CA Montpellier, 4e ch. soc., 19 juin 2013, n° 11/08362
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
AGS CGEA de Marseille, Me Roussel (es-qual)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rolland
Conseillers :
Mme Carracha, Mme Febvre-Mocaer
Avocats :
Me Anav, Me Boussena, Me Curreli
EXPOSE DU LITIGE
M. Paul X... a été embauché par la SAS Manufacture des Engrais Vital (la société) en qualité de directeur technique, statut cadre, selon contrat de travail à durée indéterminée du 1er septembre 1998.
Le 4 août 2006 une procédure de sauvegarde a été ouverte au profit de la société, la SELARL Bauland, Gladel et Martinez étant désignée en qualité d'administrateur judiciaire et Maître Roussel en qualité de mandataire judiciaire.
Le 14 septembre 2007 la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Carpentras a prononcé la liquidation de la société avec une poursuite d'activité de deux mois et Maître Roussel a été désigné en qualité de liquidateur.
Autorisé par le juge commissaire la SELARL Bauland, Gladel et Martinez a initié une procédure de licenciement collectif et M. Gillet a été licencié pour motif économique le 27 octobre 2007.
Par jugement en date du 23 novembre 2007 le tribunal de grande instance de Carpentras statuant en matière commerciale a dit qu'il n'y avait pas lieu à rectification d'erreur matérielle et jugé 'que faute d'avoir mis fin à sa mission, l'administrateur a de plein droit conservé sa qualité pour le temps de l'autorisation de poursuite d'activité jusqu'à la décision de cession de l'entreprise ou de cessation de l'activité.'
Contestant le bien-fondé de son licenciement, M. Gillet a saisi le 1er avril 2008 le conseil de prud'hommes de Carpentras qui, suivant jugement en date du 24 octobre 2008, l'a débouté de ses demandes.
Par arrêt du 2 mars 2010 la cour d'appel de Nîmes a confirmé le jugement en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et l'a réformé pour allouer à M. Gillet la somme de 4 490,33 € de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de reclassement prévue par l'accord sur l'emploi des industries chimiques.
M. Gillet a fait un pourvoi en cassation et le 15 novembre 2011 la Cour de cassation a cassé l'arrêt précité et prononcé le renvoi devant cette cour d'appel.
Le 6 décembre 2011 M. Gillet a saisi la cour en application des dispositions des articles 1032 du code de procédure civile.
M. Gillet demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :
- constater que son contrat de travail a été rompu par la SELARL Bauland, Gladel et Martinez ;
- constater que la SELARL Bauland, Gladel et Martinez n'avait aucune qualité pour prononcer le licenciement ;
- dire et juger qu'il en résulte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- constater que la SELARL Bauland, Gladel et Martinez n'a pas justifié auprès des salariés ou de leur représentant de son autorisation à prononcer les licenciements ;
- dire et juger qu'il en résulte, derechef, que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- constater que la SELARL Bauland, Gladel et Martinez n'a pas justifié de l'impossibilité d'un reclassement externe ;
- dire et juger qu'il en résulte, de plus fort, que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- constater que le SELARL Bauland, Gladel et Martinez n'a pas respecté les articles 7 et 8 de l'accord conventionnel en date du 15janvier 1991
- dire et juger que cette irrégularité de forme engendre un préjudice à hauteur d'un mois de salaire ;
En conséquence,
- fixer sa créance dans la liquidation judiciaire de la SAS Manufacture des engrais Vital aux sommes de :
- 80 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 4490,33 euros à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice tiré de l'irrégularité de forme constituée par le non-respect des prescriptions de l'article 7 de l'accord du 15janvier 1991 ;
- dire et juger que l'AGS en devra garantie dans la limite du plafond disponible,
- condamner Me Roussel, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Manufacture des engrais Vital aux entiers dépens de la présente procédure.
Maître Bernard Roussel ès qualités de liquidateur de la SAS Manufacture des engrais Vital demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le jugement du conseil de prud'hommes de Carpentras le 24 octobre 2008, de débouter en conséquence M. Gillet de l'intégralité de ses demandes en disant son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et de le condamner au paiement d'une somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir principalement les éléments suivants :
-La SELARL Bauland, Gladel, Martinez était investie, en sa qualité d'administrateur judiciaire du pouvoir de licencier les salariés de la société liquidée, ce conformément aux dispositions des articles L.622-11 et L. 641-10 du code de commerce, puisque l'administrateur demeure en fonction et assure l'administration de l'entreprise aux lieu et place du liquidateur pendant la poursuite provisoire d'activité décidée dans le cadre du jugement de liquidation judiciaire.
-Le jugement interprétatif du 23 novembre 2007 s'incorpore à la décision interprétée de sorte que l'interprétation produit ses effets à la date de la décision interprétée.
-L'absence d'habilitation de l'auteur de la procédure de licenciement ne rend celui-ci ni nul ni sans cause réelle et sérieuse.
-Les dispositions de l'accord sur l'emploi du 15 janvier 1991 ont été respectées. L'obligation de reclassement a été remplie par une recherche auprès d'entreprises extérieures exerçant une activité semblable.
-Les délégués du personnel ont été régulièrement convoqués et consultés, et la direction départementale du travail et de l'emploi a été informée des licenciements pour motif économique par courrier reçu le 26 octobre 2007.
Le Centre de Gestion et d'Etude AGS (CGEA) de Marseille conclut à ce qu'il soit statué ce que de droit sur le licenciement et demande à la cour de lui donner acte que la somme de 54 536,75 € a été avancée au profit de M. Gillet, que le plafond 6 est applicable et que la garantie AGS est plafonnée à la somme de 64 368 € toutes créances confondues, en ce compris les avances déjà réalisées.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions respectives des parties, la cour se réfère au jugement du conseil de prud'hommes et aux conclusions écrites auxquelles elles se sont expressément rapportées lors des débats.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le licenciement
En application de l'article L. 622-11 du code de commerce, issu de la loi du 26 juillet 2005, 'lorsque le tribunal prononce la liquidation, il met fin à la période d'observation et, sous réserve des dispositions de l'article L. 641-10, à la mission de l'administrateur.'
L'article L. 641-10 du code de commerce, issu de la loi précitée, prévoit désormais que dans le cas du maintien de l'activité en cas de procédure de liquidation, c'est le liquidateur qui est investi de l'administration.
Exceptionnellement toutefois, lorsque le nombre de salariés ou le chiffre d'affaires est égal ou supérieur à un certain seuil, qui s'avère rempli en l'espèce, 'le tribunal désigne un administrateur judiciaire pour administrer l'entreprise.
Dans ce cas l'administrateur exerce les prérogatives conférées au liquidateur par les articles L. 641-11-1 et L.641-12. Il prépare le plan de cession, passe les actes nécessaires à sa réalisation et, dans les conditions prévues à l'article L.631-17, peut procéder aux licenciements'.
La désignation expresse de l'administrateur est par conséquent indispensable puisque les fonctions d'administration de la sauvegarde prennent fin avec la période d'observation en application de l'article L.622-11 précité.
Il est constant que le jugement du 14 septembre 2007 ouvrant la procédure de liquidation judiciaire, après avoir autorisé la poursuite de l'activité pendant deux mois, n'a pas désigné d'administrateur judiciaire, se limitant à nommer Maître Roussel en qualité de liquidateur.
En application des dispositions précitées, applicables à l'espèce, il ne peut valablement être soutenu que le jugement prononçant la liquidation judiciaire n'a pas mis fin à la mission de l'administrateur et que celui-ci avait dès lors qualité pour procéder aux licenciements en application de l'article L.641-10 du code de commerce.
Le jugement du 23 novembre 2007 rendu sur requête de Maître Roussel, en présence de la SELARL Bauland, Gladel, Martinez, qui ne précise pas s'il était saisi d'une demande de rectification ou en interprétation, a dit n'y avoir lieu à rectification d'erreur matérielle.
Ce jugement en ce qu'il a dit 'que faute d'avoir mis fin à sa mission, l'administrateur a de plein droit conservé sa qualité pour le temps de l'autorisation de poursuite d'activité jusqu'à la décision de cession de l'entreprise ou de cessation de l'activité' ne peut pas être considéré comme un jugement interprétatif faisant corps avec le jugement du 14 septembre 2007 et prenant effet à cette date.
Il convient de constater que ce jugement du 23 novembre 2007 est postérieur à la notification du licenciement intervenu le 27 octobre 2007.
Me Roussel n'est pas fondé à exciper de l'ordonnance du 26 octobre 2007 autorisant l'administrateur judiciaire à procéder aux licenciements dès lors que la SELARL Bauland, Gladel, Martinez n'avait pas le pouvoir de solliciter cette autorisation du juge commissaire puisqu'elle était dessaisie de sa qualité d'administrateur judiciaire par l'effet du jugement de liquidation du 14 septembre 2007.
Il s'évince de ces constatations et des textes précités que la SELARL Bauland, Gladel, Martinez était dépourvue du pouvoir de prononcer le licenciement de M. Gillet le 27 octobre 2007.
L'absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Il y a donc lieu, infirmant en cela le jugement du conseil de prud'hommes de Carpentras, de dire que le licenciement de M. Gillet est dépourvu de cause réelle et sérieuse, ce, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres motifs allégués par l'appelant.
Sur les conséquences
Au moment de la rupture de son contrat de travail M. Gillet avait au moins deux ans d'ancienneté (9 ans et demi) et la société employait habituellement au moins onze salariés (22).
En application de l'article L.1235-3 du code du travail M. Gillet peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut pas être inférieure au montant des salaires bruts qu'il a perçus pendant les six derniers mois précédent son licenciement, soit en l'espèce 26 314,82 €.
Au-delà de cette indemnisation minimale M. Gillet justifie d'un préjudice supplémentaire, en ce que âgé de 56 ans au moment de son licenciement il est resté au chômage quelques mois avant de retrouver à plus de 350 kms un emploi moins bien rémunéré compte tenu de la non-reprise de son ancienneté.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il convient d'allouer à M. Gillet la somme de 45 000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l'irrégularité de la procédure de licenciement
La SAS Manufacture des Engrais Vital relevait de la convention collective des industries chimiques et connexes étendue par arrêté du 13 novembre 1956.
L'accord du 15 janvier 1991 a été signé par l'UIC (Union des Industries Chimiques) regroupant plusieurs syndicats sectoriels dont l'UNIFA (Union des Industries de Fertilisation) à laquelle la société Manufacture des engrais Vital adhérait, de sorte que ledit accord lui est opposable.
Il résulte des dispositions de l'article 7 de l'accord collectif des industries chimiques et connexes en date du 15 janvier 1991 que 'conformément à la directive 75/129 du Conseil des communautés européennes, pour tout projet de licenciement collectif ayant des raisons économiques et portant sur au moins dix salariés dans une même période de trente jours, la direction adressera à l'autorité administrative compétente une notification écrite comportant les indications mentionnées à l'article 5 ci-dessus, et de surcroît, dans les conditions prévues par le décret du 27 février 1987 (art. R.321-4 du Code du travail), la liste des salariés dont il est envisagé de rompre le contrat de travail.
Dans les entreprises ou établissements qui sont dotées d'un comité d'entreprise ou d'établissement, cette notification sera effectuée au plus tôt le lendemain de la date prévue pour la réunion au cours de laquelle, conformément audit article, le comité d'entreprise ou d'établissement concerné par ledit licenciement doit être consulté à ce sujet'.
En l'espèce, la notification écrite a été adressée à l'inspection du travail le 25 octobre 2007 soit le même jour que la date prévue pour la réunion de consultation des délégués du personnel et non pas au plus tôt le lendemain, ce qui constitue une irrégularité formelle.
L'inobservation de règles procédurales imposées par la convention collective applicable dans l'entreprise ouvre au salarié droit à indemnité alors même que le licenciement n'a pas de cause réelle et sérieuse.
L'irrégularité formelle de la procédure de licenciement cause nécessairement au salarié un préjudice qui doit être évalué au regard des faits de l'espèce à la somme de 500 €.
La décision déférée sera réformée sur ce point.
Sur la garantie de l'AGS
Compte tenu de la nature des sommes allouées, l'AGS CGEA de Marseille doit sa garantie dans les termes des articles L. 3253-8 et suivants du code du travail.
En application de l'article D. 3253-5 du code du travail, le montant maximum de la garantie prévue à l'article L 3253-17 fixé à six fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d'assurance chômage est applicable à M. Gillet
Conformément aux dispositions précitées, le montant maximum de la garantie de l'AGS s'apprécie à la date à laquelle est due la créance du salarié et au plus tard à la date arrêtant le plan ou prononçant la liquidation judiciaire.
Il en résulte que la garantie de l'AGS est plafonnée à la somme de 64 368 € toutes créances confondues, en ce compris les avances déjà réalisées qui s'élèvent en l'espèce à la somme de 54 536,75 €.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement rendu par la section encadrement du conseil de prud'hommes de Carpentras le 24 octobre 2008 ;
Statuant à nouveau :
Dit que la SELARL Bauland, Gladel, Martinez n'avait pas le pouvoir de prononcer le licenciement pour motif économique de M. Paul X... ;
Dit en conséquence le licenciement de M. Paul X... dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Fixe la créance de M. Paul X... au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Manufacture des Engrais Vital aux sommes suivantes:
- 45 000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 500 € pour non-respect de la procédure de licenciement fixée par l'article 7 de l'accord conventionnel du 15 janvier 1991.
Déclare l'UNEDIC délégation AGS CGEA de Marseille tenue à garantie dans les termes des articles L.3253-8 et suivants du code du travail, en l'absence de fonds disponibles ;
Donne acte à cet organisme que la somme de 54 536,75 € a été avancée au profit de M. Gillet ;
Constate que le plafond 6 est applicable ;
Dit que la garantie de l'AGS est plafonnée à la somme de 64 368 € toutes créances confondues, en ce compris les avances déjà réalisées ;
Condamne Maître Roussel ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Manufacture des Engrais Vital aux dépens de première instance et d'appel.