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Décisions

Cass. crim., 3 novembre 1992, n° 91-85.801

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Gondre

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Me Foussard

Douai, ch. corr., du 18 sept. 1991

18 septembre 1991

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 1741 et 1743 du Code général des impôts, 6-2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de base légale, défaut de réponse aux conclusions et défaut de motifs ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jeanine Parent en sa qualité de dirigeante de l'association "Solidarité 3ème âge" coupable de s'être frauduleusement soustraite à l'établissement ou au paiement de la TVA et de l'impôt sur les sociétés au titre des années 1983, 1984 et 1985, coupable d'avoir sciemment omis de passer ou de faire passer des écritures au livre journal et au livre d'inventaire prévus par les articles 8 et 9 du Code de commerce ; s'être frauduleusement soustraite à l'établissement et au paiement de l'impôt sur le revenu dont elle était redevable au titre des années 1983 et 1984, en ayant volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt ;

"d'une part aux motifs, concernant le délit de fraude fiscale, que "l'élément matériel du délit ressort clairement de la persistance des abstentions déclaratives, sachant que l'Administration a adressé à l'association "Solidarité du 3ème âge" une mise en demeure visant l'impôt sur les sociétés et la TVA, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 3 janvier 1985 ; l'élément intentionnel est tout aussi patent, "Melle D... s'est obstinée à revendiquer le statut d'organisme à but non lucratif alors qu'elle a opéré des prélèvements sur les comptes bancaires associatifs à hauteur de 262 900 francs en 1983 et 245 000 francs en 1984 ; "le caractère manifestement intéressé de la gestion associative ressort également du paiement par l'association du loyer de son appartement (APL conservé pour elle-même), des charges locatives, de l'utilisation de la Volkswagen Sirrocco de l'association, de l'achat de vêtements et d'aliments payés par l'association ; "Melle D... n'a jamais pu démontrer le remboursement par ses soins des charges précédemment visées, atteignant 62 000 francs en 1983 et

73 700 francs en 1984, sachant qu'aucun prélèvement en espèces n'est intervenu sur son compte ; par ailleurs, d aucun procès-verbal d'assemblée générale, ni le livre d'assemblée générale n'a été fourni pendant le temps de la vérification puis de l'information, ce qui démontre l'absence de respect du cadre juridique fixé par la loi de 1901 pouvant bénéficier aux seules personnes morales dépourvues de but lucratif ; de surcroît, comme la Cour de Cassation l'a retenu dans des affaires similaires (jurisprudence du 2 décembre 1975, affaire Claerhout), l'importance des dissimulations (818 281 francs en TVA, 321 790 francs en IS et 329 631 francs en IR) suffit à attester du caractère volontaire de la fraude ; par conséquent, Melle D... doit être maintenue dans les liens de la prévention du chef de fraude fiscale" ;

"1°) alors qu'en raison de l'indépendance de la procédure pénale et de la procédure administrative, le juge répressif ne peut, en l'absence de toute constatation puisée par lui dans les éléments de preuve qui ont été soumis aux débats, fonder l'existence de l'élément matériel de la fraude, consistant en une abstention déclarative, sur les seules constatations que l'Administration a été amenée à faire selon ses propres procédures pour effectuer des redressements contestés devant le juge administratif ; dès lors, en déclarant l'élément matériel du délit clairement établi au motif que l'Administration a adressé à l'association "Solidarité du 3ème âge", une mise en demeure visant l'impôt sur les sociétés et la TVA, par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 janvier 1985, sans rechercher si l'association était effectivement assujettie à la TVA et redevable de l'impôt sur les sociétés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1741 du Code général des impôts ;

"2°) alors que la mise en demeure adressée par l'Administration à l'association reposait sur une requalification de l'activité de cette dernière formellement contestée devant le juge de l'impôt après qu'ait été conduite à son terme une vérification de comptabilité ; dès lors, en tenant pour acquis l'assujettissement de l'association à la TVA et à l'impôt sur les sociétés pour le seul motif que l'Administration avait effectué des redressements sur ce point, et que Melle D... s'y était opposée obstinément, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve pesant sur l'Administration plaignante et sur le ministère public en violation de l'article 6-2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

d "3°) alors que dans ses conclusions d'appel, Melle D..., qui produisait diverses attestations, soutenait que les sommes prélevées sur les comptes bancaires associatifs en 1983 et 1984 avaient été utilisées conformément à leur objet qui était de permettre aux personnes âgées déposantes d'acheter des vêtements, des médicaments, et certains aliments par l'intermédiaire de Melle D... plus valide qu'elles ; dès lors en se bornant à relever que "Melle D... s'est obstinée à revendiquer le statut d'organisme à but non lucratif alors qu'elle a opéré des prélèvements sur les comptes bancaires associatifs à hauteur de 262 900 francs en 1983 et 245 000 francs en 1984, sans rechercher quelle avait été l'utilisation réelle de ces sommes, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1741 du Code général des impôts" ;

"4°) que de surcroît en ne répondant pas aux conclusions de Melle D... sur ce point, et en passant sous silence les nombreuses attestations des personnes âgées intéressées au premier chef par l'utilisation de leur argent, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"5°) alors que l'appartement de Melle Parent qui devait se situer statuairement non loin des foyers de retraite abritait pour partie l'activité administrative de l'association ; dès lors en relevant, pour établir le caractère intéressé de la gestion associative que l'association payait le loyer de l'appartement de Melle Parent, ce qui constituait pour partie un paiement normal, et pour l'autre partie en l'absence de preuve rapportée d'un remboursement, un élément d'un montant modeste impropre à caractériser un intéressement susceptible de fonder une requalification, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"6°) alors que la mise à disposition de Melle D... d'un véhicule Volkswagen appartenant à l'association constitue un acte normal conforme à la réalisation de l'objet statuaire de l'association et de la mission de sa présidente qui n'en avait aucun usage privé, se rendant chaque jour de la semaine, en ce compris les jours fériés, auprès des personnes âgées qu'elle avait pris en charge ; dès lors en relevant pour établir le caractère prétendument intéressé de la gestion associative, que Melle D... utilisait la voiture de l'association, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, en violation de l'article 593 du d Code de procédure pénale ;

"7°) alors que le train de vie d'une personne physique doit s'apprécier tant en fonction des retraits en liquide effectués sur ses comptes personnels, que des chèques émis et aussi des virements ordonnés ; dès lors, en jugeant que "Melle D... n'a jamais pu démontrer le remboursement par ses soins des charges supportées par l'association... sachant qu'aucun prélèvement en espèces n'est intervenu sur son compte" sans rechercher de manière plus complète si des paiements n'étaient pas intervenus sous une forme autre qu'en espèces, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1741 du Code général des impôts ;

"8°) alors que pour l'application de l'article 1741 du Code général des impôts, l'administration fiscale doit rapporter la preuve d'une omission volontaire de déclaration ou d'une dissimulation volontaire de sommes sujettes à l'impôt ; dès lors, en relevant pour caractériser l'élément intentionnel du délit de fraude fiscale que "aucun procès-verbal d'assemblée générale ni le livre d'assemblée générale n'a été fourni pendant le temps de la vérification puis de l'information", la cour d'appel a statué par un motif particulièrement inopérant, en violation de l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"9°) alors que le juge répressif ne saurait, en l'absence de toute constatation puisée par lui dans les éléments de preuve qui ont été soumis aux débats contradictoires, fonder l'existence de dissimulations volontaires de sommes sujettes à l'impôt sur les seules évaluations que l'Administration a été amenée à faire selon ses procédures propres, pour établir l'assiette de l'impôt et notamment, sur les redressements effectués par les vérificateurs ; dès lors, en estimant que "l'importance des dissimulations

(818 281 francs en TVA, 321 790 francs en IS et 329 631 francs en IR) suffit à attester le caractère volontaire de la fraude" la cour d'appel s'est bornée à reprendre sans les analyser les évaluations faites par le fisc à l'occasion des vérifications de comptabilité en violation de l'article 1741 du Code général des impôts ;

"et aux motifs, d'autre part, sur le délit d'omission d'écritures qu'"aucun document comptable ni justificatif probant n'a été présenté pour justifier des opérations réalisées par les associations ; en outre, ce délit a été expressément reconnu par Melle D... qui a indiqué au juge d'instruction (D 9) : "je ne tenais pas d de réelle comptabilité..." ;

"10°) alors que le juge répressif ne pouvait reprocher à Melle D... de ne pas avoir tenu le livre journal et le livre d'inventaire prévus aux articles 8 et 9 du Code de commerce, sans avoir au préalable et personnellement recherché si l'activité et le mode de fonctionnement de l'association nécessitaient la tenue d'une comptabilité commerciale ; qu'en ne procédant pas à cette recherche dans la procédure pénale, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1743 du Code général des impôts" ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 1741 et 1743 du Code général des impôts ; 6-2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de base légale et défaut de motifs ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claude Z..., en sa qualité de dirigeant de fait de l'association "Solidarité 3ème âge", coupable de s'être frauduleusement soustrait à l'établissement ou au paiement de la TVA et de l'impôt sur les sociétés au titre des années 1983, 1984 et 1985 ; coupable d'avoir sciemment omis de passer ou de faire passer des écritures au livre journal et au livre d'inventaire prévus par les articles 8 et 9 du Code de commerce ;

"aux motifs d'une part que "l'élément matériel du délit ressort clairement de la persistance des abstentions déclaratives, sachant que l'Administration a adressé à l'association "Solidarité du 3ème âge" une mise en demeure visant l'impôt sur les sociétés et la TVA, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 3 janvier 1985" ; qu'il y a lieu de noter qu'il dirigeait une association du même type dénommée "Béguinage du parc" dont le but lucratif a été reconnu tant par les juridictions administratives que répressives ; de plus, Claude Z... avait accès aux comptes bancaires des trois associations et a prélevé 150 000 francs en 1980, 265 237 francs en 1981 et 51 555 francs en 1982, sachant que les prélèvements ont arrêté lorsque ceux de Melle D... ont commencé ; il ressort des investigations menées par le juge d'instruction que Claude Z... est à l'origine du montage frauduleux, son audition (D 22) démontrant parfaitement qu'il avait conscience que l'association était prestataire de service et qu'il s'est ainsi dissimulé derrière les structures associatives dirigées d par Melle D... ; MMes X... et A... ont confirmé le rôle actif joué par Claude Z... dans les associations pour personnes âgées ; enfin, qu'il y a lieu de constater qu'après dissolution des associations, a été créée une EURL dirigée par une personne connue de Claude Z... depuis plusieurs années, qu'il avait fait

embaucher par l'association "Solidarité du 3ème âge" en qualité de secrétaire salariée (2 500 francs par mois à mi-temps), sachant que la SCI Leloir dont il est propriétaire (D 20) continue de percevoir les loyers payés par les pensionnaires ;

"1°) alors qu'en raison de l'indépendance de la procédure pénale et de la procédure administrative, le juge répressif ne peut, en l'absence de toute constatation puisée par lui dans les éléments de preuve qui ont été soumis aux débats, fonder l'existence de l'élément matériel de la fraude, consistant en une abstention déclarative, sur les seules constatations que l'Administration a été amenée à faire selon ses propres procédures pour effectuer des redressements contestés devant le juge administratif ; dès lors, en déclarant l'élément matériel du délit clairement établi, au motif que l'Administration a adressé à l'association "Solidarité 3ème âge" une mise en demeure visant l'impôt sur les sociétés et la TVA par lettre recommandée avec accusé de reception du 3 janvier 1985 sans rechercher si l'association était effectivement assujettie à la TVA et redevable de l'impôt sur les sociétés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1741 du Code général des impôts ;

"2°) alors que la mise en demeure adressée par l'Administration à l'association reposait sur une requalification de l'activité de cette dernière formellement contestée devant le juge de l'impôt après qu'ait été conduite à son terme la vérification de comptabilité, dès lors, en tenant pour acquis l'assujettissement de l'association à la TVA et à l'impôt sur les sociétés pour le seul motif que l'Administration avait effectué des redressements sur ce point, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve en violation de l'article 6-2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

"3°) alors que seule est visée dans l'inculpation la qualité de dirigeant de fait de l'association "Solidarité 3ème âge" de Claude Z... ; dès lors en relevant que Claude Z... dirigeait l'association "Béguinage du d parc", et qu'il avait accès aux comptes bancaires de trois associations tierces à l'association "Solidarité du 3ème âge" ce qui était tout à fait étranger à la procédure en cause, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"et aux motifs d'autre part que "l'omission de passation d'écritures prévu à l'article 1743 et puni par l'article 1741 du Code général des impôts est également incontestablement établi ; en effet, aucun document comptable ni justificatif probant n'a été présenté pour justifier des opérations réalisées par les associations ; en outre, ce délit a été expressément reconnu par Melle D... qui a indiqué au juge d'instruction : "je ne tenais pas de réelle comptabilité..." ; ayant accès aux comptes bancaires et étant coauteur du système frauduleux, Claude Z... doit être, comme Melle D..., retenu dans les liens de la prévention du chef d'omission de passation d'écritures ;

"4°) alors que le juge répressif ne pouvait reprocher à Claude Z... de ne pas avoir tenu le livre journal et le livre d'inventaire prévus aux articles 8 et 9 du Code de commerce, sans avoir au préalable et personnellement recherché si l'activité et le mode de fonctionnement de l'association nécessitaient la tenue d'une

comptabilité commerciale ; qu'en ne procédant pas à cette recherche dans la procédure pénale, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1743 du Code de général des impôts ;

"5°) alors que Claude Z... faisait valoir dans ses conclusions d'appel qu'il ne disposait d'aucune procuration sur les comptes de l'association (cf. conclusions p. 6 1) ; dès lors, en affirmant que Claude Z... avait accès aux comptes bancaires de l'association, sans s'expliquer sur cet élément qui ne ressortait aucunement de l'instruction, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motivation en violation de l'article 593 du Code de procédure pénale" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que, pour déclarer Jeanine D... et Claude Z... coupables, en leur d qualité de dirigeants de droit ou de fait de l'association "Solidarité 3ème âge", d'omission d'écriture en comptabilité, de fraude à la TVA et à l'impôt sur les sociétés par omission volontaire de déposer des déclarations, et en outre la première, à titre personnel, de fraude à l'impôt sur le revenu par dissimulation de sommes imposables, la cour d'appel, après avoir relevé que ladite association exerçait à titre habituel une activité lucrative non prévue par les statuts, et répondu comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs les infractions reprochées ;

Que, dès lors, les moyens, qui remettent en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause soumis au débat contradictoire, ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.