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Décisions

CA Versailles, 16e ch., 17 novembre 2022, n° 21/06675

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tour Michelet (SC)

Défendeur :

Ely's Bar (SARL), Pico (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Michon

Conseillers :

Mme Nerot, Mme Deryckere

Avocats :

Me d'Oria, Me Chavagneux, Me El Farh

TJ Nanterre, du 11 oct. 2021, n° 18/1129…

11 octobre 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon l'exposé de la société civile Tour Michelet, l'ensemble immobilier situé à [Localité 8] (92) dont elle est propriétaire comprend, outre des bureaux donnés à bail situés en superstructure une galerie commerciale située en rez-de-dalle et rez-de-rue occupée par divers locataires auxquels elle est liée par des baux commerciaux ou professionnels, parmi lesquels, s'agissant de la galerie dite [E], les sociétés Hair [V] Sarl, Ely's Bar Sarl, GMS [N] Sas, Médicale [E] Sarl, Pico Sas et MD [R] Sarl.

Par courriers du 20 mars 2017, la société Foncia, mandataire de gestion de l'actif durant la période s'étendant de 2016 à 2019, a adressé à ces sociétés locataires les redditions des charges (relatives à la galerie et à chaque locataire) des exercices 2012 à 2015 ainsi que la refacturation de la fiscalité des exercices 2012 à 2014. Pour en justifier, elle expliquait « qu'après une analyse détaillée des dépenses réelles des exercices 2012 à 2015, d'importants écarts ont été constatés entre ces dépenses et les provisions qui vous ont été appelées ».

Exposant qu'après vains échanges de correspondances pour contester cette démarche de leur bailleresse conduisant, notamment, à une modification de la grille des tantièmes (par la suite évoquée dans un courrier du < 21 avril 2017) ainsi qu'à une augmentation substantielle des charges convenues, arguant en outre d'un défaut d'informations et de pièces suffisantes pour justifier cette nouvelle répartition des tantièmes, vainement réclamés par lettres du 13 juin puis du 22 septembre 2017), les sociétés précitées ont saisi le tribunal judiciaire de leur contestation en assignant la bailleresse par acte du 08 novembre 2018.

Par jugement contradictoire rendu le 11 octobre 2021 le tribunal judiciaire de Nanterre a, avec exécution provisoire :

rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la Tour Michelet et fondée sur l'absence de qualité à agir des demanderesses,

déclaré non justifiées et non fondées les charges telles que régularisées par le bailleur dans ces courriers du 20 mars 2017 auprès des sociétés Hair [V], Pico, MD [R], GMS [N], Ely's Bar et Médicale [E] en ce qui concerne les exercices des années 2012 à 2015 ainsi que la refacturation de la taxe foncière au titre des exercices des années 2012 à 2014, déclaré non justifiée l'augmentation des appels à provision à hauteur de 20% à laquelle le bailleur a procédé auprès des demandeurs pour les exercices ultérieurs;

débouté les sociétés Hair [V], Pico, MD [R], GMS [N], Ely's Bar et Médicale [E] de leur demande tendant à fixer les tantièmes de la galerie marchande à la valeur de 372.450,

débouté la société Tour Michelet de l'intégralité de ses demandes de condamnation au titre des charges des exercices 2012 à 2015, et de la refacturation de la fiscalité au titre des exercices 2012 à 2016,

condamné la société Tour Michelet à payer 750 euros à (chacune des sociétés) Hair [V], Pico, MD [R], GMS [N], Ely's Bar et Médicale [E] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté les parties de leurs autres demandes,

condamné la société Tour Michel aux dépens de l'instance.

Par dernières conclusions notifiées le 19 septembre 2022, la société civile Société Tour Michelet, appelante de ce jugement selon déclaration reçue au greffe le 05 novembre 2021, demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1165 anciens du code civil, 31, 122 et 700 du code de procédure civile :

au préalable

de recevoir la société Tour Michelet en son appel, la déclarer recevable et y faisant droit,

de prendre acte du désistement de la société Pico formulé devant le tribunal judiciaire de Nanterre, le déclarer parfait,

en conséquence

d'infirmer le jugement (entrepris) en ce qu'il s'est abstenu de déclarer le désistement de la société Pico parfait et en ce qu'il a prononcé des condamnations bénéficiant à la société Pico,

pour le surplus et pour les motifs ci-avant développés

d'infirmer le jugement (entrepris) en ce qu'il a : rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Tour Michelet // déclaré non justifiées et non-fondées les charges telles que régularisées par le bailleur // déclaré non justifiée l'augmentation des appels à provision à hauteur de 20 % pour les exercices ultérieurs // débouté la société Tour Michelet de l'intégralité de ses demandes de condamnation au titre des charges des exercices 2012 à 2015, et de la refacturation de la fiscalité au titre des exercices 2012 à 2016 // condamné la société Tour Michelet sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à payer 750 euros à chacune des parties // débouté la société Tour Michelet de ses demandes // condamné la société Tour Michelet aux dépens de l'instance,

statuant à nouveau

de constater le défaut d'intérêt à agir des preneurs,

en conséquence, de dire et juger irrecevables les demandes formulées par les preneurs,

y ajoutant

de dire et juger que les locataires intimés sont redevables auprès du bailleur, au titre des redditions de charges pour les exercices 2012 à 2015 des sommes ci-après :

* Médicale [E], la somme totale de 38.861,96 euros,

* MD [R], la somme totale de 33.694,32 euros,

* Hair [V], la somme totale de 15.365,04 euros,

* Ely's Bar, la somme totale de 14.843,92 euros,

* GSM [N], la somme totale de 12.144,50 euros,

de constater que la société Ely's Bar s'est volontairement acquittée desdites sommes, après rectification comptable du 16/02/2022 et fourniture des justificatifs afférents,

en conséquence :

* de fixer l'obligation à paiement de la société Hair [V], en liquidation, à la somme de 15.365,04 euros, au titre de la reddition des charges pour les exercices 2012 à 2015,

* de condamner la société Ely's Bar à payer la somme de 14.843,92 euros en deniers et quittances,

* de constater que les sociétés Médicale [E], MD [R], Hair [V] et GSM [N] ne se sont pas acquittées des redditions de charges pour les exercices 2012 à 2015,

en conséquence de condamner les sociétés Médicale [E], MD [R], Hair [V] et GSM [N] à (lui) payer, au titre des redditions de charges, pour les années 2012 à 2015 les sommes ci-après : Médicale [E], la somme totale de 38.861,96 euros // MD [R] la somme totale de 33.694,32 euros // GSM [N], la somme totale de 12.144,50 euros,

de dire et juger l'augmentation des appels à provision à hauteur de 20 % justifiée pour les exercices ultérieurs à l'année 2015,

en tout état de cause

de condamner les sociétés Médicale [E], MD [R], Hair [V] représentée par son liquidateur maître [Z] [I], Ely's Bar, GMS [N] aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 10.000,00 euros au bénéfice de la société Tour Michel en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure en première instance,

de condamner (les mêmes) aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 10.000,00 euros au bénéfice de la société Tour Michelet en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure en appel,

de débouter les sociétés intimées de l'intégralité de toutes demandes, fins et prétentions à l'encontre de la société Tour Michelet.

Par dernières conclusions notifiées le 29 septembre 2022, la société Hair [V] Sarl, Ely's Bar Sarl, GMS [N] Sas, Médicale [E] Sarl, MD [R] Sarl prient la cour, visant les contrats de bail conclus, les articles 1.2.3 des conditions générales des baux conclus entre la « défenderesse » et les « demandeurs » ainsi que l'article 1134 du code civil :

de juger irrecevable et non fondé (sic) l'appel de la société Tour Michelet en contestation du jugement rendu par le tribunal d'instance de Nanterre (sic) concernant la régularisation des charges à laquelle à procédé le bailleur pour les années 2012 à 2015 ainsi que la re-facturation de la taxe foncière des années 2012 à 2014,

de juger irrecevable la nouvelle demande en appel de régularisation des charges de 2012 à 2015 et la re-facturation de la taxe foncière pour 2012 à 2016 telle qu'elle résulte des courriers du 16 février 2022, ainsi que l'augmentation de 20% des provisions sur charges pour les exercices ultérieurs,

de confirmer dans son entièreté le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre du 11 octobre 2021,

de rejeter l'ensemble des demandes de l'appelante et en conséquence,

à titre principal

de juger non justifiées et non fondées les charges telles que régularisées en avril et mai 2017 par le bailleur auprès des intimés concernant les années 2012 à 2015 ainsi que la re-facturation de la taxe foncière au titre des années 2012 à 2014,

de juger non justifiée l'augmentation des appels à provision à hauteur de 20% à laquelle le bailleur à procédé auprès des intimés (sic) pour les exercices ultérieurs,

de condamner la société civile Tour Michelet à verser à chaque intimé la somme de 10.000 euros au titre de dommages et intérêts pour régularisation tardive des charges,

à titre subsidiaire

de juger non justifiées et non fondées les charges telles que régularisées le 16 février 2022 par le bailleur auprès des intimés concernant les années 2012 à 2015 ainsi que la re-facturation de la taxe foncière au titre des années 2012 à 2014,

de juger non justifiée l'augmentation des appels à provision à hauteur de 20% à laquelle le bailleur à procédé auprès des intimés pour les exercices ultérieurs dans son courrier du 16 février 2022

en tout état de cause

de condamner la société civile Tour Michelet à verser à chaque intimé la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 cpc ainsi qu'aux dépens,

d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir (sic).

N'a pas constitué avocat maître [X] [Z] de Grancourt, pris en sa qualité de mandataire judiciaire et de liquidateur judiciaire de la Sarl Hair [V], intervenant forcé.

La société Tour Michelet a transmis par voie électronique une assignation qui lui a été délivrée (à personne morale) le 02 septembre 2022 contenant signification de ses dernières conclusions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 04 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de l'appelante relative au désistement en première instance de la société Pico

Alors que l'appelante demande à la cour, dans le dispositif de ses dernières conclusions, de « prendre acte du désistement de la société Pico formulée devant le tribunal judiciaire de Nanterre » et « le déclarer parfait », la présente juridiction ne peut que relever diverses difficultés procédurales qui y font obstacle.

Il apparaît en effet que le tribunal, qui s'est prononcé sur des conclusions en réplique des demanderesses à l'action notifiées le 11 septembre 2019, ne fait pas mention dans son jugement de ce désistement (dont il convient de rappeler qu'il a un effet extinctif immédiat) pas plus que dans la reprise des dernières conclusions de la société Tour Michelet notifiées le 23 mars 2019, laquelle sollicitait dans lesdites conclusions la condamnation de la société Pico au paiement de la somme de 49.842 euros.

Dans le cadre de la procédure d'appel, la société [E], qui a intimé la société Pico dans la déclaration d'appel du 05 novembre 2021, ne demande pas à la cour de réparer une omission de statuer mais, comme il a été dit, de « prendre acte » de ce désistement accepté.

Toutefois, il ressort des remises au greffe des actes de procédure par voie électronique que maître [D], avocat de ces six sociétés en première instance, s'est constitué pour ces mêmes sociétés (incluant la société Pico) selon constitution figurant au RPVA le 08 décembre 2021, que dans ses dernières conclusions ne figure plus, en en-tête, la société Pico et ne sont évoquées que « les intimé(e)s » collectivement désignées (au masculin), que n'apparaît nullement la constitution, aux lieu et place de l'avocat constitué, d'un nouvel avocat de la société Pico chargé de défendre ses intérêts et qu'il n'est aucunement formulé de demande de cette partie (devenue intimée) relative à ce désistement.

Dans ce contexte, cette demande ne peut prospérer.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir des sociétés

La société Tour Michelet reproche au tribunal d'avoir écarté cette fin de non-recevoir au motif que les demandes initiales visent à faire obstacle à la demande en paiement de charges et de taxe foncière résultant des demandes de paiement formalisées dans les courriers du 20 mars 2017, de sorte que les demandeurs justifient d'un intérêt suffisant à agir, et au motif surabondant, fondé sur l'article 126 du code de procédure civile, qu'il ne pouvait que constater que cet intérêt, fût-il absent au moment de l'assignation, était bien présent du fait de la demande reconventionnelle aux fins de paiement des charges locatives.

Visant les dispositions des articles 31 et 122 du code de procédure civile, l'appelante se prévaut de la nécessité d'un intérêt né et actuel pour agir et de la prohibition des actions préventives, notamment interrogatoires et provocatoires.

Elle estime que le trouble allégué par ses adversaires pour justifier de leur intérêt n'est pas caractérisé dès lors qu'elle a simplement sollicité le règlement des charges régularisées par l'envoi de factures ainsi que de justificatifs à leur demande et qu'à la date de la délivrance de l'assignation, elle n'avait engagé contre elles aucune procédure, aucune mesure coercitive aux fins de recouvrement des charges récupérables ni initié de procédure de règlement amiable des conflits.

Les sociétés locataires rétorquent que la situation créée, quant au paiement de charges régularisées emportant paiement d'une majoration de 20% du montant des charges appelées, était source de trouble dans la gestion de leurs affaires et risquait de les mettre dans des difficultés financières pouvant nuire à la pérennité de leurs entreprises, observant que la bailleresse demande reconventionnellement le paiement de ces charges, ce qui rend inopérant son moyen d'irrecevabilité.

Ceci étant rappelé, il est constant que, pour agir, le demandeur à l'action doit avoir un intérêt légitime direct et certain, autrement dit personnel, né et actuel au jour de l'action.

Si, par principe, on ne peut, par voie préventive, contraindre une personne à faire valoir un droit dont elle se prétend titulaire ou bien se faire déclarer titulaire d'un droit, ce principe ne peut être tenu pour absolu.

Des actions de cette nature sont, en effet, prévues par le législateur - notamment en matière de brevet d'invention, de nationalité, de protection possessoire, de suppression des clauses abusives ou encore, issues de la réforme du droit des obligations, les actions relatives à la nullité du contrat, au pouvoir du représentant ou au pacte de préférence - et la jurisprudence a pu les tenir pour recevables en présence d'une action utile menée à l'encontre d'un adversaire susceptible de se prévaloir d'un droit à seule fin de connaître l'étendue de ses propres droits (Cass civ 1ère, 09 juin 2011, pourvoi n° 10-10348, publié au bulletin ), et tel est le cas de la présente espèce.

En effet, les baux commerciaux liant les sociétés demanderesses à l'action à leur bailleresse contenaient une clause relative à la répartition des charges prévoyant la possibilité pour cette dernière de la modifier selon des modalités convenues.

Si, effectivement et comme jugé par le tribunal, ces locataires ne pouvaient se prévaloir, au moment de l'introduction de l'instance, d'une demande en paiement de nature coercitive à leur encontre (prétention au demeurant formulée par la défenderesse à la faveur d'une demande reconventionnelle présentant un caractère hybride), il n'en demeure pas moins qu'en suite de la lettre du 20 mars 2017 puis de l'échange de correspondances sus-dits (évoquant, notamment «le total des soldes de charges appelé», le chiffrant, proposant un échéancier ou, en réplique, réclamant des justificatifs), ces locataires avaient un intérêt à agir tenant au risque, ainsi qu'elle l'affirment, de voir s'aggraver leurs obligations à l'égard de leur bailleresse par l'exécution du contrat en compromettant leurs situations financières respectives ou encore en étant privées d'un consentement éclairé lors du renouvellement de leurs baux, ceci sans les informations et justificatifs auxquels elles étaient en droit de prétendre

Cette fin de non-recevoir doit par suite être écartée, comme en a jugé le tribunal.

Sur l'exigibilité des charges locatives

Il convient de rappeler que, saisis, d'une part, de demandes tendant à voir déclarer non justifiées et non fondées les charges et taxes antérieures qui ont fait l'objet des régularisations litigieuses, outre l'augmentation des appels à provision de la bailleresse et, d'autre part, de demandes reconventionnelles en paiement à ce titre, les premiers juges ont fait droit aux prétentions des demanderesses, sauf en celle portant sur la fixation des tantièmes, et débouté la bailleresse de ses demandes en paiement.

Il a accueilli leurs demandes en jugeant que la société Tour Michelet qui ne pouvait rompre unilatéralement l'équilibre contractuel sans méconnaître le principe de bonne foi, ne produisait pas l'audit réalisé en 2016 sur lequel elle fondait la modification des quotes-parts de tantièmes et ne rapportait donc pas la preuve des erreurs invoquées.

Mais il a retenu que l'article 1.2.2 des conditions générales des baux commerciaux en cause, non soumis à la loi dite Pinel, ne permettait pas aux locataires de se prévaloir de l'intangibilité des tantièmes de copropriété.

Si la bailleresse appelante, visant les articles 1103 (anciennement 1134) du code civil, 1.2.2 et 1.2.3 des contrats de bail (sur les modalités de répartition des charges puis sur la régularisation des provisions), approuve le tribunal en ce qu'il en a déduit que les demanderesses ne pouvaient se prévaloir de l'intangibilité de la grille de répartition des tantièmes, elle entend justifier de ses demandes en produisant devant la cour un document qu'elle estime pertinent, s'agissant d'une étude réalisée par le géomètre-expert, monsieur [U] [L], le 09 mars 2018.

Elle expose qu'elle a annulé comptablement les refacturations effectuées par son précédent gestionnaire et procédé à la régularisation et refacturation des charges et taxes pour les exercices 2012 à 2015 sur la base dudit rapport.

Ceci étant exposé, il peut liminairement être relevé que la bailleresse peut être contestée en son affirmation selon laquelle tous les baux en cause ont été conclus antérieurement avant l'entrée en vigueur de la loi dite Pinel du 18 juin 2014 introduisant notamment l'article L 145-40-2 du code de commerce, d'ordre public, en vigueur le 05 novembre 2014, dès lors qu'elle mentionne elle-même dans ses conclusions (page 4/28) que le bail de la société GMS [N] et celui de la société Médicale [E] ont pris effet, respectivement, le 1er avril 2019 et le 1er mars 2018.

Ce point n'est pas débattu mais il peut être observé qu'il n'est pas justifié de la soumission de la bailleresse à ses exigences en matière de charges.

C'est en tout cas avec pertinence que les sociétés locataires, qui ne remettent pas en cause le jugement dans son appréciation de l'article de leurs contrats relatif à la faculté donnée au bailleur de modifier la répartition des charges (« notamment en cas de (...)» selon les termes de cette stipulation), se prévalent de l'obscurité des circonstances ayant entouré cette modification unilatérale par laquelle les tantièmes généraux immeubles (évalués à 372.450), les tantièmes galerie commerciale (évalués à 201.750) et les tantièmes bureaux (évalués à 170.000) se substituaient à la répartition précédente, à savoir : tantièmes généraux immeubles (évalués à 1.720.800) et tantièmes galerie commerciale (201.750).

Elles font, en particulier, valoir que l'immeuble composé d'une galerie marchande en rez-de-chaussée et de locaux à usage de bureaux donnés à bail s'étendant sur dix étages en surplomb n'ont pas subi de modification, de même qu'il n'est pas justifié d'une erreur aussi substantielle dans la répartition des tantièmes, qu'il ressort de la lecture attentive du rapport du géomètre expert postérieur à la régularisation de charges et taxes visée dans les courriers des 20 mars et 27 avril 2017 que celui-ci a été réalisé à partir des « documents dessinés sur la base des plans réalisés par le cabinet [W] (explicités en page 6 du rapport mais auxquels elles n'ont pu avoir accès) sans mesurage sur le site » ou encore que le document technique de ce géomètre mandaté par la bailleresse, daté de 2018, contredit en son évaluation des tantièmes celui de 2016 dont faisait état, sans en justifier, en première instance la bailleresse.

Cet audit de 2016 n'est d'ailleurs pas davantage produit devant la cour, peut-il être relevé.

Outre le fait que la bailleresse ne fournit pas de réponses précises susceptibles d'éclairer ces divers points, sauf à expliquer qu'« il est apparu qu'une proportion importante des charges de la galerie commerciale étaient supportées à tort par les locaux à usage de bureaux », il convient, comme soutenu par les intimées, de faire application des contrats dont l'article 1.2.3 des conditions générales aux termes duquel :

« Le règlement des charges ci-dessus s'effectue en premier lieu par paiement d'une provision payable en même temps que le loyer, à valoir sur la quote-part du preneur, dans l'attente du décompte qui sera arrêté et apuré une fois par an.

Si le solde annuel fait apparaître un reliquat de charges, le preneur doit le rembourser dans les dix jours de la présentation du décompte. En cas d'excédent de provisions sur charges, le montant en sera déduit de la provision sur charges à payer par le locataire au titre du ou des termes suivants.

La provision est réajustée chaque année, rétroactivement au premier janvier, en fonction des dépenses de l'année antérieure et des prévisions relatives au nouvel exercice.

En outre le bailleur pourra la modifier en cours d'exercice en cas de dépassement du montant des dépenses prévues pour l'exercice.

Le bailleur pourra exiger le paiement par le locataire de l'impôt foncier ainsi que de la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux et les locaux de stockage (et des taxes ou contributions applicables sur cet impôt et cette taxe) et la prime d'assurance de l'immeuble, indépendamment des provisions et apurement annuel ci-dessus. »

et de considérer que la bailleresse était contractuellement tenue de présenter annuellement à ses locataires un décompte susceptible de faire apparaître un reliquat de charges à acquitter.

Cette obligation de régularisation annuelle des charges n'était cependant pas assortie de sanction et la bailleresse pouvait donc les réclamer à tout moment dans les limites des délais de prescription.

La bonne foi contractuelle l'obligeait toutefois à justifier auprès de ses locataires des charges et taxes précisément réclamées et des clefs de répartition, année après année, ce dont elle s'est abstenue spontanément et même après que ses locataires lui en ont fait la demande, ceci dès avant d'introduire leur action.

Si, en cause d'appel, la bailleresse se prévaut d'une nouvelle grille de répartition (qu'au demeurant elle ne demande pas à la cour d'entériner) en modifiant le montant de ses demandes, c'est sur le fondement d'un document technique unilatéralement établi en 2018 (qui plus est dès avant la première instance sans que la bailleresse ait cru utile de s'en prévaloir à ce stade) dont les sociétés locataires critiquent à juste titre le caractère contestable en sa méthode, et incomplet en regard, notamment, de la configuration des lieux.

Il s'en évince que, sur ces seuls justificatifs, la société [E] n'est pas fondée en sa demande de condamnation au paiement de charges et de taxes pour les exercices 2012 à 2015 et 2012 à 2014 ou de fixation de créance à l'encontre de ces intimées et ne peut, non plus, prétendre augmenter de 20% ses appels de charges par provision sans justifier d'une nouvelle grille de répartition opposable à ses locataires.

Le jugement doit donc être confirmé sur cet autre point.

Sur la demande indemnitaire des sociétés intimées

Poursuivant, pour la première fois en cause d'appel, la condamnation de la bailleresse à verser à chacune d'entre elles, en complément de leur demande de confirmation formée à titre principal, la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts, les sociétés intimées lui impute à faute sa mauvaise foi, la manière déloyale et brutale de la formulation de ses demandes de régularisation, le caractère « mystérieux » de cet audit de 2016 invoqué en première instance et jamais produit ou la production en cause d'appel du document technique de l'expert-géomètre non produit en première instance et pourtant établi en 2018 qui aurait pu permettre d'éviter la procédure d'appel.

Elles se prévalent de préjudices corrélatifs tenant au placement en liquidation judiciaire de la société Hair [V], au fait qu'entend mettre fin à son contrat de bail la société Médicale [E] (dans un contexte de dégât des eaux de la responsabilité du bailleur comme l'état général de vétusté de la galerie), de l'incertitude résultant de la déloyauté de la bailleresse dans l'exécution de leurs contrats en modifiant à sa guise ses conditions d'exécution ou en refusant tout dialogue leur permettant de comprendre la situation et de trouver des solutions.

Elles soutiennent que ce comportement les prive de la connaissance réelle de leurs engagements contractuels et fait peser un risque sur la viabilité de leurs commerces.

Ceci étant rappelé et étant observé que l'appelante ne réplique pas à cette demande indemnitaire, dans le strict cadre de l'objet du présent litige, il n'est pas établi un lien direct et certain entre le placement en liquidation judiciaire de la société Hair [V] ou le départ de la société Médicale [E] évoquant des troubles de jouissance des locaux donnés à bail.

En revanche, le comportement de la société Tour Michelet tel qu'il ressort de la motivation ci-avant développée conduit à considérer que les sociétés intimées sont fondées à lui reprocher un comportement déloyal et dénué de bonne foi dans l'exécution des contrats de bail les liant, qu'il s'agisse de la brutale demande en paiement de sommes importantes sur des périodes anciennes assortie de motivations fluctuantes puisqu'après l'invocation de dépenses réelles la bailleresse s'est prévalue d'une nouvelle grille de répartition des tantièmes, ou de la rétention prolongée, nonobstant des demandes réitérées d'éclaircissement, d'informations et de justificatifs (non produits en amont de la procédure comme en première instance) et se révélant dénués d'un sérieux suffisant.

L'usage de mauvaise foi, par la bailleresse, de ses prérogatives dans l'exécution de l'ensemble de ces contrats a causé un préjudice exactement caractérisé par les intimées de sorte qu'elles sont fondées à en demander réparation.

Eu égard aux éléments de la procédure, il sera alloué à chacune d'entre elles la somme de 3.000 euros à titre indemnitaire.

Sur les frais de procédure et les dépens

L'équité conduit à condamner la société Tour Michelet, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à verser à chacune des sociétés Hair [V], Ely's Bar, GSM [N], MD [R] et Médicale [E] qui le réclament dans leurs dernières conclusions, la somme complémentaire de 1.500 euros.

Déboutée de ce dernier chef de demande, la société Tour Michelet qui succombe supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris et, y ajoutant ;

Rejette la demande de la société civile Tour Michelet relative au désistement de la société Pico en première instance ;

Déboute la société civile Tour Michelet de ses entières demandes en paiement et de fixation de créance à l'encontre de l'ensemble des sociétés par elle intimées ;

Condamne la société civile Tour Michelet à verser aux sociétés Hair [V] (placée en liquidation judiciaire), Ely's Bar, GSM [N], MD [R] et Médicale [E] la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l'exécution déloyale des contrats de bail les liant ;

Condamne la société civile Tour Michelet à verser aux sociétés Hair [V] (placée en liquidation judiciaire), Ely's Bar, GSM [N], MD [R] et Médicale [E] la somme complémentaire de 1.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.