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Décisions

CJUE, 3e ch., 19 janvier 2023, n° C-292/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Administración General del Estado, Confederación Nacional de Autoescuelas (CNAE), UTE CNAE-ITT-FORMASTER-ECT

Défendeur :

Asociación para la Defensa de los Intereses Comunes de las Autoescuelas (Audica), Ministerio Fiscal

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Jürimäe

Juges :

M. Safjan, M. Piçarra, M. Jääskinen, M. Gavalec

Avocat général :

M. Emiliou

Avocats :

Me Jiménez-Blanco Carrillo de Albornoz, Me Machado Cólogan, Me de Palma Villalón

CJUE n° C-292/21

18 janvier 2023

LA COUR (troisième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Administración General del Estado (administration générale de l’État, Espagne) (ci-après l’« administration générale »), la Confederación Nacional de Autoescuelas (CNAE) et l’union temporaire d’entreprises (UTE) formée par CNAE-ITT-FORMASTER-ECT (ci-après, ensemble, la « CNAE ») au Ministerio fiscal (ministère public, Espagne) et à l’Asociación para la Defensa de los Intereses Comunes de las Autoescuelas (Audica), au sujet du régime juridique applicable à la fourniture de cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2006/123

3 Les considérants 33, 40 et 70 de la directive 2006/123 énoncent :

« (33) Les services couverts par la présente directive concernent une grande variété d’activités en constante évolution [...]. Les services couverts englobent également les services fournis à la fois aux entreprises et aux consommateurs, tels que [...] les services des architectes, la distribution, l’organisation des foires commerciales, la location de voitures et les agences de voyage. [...] Ces activités peuvent concerner à la fois des services qui nécessitent une proximité entre prestataire et destinataire, des services qui impliquent un déplacement du destinataire ou du prestataire et des services qui peuvent être fournis à distance, y compris via l’internet.

[...]

(40) La notion de “raisons impérieuses d’intérêt général” à laquelle se réfèrent certaines dispositions de la présente directive a été élaborée par la Cour [...] dans sa jurisprudence relative aux articles 43 et 49 [TFUE] et est susceptible d’évoluer encore. Cette notion, au sens que lui donne la jurisprudence de la Cour, couvre au moins les justifications suivantes : [...] la sécurité routière [...]

[...]

(70) Aux fins de la présente directive, et sans préjudice de l’article 16 [CE], des services ne peuvent être considérés comme des services d’intérêt économique [général] que s’ils sont fournis en application d’une mission particulière de service public confiée au prestataire par l’État membre concerné. L’attribution de cette mission devrait se faire au moyen d’un ou de plusieurs actes, dont la forme est déterminée par l’État membre concerné, et devrait définir la nature exacte de la mission attribuée. »

4 L’article 2 de cette directive prévoit :

« 1. La présente directive s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre.

2. La présente directive ne s’applique pas aux activités suivantes :

a) les services d’intérêt général non économiques ;

[...]

d) les services dans le domaine des transports, y compris les services portuaires, qui entrent dans le champ d’application du titre V du traité [CE] ;

[...] »

5 Selon l’article 4 de ladite directive :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1) “service”, toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération, visée à l’article 50 [CE] ;

[...]

5) “établissement”, l’exercice effectif d’une activité économique visée à l’article 43 [CE] par le prestataire pour une durée indéterminée et au moyen d’une infrastructure stable à partir de laquelle la fourniture de services est réellement assurée ;

[...]

8) “raisons impérieuses d’intérêt général”, des raisons reconnues comme telles par la jurisprudence de la Cour [...], qui incluent les justifications suivantes : [...] la sécurité publique [...] ;

[...] »

6 Le chapitre III de la directive 2006/123 est intitulé « Liberté d’établissement des prestataires ». Les articles 9 à 13 de cette directive font partie de la section 1, intitulée « Autorisations », de ce chapitre.

7 L’article 9 de ladite directive, intitulé « Régimes d’autorisation », dispose :

« 1. Les États membres ne peuvent subordonner l’accès à une activité de service et son exercice à un régime d’autorisation que si les conditions suivantes sont réunies :

a) le régime d’autorisation n’est pas discriminatoire à l’égard du prestataire visé ;

b) la nécessité d’un régime d’autorisation est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c) l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.

[...]

3. La présente section ne s’applique pas aux aspects des régimes d’autorisation qui sont régis directement ou indirectement par d’autres instruments communautaires. »

8 L’article 15 de la même directive figure dans la section 2 du chapitre III de celle-ci, intitulée « Exigences interdites ou soumises à évaluation ». Cet article concerne les exigences qui doivent être évaluées par les États membres et prévoit :

« 1. Les États membres examinent si leur système juridique prévoit les exigences visées au paragraphe 2 et veillent à ce que ces exigences soient compatibles avec les conditions visées au paragraphe 3. Les États membres adaptent leurs dispositions législatives, réglementaires ou administratives afin de les rendre compatibles avec ces conditions.

2. Les États membres examinent si leur système juridique subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice au respect de l’une des exigences non discriminatoires suivantes :

a) les limites quantitatives ou territoriales sous forme, notamment, de limites fixées en fonction de la population ou d’une distance géographique minimum entre prestataires ;

[...]

3. Les États membres vérifient que les exigences visées au paragraphe 2 remplissent les conditions suivantes :

a) non-discrimination : les exigences ne sont pas directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, de l’emplacement de leur siège statutaire ;

b) nécessité : les exigences sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c) proportionnalité : les exigences doivent être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne doivent pas permettre d’atteindre le même résultat.

4. Les paragraphes 1, 2 et 3 ne s’appliquent à la législation dans le domaine des services d’intérêt économique général que dans la mesure où l’application de ces paragraphes ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été confiée.

[...] »

La directive 2014/23/UE

9 La directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession (JO 2014, L 94, p. 1), établit, conformément à son article 1er, paragraphe 1, les règles applicables aux procédures de passation de contrats de concession par des pouvoirs adjudicateurs et des entités adjudicatrices, lorsque leur valeur estimée n’est pas inférieure aux seuils prévus à l’article 8 de cette directive.

10 Aux termes de l’article 5 de ladite directive :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1) “concessions”, des concessions de travaux ou de services au sens des points a) et b) :

[...]

b) “concession de services”, un contrat conclu par écrit et à titre onéreux par lequel un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices confient la prestation et la gestion de services autres que l’exécution de travaux visée au point a) à un ou à plusieurs opérateurs économiques, la contrepartie consistant soit uniquement dans le droit d’exploiter les services qui font l’objet du contrat, soit dans ce droit accompagné d’un prix ;

[...] »

11 L’article 8 de la même directive fixe les seuils et méthodes de calcul de la valeur estimée des concessions. Conformément à son paragraphe 1, celle-ci s’applique aux concessions dont la valeur est égale ou supérieure à 5 186 000 euros.

12 Conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la directive 2014/23, les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette directive au plus tard le 18 avril 2016.

13 Il ressort de l’article 54, second alinéa, de ladite directive que celle-ci ne s’applique pas à l’attribution de concessions ayant fait l’objet d’une offre ou attribuées avant le 17 avril 2014.

Le droit espagnol

14 La directive 2006/123 a été transposée dans le droit espagnol par la Ley 17/2009 sobre el libre acceso a las actividades de servicios y su ejercicio (loi 17/2009 sur le libre accès aux activités de service et leur exercice), du 23 novembre 2009 (BOE no 283, du 24 novembre 2009, p. 99570). L’article 3 de cette loi précise que le « service » constitue « toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération, visée à l’article 50 [CE] ». Il ressort, en outre, de l’article 5 de cette loi que l’accès à une activité de service peut être soumis à autorisation lorsque trois conditions sont satisfaites : celles de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité.

15 En vertu de la Ley 17/2005 por la que se regula el permiso y la licencia de conducción por puntos y se modifica el texto articulado de la ley sobre tráfico, circulación de vehículos a motor y seguridad vial (loi 17/2005 régissant le permis de conduire et la licence de conducteur à points et modifiant la loi sur le trafic, la circulation des véhicules à moteur et la sécurité routière), du 19 juillet 2005 (BOE no 172, du 20 juillet 2005, p. 25781), l’attribution de cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points sur le permis de conduire doit être effectuée au moyen d’une concession de service public.

16 L’Orden INT/2596/2005 por la que se regulan los cursos de sensibilización y reeducación vial para los titulares de un permiso o licencia de conducción (arrêté INT/2596/2005 relatif aux cours de sensibilisation et de rééducation routière pour les titulaires d’un permis ou d’une licence de conduire), du 28 juillet 2005 (BOE no 190, du 10 août 2005, p. 28083), met en œuvre la loi visée au point précédent de cet arrêt. Conformément à son paragraphe 12, le contrôle et l’inspection de ces cours de sensibilisation et de rééducation routière doivent être effectués conformément aux prescriptions techniques établies dans le contrat de concession de service public concerné. Toutefois, ce paragraphe 12 précise que la Dirección General de Tráfico (direction générale de la circulation, Espagne), directement ou par l’intermédiaire de ses services, peut examiner les cours de récupération partielle de points de permis de conduire et ceux de récupération du permis de conduire ou de la licence de conducteur, ainsi qu’inspecter les centres qui dispensent ces cours.

Le litige au principal et la question préjudicielle

17 La direction générale de la circulation a publié un appel d’offres, intitulé « Concession de la gestion de cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points sur le permis de conduire : cinq lots ». Cet appel d’offres concernait les cours que des conducteurs devaient suivre pour récupérer les points de leur permis de conduire perdus à la suite d’infractions routières.

18 Le contrat qui faisait l’objet dudit appel d’offres était établi comme un contrat de concession de service public. À cette fin, l’ensemble du territoire national, à l’exception de la Catalogne et du Pays basque, était divisé en cinq zones, à chacune desquelles correspondait l’un des cinq lots du même appel d’offres. À l’issue de la procédure, l’adjudicataire de chacun des lots était la seule entité autorisée à dispenser lesdits cours de sensibilisation et de rééducation routière dans la zone géographique correspondante.

19 L’Audica a contesté l’appel d’offres concerné devant le Tribunal Administrativo Central de Recursos Contractuales (organe administratif central de recours contractuels, Espagne), au motif que l’attribution des mêmes cours de sensibilisation et de rééducation routière au moyen de contrats de concession de service public était contraire à la libre prestation de services.

20 Par décision du 23 janvier 2015, l’organe administratif central de recours contractuels a rejeté le recours d’Audica. Cette dernière a, par la suite, introduit un recours administratif contentieux contre cette décision devant la Sala de lo Contencioso-Administrativo de la Audiencia Nacional (chambre du contentieux administratif de la Cour centrale, Espagne).

21 Dans la procédure, l’administration générale et la CNAE se sont présentées en tant que parties défenderesses, étant précisé que la CNAE avait participé à la procédure d’appel d’offres concernée et que le ministère public est intervenu au soutien d’Audica.

22 Par jugement du 28 novembre 2018, cette juridiction a fait droit à ce recours administratif contentieux et a annulé la décision de l’organe administratif central de recours contractuels, du 23 janvier 2015, ainsi que l’appel d’offres en cause au principal. Selon ladite juridiction, bien que les cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points sur le permis de conduire constituent un service d’intérêt économique général, au sens de l’article 14 TFUE, l’obligation d’accorder une concession de service public serait disproportionnée et ne pourrait être justifiée. Il y aurait, notamment, d’autres moyens par lesquels il serait possible d’aboutir au même résultat, sans remettre en cause la concurrence entre les prestataires de services pouvant exercer l’activité concernée.

23 L’administration générale et la CNAE se sont pourvues en cassation contre ce jugement devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), qui est la juridiction de renvoi.

24 La juridiction de renvoi partage les doutes exprimés devant elle par le ministère public quant à la compatibilité, notamment avec la directive 2006/123, de l’attribution de cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points sur le permis de conduire au moyen d’une concession de service public. Toutefois, cette juridiction estime que l’argumentation de l’administration générale, selon laquelle il ne serait pas possible de comparer, de manière utile, la formation initiale proposée par des auto-écoles et ces cours de sensibilisation et de rééducation routière, n’est pas sans pertinence. Il existerait une différence qualitative entre ces deux types de cours. Contrairement auxdits cours de sensibilisation et de rééducation routière, la formation initiale ne s’adresserait pas à des personnes ayant enfreint les règles de la circulation routière. L’obtention du permis de conduire nécessiterait, en outre, de passer avec succès un examen qui n’est pas géré par les auto-écoles elles-mêmes.

25 Cette juridiction précise que, en vertu de la législation espagnole actuelle, les auto-écoles sont soumises à une simple autorisation administrative. Cette soumission des auto-écoles au contrôle de l’administration ne limiterait toutefois pas l’accès à l’activité concernée, ni le nombre d’auto-écoles. Ainsi, si l’analogie entre la formation initiale et les mêmes cours de sensibilisation et de rééducation routière était admise, il serait alors permis de se demander pour quelle raison le législateur espagnol n’a pas soumis l’offre de ceux-ci à un simple régime d’autorisation administrative, au lieu de la qualifier de service public devant être fourni au moyen d’une concession.

26 Dans ces conditions, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La règle nationale selon laquelle l’attribution des cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire doit être effectuée au moyen d’une concession de service public est-elle compatible avec la directive [2006/123] – ou, le cas échéant, avec d’autres règles ou principes du droit de l’Union européenne ? »

Sur la question préjudicielle

27 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, et notamment l’article 15 de la directive 2006/123, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle l’attribution des cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire doit être effectuée au moyen d’une concession de service public.

28 Pour répondre de manière utile à cette question, il convient de vérifier, en premier lieu, si la fourniture de cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire relève du champ d’application matériel de la directive 2006/123.

29 À cet égard, il importe de rappeler, tout d’abord, que la directive 2006/123 s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre. L’article 4, point 1, de cette directive précise que, aux fins de cette dernière, constitue un « service » toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération.

30 En l’occurrence, il convient de considérer, à l’instar de la juridiction de renvoi, que la fourniture des cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire au moyen d’une concession relève de cette notion de « service », dès lors qu’un contrat de concession permet au concessionnaire de fournir les cours concernés à titre onéreux. Cette activité se rapporte, par ailleurs, à une installation stable à partir de laquelle la fourniture de services est réellement assurée.

31 À ce titre, conformément à la définition de la notion d’« établissement » donnée à l’article 4, point 5, de la directive 2006/123 et comme M. l’avocat général l’a indiqué, en substance, au point 23 de ses conclusions, ladite activité entre dans le champ d’application des dispositions de cette directive relatives à la liberté d’établissement.

32 Ensuite, conformément à l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123, sont exclus du champ d’application matériel de celle-ci les services dans le domaine des transports, étant précisé que, en vertu de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, la libre prestation des services en matière de transports est spécifiquement régie par le titre VI du traité FUE.

33 Selon une jurisprudence constante, la notion de « service dans le domaine des transports » recouvre, non seulement, tout acte physique de déplacement de personnes ou de biens d’un endroit à un autre au moyen d’un véhicule, d’un aéronef ou d’un vaisseau aquatique, mais aussi, tout service intrinsèquement lié à un tel acte (voir, en ce sens, arrêts du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi, C 434/15, EU:C:2017:981, point 41, et du 15 octobre 2015, Grupo Itevelesa e.a., C 168/14, EU:C:2015:685, point 46).

34 Dans ce cadre, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 31 de ses conclusions, il est donc nécessaire d’établir une distinction entre, d’une part, les services intrinsèquement liés à l’acte physique de déplacer des personnes ou des biens d’un endroit à un autre par un moyen de transport et, d’autre part, les services qui entrent dans le champ d’application de cette directive, car leur finalité première n’est pas le déplacement de personnes ou de biens.

35 Afin de pouvoir effectuer cette distinction, il convient de tenir compte de l’objet principal du service concerné (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2015, Trijber et Harmsen, C 340/14 et C 341/14, EU:C:2015:641, point 51).

36 C’est ainsi que, conformément au considérant 33 de la directive 2006/123, relèvent notamment de cette directive les services de location de voitures, les agences de voyage et les services aux consommateurs dans le domaine du tourisme, y compris les guides touristiques.

37 Par ailleurs, il ressort du point 2.1.2 du manuel relatif à la mise en œuvre de la directive « services » que l’exception visée à l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123 ne devrait notamment pas s’étendre aux services d’auto-école.

38 Or, comme M. l’avocat général l’a observé au point 34 de ses conclusions, tout comme les services d’auto-école visés au point précédent du présent arrêt, l’objet principal des cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire est de former le bénéficiaire à une conduite prudente et responsable, et non pas de le transporter.

39 Certes, ainsi que l’a notamment souligné le gouvernement néerlandais, la Cour a jugé que relèvent de l’exception visée à l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123 les activités des centres de contrôle technique (arrêt du 15 octobre 2015, Grupo Itevelesa e.a., C 168/14, EU:C:2015:685, point 54).

40 Ces activités constituent pourtant une condition préalable et indispensable à l’exercice de l’activité principale qui est le transport. Toutefois, à la différence de celles-ci, qui sont exercées directement sur un véhicule en tant que moyen de transport, les règles juridiques qui encadrent l’obtention ou la conservation d’un permis de conduire déterminent les conditions auxquelles une personne peut conduire un certain type de moyen de transport et sont ainsi, en tant que telles, liées à la personne, plutôt qu’au véhicule lui-même.

41 Dès lors, il convient de conclure que la fourniture de cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire ne saurait relever de l’exception visée à l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123.

42 En deuxième lieu, il convient de vérifier si un autre instrument du droit de l’Union, tel que la directive 2014/23, dont l’applicabilité a fait l’objet de débats entre les parties au principal lors de l’audience de plaidoiries, a une incidence sur l’applicabilité de la directive 2006/123 dans des circonstances telles que celles au principal.

43 En effet, conformément à l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2006/123, les articles 9 à 13 de celle-ci ne s’appliquent pas aux aspects des régimes d’autorisation qui sont régis directement ou indirectement par d’autres instruments de l’Union, tels que la directive 2014/23.

44 Or, l’applicabilité de cette dernière directive présuppose que plusieurs conditions cumulatives soient satisfaites.

45 S’agissant, tout d’abord, du champ d’application matériel de la directive 2014/23, le service concerné doit, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, revêtir la forme d’une concession, la « concession de services » étant définie, à l’article 5, point 1, sous b), de celle-ci, comme un « contrat conclu par écrit et à titre onéreux par lequel un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices confient la prestation et la gestion de services [...] à un ou à plusieurs opérateurs économiques, la contrepartie consistant soit uniquement dans le droit d’exploiter les services qui font l’objet du contrat, soit dans ce droit accompagné d’un prix ».

46 En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que les cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire doivent être fournis en vertu d’une concession de service public qui concerne une zone géographique et qui porte sur la fourniture d’un service particulier dans cette zone. Par ailleurs, une telle concession vise à transférer le droit de fournir les cours concernés de l’adjudicateur à chaque concessionnaire. Il y a donc lieu de considérer que les concessions de service public en cause au principal relèvent du champ d’application matériel de la directive 2014/23.

47 S’agissant, ensuite, de l’applicabilité ratione temporis de la directive 2014/23, il ressort de l’article 54, second alinéa, de celle-ci que la concession concernée doit avoir fait l’objet d’une offre ou doit avoir été attribuée après le 17 avril 2014.

48 Or, il importe de relever que la CNAE et le gouvernement espagnol font valoir que les concessions en cause au principal ont fait l’objet d’une offre présentée avant le 18 avril 2016, cette date étant, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la directive 2014/23, la date d’expiration du délai de transposition de celle-ci dans le droit national. Cette offre aurait dès lors été présentée à une date à laquelle le régime juridique national précédemment applicable était encore en vigueur et à laquelle cette directive n’avait pas été intégrée dans ce droit.

49 À cet égard, la Cour a jugé, dans une affaire dans laquelle une offre avait été exclue de la procédure de passation d’un marché public avant la date d’expiration du délai de transposition de la directive pertinente et avant que celle-ci n’ait été intégrée dans le droit national, qu’il serait contraire au principe de sécurité juridique d’appliquer cette directive, étant donné que la décision contre laquelle est alléguée une violation du droit de l’Union avait été prise avant cette date (arrêt du 15 octobre 2009, Hochtief et Linde-Kca-Dresden, C 138/08, EU:C:2009:627, points 28 et 29 ainsi que jurisprudence citée).

50 Dans ces conditions, sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, la directive 2014/23 apparaît ne pas être applicable ratione temporis au litige au principal, dans la mesure où les concessions en cause au principal semblent avoir fait l’objet d’une offre avant l’expiration du délai de transposition de cette directive et où cette dernière n’avait pas encore été intégrée dans le droit espagnol.

51 Enfin, il importe de préciser que, à supposer même que la directive 2014/23 s’applique ratione temporis au litige au principal, encore faudrait-il que le contrat de concession concerné ait, conformément à l’article 8, paragraphe 1, de celle-ci, une valeur égale ou supérieure à 5 186 000 euros.

52 S’il appartient, en définitive, à la juridiction de renvoi de vérifier si cette condition est satisfaite en l’occurrence, il y a lieu d’observer que, sur la base des informations fournies par la CNAE, le gouvernement espagnol et la Commission européenne lors de l’audience, la valeur du contrat en cause au principal semble être inférieure à un tel montant.

53 Dès lors, il y a lieu de partir de la prémisse que la directive 2014/23 ne s’applique pas aux faits du litige au principal. Il s’ensuit que le chapitre III de la directive 2006/123 est applicable même si, comme c’est le cas en l’occurrence, il s’agit d’une situation purement interne, c’est-à-dire une situation dont tous les éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2020, Cali Apartments, C 724/18 et C 727/18, EU:C:2020:743, points 55 et 56).

54 Il convient donc d’examiner, en troisième lieu, si une réglementation nationale, selon laquelle l’attribution des cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire doit être effectuée au moyen d’une concession de service public, est compatible avec l’article 15 de la directive 2006/123.

55 Cet article, qui figure au sein du chapitre III de celle-ci, porte sur les exigences imposées par le système juridique d’un État membre qui sont soumises à son évaluation. Il y a dès lors lieu de déterminer, tout d’abord, si une telle réglementation relève de l’une des catégories d’« exigences » visées audit article.

56 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, conformément à la réglementation en cause au principal, un seul concessionnaire est autorisé à fournir des cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire dans chacune des cinq zones géographiques préalablement délimitées sur l’ensemble du territoire national concerné, à l’exclusion de la Catalogne et du Pays basque. Une fois le marché concerné attribué, le concessionnaire exerce un contrôle exclusif sur la zone pour laquelle il est titulaire d’une concession de service public, aucun autre prestataire n’étant admis à fournir de tels services dans cette zone.

57 Or, il ressort de l’article 15, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), de la directive 2006/123 que les limites quantitatives ou territoriales à l’exercice d’une activité de service constituent des exigences au sens de cette directive lorsqu’elles imposent, notamment, des limites quant au nombre d’opérateurs autorisés à s’établir dans un État membre déterminé ou une limitation visant le respect d’une distance géographique minimale entre prestataires.

58 Compte tenu de la description de la réglementation nationale concernée, visée au point 56 du présent arrêt, il convient de considérer que celle-ci constitue à la fois une limite quantitative et une limite territoriale, au sens de l’article 15, paragraphe 2, sous a), de la directive 2006/123.

59 Une telle limitation à la liberté d’établissement n’est autorisée que si celle-ci est compatible avec les conditions énoncées à l’article 15, paragraphe 3, de cette directive. Elle doit être non discriminatoire, nécessaire et proportionnée.

60 S’agissant, premièrement, du respect de la condition de « non-discrimination », énoncée à l’article 15, paragraphe 3, sous a), de la directive 2006/123, il suffit de relever, à l’instar de toutes les parties ayant présenté des observations, que la réglementation nationale concernée s’applique sans discrimination à tous les prestataires souhaitant fournir le service en cause au principal.

61 En ce qui concerne, deuxièmement, le point de savoir si cette mesure est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, au sens de l’article 15, paragraphe 3, sous b), de la directive 2006/123, il ressort de la demande de décision préjudicielle que cette mesure est conçue pour améliorer la sécurité routière en facilitant l’accès aux centres de formation pour les conducteurs ayant perdu des points sur leur permis de conduire. Il s’agit là, conformément à l’article 4, point 8, de la directive 2006/123, lu à la lumière du considérant 40 de celle-ci et à une jurisprudence constante de la Cour, d’une raison impérieuse d’intérêt général qui est susceptible de justifier des restrictions à la liberté d’établissement (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2015, Grupo Itevelesa e.a., C 168/14, EU:C:2015:685, point 74 ainsi que jurisprudence citée).

62 S’agissant, troisièmement, de la question de savoir si une telle mesure est proportionnelle à l’objectif d’intérêt général poursuivi, au sens de l’article 15, paragraphe 3, sous c), de la directive 2006/123, il convient de relever qu’une mesure nationale restrictive de liberté d’établissement qui poursuit un objectif d’intérêt général ne peut être admise qu’à la condition qu’elle soit propre à garantir la réalisation de celui ci et qu’elle n’aille pas au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir, par analogie, arrêt du 1er octobre 2015, Trijber et Harmsen, C 340/14 et C 341/14, EU:C:2015:641, point 70).

63 Il appartient en dernier ressort au juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits du litige au principal, de déterminer si une mesure satisfait à ces deux exigences. Toutefois, afin de fournir des réponses utiles à la juridiction de renvoi, la Cour peut lui donner des indications tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations écrites et orales qui lui ont été soumises, de nature à permettre à cette juridiction de statuer (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2015, Trijber et Harmsen, C 340/14 et C 341/14, EU:C:2015:641, point 71 ainsi que jurisprudence citée).

64 En ce qui concerne, d’une part, l’aptitude de la mesure à atteindre l’objectif visant à améliorer la sécurité routière, il ressort des éléments fournis à la Cour que la mesure en cause au principal vise à garantir qu’il existe au moins un opérateur chargé d’exercer l’activité concernée dans chacune des cinq zones situées sur l’ensemble du territoire pertinent.

65 Une telle mesure apparaît de nature à atteindre l’objectif poursuivi dès lors qu’elle vise à garantir l’accès des conducteurs à des centres de formation sur l’intégralité du territoire pertinent, y compris dans les zones géographiquement isolées ou moins attractives (voir, par analogie, arrêts du 10 mars 2009, Hartlauer, C 169/07, EU:C:2009:141, points 51 et 52, ainsi que du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez, C 570/07 et C 571/07, EU:C:2010:300, point 70).

66 En ce qui concerne, d’autre part, la question de savoir si la mesure en cause au principal va au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, il convient de relever que cette mesure constitue une limitation importante à la liberté d’établissement, puisque celle-ci impose la division du territoire pertinent en cinq grandes zones sur chacune desquelles un seul prestataire est admis à fournir le service concerné.

67 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a observé aux points 84 à 86 de ses conclusions, il semblerait exister des mesures moins contraignantes que ladite mesure, permettant d’atteindre l’objectif poursuivi. En outre, ainsi que cela a été exposé devant la juridiction de renvoi, il n’est pas non plus exclu que cet objectif puisse être atteint par un régime d’autorisation administrative, plutôt que de recourir à un service public devant être fourni au moyen d’une concession.

68 En quatrième lieu, il ne peut être exclu que la juridiction de renvoi considère, à l’issue de son examen, que la fourniture de cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire constitue une mission liée à un service d’intérêt économique général. Tel est le cas, aux termes du considérant 70 de la directive 2006/123, si le service en cause au principal est fourni en application d’une mission particulière de service public confiée au prestataire par l’État membre concerné.

69 Dans cette hypothèse, ce service relèverait alors de l’application de l’article 15, paragraphe 4, de cette directive. En conséquence, la compatibilité avec le droit de l’Union de la mesure en cause au principal devrait être appréciée à la lumière de la règle spécifique figurant à cette disposition.

70 Cette règle spécifique prévoit que les règles édictées à l’article 15, paragraphes 1 à 3, de la directive 2006/123 ne s’appliquent à la législation nationale concernée dans le domaine des services d’intérêt économique général que dans la mesure où l’application de ces paragraphes ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui a été confiée.

71 La Cour a précisé, à cet égard, que l’article 15, paragraphe 4, de cette directive ne s’oppose pas à ce qu’une mesure nationale impose une limitation territoriale, pour autant que cette limitation soit nécessaire à l’exercice de la mission particulière des prestataires du service d’intérêt économique général en cause dans des conditions économiquement viables et proportionnée à cet exercice (voir, en ce sens, arrêt du 23 décembre 2015, Hiebler, C 293/14, EU:C:2015:843, point 73).

72 Or, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 100 de ses conclusions, il n’est pas exclu qu’il puisse être démontré qu’une division du territoire pertinent en un plus grand nombre de zones géographiques que les cinq retenues contribuerait à faciliter la prestation des services en cause au principal dans des zones moins attractives. Dans ces circonstances, la division territoriale ainsi que la limite quantitative imposées par une mesure telle que celle en cause au principal n’apparaîtraient pas nécessaires à l’accomplissement de la mission particulière concernée dans des conditions économiquement viables.

73 C’est néanmoins à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra d’examiner et de prendre en considération la portée exacte des obligations de service public imposées, le cas échéant, aux concessionnaires des cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire et d’envisager si un régime moins contraignant pourrait empêcher l’offre du service public concerné dans des conditions économiquement viables.

74 Eu égard à l’ensemble de considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 15 de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens que cette disposition s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle l’attribution des cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire doit être effectuée au moyen d’une concession de service public, dans la mesure où cette réglementation va au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt général poursuivi, à savoir l’amélioration de la sécurité routière.

Sur les dépens

75 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

L’article 15 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur,

Doit être interprété en ce sens que :

Cette disposition s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle l’attribution des cours de sensibilisation et de rééducation routière pour la récupération de points de permis de conduire doit être effectuée au moyen d’une concession de service public, dans la mesure où cette réglementation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt général poursuivi, à savoir l’amélioration de la sécurité routière.