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Décisions

CA Nîmes, 1ere ch. civ. B, 6 septembre 2011, n° 11/00925

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

T. M.

Défendeur :

CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gérard DELTEL

Conseillers :

Mme Isabelle THERY, Mme Nicole BERTHET

Avoués :

SCP POMIES-RICHAUD VAJOU, SCP FONTAINE MACALUSO-JULLIEN

Avocats :

Me Bernard BENAIEM , Me Pierre-Marie GRAPPIN

CA Nîmes n° 11/00925

5 septembre 2011

Vu les appels interjetés les :

' 23 février 2011 à l'encontre du jugement d'orientation rendu le 10 février 2011 (et daté par erreur du 7 avril 2011) et celui rectificatif rendu le 17 février 2011

' et 25 mars 2011 à l'encontre du jugement d'orientation rendu le 10 février 2011 (et daté par erreur du 7 avril 2011) et celui rectificatif rendu le 22 février 2011, prononcés par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Avignon.

Vu la demande d'examen des questions prioritaires de constitutionnalité déposées selon écrits distincts et motivés des 31 mai 2011 et 20 juin 2011 par M. M'Hamed Taieb,

Vu les observations de la société coopérative caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc (ci-après désignée la banque) reçues les 9 juin 2011 et 20 juin 2011 et l'avis du ministère public reçu le 14 juin 2011,

Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 14 avril 2011 par M. M'Hamed Taieb, appelant et le 30 mai 2011 par la société coopérative caisse régionale de crédit agricole mutuel du Gard, intimée, auxquelles la Cour se réfère expressément pour un plus ample exposé du litige et des prétentions respectives.

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Par acte du 25 novembre 2009 , la caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc a fait délivrer un commandement valant saisie de l'immeuble situé à [...], cadastré section EL n° 58, 193 et 196 appartenant à M.M'Hamed Taieb et publié le 21 janvier 2010 à la conservation des hypothèques d'Avignon.

À la suite de l'assignation délivrée à M.M'Hamed pour comparaître à l'audience d'orientation du 11 février 2010 , le juge de l'exécution du tribunal de grande instance a, par jugement 30 septembre 2010 rejeté la demande de sursis à statuer présentée par M. M'Hamed, ordonné avant dire droit la réouverture des débats en invitant la caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc à produire les justificatifs du déblocage complet du prêt et l'historique des paiements et invité les parties à s'expliquer sur l'application des articles L 312-8, L 312-33, L 313-1 et R 313-1 du code de la consommation, sursis à statuer sur les autres demandes des parties et renvoyé l'affaire à l'audience du 4 novembre 2010.

Par jugement d'orientation du '7 avril 2011" et par jugement rectificatif des 17 et 22 février 2011 le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Avignon a:

-dit que la caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc est déchue en totalité de son droit aux intérêts du 8 novembre 2007 au 31 mars 2008 et qu'à compter du 1er avril 2008 le taux des intérêts est ramené à 2% par an,

-validé la procédure de saisie immobilière,

-dit que la créance de la caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc s'élève à 368'834, 84 euros outre intérêts au taux de 2% l'an sur la somme de 348'841 euros,

-ordonné la vente forcée de l'immeuble saisi,

-dit que l'adjudication aura lieu à l'audience du jeudi 12 mai 2011 à 14 heures,

-autorisé les experts mandatés par le créancier poursuivant à pénétrer à nouveau dans l'immeuble saisi en présence d'un huissier de justice afin de permettre l'actualisation des diagnostics exigés par la loi en cas de vente d'un immeuble et dit qu'au besoin l'huissier de justice pourra se faire assister par un serrurier et la force publique,

-dit que les éventuels acquéreurs pourront visiter l'immeuble jeudi 31 mars 2011 de 11 heures à 12 heures en présence d'un huissier de justice mandaté par le créancier poursuivant et dit qu'au besoin l'huissier de justice pourra se faire assister par un serrurier et par la force publique,

-dit que les dépens seront inclus dans les frais préalables à la vente.

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M. M'Hamed a régulièrement interjeté appel de ces jugements.

Il a saisi la Cour le 31 mai 2011 d'une question prioritaire de constitutionnalité libellée ainsi :

« l'article 19 de la loi du 25 pluviôse an XI ainsi que l'article 1er de la loi du 15 juillet 1976 et l'article 3 alinéa 4 de la loi du 9 juillet 1991 sont-ils conformes aux articles 2, 16 et 17 de la déclaration des droits de l'homme de 1789 en ce qu'ils permettent notamment d'engager une procédure de saisie immobilière sans le contrôle préalable de l'autorité judiciaire ' »

et le 20 juin 2011 d'une deuxième question prioritaire de constitutionnalité libellée ainsi :

« les articles 1 et 5 de la loi du 31 décembre 1971 sont-ils conformes aux principes constitutionnels de l'unité juridique de la République, de la liberté de choix de son défendeur (liberté de la défense), de libre accès à la justice, de la liberté du commerce et de l'industrie et des articles 1er de la constitution et 16 de la déclaration des droits de l'homme ' » .

Quant au fond, il demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que le TEG figurant dans l'offre de crédit était erroné, de l'infirmer pour le surplus et de juger que le TEG mentionné dans l'acte notarié du 8 novembre 2007 est erroné, d'annuler en conséquence la clause relative à la stipulation d'intérêts mentionnée dans l'acte notarié du 8 novembre 2007, de juger qu'il ne sera redevable d'aucun intérêt sur le principal du prêt sauf les intérêts légaux à compter de la signification de l'arrêt, débouter la caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 4000 euros pour ses frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

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Le ministère public saisi de la seule question n°1, demande à la Cour en vertu de son avis reçu le 14 juin 2011 de surseoir à statuer jusqu'à la décision de la Cour de Cassation saisie de la même question.

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La caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc conclut au rejet des demandes de sursis à statuer et sollicite qu'il soit constaté que la Cour de Cassation, par arrêt du 12 mai 2011, a déjà statué sur la première question en considérant qu'elle n'était pas sérieuse et en ce qui concerne la deuxième question que les parties comparaissent devant la cour d'appel et que la remise en cause de l'obligation de postulation devant le premier juge est étrangère au contentieux soumis à la Cour.

Sur le fond, elle demande à la Cour de dire l'appel infondé, de débouter M. M'Hamed de ses demandes, de recevoir son appel incident, de juger que le taux d'intérêt contractuel prévu à l'acte devra s'appliquer, aucune justification de la violation des dispositions relatives au taux effectif global n'étant rapportée et de fixer en conséquence sa créance à la somme de 404'582, 94 euros.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité

L'examen de ces questions nécessite de rappeler en droit que l'article 61-1 de la constitution du 4 octobre 1958 autorise la saisine du conseil constitutionnel sur renvoi du conseil d'État ou de la Cour de Cassation 'lorsqu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit'.

Quant à la forme, la question doit être présentée par écrit dans un mémoire distinct et motivé de même que les observations des parties sur cette question.

Le juge statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité selon les règles de procédure figurant aux articles 126-1 et suivants du code de procédure civile.

Lorsque la question prioritaire de constitutionnalité est soulevée, il appartient à la juridiction de communiquer l'affaire au ministère public en lui précisant la date à laquelle l'affaire sera examinée.

Encore est-il nécessaire que la juridiction soit saisie de la question dans un délai compatible avec le respect de ces dispositions et celles figurant aux articles 15 et 16 du code de procédure civile.

Force est de constater qu'en l'espèce, l'appel a été interjeté les 23 février 2011 et 25 mars 2011, que M. Taieb M'Hamed a conclu le 2 mars 2011, qu'il a été autorisé à assigner à jour fixe le 7 mars 2011 la caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc pour l'audience du 21 juin 2011, qu'il a déposé une première question le 10 juin 2011 et une deuxième question la veille de l'audience ce qui n'a pas permis de recueillir l'avis du ministère public dans le respect des dispositions précitées.

Il ne peut être fait droit dans ces conditions à la demande de renvoi qui apparaît dilatoire au-delà de la question posée dans la mesure où la Cour, s'agissant d'une voie de recours exercée dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière, est tenue de statuer à bref délai au regard des dispositions de l'article 52 du décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006.

M. M'Hamed a disposé d'un temps suffisant au regard des règles de procédure applicables à la saisie immobilière pour saisir la Cour de questions prioritaires de constitutionnalité dans un délai raisonnable.

L'absence d'avis du ministère public rend irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité n°2 par application des dispositions et des principes susvisés.

La première question remplit en revanche les conditions sus énoncées.

En l'occurrence, la Cour est saisie par la question posée dans le mémoire reçu au greffe le 31 mai 2011 et qui a été communiqué au ministère public pour avis conformément à l'article 126 ' 4 du code de procédure civile.

Il appartient à la Cour de vérifier que les conditions légales sont remplies pour que la question posée puisse être transmise à la Cour de Cassation.

L'article 23 ' 2 de la loi organique n° 2009 ' 1523 du 10 décembre 2009 dispose que la juridiction transmet sans délai la question s'il est démontré en premier lieu que la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites, cette disposition n'a pas déjà été déclaré conforme à la constitution', que la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

Force est de constater à la lecture de l'arrêt de la Cour de Cassation du 12 mai 2011 communiqué par l'intimée qu'il a été jugé que cette question posée en des termes identiques ne présentait pas un caractère sérieux de sorte qu'il n'y a pas lieu de la transmettre à la Cour de Cassation et de surseoir à statuer.

Sur l'appel principal

M. M'Hamed développe un unique moyen tenant à l'irrégularité du taux effectif global mentionné dans l'acte notarié considérant que le premier juge ne pouvait tout à la fois prononcer la déchéance des intérêts du prêt du 8 novembre 2007 tout en le condamnant à verser des intérêts ramenés à 2% l'an sur le montant en principal de 355.131, 67 euros.

En l'état de ce seul moyen, les dispositions du jugement non critiqué qui a validé la procédure de saisie immobilière et ordonné la vente forcée de l'immeuble saisi en se prononçant sur les modalités de l'adjudication, selon des motifs exempts de critiques que la Cour adopte doit être confirmé.

Il importe de statuer uniquement sur le montant de la créance due par l'appelant en l'état de l'appel incident formé par la banque.

La lecture de l'acte authentique de vente et de prêt comportant en annexe l'offre de prêt immobilier adressé à M. M'Hamed enseigne qu'il lui a été accordé un prêt d'un montant de 355.131, 67 euros remboursable sur 25 ans au taux de 5,10%.

Il est explicité en page 12 de l'acte le coût du crédit incluant le montant des intérêts, les frais de dossier, les frais estimés de garantie, le coût total de l'assurance, le montant des parts sociales soit un taux effectif global de 5,891% l'an.

Il est rappelé que le taux effectif global constitue l'indicateur du coût global du prêt. Il permet de faire la synthèse financière en intégrant toutes les composantes du prêt et en évaluant sous forme d'un taux le coût global de l'emprunt.

Il s'agit d'un taux calculé à partir des caractéristiques d'un prêt pour tenir compte de tous les éléments de coût de ce prêt.

C'est ainsi que l'article L313-1 du code de la consommation impose, pour la détermination du taux effectif global du prêt, d'ajouter aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l'octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunération correspondent à des débours réels.

Il doit être observé que la preuve du caractère erroné du taux effectif global dépend en l'espèce du fait de savoir s'il y a lieu d'intégrer ou non le coût de l'assurance incendie que la banque n'a pas pris en compte en considérant que les primes ou cotisations d'assurance incendie se rapportent non pas aux risques inhérents à la personne de l'emprunteur mais relèvent de la gestion de l'immeuble.

Pour être inclus dans la détermination du taux effectif global, les frais d'assurances doivent en effet être imposés par le prêteur et avoir un lien direct avec les prêts souscrits.

Force est de constater que les dispositions contractuelles ne conditionnent pas l'octroi du prêt à la souscription d'une assurance incendie mais à la réalisation de toutes les conditions d'assurance et de garantie prévue aux conditions particulières.

Il est prévu au paragraphe 'déchéance du terme'(page 26) que le remboursement du prêt pourra être exigé immédiatement et en totalité si les primes d'assurance n'ont pas été acquittées en temps utile ou si les polices n'ont pas été renouvelées dans les délais pour l'assurance décès invalidité relative au contrat groupe ou au contrat d'assurance externe et dans les cas où elles sont demandées par le prêteur pour les assurances incendie accidents risques divers.

Le taux effectif global se rapportant exclusivement au prêt et non à l'immeuble, il ne peut inclure les primes ou cotisations d'assurance incendie qui sont dues pour garantir non pas les risques inhérents à la personne de l'emprunteur mais ceux relevant de la gestion de l'immeuble que celui-ci ait été ou non financé par le prêt.

Ne doivent être ainsi intégrées au taux effectif global que les charges ayant un lien direct exclusivement lié au crédit.

Il sera ajouté qu'en l'espèce le prêt a été consenti sans que l'emprunteur ne soit tenu de justifier avant l'octroi du prêt de l'accomplissement de cette formalité.

L'engagement par l'emprunteur de souscrire une police d'assurance incendie est simplement une modalité de mise en oeuvre du prêt dont l'inexécution n'est pas sanctionnée sur le terrain de la formation du contrat mais de la responsabilité contractuelle par la résiliation du contrat.

Il s'ensuit que la banque a, à bon droit, exclu du taux effectif global le coût de la souscription d'une assurance incendie ce qui ne permet pas de retenir une erreur quant au calcul du taux effectif global.

Il n'est pas non plus rapporté la preuve de ce que le coût de l'acte authentique n'a pas été intégré alors que la banque justifie que le coût global de l'acte de prêt des différentes notifications et de la taxe hypothécaire s'élève à 2059, 35 euros alors qu'il a été retenu de manière indicative pour le calcul du TEG la somme de 4977, 93 euros.

A l'examen du tableau d'amortissement et des éléments de calcul figurant dans le commandement de payer, il apparaît que le premier impayé se situe au 10 avril 2008.

En l'absence de contestations sur ce point et au vu des dispositions contractuelles, il sera fait droit aux prétentions de la banque, la créance étant fixée à la somme de 378.114,90 € avec intérêts au taux contractuel de 5,10% à compter du 1er septembre 2009 et à celle de 26.468 euros au titre de la clause pénale avec intérêts au taux légal s'agissant d'une indemnité.

Sur les frais de l'instance

Les dépens seront employés en frais privilégiés de vente dont distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile au profit des avoués de la cause qui en ont fait la demande.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière civile et en dernier ressort,

Déclare irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité n°2,

Rejette la demande de transmission à la Cour de Cassation de la question prioritaire de constitutionnalité n°1 et dit n'y avoir lieu à sursis à statuer,

Confirme les jugements déférés sauf en ce qu'ils ont dit que la caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc est déchue en totalité de son droit aux intérêts du 8 novembre 2007 au 31 mars 2008 et qu'à compter du 1er avril 2008 le taux des intérêts est ramené à 2% par an et en ce qu'ils ont dit que la créance de la caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc s'élève à 360.834,84 €, outre intérêt au taux de 2% l'an sur la somme de 348.841 €,

Statuant à nouveau,

Fixe la créance de la société coopérative caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc à la somme de:

' 378.114,90 € avec intérêts au taux contractuel de 5,10% à compter du 1er septembre 2009,

- 26.468€ représentant l'indemnité de recouvrement avec intérêts au taux légal,

Ordonne l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de vente dont distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile au profit des avoués de la cause qui en ont fait la demande.