou une autorité autre que son propriétaire, de conservation de copie ou original de ces documents seront rejetées dès lors qu'elles étaient fondées sur l'annulation de l'ordonnance du 9 mars 2021.

12. La société Eiffage sera condamnée aux éventuels dépens de la présente instance et débouté de sa demande de condamnation de la DIREECTE, laquelle n'existe au demeurant plus sous cette appellation.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

Ordonne la jonction de l'affaire enrôlée sous le numéro de répertoire général 21/5300 avec celle enregistrée sous le numéro de répertoire général 21/2054.

Déboute la société Eiffage Route Nord Est de toutes ses demandes,

Déclare régulière l'ordonnance du juge des libertés et de la détention d'Arras en date du 9 mars 2021 autorisant les opérations de visite et saisies dans les locaux de la société Eiffage Route Nord Est à [Localité 3] (Oise).

Condamne la société Eiffage Route Nord Est aux éventuels dépens,

Déboute la société Eiffage Route Nord Est de sa demande de condamnation de la DIRECCTE au paiement d'une somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale.