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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 13 janvier 2015, n° 13/06491

DOUAI

Ordonnance

PARTIES

Défendeur :

Alternative Automobiles (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Me Delhalle, Me Pawletta, Me Soland, Me Sorato

T. com. Lille Métropole, du 17 oct. 2013

17 octobre 2013

Par jugement rendu le 17 octobre 2013, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

• débouté M. Nicolino M. de sa demande de paiement de 47.650 euros, • condamné M. Nicolino M. à verser à la SARL Alternative Automobiles une somme arbitrée à 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, • débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires, • condamné M. Nicolino M. aux entiers frais et dépens, taxés et liquidés à la somme de 69,97 en ce qui concerne les frais de greffe.

M. Nicolino M. a interjeté appel de cette décision le 14 novembre 2013.

Par conclusions d'incident du 27 mai 2014, la SARL Alternative Automobiles a saisi le conseiller de la mise en état aux fins de :

• faire sommation à M. Nicolino M. de produire les originaux des CD Rom visés dans le constat d'huissier de Mes GUEPIN et PICOT du 2 janvier 2014, et ce, sous peine d'astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, • en tout état de cause, de déclarer irrecevable la pièce adverse n° 42, • ordonner son retrait du dossier de l'appelant, • condamner M. Nicolino M. à une somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle explique que :

• elle est spécialisée dans la vente de véhicules d'occasion de standing, • le 14 avril 2009, elle a fait l'acquisition auprès d'un concessionnaire Mercedes d'un véhicule exceptionnel, à savoir une Ferrari type F599, pour un montant de 200.000 euros TTC, véhicule remis en vente sur son site Internet, • M. M. a pris attache avec elle, a proposé la reprise de son véhicule A. Martin et l'acquisition de la Ferrari, • la vente est intervenue le 9 septembre 2009, M. M. ayant réglé finalement la somme de 39.599 euros TTC, • 22 mois après la vente, en juillet 2011, l'administration fiscale belge a pris attache avec l'acquéreur et lui a réclamé 47.650 euros, considérant que l'achat du véhicule Ferrari était soumis à TVA, cette taxe devant être supportée par M. M. ; ce dernier n'a pas contesté la réclamation de l'administration fiscale belge alors pourtant que celle-ci est un non-sens, • par acte d'huissier du 14 décembre 2011, elle a été assignée devant le tribunal de première instance de Tournai lequel s'est déclaré internationalement incompétent et a condamné M. M. à une indemnité procédurale de 1.000 euros, • elle a alors été assignée devant le tribunal de commerce de Lille qui a rendu la décision déférée.

Elle fait valoir que dans le cadre de son appel, M. M. verse aux débats un constat d'huissier établi par la SCP GUEPIN et PICOT le 2 janvier 2014 dans lequel l'huissier de justice retranscrit deux CD ROM contenant des conversations téléphoniques non datées. Le premier de ces CD concerne une discussion entre un tiers qui s'est présenté comme un client potentiel et un agent administratif et commercial de la SARL Alternative Automobiles. Elle observe que les conditions de l'enregistrement sont totalement inconnues et opaques. Elle demande qu'il soit fait sommation à M. M. de communiquer ces CD ROM pour voir si la conversation n'a pas été trafiquée ou coupée. En tout état de cause, elle estime que le moyen utilisé relève de déloyauté et doit être sanctionné.

Elle demande donc que le conseiller de la mise en état ordonne la production de l'original du CD ROM ayant été retranscrit par les huissiers de justice, au besoin sous astreinte, et que la pièce 42 de M. M., à savoir le procès-verbal de constat du 2 janvier 2014, soit écarté des débats au regard des moyens employés lors de l'enregistrement.

Par écritures du 15 septembre 2014, M. Nicolino M. a indiqué retirer sa pièce n° 42 et qu'il n'en fera plus mention dans ses conclusions. Il a sollicité de débouter la SARL Alternative Automobiles de ses demandes.

Il explique que la facture émise lorsqu'il a acheté le véhicule Ferrari précisait que la TVA sur la marge bénéficiaire avait été comprise et réglée en France par le vendeur ; que l'administration fiscale belge lui avait pourtant réclamé 61.798 euros outre les intérêts de retard au titre de cette TVA, affirmant que la société venderesse avait fait une erreur, le véhicule cédé ayant parcouru moins de 6.000 km et ne pouvant être considéré comme un moyen de transport d'occasion. Il indique que c'est dans ces conditions qu'il a dû régler une somme de 47.250 euros et qu'il a fait assigner la société Alternative Automobiles en remboursement de cette somme devant le tribunal de première instance de Tournai puis devant le tribunal de commerce de Lille par acte d'huissier du 18 janvier 2013.

Il fait valoir qu'il n'a pas fondé sur sa défense sur la pièce 42 dont l'irrecevabilité est sollicitée, la conversation litigieux ayant été enregistrée sans que l'un des interlocuteurs n'en soit informé. Il précise qu'il accepte de retirer cette pièce des débats et constate que les autres demandes n'ont plus d'objet mais précise n'avoir aucune cause d'opposition à la transmission des originaux des CD ROM.

Par écritures du 22 septembre 2014, la SARL Alternative Automobiles a maintenu ses demandes et sollicité qu'il soit pris acte que le conseil de M. M. retirait sa pièce 42 et n'en ferait pas état dans ses écritures.

Par conclusions du 10 octobre 2014, M. M. a modifié ses demandes et sollicité du conseiller de la mise en état que :

• il se déclare incompétent pour statuer sur les demandes formulées par la société Alternative Automobiles, • à titre subsidiaire, il dise que sa pièce 42 est loyale et par conséquent recevable, • en tout état de cause, il déboute la société Alternative Automobiles de ses demandes, fins et conclusions et la condamne au versement d'une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il rappelle qu'en droit civil et en droit commercial, la preuve des faits est libre et qu'il peut tenter de prouver les fautes commises par La SARL Alternative Automobiles par tout moyen.

Il précise que la pièce n° 42 est un constat d'huissier qui retranscrit ce qui a été enregistré sur un CD ROM, que si la communication a été coupée ou trafiquée, il s'agirait d'un délit pénal de faux et usage de faux de sorte qu'il est prêt à communiquer cet élément à toute autorité judiciaire compétente pour vérifier l'absence de trucages. Il en déduit que cette communication n'est pas la compétence du conseiller de la mise en état mais du juge pénal.

Il ajoute que la recevabilité d'une pièce est une question d'interprétation qui doit être soumise à l'appréciation des juges du fond et que la demande tendant à ce qu'une pièce valablement communiquée soit déclarée irrecevable ne peut prospérer devant le conseiller de la mise en état.

Il souligne sa bonne foi précisant n'avoir fait qu'enregistrer une conservation libre entre deux personnes, conversation retranscrite par un officier ministériel de sorte qu'il est indéniable qu'aucune altération des propos n'a été possible. Si le conseiller de la mise en état se déclarait compétent pour statuer sur la recevabilité de cette pièce, il demande qu'elle soit déclarée recevable car obtenue sans

manoeuvre ni intention frauduleuse.

Par écritures du 5 décembre 2014, la SARL Alternative Automobiles demande au conseiller de la mise en état de :

• prendre acte de ce que le conseil de M. M. retire la pièce n° 42 et n'en fera pas état dans ses écritures, • subsidiairement, ordonner le retrait de la pièce 42 constituant un moyen de preuve obtenue de manière déloyale, • à titre infiniment subsidiaire et dans l'hypothèse où le « juge » de la mise en état n'ordonnerait pas le retrait de la pièce 42, faire sommation à M. M. de produire les originaux des deux CD ROM visés dans le constat d'huissier de Mes GUEPIN et PICOT du 2 janvier 2014, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, • en tout état de cause, condamner M. M. au paiement de la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il souligne le caractère évolutif de la défense de M. M., affirme que le retrait spontané de la pièce 42 (mis en avant dans les conclusions d'incident du 15 septembre 2014) constitue sans ambiguïté de sa part la reconnaissance de ce que cet élément de preuve était particulièrement déloyal, situation qui l'a obligé à établir des conclusions devant le conseiller de la mise en état. Il fait valoir qu'un mois après avoir conclu au retrait de la pièce litigieuse, M. M. a soutenu le contraire, qualifiant désormais cette pièce de loyal et de recevable.

Il affirme que le juge de la mise en état a vertu de l'article 763 du code de procédure civile mission de veiller au déroulement loyal de la procédure, que l'intimé ne peut pas soutenir retirer une pièce litigieuse pour déloyauté avant d'indiquer le contraire. Il demande qu'il soit pris acte du retrait de la pièce et, à titre subsidiaire, si le « juge » de la mise en état considérait qu'il n'y a pas lieu de prendre acte du retrait de cette pièce, la production des originaux des CD ROM afin d'examiner leur contenu.

MOTIFS DE LA DECISION

L'article 763 du code de procédure civile, auquel renvoie l'article 907 du même code s'agissant de la procédure devant la cour d'appel, prévoit que le juge de la mise en état a pour mission de veiller au déroulement loyal de la procédure, spécialement à la ponctualité de l'échange des conclusions et de la communication pièces. L'article 770 précise qu'il exerce tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l'obtention et la production de pièces.

Sur la demande tendant à prendre acte que M. M. retire sa pièce n°42 :

Si dans ses conclusions d'incident du 15 septembre 2014, M. M. a indiqué retirer cette pièce et qu'il n'en ferait plus état dans ses écritures, force est de constater que tel n'a pas été le cas et que cette pièce est toujours visée au bordereau de communication annexé aux conclusions de fond prises par M. M..

Il ne peut donc être pris acte de ce retrait et ce d'autant que, dans ces dernières conclusions d'incident, M. M. indique qu'il n'entend pas retirer cette pièce.

La demande de ce chef sera donc rejetée.

Sur la demande tendant à voir ordonner le retrait de la pièce n°42 :

Si l’article 770 du code de procédure civile dispose que le juge de la mise en état exerce tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l'obtention et à la production des pièces, ces pouvoirs ne

s'étendent pas au retrait de celles dont la production est contestée.

Le conseiller de la mise en état ne tire pas davantage ce pouvoir de l’article 763, alinéa 2, du code de procédure civile , la mission qui lui est donnée de veiller au déroulement loyal de la procédure, spécialement à la ponctualité de l'échange des conclusions et de la communication des pièces, ne lui permettant pas de prendre des mesures qui ne relèvent pas de sa compétence.

Il n'appartient qu'à la cour, statuant sur le fond du litige, d'apprécier si la production de la pièce n°42 procède d'une déloyauté dans l'administration de la preuve au sens de l'article 9 du code de procédure civile justifiant son retrait des débats.

Il sera donc constaté que la demande de retrait de la pièce 42 ne ressort pas des pouvoirs conférés au conseiller de la mise en état.

Sur la demande de production des originaux des CD Rom :

Selon l'article 1134 du code civil, les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée.

Il résulte de ce texte et des articles 15 et 132 du code de procédure civile que la production d'une copie ne saurait suppléer l'original, dont la communication peut toujours être exigée pour assurer le respect des droits de la défense, et ce même si cette copie est constituée par la retranscription par un huissier de justice d'une conversation enregistrée.

La pièce litigieuse ayant été invoquée dans le cadre de la présente procédure, la production et la communication de l'original peut être sollicitée par la SARL Alternative Automobiles et cette communication n'a pas à être faite à « toute autorité judiciaire » mais bien à l'intimée de la procédure pendante devant la cour.

En conséquence, il sera fait droit à cette demande, sous astreinte, selon les modalités prévues au dispositif.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Les parties succombant partiellement, les dépens liés au présent incident suivront le sort de ceux de l'instance au fond.

Il n'est pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge des frais exposés et non compris dans les dépens. Les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

Nous, conseiller de la mise en état :

REJETONS la demande tendant à prendre acte du retrait de la pièce n°42 de M. M. ;

CONSTATONS que la demande de retrait de la pièce n° 42 ne ressort pas des pouvoirs conférés au conseiller de la mise en état ;

ORDONNONS à M. Nicolino M. de produire et communiquer à la SARL Alternative Automobiles les originaux des deux CD Rom visés dans le procès verbal de constat d'huissier

de Me GUEPIN, daté du 2 janvier 2014 dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente ordonnance, sous peine, passé ce délai, d'une peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard pendant un délai de trois mois ;

DEBOUTONS les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DISONS que les dépens liés au présent incident suivront le sort de ceux de l'instance au fond.