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Décisions

CA Douai, premier président, 12 janvier 2023, n° 21/02057

DOUAI

Ordonnance

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Eurovia Picardie (Sté)

Défendeur :

Direction Régionale de l'Economie, de l'Emploi, du Travail et des Solidarités des Hauts-de-France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chateau

Avocat :

Me Camus-Demailly

CA Douai n° 21/02057

12 janvier 2023

Exposé des faits :

Par requête en date du 24 février 2021, M. [K] [M], chef du pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie au sein de la direction régionale des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts-de-France, devenue la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail, et des solidarités depuis le 1er avril 2021, ci-après la DREETS, a présenté au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d'Arras une demande aux fins d'autorisation de visite et saisie au sein des locaux de la société Eurovia Picardie à [Localité 3] et [Localité 6], ainsi que dans ceux des sociétés Oise TP Lhotellier, Colas [Localité 3], Colas Nord Est, Ramery TP, et Oise Estrées Saint Denis, Guintoli et Siorat ainsi que dans les entreprises des mêmes groupes qui seraient situées à la même adresse, au motif que lesdites entreprises auraient pris une part active ou à plusieurs pratiques visant à se répartir des marchés d'aménagement et les travaux de chaussée et ce en violation des dispositions de l'article L 420-1 du code de commerce relatif aux pratiques anti-concurrentielles.

Par ordonnance du 9 mars 2021, le juge des libertés et de la détention d'Arras a autorisé, en application de l'article L. 450-4 du code de commerce, une opération de visite et saisie au sein des locaux de la société Eurovia Picardie zone d'activités de Pinçolieu, [Adresse 1] et [Adresse 5].

Cette opération a été exécutée par la DREETS le 16 mars 2021.

Par déclaration au greffe du tribunal judiciaire d'Arras en date du 23 mars 2021, la société Eurovia Picardie représentée par Maître David Mortier avocat au barreau de Lille substituant Maître Max Mousseron avocat au barreau de Paris a déposé un recours contre l'ordonnance rendue le 9 mars 2021 par Glwadys Dorsemaine juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire d'Arras.

Cette affaire a été enrôlée sous le numéro de répertoire général 21/2058.

Par déclaration au greffe du tribunal judiciaire d'Arras en date du 24 mars 2021, la société Eurovia Picardie représentée par Maître Marion Raes avocate au barreau de Lille a déposé un recours contre l'ordonnance rendue le 9 mars 2021 par Glwadys Dorsemaine juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire d'Arras.

Cette affaire a été enrôlée sous le numéro de répertoire général 21/2057.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES A L'AUDIENCE DU 18 OCTOBRE 2022

Moyens La société Eurovia Picardie demande, au visa des articles 6 et 8 de la CEDH, 9 du code civil, 432-8 et 432-9 du code pénal, L.'420-1 et 450-4 du code de commerce, de :

- annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention d'Arras du 9 mars 2021, en ce qu'elle ne satisfait pas à l'exigence de présomptions suffisantes justifiant des visites et saisies, et de juger que la requête du directeur régional adjoint de la DIRRECTE des Hauts-de-France étant infondée pour le même motif ;

- annuler l'ordonnance du juge des libertés en ce qu'elle ne satisfait pas à l'exigence de délimitation stricte du champ des visites et saisies et de juger que la requête du directeur régional adjoint de la DIRRECTE des Hauts-de-France était infondée pour le même motif ;

A titre subsidiaire :

- juger, en tout état de cause, que le champ des opérations de visites et saisies n'a pas été défini de manière suffisamment précise, en l'absence de tout élément au dossier concernant d'autres marchés que les 9 premiers marchés subséquents attribués au titre de l'accord-cadre conclu en 2015 par le conseil départemental de l'Oise et qui avait pour objet la réalisation de travaux d'aménagement et de grosses rénovations des chaussées et de leurs dépendances dans le département ;

- annuler l'autorisation délivrée de procéder à des visites et saisies au-delà du champ de l'unique présomption de l'ordonnance, qui ne porte que sur ces 9 marchés ;

En conséquence :

- déclarer la nullité des quatre procès-verbaux de visites et saisies des 16 et 17 mars 2021 établis dans ses locaux de [Localité 3] et [Localité 6];

- interdire toute utilisation subséquente des quatre procès-verbaux de visites et saisies des 16 et 17 mars 2021 et des pièces irrégulièrement saisies;

- ordonner qu'il lui soit restitué l'original et toutes copies éventuelles de l'intégralité des pièces saisies sous scellés n° 1 et 2 et sous scellé numérique, annexés aux procès-verbaux du 16 mars 2021 établis au sein de ses locaux de [Localité 3];

- Ordonner qu'il lui soit restitué l'original et de toutes copies éventuelles de l'intégralité des pièces saisies sous scellés n° 1 et 2 et sous scellé numérique, annexés aux procès-verbaux du 16 mars 2021 établis au sein de ses locaux de [Localité 6]';

En tout état de cause :

- débouter la DREETS des Hauts-de-France de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la DREETS des Hauts-de-France au paiement des entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :

1- le juge des libertés a ordonné une visite en l'absence du moindre élément de nature à la justifier :

- 1.1 le contrôle de la justification de la visite par des indices suffisants est une condition fondamentale de nécessité et de proportionnalité des opérations ordonnées,

-  1.2 pour justifier l'autorisation, l'ordonnance ne met en avant que de pures spéculations de l'administration, la présomption de l'administration ne reposant que sur l'existence d'erreurs individuelles'soumises par certains soumissionnaires sur certains marchés subséquents, voire de l'absence de participation de certains d'entre eux à certains marchés, que sur le caractère prétendument conscient et répété de ses erreurs, à la concomitance entre celles-ci et la prééminence des candidatures de Colas, Eurovia et Eiffage ;

- 1.3 l'ordonnance ne fait état d'aucun indice de concertation entre les attributaires de l'accord-cadre conclu en 2015, précision étant faite qu'il n'existe aucun des signaux d'alerte mis en place par la DGCCRF.

- 1.4 l'ordonnance reprend à son compte une analyse manifestement biaisée :

- l'ordonnance ne s'intéresse qu'à neuf marchés subséquents attribués entre février et juillet 2016, alors même que la requête de l'administration date de 2021et qu'à cette date 54 marchés subséquents avaient été attribués sur la période 2016-2019 pendant laquelle courait l'accord cadre et que les nouvelles modalités d'attribution des marchés ont pu conduire à des erreurs sur les prix ;

- les entreprises concernées par les marchés subséquents ont, par la suite, toutes salué la modification de la fixation des prix par le conseil départemental de l'Oise ;

- les attributaires étaient obligés de soumettre une offre pour ne pas être évincés et ce, dans un laps de temps très limité si bien que le risque d'erreurs et d'ajustements était important.

Le juge des libertés et de la détention n'a pas pris en considération toutes ces circonstances si bien qu'il n'a pas effectué le contrôle qu'il lui incombait de faire.

- 1.5 Les six ensembles de « faits » motivant l'ordonnance peinent à masquer l'absence de tout indice de concertation :

- 1er ensemble de faits - pages 4 et 5 de l'ordonnance - : aucun élément de nature à prouver une concertation n'est relevé. Il s'agit simplement d'une description de l'accord-cadre et de son organisation ;

- 2e et 3e ensemble de faits - pages 5 et 6 de l'ordonnance - : il s'agit des erreurs constatées sur les prix qui s'expliquent par le temps limité pour les attributaires pour déposer leur offre et par les nouvelles modalités de conclusion des marchés imposées par le conseil départemental de l'Oise. Plus aucune erreur n'a été commise à partir de mars 2016. De plus, les erreurs étaient connues du conseil départemental de l'Oise qui n'a sanctionné aucun des attributaires ;

- 4e ensemble de faits - pages 6 et 7 de l'ordonnance - : seules deux erreurs ont été commises par Eurovia une erreur dans une proposition de variante, alors même qu'il n'existait pas d'obligation d'adresser une variante et un délai d'exécution supérieur à celui imposé par la consultation, qui s'explique par son plan de charge à la date de l'offre ;

- 5e ensemble de faits:  - pages 7 et 8 de l'ordonnance - sur les 18 cas dans lesquels des irrégularités ont été constatées, la moitié concerne des erreurs commises par le groupement de sociétés Guintoli-Siorat qui n'a pas respecté les termes de l'accord-cadre et qui n'a, au final, remporté aucun des 54 marchés subséquents, ce groupement ayant d'ailleurs clairement expliqué les raisons de son absence de compétitivité, à raison du fait que son c'ur de métier est le terrassement et qu'il ne disposait pas de centrale d'enrobés dans l'Oise ;

- 6e ensemble de faits : - page 8 de l'ordonnance - l'ordonnance prétend tirer un indice de concertation de la prééminence des entreprises des candidatures d'Eurovia, Eiffage et Colas, alors même qu'Eiffage n'a remporté aucun des neuf marchés analysés et qu'il apparaît cohérent que les principaux acteurs en matière de travaux routiers dans l'Oise remportent les marchés. De plus, les lettres de consultation et les courriers adressés par le département de l'Oise ne sauraient être assimilés à des « signalements par courrier » qui inviteraient les entreprises à rectifier leurs erreurs ou à remédier à des anomalies.

2 - L'absence de délimitation du champ des visites et saisies autorisées :

- L'absence d'indices suffisamment probants conduit à une délimitation insuffisante du champ des visites et saisies autorisées si bien que ces dernières ne sont pas proportionnées ;

- Il incombe au juge des libertés et de la détention de vérifier que le champ des visites et saisies est proportionné et correspond aux présomptions soulevées ;

- L'ordonnance n'a en effet fixé aucune limite en termes de types de pratiques, de marchés concernés, de périmètre géographique, ni même de période concernée ;

- Chaque marché public passé selon une procédure d'appel d'offres constitue en soi un marché pertinent selon l'Autorité de la concurrence ;

- L'ordonnance a donné à l'administration un total blanc-seing pour se livrer à une «'pêche aux preuves ».

La DREETS demande de dire et juger mal fondé la société Eurovia Picardie dans toutes ses demandes et l'en débouter, de déclarer régulière l'ordonnance du juge des libertés et de la détention d'Arras en date du 9 mars 2021 autorisant les opérations de visite et saisies notamment dans les locaux des agences Eurovia Picardie et de condamner en conséquence la société Eurovia Picardie aux dépens.

Elle argue de ce que contrairement à ce que soutient la société Eurovia Picardie,

1. l'ordonnance n'autorise pas les visites et saisies au regard d'une présomption d'entente de marchés attribués au titre du seul accord-cadre conclu avec le conseil départemental de l'Oise en 2015, mais d'une présomption d'une ou plusieurs pratiques visant à se répartir les marchés d'aménagement de travaux de chaussées en violation de l'article L 420-1 du code de commerce, dès lors qu'elle souligne que la liste des marchés pour lesquels il existe une présomption d'entente n'est probablement pas exhaustive, les marchés mentionnés dans l'ordonnance n'étant que des illustrations de pratiques dont la preuve est recherchée dans le secteur concerné, de sorte que les contestations d'Eurovia Picardie relatives au champ des présomptions, résultent d'une lecture erronée de l'ordonnance sont dénuées de pertinence.

2. Il n'est pas exact de soutenir que l'administration a procédé à la fouille des locaux toute la journée et a procédé à des saisies massives, alors que les opérations de fouille ont été interrompues lors de la pause méridienne et lors de pauses demandées par l'occupant des lieux et que les saisies sont faibles par rapport aux documents investigués, précision étant faite que de telles observations doivent trouver leur place dans le cadre du recours à l'encontre du procès-verbal de visite et saisie des 16 et 17 mars 2021.

3. le juge a assuré un contrôle effectif des éléments de présomptions présentés par l'administration, étant précisé qu'il suffit de réunir des présomptions simples d'agissements prohibés, lesquelles existent au vu des rapports d'analyse des offres établis par le conseil départemental de l'Oise, étant précisé que la plaquette éditée par le ministère de l'Economie à destination des acheteurs publics ne peut se substituer au droit des pratiques anti-concurrentielles et qu'il est de jurisprudence constante que l'administration peut sélectionner parmi tous les éléments en sa possession les documents pertinents quant aux agissements présumés et que les indices ayant motivé l'acceptation de la requête s'apprécient de manière globale et non de manière isolée.

4. le champ des opérations de visite et saisies est celui de la recherche de preuves d'agissements réprimés au titre des ententes illicites dans le cadre des marchés publics du secteur de l'aménagement et les travaux de chaussée, et n'est pas restreint aux seuls marchés analysés dans l'ordonnance. Motivation

MOTIFS DE LA DECISION

1. Dans la mesure où les appels des 23 et 24 mars 2021 portent sur la même décision du juge des libertés et de la détention d'Arras du 9 mars 2021 et qu'ils ont été formés au nom de la même société Eurovia Picardie, il convient d'ordonner la jonction des deux affaires sous le numéro de répertoire général 21.2057.

2. Il sera rappelé que si l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, principe repris à l'article 9 du code civil, et que si les articles 432-8 et 432-9 du code pénal interdisent aux personnes dépositaires de l'autorité publique de s'introduire dans le domicile d'autrui sans le consentement de l'intéressé que dans les cas prévus par la loi, tout comme ils ne peuvent procéder à l'ouverture, la révélation du contenu des correspondances, à leur interception ou leur divulgation quand elles sont émises par voie de télécommunications que dans les cas prévus par la loi, il résulte de l'article L 450-4 du code de commerce dans sa version en vigueur du 5 décembre 2020 au 28 mai 2021, suite à la loi n°2020-1508 du 3 décembre 2020 - art. 37 (V), version applicable à la date du 9 mars 2021 à laquelle le juge des libertés et de la détention d'Arras a statué que :

« Les agents mentionnés à l'article L. 450-1 ne peuvent procéder aux visites en tous lieux ainsi qu'à la saisie de documents et de tout support d'information que dans le cadre d'enquêtes demandées par la Commission européenne, le ministre chargé de l'économie ou le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter. Ils peuvent également, dans les mêmes conditions, procéder à la pose de scellés sur tous locaux commerciaux, documents et supports d'information dans la limite de la durée de la visite de ces locaux. Lorsque ces lieux sont situés dans le ressort de plusieurs juridictions et qu'une action simultanée doit être menée dans chacun d'eux, une ordonnance unique peut être délivrée par l'un des juges des libertés et de la détention compétents.

Le juge vérifie que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée. »

3. En l'espèce, dans le cadre de la vérification du caractère bien-fondé de la demande d'autorisation, le juge des libertés et de la détention d'Arras devait rechercher s'il existait bien des indices suffisamment sérieux et probants pour permettre de présumer que la société Eurovia Picardie avait pu participer à des pratiques anti-concurrentielles dans le secteur de l'aménagement et des travaux de chaussées, aux côtés notamment des sociétés Oise TP Lhotellier, Colas [Localité 3], Colas Nord Est, Ramery TP, et Oise Estrées Saint Denis, Guintoli et Siorat à partir des éléments d'information que lui soumettait l'administration requérante à travers les pièces versées à l'appui de la requête.

4. Pour obtenir cette autorisation du juge des libertés et de la détention d'Arras, la DIRECCTE des Hauts de France, actuelle DREETS avait joint, outre la demande d'enquête du ministre de l'économie, en date du 22 février 2021, seize autres annexes à savoir :

annexe 2 : les procès-verbaux d'ouverture et d'analyse des candidatures des 6 octobre 2015 et 30 septembre 2015, relatifs à l'accord-cadre relatif au projet d'aménagement et de grosses rénovations des chaussées et de leur dépendances dans le département de l'Oise,

annexe 3 : le rapport de présentation du 26 octobre 2015 relatif à cet accord-cadre,

annexe 4 : les détails financiers, techniques et environnementaux de l'analyse des offres relatifs à cet accord-cadre,

annexe 5 : le dossier de consultation relatif à cet accord-cadre, comprenant le règlement de la consultation, le cahier des clauses administratives particulières, l'acte d'engagement, le référentiel des prix maximaux détaillés, le détail quantitatif estimatif et le cahier des clauses techniques particulières,

annexe 6 : l'avis de marché n°15-117560 du 4 août 2015 et l'avis d'attribution n°15-168954 du 6 novembre 2015,

annexes 7 et 8, les rapports de présentation et d'analyses de la commission d'appel d'offres des 9 février 2016 et 2 mars 2016, relatifs à des marchés subséquents à l'accord-cadre,

annexes 9 à 13, les procès-verbaux d'ouverture et d'analyses des offres de la commission d'appel d'offres du 24 février 2016 au 6 avril 2016, des 2 juin au 27 juin 2016, 23 juin au 4 juillet 2016 et 11 juillet 2016 au 26 juillet 2016, relatifs à des marchés subséquents à l'accord-cadre,

annexe 14 les lettres de consultation des marchés subséquents,

annexe 15 : les courriers de rejet des offres,

annexe 16 : les coordonnées des entreprises visées,

annexe 17 : les explications recueillies auprès des entreprises par le département de l'Oise au sujet des difficultés rencontrées dans le cadre de l'exécution de l'accord-cadre.

5. La société Eurovia Picardie fait grief à l'ordonnance de n'avoir mis en avant que les pures spéculations de l'administration, reprenant dans ses conclusions certains des termes apparaissant dans l'ordonnance :

5. 1 page 5 « attendu que l'administration met en exergue le fait que plusieurs offres des candidats n'ont pas respecté les articles sus-mentionnés (5, 13 alinéa 3 à 5 et 18 du cahier des clauses administratives particulières) et que pour l'administration de tels comportements constitueraient des indices d'entente par répartition des marchés » sans reprendre la fin de ce paragraphe « ainsi qu'il est développé ci-après ».

Il ne peut donc être conclu à partir de ces éléments tronqués qui ne faisaient qu'annoncer l'analyse des inobservations par les entreprises des clauses des administratives particulières et la recherche d'indices d'entente, que le juge des libertés se serait contenté de mettre en avant les pures spéculations de l'administration.

5.2 page 7 « l'administration explique que le caractère conscient des violations réitérées de leurs engagements par les attributaires est établi'» et en page 8 «' selon l'administration, la prééminence des candidatures des entreprises appartenant aux groupes Colas, Eurovia et Eiffage sur les marchés observés est concomitante de ces comportements suspects et conscient part d'entreprises habitées à répondre à des appels d'offres » alors que ces paragraphes se situent dans une partie récapitulative des indices en effet allégués par l'administration et que la motivation propre du juge commence en milieu de page 8 « attendu que les faits relevés par l'administration peuvent s'analyser comme la manifestation d'une concertation visant à favoriser l'attribution de marchés d'aménagement et de travaux de chaussées ... ».

6. Si la société Eurovia Picardie fait grief à l'ordonnance de ne faire état d'aucun indice de concertation entre les attributaires de l'accord-cadre, au motif que n'avaient été relevées que des erreurs individuelles de certaines attributaires, il est constant, comme elle le précise d'ailleurs, que ne peut être exigé au niveau de l'autorisation donnée par le juge, l'existence de preuves d'une telle concertation, mais seulement de faisceaux de présomptions d'agissements prohibés, le juge des libertés et de la détention n'étant nullement tenu de rechercher les signaux d'alerte cités à titre d'exemple par l'administration dans un document didactique à destination des acheteurs publics.

Or, force est de constater que la société Eurovia ne remet pas en cause la réalité des erreurs opérées par les sociétés titulaires de l'accord-cadre de 2015, lors de leurs offres de février à juillet 2016, parfaitement listées dans l'ordonnance ou encore le fait qu'un des titulaires de cet accord à savoir le groupement des sociétés Guintoli-Siorat n'a fait que de très rares offres dans le cadre de la cinquantaine de marchés subséquents, alors même qu'en application de l'article 13 des clauses administratives particulières, les titulaires de l'accord s'engageaient à répondre aux marchés subséquents et à faire des offres régulières, acceptables et appropriées, et que ces erreurs émanant d'acteurs habitués à répondre à des marchés publics ont pu être considérées comme volontaires et donc suspectes par le juge et constituer des présomptions d'entente prohibée.

7. La société Eurovia Picardie fait grief à l'ordonnance de reprendre à son compte une analyse de l'administration manifestement biaisée au motif qu'elle ne repose que sur l'analyse des neuf premiers marchés subséquents attribués au titre de l'accord-cadre sur la période comprise entre février et juillet 2016.

S'il est bien exact que seuls ces neufs premiers marchés ont été analysés, il ne peut en être fait grief au juge au vu des dispositions de l'article L 450-4 du code de commerce et de son application qui est faite par la jurisprudence dès lors que ces seules pièces lui ont paru suffisantes pour estimer qu'il existait des présomptions d'entente prohibée, peu importe que celle-ci ait ou non perduré durant toute la période d'exécution de l'accord-cadre.

Il sera par ailleurs noté que l'administration qui est accusée d'avoir donné au juge des informations biaisées au juge, lui avait bien communiqué en annexe 17 les explications données en 2017 par les sociétés titulaires de l'accord-cadre sur les difficultés rencontrées dans le cadre de l'exécution-cadre.

Dès lors que la société Eurovia Picardie reproche au juge de ne pas les avoir analysées, ce qui est exact, même si aucune disposition légale ne fait obligation au juge des libertés et de la détention de d'apprécier sur chacune des pièces qui lui sont soumises, la décision pouvant être motivée au regard des pièces communiquées dans leur ensemble, elles le seront dans le cadre du présent recours.

8. La société Eurovia Picardie met en avant que la moitié des cas de non-respect qui sont mis en exergue ont lieu lors des deux premières consultations et ont trait à des erreurs relatives à des prix unitaires trop élevés.

La présente juridiction note toutefois le groupement des sociétés Guintoli-Siorat a continué à présenter des offres irrégulières, pour les consultations ultérieures alors même qu'il avait dès le 9 février 2016 été informé du caractère irrégulier de ses deux premières offres, à une date à laquelle les délais pour faire les offres pour les marchés 3,4 et 5 n'étaient pas expirés.

Par ailleurs, ce même groupement n'a plus formé d'offres et ne peut légitimement invoquer que c'est parce que la société Guintoli était spécialisée dans le terrassement et non dans les chaussées alors que le groupement d'entreprises incluait la société Siorat, société spécialisée dans la construction de routes.

Les sociétés Eurovia Picardie et Eiffage TP Nord ont par ailleurs déposé une offre ne répondant pas aux exigences du cahier des clauses techniques particulières, à savoir une offre variante non prévue pour la même offre et la société Eurovia Picardie a proposé un délai d'exécution de 65 jours supérieur au délai de 42 jours calendaires prévus, ce qui en faisaient des offres objectivement irrégulières.

Les explications présentées par Eurovia Picardie dans le cadre de la présente instance avaient pas été données au département de l'Oise qui avait consulté les entreprises sur les difficultés rencontrées, de sorte que la société Eurovia Picardie ne peut alléguer que le juge a délibérément ignoré ses explications.

9. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la société Eurovia Picardie est mal fondée à soutenir que chacun des manquements mis en exergue dans l'ordonnance trouvait une explication très simple et parfaitement crédible à la lecture du dossier soumis au juge des libertés, de sorte que sera écartée sa demande d'annulation de l'ordonnance en ce qu'elle n'était soutenue par aucun indice.

10. La société Eurovia Picardie sollicite l'annulation de l'ordonnance litigieuse au motif que l'absence d'indices conduit à une délimitation insuffisamment précise du champ des visites et saisies autorisées.

Outre le fait que la présente juridiction vient de juger qu'il ne pouvait être conclu à une absence d'indices, l'objet de la mesure - la recherche de pratiques permettant une entente entre les entreprises de travaux publics cités dans la requête en vue de l'attribution de marchés d'aménagement et de travaux de chaussée aux entreprises Colas, Eurovia et Eiffage dans le cadre de marchés publics - demeure suffisamment déterminé puisqu'il est relatif à la recherche de la preuve d'actions concertées ayant pour objet de fausser le jeu normal de la concurrence au bénéfice d'opérateurs soumissionnaires et au détriment du pouvoir adjudicateur dans le secteur d'activité précis d'aménagement et de travaux de chaussée sans qu'il soit nécessaire de limiter la recherche de la preuve à un seul marché, dès lors que les pratiques suspectées peuvent impacter d'autres marchés pour lesquels les entreprises visées ont soumissionné du fait des mécanismes de compensations réciproques, certains marchés ayant été attribués à certaines entreprises à raison notamment de l'irrégularité des offres des autres et de l'absence d'offres.

La société Eurovia Picardie sera également déboutée de sa demande subsidiaire d'annulation de l'autorisation délivrée de procéder à des visites et saisies.

11. Les demandes subséquentes d'annulation des procès-verbaux de visite et saisies des 16 et 17 mars 2021, d'interdiction d'utilisation desdits procès-verbaux et des pièces saisies, de restitution des pièces saisies seront rejetées dès lors qu'elles étaient fondées sur l'annulation de l'ordonnance du 9 mars 2021.

12. La société Eurovia Picardie sera condamnée aux éventuels dépens de la présente instance.

PAR CES MOTIFS

Ordonne la jonction de l'affaire enrôlée sous le numéro de répertoire général 21/2058 avec celle enregistrée sous le numéro de répertoire général 21/02057.

Déboute la société Eurovia Picardie de toutes ses demandes,

Déclare régulière l'ordonnance du juge des libertés et de la détention d'Arras en date du 9 mars 2021 autorisant les opérations de visite et saisies dans les locaux de la société Eurovia Picardie à [Localité 3] et [Localité 6]

Condamne la société Eurovia Picardie aux éventuels dépens.