CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 18 novembre 2011, n° 11/08991
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
S. A. AVIVA FRANCE
Défendeur :
S. A. BERARD
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Renaud BOULY de LESDAIN
Conseillers :
Bernard SCHNEIDER, Françoise CHANDELON
Avoués :
SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, SCP ROBLIN - CHAIX de LAVARENE
Avocats :
SCP THREARD - BOURGEON - MERESSE & ASSOCIES, Me Jean Michel PERARD
ARRET :
Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
Signé par Renaud BOULY de LESDAIN, Président et par Carole TREJAUT, Greffier, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
Vu l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et suivants ;
Vu les articles 126-1 et suivants du code de procédure civile ;
Vu la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par un écrit distinct et motivé le 12 mai 2011 par la SA AVIVA FRANCE.
Vu les observations formulées le 1er septembre 2011 par la SA BERARD, partie au procès.
Vu la communication du dossier au Ministère Public en date du 3 juin 2011.
Vu l'avis du ministère public en date du 28 juillet 2011.
En application de l'article 61-1 de la Constitution, lorsqu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantir, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.
En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.
Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis.
Par contrat du 31 octobre 1995, la société Abeille Assurances a chargé la société Bérard, qui exerce une activité de recyclage automobile, de récupérer des véhicules accidentés.
Le 30 juin 2000, sa mission a été étendue à la flotte automobile des compagnies d'assurances Abeille, C. Courtage et Eurofil représentées par la société CGU France, devenue Aviva France.
Par courrier du 9 janvier 2007, la société Aviva France a résilié le contrat à effet au 9 mars suivant.
Lui reprochant la brièveté de ce préavis au regard de la durée des relations contractuelles, la société Bérard l'a assignée pour obtenir indemnisation de son préjudice par exploit du 1er juin 2007.
Le tribunal de commerce de Salon de Provence saisi du litige s'est déclaré territorialement incompétent et à renvoyé l'examen de l'affaire, par décision du 23 mai 2008, devant le tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 2 décembre 2009 la juridiction consulaire a accueilli la demande de la société Bérard sur le fondement de l'article L 442-6-1-5° du code de commerce.
Par déclaration du 11 décembre 2009, la société Aviva France a interjeté appel de cette décision.
Elle a déposé, le 12 mai 2011, des conclusions tendant à voir déclarer inconstitutionnelles les dispositions de l'article L442-6-1-5° du code de commerce.
Dans ses conclusions en réponse, déposées le 1er septembre 2011, la société Bérard demande à la présente juridiction de refuser de transmettre la question, qu'elle considère dépourvue de caractère sérieux, à la Cour de cassation et sollicite une indemnité de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. le Procureur Général a conclu dans le même sens le 28 juillet 2011, exposant que la Cour de cassation a, par arrêt du 5 avril 2011, refusé de soumettre la même question au Conseil constitutionnel l'estimant dépourvue de caractère sérieux.
CELA ETANT EXPOSE,
LA COUR,
Considérant qu'aux termes de l'article 126-5 du code de procédure civile, le juge n est pas tenu de transmettre une question prioritaire d'inconstitutionnalité mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition dont la Cour de cassation, ou le Conseil constitutionnel est déjà saisi. En cas d'absence de transmission pour cette raison, il sursoit à statuer sur le fond, jusqu'à ce qu'il soit informé de la décision de la Cour de cassation ou, le cas échéant, du Conseil constitutionnel' ;
Considérant que cette disposition permet au juge de retarder le transfert d'une question de constitutionnalité dans l'hypothèse où la Cour de cassation en est déjà saisie puis de rejeter ou d'accueillir la demande de transmission selon la position qu'elle (ou le conseil constitutionnel s'il a été saisi) a adoptée ;
Considérant que la même solution s'impose dans l'hypothèse où la question n'est plus pendante devant la Cour Suprême qui y a apporté une réponse ;
Que cette interprétation est conforme à l'impératif de célérité ainsi posé par le législateur et qui se retrouve dans d'autres dispositions comme celle subordonnant la transmission à la Cour de cassation à l'absence de saisine préalable du Conseil constitutionnel aux mêmes fins, sauf changement de circonstances ;
Considérant qu'en l'espèce la Cour de cassation, saisie de la même question de la compatibilité de l'article L 442-6-1-5° du code de commerce à l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, a jugé, le 5 avril 2011 que si l article 4 de la Déclaration de 1789 énonce le principe de la liberté du citoyen d'exercer ses droits naturels entre les seules bornes déterminées par la loi, l'article L 442-6-1-5° ne fait que fixer une borne à la liberté de rompre une relation contractuelle, constituée par le préjudice causé à autrui par l'abus de cette liberté ; que la question posée ne pose donc pas de caractère sérieux au regard des exigences qui s'attachent aux dispositions, règles et principes de valeur constitutionnelle invoqués' ;
Considérant qu'il en résulte que la transmission doit être rejetée tant sur le fondement de l'article 126-5 du code de procédure civile précité que sur l'article 23-2-3° de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, la question jugée dépourvue de caractère sérieux par la Cour de cassation n'ayant pas vocation à être transmise au Conseil constitutionnel ;
Considérant en effet que la société Aviva France ne saurait rejeter ce dernier fondement au motif que les arrêts de règlements sont prohibés par l'article 5 du code civil alors que ce texte se borne à interdire aux juges de se prononcer par voie de disposition générale sur les causes , entendues comme des situations factuelles particulières, mais pas de motiver leur décision sur l'analyse objective d'une loi à laquelle s'est précédemment livrée la Cour de cassation sous réserve qu'aucun changement de circonstances ne soit intervenu depuis qu'elle y a procédé ;
Considérant qu'en l'espèce aucune changement de circonstances n'est démontré ni même allégué de sorte qu'il convient de rejeter la demande ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Bérard une indemnité de 1.000 € au titre des frais exposés dans cette instance sans préjudice de ses droits éventuels dans le dossier de fond ;
PAR CES MOTIFS
Rejette la demande de transmission à la Cour de cassation de la question liée à la constitutionnalité de l'article L 442-6-1-5° du code de commerce à l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ;
Condamne la société Aviva France à payer à la société Bérard une indemnité de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de cette procédure