Cass. 1re civ., 18 janvier 2023, n° 19-24.671
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duval-Arnould
Rapporteur :
M. Serrier
Avocat général :
M. Aparisi
Avocats :
SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SARL Le Prado - Gilbert
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 26 septembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (Com., 5 avril 2018, pourvoi n° 16-19.829), le capital de la société civile [Adresse 6] est réparti entre M. [E] [I], son gérant, détenteur de 50 % des parts, Mme [O] [I] et M. [W] [I], ceux-ci détenant chacun 25 % des parts. La société [Adresse 6] est propriétaire de deux terrains donnés à bail à deux sociétés, dirigées par M. [W] [I].
2. Invoquant la mésentente entre les associés paralysant le fonctionnement de la société, Mme [O] [I] a judiciairement sollicité la dissolution de celle-ci sur le fondement de l'article 1844-7, 5°, du code civil, demande à laquelle M. [W] [I] s'est associé.
3. M. [E] [I], agissant à titre personnel, et la société [Adresse 6], ont interjeté appel, selon la procédure à jour fixe, d'un jugement assorti de l'exécution provisoire ayant prononcé la dissolution de la société [Adresse 6], désigné M. [G] en qualité de liquidateur et de représentant légal et rejeté la demande indemnitaire de M. [E] [I].
4. Le 2 octobre 2015, ils ont délivré une assignation à jour fixe à M. [G] en qualité de liquidateur.
Examen des moyens
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a délibéré sur les premier, deuxième et troisième moyen, pris en sa première branche, sur l'avis de Samuel Aparisi, avocat général référendaire, après débats à l'audience publique du 8 mars 2022, où étaient présents, M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Durin-Karsenty, M. Delbano, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire, et Mme Thomas, greffier de chambre.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Mme [I], représentée par M. [W] [I], tuteur, et Mme [V], subrogée tutrice, M. [W] [I] et Mme [V], ès qualités, font grief à l'arrêt de dire régulière la mise en cause de la société [Adresse 6] prise en la personne de son liquidateur, alors « que nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ; que la partie ayant requis l'autorisation de mettre en oeuvre la procédure à jour fixe en appel ne peut valablement assigner pour le jour fixé une personne non visée par l'ordonnance d'autorisation du premier président ; que le fait d'assigner une personne à jour fixe sans y avoir été autorisé constitue un motif d'irrégularité de la mise en cause de cette personne - laquelle se trouve dépourvue du droit d'agir en défense en appel -, et cette irrégularité entache la procédure d'appel, y compris après cassation ultérieure puis renvoi devant une seconde cour d'appel, le renvoi de cassation n'ouvrant pas une nouvelle instance en appel ; qu'une telle irrégularité ne peut donc être couverte par la présence devant la Cour de cassation de la personne irrégulièrement assignée en appel ni par le respect des modalités procédurales de citation des parties sur renvoi de cassation ; qu'en retenant au contraire que ces deux dernières circonstances procédurales rendaient régulière la mise en cause de la personne assignée à jour fixe en appel sans autorisation, la cour d'appel a violé les articles 14, 31, 32, 625, 631, 917 et 920 du code de procédure civile, par refus d'application, et les articles 1033 et 1036 du même code, par fausse interprétation. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article 917 du code de procédure civile, en matière de procédure à jour fixe devant la cour d'appel, le premier président qui statue sur requête par une ordonnance qui constitue une mesure d'administration judiciaire peut fixer le jour auquel l'affaire est appelée par priorité et désigner la chambre à laquelle elle est attribuée.
7. Selon l'article 920 du même code, l'appelant assigne la partie adverse pour le jour fixé.
8. Aucun de ces textes ni aucune autre disposition ne fait obstacle à ce que la partie qui a obtenu le bénéfice de la procédure à jour fixe assigne sans nouvelle autorisation une personne qui n'est pas mentionnée dans l'ordonnance du premier président.
9. Il en résulte que le liquidateur représentant la société civile a été régulièrement mis en cause.
10. Le moyen, qui manque en droit, ne peut, dès lors, être accueilli.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
11. Mme [I], représentée par M. [W] [I], tuteur, et Mme [V], subrogée tutrice, M. [W] [I] et Mme [V], ès qualités, font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'appel interjeté par M. [E] [I] en son nom personnel, alors « que, dans un litige indivisible par nature, tel que celui relatif à une demande d'un associé en dissolution judiciaire d'une société commerciale, l'appel formé contre l'une des parties n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance ; que si une telle instance en appel suit la procédure à jour fixe, l'absence de mise en cause régulière de l'une des parties, du fait de l'absence d'autorisation d'assigner à jour fixe à son égard, rend l'appel irrecevable ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen du présent pourvoi, du chef de la régularité de la mise en cause en appel de la société dont la dissolution judiciaire était demandée, emportera, en application de l'article 624 du code de procédure civile, cassation par voie de conséquence du chef de la recevabilité de l'appel interjeté en son nom personnel par M. [E] [I], associé de cette société, en l'état du lien de dépendance nécessaire unissant ces deux chefs de dispositif. »
Réponse de la Cour
12. Le premier moyen étant rejeté, le grief manque en fait.
13. Le moyen ne peut, dès lors, être accueilli.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
14. Mme [I], représentée par M. [W] [I], tuteur, et Mme [V], subrogée tutrice, M. [W] [I] et Mme [V], ès qualités, font grief à l'arrêt de débouter M. [W] [I], agissant tant en son personnel qu'en qualité de tuteur de Mme [I], de leur demande de dissolution judiciaire de la société [Adresse 6] et de rejeter toutes leurs demandes subséquentes, alors « que les chefs de dispositif par lesquelles la cour d'appel de renvoi a statué sur le fond du litige et rejeté la demande en liquidation judiciaire de la société sont dans la dépendance nécessaire du chef de dispositif ayant déclaré recevable l'appel interjeté par M. [E] [I] contre le jugement par lequel cette demande avait été accueillie, de sorte que la cassation à intervenir sur le deuxième moyen du présent pourvoi emportera cassation par voie de conséquence des dispositions de fond de l'arrêt attaqué, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
15. Le deuxième moyen étant rejeté, le grief manque en fait.
16. Le moyen ne peut, dès lors, être accueilli.
Sur le troisième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches
Enoncé du moyen
17. Mme [I], représentée par M. [W] [I], tuteur, et Mme [V], subrogée tutrice, M. [W] [I] et Mme [V], ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ qu'en présence d'une mésentente avérée entre les associés d'une société, dont chaque bloc détient la moitié des droits sociaux, la circonstance que la rédaction des statuts permet un fonctionnement apparent des organes sociaux, grâce aux pouvoirs statutaires accordés à l'associé gérant statutaire et, notamment, à la voix prépondérante dont il dispose en assemblée générale en cas de partage des voix, ne saurait à elle seule exclure l'existence d'une paralysie effective du fonctionnement de la société, dès lors que, comme cela a été constaté au cas présent pour l'approbation des comptes, les décisions sociales ne peuvent qu'être approuvées compte tenu de cette voix prépondérante et ce, malgré l'opposition des autres associés ; qu'en prenant en considération cette seule organisation statutaire pour écarter toute paralysie du fonctionnement de la société, cependant qu'il se déduisait des propres constatations de l'arrêt et que sans cette organisation statutaire, le fonctionnement de la société aurait été effectivement paralysé, de sorte que l'absence de blocage n'était qu'apparente, la cour d'appel a violé l'article 1844-7, 5°, du code civil ;
3°/ qu'aucune disposition légale ne donne à la juridiction saisie pouvoir d'obliger l'associé qui demande la dissolution de la société par application de l'article 1844-7, 5°, du code civil à céder ses parts à cette dernière et aux autres associés offrant de les racheter ; qu'en présence d'une mésentente paralysant le fonctionnement d'une société caractérisant la disparition de l'affectio societatis, le juge ne saurait non plus refuser de faire droit à la demande de dissolution d'un associé par la considération que ce dernier pourrait exercer son droit de retrait statutairement prévu ; qu'après avoir constaté, d'une part, la réalité de la mésentente entre les associés de la société civile [Adresse 6] issue du conflit familial et successoral les opposant, d'autre part, le fonctionnement artificiel de la société grâce à la voix prépondérante accordée par les statuts à l'associé gérant, président de séance, lors des assemblées générales, la cour d'appel ne pouvait, pour rejeter la demande en dissolution formée par les consorts [I], prendre en considération le droit de retrait dont disposait ces derniers ; qu'en se fondant néanmoins sur cette considération pour écarter leur demande en dissolution judiciaire, la cour d'appel a de plus fort violé les dispositions de l'article 1844-7, 5°, du code civil ;
4°/ que la mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société justifie que soit prononcée sa dissolution sans qu'il soit nécessaire que soit établie que ladite société est dans une situation irrémédiablement compromise, la dissolution anticipée pouvant avoir précisément pour objet d'éviter à la société une telle fin de vie ; qu'en se fondant, pour refuser de faire droit à la demande en dissolution judiciaire de la société [Adresse 6], sur l'absence de démonstration de ce que cette société était dans une situation irrémédiablement compromise au regard de ses résultats des années 2014 et 2015, notamment, la cour d'appel, qui a ajouté à l'article 1844-7, 5°, du code civil une condition qu'il ne comporte pas, l'a violé. »
Réponse de la Cour
18. Après avoir constaté qu'en dépit de la répartition égalitaire des titres entre les associés, les dispositions statutaires de la société [Adresse 6] permettaient d'adopter les résolutions nécessaires à son bon fonctionnement et de prévenir, en cas de désaccord, tout blocage en raison de l'attribution, lors des assemblées générales, d'une voix prépondérante au gérant qui en assurait la présidence, qu'elles donnaient aux associés la possibilité de se retirer totalement ou partiellement de la société [Adresse 6] et que ni Mme [I], ni M. [W] [I] n'avaient formulé une telle requête, la cour d'appel a retenu que l'activité de cette société se poursuivait en dépit des conflits entre associés et qu'elle pouvait, le cas échéant, continuer de fonctionner après un retrait d'associés.
19. La cour d'appel, qui avait la faculté de prendre en compte le droit de retrait conféré aux associés, qui ne s'est pas fondée sur une absence de blocage apparente et qui n'a pas subordonné la dissolution de la société [Adresse 6] à la preuve d'une situation financière irrémédiablement compromise, a pu en déduire que la mésentente entre les associés ne paralysait pas son fonctionnement et rejeter la demande de dissolution.
20. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.