CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 2 novembre 2022, n° 20/10036
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
M. [N] [M]
Défendeur :
S.A.R.L. REZO
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Isabelle DOUILLET
Conseiller :
Mme Déborah BOHEE
Avocats :
AARPI RIVEDROIT, Me Benjamin BEAULIER
EXPOSE DU LITIGE M. [N] [M] se présente comme un photographe professionnel renommé. Etabli en NouvelleCalédonie, il expose qu'il réalise des photographies de paysages marins et terrestres, y compris en vue aérienne, ainsi que des clichés représentant l'architecture néo-calédonienne et la vie quotidienne des habitants des îles et des archipels. La société REZO, exerçant sous le nom commercial ACTU.NC, (ci-après société ACTU.NC) a pour activité l'édition et la distribution d'un magazine en Nouvelle-Calédonie intitulé 'Actu. Nc' qui est un hebdomadaire calédonien d'informations générales. M. [N] [M] expose que, dans le cadre de son activité professionnelle, il a réalisé un cliché en prise de vue aérienne représentant un paysage côtier situé en Nouvelle-Calédonie: M. [N] [M] indique que la société ACTU.NC a reproduit sans son autorisation cette photographie dans le numéro 191 du magazine Actu.nc du 16 novembre 2017 pour illustrer la page de couverture: Par courrier recommandé avec accusé de réception du 12 juin 2019, le conseil de M. [N] [M] a mis en demeure la société ACTU.NC de réparer le préjudice qu'il a subi du fait de la violation de ses droits d'auteur sur la photographie, celle reproduite sur la couverture du magazine, qui ne crédite pas M. [N] [M], ayant été recadrée en violation de ses droits moraux. Par exploit d'huissier du 7 août 2019, M. [N] [M] a fait assigner la société ACTU.NC devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire à compter du 1er janvier 2020, de Paris, qui n'a pas constitué avocat. Par jugement réputé contradictoire rendu le 25 juin 2020 dont appel, le tribunal judiciaire de Paris, a rendu la décision suivante: - Se déclare compétent pour connaître du litige, - Déboute M. [N] [M] de ses demandes formées au titre du droit d'auteur, - Dit M. [N] [M] conservera la charge de ses dépens, - Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, - Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire. M. [N] [M] a interjeté appel de ce jugement le 20 juillet 2020. Dans ses uniques conclusions transmises le 16 octobre 2020, M. [N] [M], appelant, demande à la cour de : A titre liminaire : - SE DECLARER COMPETENT pour connaître du litige opposant M. [N] [M] à la société ACTU NC ; A titre principal : - Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la photographie litigieuse n'est pas éligible à la protection par le droit d'auteur ; et, statuant à nouveau, - Constater, dire et juger que la photographie litigieuse constitue une œuvre de l'esprit protégeable au titre du droit d'auteur ; partant, - Que la société ACTU NC a fait un usage non autorisé de la photographie réalisée par M. [N] [M] en violation de ses droits patrimoniaux et moraux d'auteur ; - CONDAMNER la société ACTU NC à payer à titre de dommages intérêts à M. [N] [M] la somme 335.496,92 francs pacifiques français équivalent à 2.800 euros en réparation du préjudice subi au titre de la violation de ses droits d'auteur ; A titre subsidiaire : Si elle estime que la photographie litigieuse n'est pas éligible à la protection au titre du droit d'auteur, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la photographie litigieuse n'est pas éligible à la protection par le droit d'auteur ; et, statuant de surcroît : - Constater, dire et juger qu'ACTU NC a commis des actes de parasitisme au détriment de M. [N] [M] ; - CONDAMNER la société ACTU NC à payer à titre de dommages intérêts à M. [N] [M] la somme 335.496,92 francs pacifiques français équivalent à 2.800 euros en réparation du préjudice subi par lui du fait des actes de concurrence déloyale commis à ses dépens, En tout état de cause, - CONDAMNER la société ACTU NC à payer à M. [N] [M] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; - CONDAMNER la société ACTU NC aux entiers dépens. Dans ses dernières conclusions transmises le 15 janvier 2021, la société REZO (exerçant sous le nom commercial: ACTU NC), intimée, demande à la cour de : - JUGER irrecevable la demande nouvelle formée en cause d'appel par M. [N] [M] ; A TITRE SUBSIDIAIRE : - LA JUGER infondée ; EN TOUT ETAT DE CAUSE - CONFIRMER en tous points le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Paris en date du 25 juin 2020 ; - DEBOUTER M. [M] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ; - CONDAMNER M. [M] à régler à la société REZO la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; - CONDAMNER M. [M] aux entiers dépens d'appel, qui seront recouvrés en application de l'article 699 du Code de procédure civile. L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2022. MOTIFS DE LA DECISION En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles sont transmises, telles que susvisées. Sur le chef non contesté du jugement Le jugement n'est pas contesté en ce que le tribunal a retenu sa compétence pour connaître du litige. Sur l'irrecevabilité des prétentions de M. [N] [M] au titre du parasitisme La société REZO soulève, sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile l'irrecevabilité des demandes formulées par M. [N] [M] sur le fondement du parasitisme, qui ne tendent, selon elle, pas aux mêmes fins que l'action en contrefaçon initialement introduite devant les premiers juges. M. [M] ne formule aucune remarque sur ce point. En vertu de l'article 564 du code de procédure civile, «A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.» Sur ce, la cour rappelle qu'en vertu des articles 564 et 565 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait, et que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. Or, l'action en contrefaçon vise à sanctionner l'atteinte à un droit privatif alors que l'action en concurrence déloyale repose sur l'existence d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, de sorte que la demande additionnelle, relative à des agissements parasitaires qui auraient eu pour effet de causer un préjudice à M. [N] [M], présentée pour la première fois en appel ne tend pas aux mêmes fins que la demande en contrefaçon de droit d'auteur formée devant les premiers juges et est donc nouvelle. En conséquence, il convient de déclarer irrecevables les demandes ainsi formulées par M. [N] [M] pour la première fois en cause d'appel, qui ne sont pas davantage l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes formulées en première instance et ne sont pas liées à la survenance ou la révélation d'un fait nouveau. Sur les demandes au titre du droit d'auteur M. [N] [M] revendique la protection au titre du droit d'auteur du cliché en cause mettant en avant son originalité au travers des choix arbitraires de la prise et de l'angle de vue, des éclairages, des perspectives et des lumières attestant de sa personnalité. En réponse, la société REZO soutient que la photographie en cause ne constitue pas une oeuvre protégeable au titre du droit d'auteur, faute de preuve de son originalité, ne révélant aucun parti pris esthétique, ni de choix de cadrage ou de mise en scène créatifs. Conformément à l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. En application de l'article L. 112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, l'article L. 112-2, 9° prévoyant que sont considérés notamment comme oeuvres de l'esprit au sens du présent code les oeuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie. Il incombe à celui qui entend se prévaloir des droits de l'auteur de caractériser l'originalité de l'oeuvre revendiquée, c'est à dire de justifier de ce que cette oeuvre présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur. M. [N] [M] soutient que la photographie, sur laquelle il revendique des droits d'auteur, est manifestement l'expression de sa créativité, de sa technique de photographe professionnel et de son sens artistique et met notamment en avant le choix d'adopter une prise de vue aérienne pour magnifier la richesse et la diversité du littoral en mettant l'accent sur les contrastes entre les différents éléments et un angle de vue en direction de l'horizon, avec un cliché pris à basse altitude créant, par le jeu des perspectives et des contrastes, une impression de superposition et d'enchevêtrement entre les différents éléments naturels du bas vers le haut du cliché, avec le choix d'une lumière zénithale. Sur ce, la cour constate d'abord que M. [N] [M] qui affirme être un photographe professionnel renommé ne verse au débat aucune pièce en justifiant ainsi que du travail qu'il prétend réaliser afin de dresser un inventaire complet et unique de la beauté des paysages néo-calédoniens. Puis, concernant la photographie litigieuse, la cour retient, comme les premiers juges, que si elle démontre un savoir faire incontestable du photographe qui a réalisé son cliché d'un point de vue aérien, elle n'a d'autre finalité que de restituer le plus fidèlement possible la physionomie et la beauté du site photographié. Elle ne révèle pas de choix créatifs ou de parti pris esthétique particuliers témoignant de la personnalité de M. [N] [M], ce dernier ne justifiant pas de choix originaux de perspective ou de prise de vue pour livrer au spectateur une représentation autre que la simple reproduction du site photographié. Il y a seulement lieu pour la cour d'ajouter que l'ensemble des choix revendiqués par M. [N] [M] comme étant originaux et reflétant sa personnalité sont avant tout dictés par des contraintes techniques, le choix de la prise de vue aérienne et de l'altitude pour la prise du cliché étant avant tout conditionné par la nécessité de cadrer au mieux le site pour qu'il puisse être représenté dans son ensemble, la lumière zénithale du soleil permettant d'apporter un éclairage optimum et le contraste et la superposition allégués entre les différents éléments résultant de la simple réunion, en un même lieu, de la mer, des rochers, du sable et de la forêt de palmiers. Le jugement doit donc être confirmé en ce que, rappelant les dispositions de l'article 472 du code de procédure civile selon lesquelles «si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée», il a retenu que la photographie n'était pas éligible à la protection par le droit d'auteur et a rejeté les demandes fondées sur la contrefaçon. Sur les autres demandes M. [N] [M] succombant sera condamné aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par Maître Benjamin BEAULIER conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qui ont été exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées. Enfin, l'équité et la situation des parties commandent de condamner M. [N] [M] à verser à la société REZO une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 25 juin 2020, Y ajoutant, Déclare irrecevable la demande formulée au titre du parasitisme par M. [N] [M] comme étant nouvelle en cause d'appel, Condamne M. [N] [M] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par Maître Benjamin BEAULIER conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Condamne M. [N] [M] à verser à la société REZO une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.