Cass. crim., 22 novembre 2017, n° 16-86.550
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. d'Huy
Avocats :
SCP Foussard et Froger, SCP Waquet, Farge et Hazan
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme X... a constitué, le 18 janvier 2006, avec M. Z..., la société Centre Automobiles d'Arras dont elle détenait 88 % des parts et qui avait pour activité l'achat et la revente de véhicules d'occasion ; qu'elle a été la gérante de droit de cette société dès sa création jusqu'au 25 juin 2009, date à laquelle M. Z... lui a succédé à ces fonctions ; qu'au terme de l'enquête diligentée à la suite de la plainte du directeur régional des finances publiques, Mme X... a été citée à comparaître devant le tribunal correctionnel, pour avoir, au cours des années 2008 et 2009, soustrait frauduleusement la société Centre Automobile d'Arras qu'elle dirigeait, à l'établissement et au paiement partiel de la taxe sur la valeur ajoutée en souscrivant des déclarations mensuelles de taxes sur le chiffre d'affaires minorées, au titre de la période du 1er janvier 2008 au 31 mai 2009, avec cette circonstance que les dissimulations opérées excédaient le dixième de la somme imposable ou 153 euros ; que le tribunal a renvoyé la prévenue des fins de la poursuite et déclaré irrecevables les demandes de l'administration fiscale, par jugement du 6 janvier 2015 dont le ministère public ainsi que la direction générale des finances publiques ont interjeté appel ;
En cet état :
Sur le premier moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3 du code pénal, 1741 et 1750 du code général des impôts, 50, § 1, de la loi du 14 avril 1952, L. 277 du Livre des procédures fiscales, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Mme Jacqueline X..., épouse Y... ,coupable de fraude fiscale du 1er janvier 2008 au 30 septembre 2009 ;
"aux motifs que Mme X... ne conteste pas avoir signé les statuts constitutifs de la société, ni apporté à celle-ci la somme de 22 000 euros ; qu'elle était titulaire de la majorité des parts et a accepté la gérance de la société depuis sa création jusqu'à ce que M. Z... la remplace ; qu'elle ne pouvait donc ignorer ses engagements, peu important qu'elle soit âgée de 68 ou 69 ans au moment des faits, de nationalité belge et non francophone ; qu'à la différence de M. Z..., elle ne soutient pas que le véritable dirigeant de la société était son fils ; qu'elle n'a jamais délégué ses pouvoirs et reconnaît s'être rendue à plusieurs reprises au siège de la société ; que Mme X... ne justifie pas avoir été dans l'incapacité de comprendre quelles étaient ses fonctions dans la société, et n'était donc pas censée ignorer les obligations d'un gérant en matière fiscale, peu important que ce ne soit pas elle qui ait personnellement effectué les déclarations de TVA ; que l'élément moral apparaît donc suffisamment établi en ce qui la concerne et le jugement de relaxe sera infirmé ;
"1°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que, pour retenir la qualité de gérante de paille de Mme X... et écarter tout élément intentionnel, après avoir relevé « le fait qu'elle n'a jamais travaillé dans une société commerciale à quelque titre que ce soit, l'éloignement géographique qui était le sien puisque la société était domiciliée à Arras tandis qu'elle demeurait en Belgique », le jugement, dont la confirmation était demandée avait constaté, s'était fondé de manière déterminante sur « son absence de maîtrise de la langue française alors que la société était française et que les documents commerciaux mais également administratifs étaient écrits en français » ; qu'en se bornant à retenir que Mme X... « ne conteste pas avoir signé les statuts constitutifs de la société », « a accepté la gérance de la société depuis sa création » et « n'a jamais délégué ses pouvoirs », sans mieux s'expliquer, au vu de sa qualité de « non francophone », sur sa compréhension desdits statuts et documents ni répondre aux conclusions qui faisaient de surcroît valoir que la mention des statuts « bon pour acceptation de la fonction de gérant » n'était pas de la main de Mme X..., la cour n'a pas légalement justifié sa décision ;
"2°) alors que ni la signature des statuts constitutifs de la société par un associé, ni le fait de « s'être rendue à plusieurs reprises au siège de la société », ne constituent des actes de gestion ou de direction d'une société commerciale ; que ces motifs sont inopérants ;
"3°) alors qu'il appartient au ministère public et à l'administration fiscale, parties poursuivantes, d'établir la preuve du caractère intentionnel de la soustraction à l'impôt ; qu'en déduisant l'élément moral de l'infraction du fait que « Mme X... ne justifie pas avoir été dans l'incapacité de comprendre quelles étaient ses fonctions dans la société, et n'était donc pas censée ignorer les obligations d'un gérant en matière fiscale », cependant qu'il appartenait à l'accusation d'établir que Mme X..., non francophone, simple retraitée ayant travaillé toute sa vie comme vendeuse dans une boucherie, avait les connaissances et compétences nécessaires pour comprendre quelles étaient ses fonctions dans la société, la cour d'appel, a inversé la charge de la preuve et méconnu le principe de la présomption d'innocence ;
"4°) alors que le délit de fraude fiscale suppose pour être constitué que soit rapportée la preuve d'une intention coupable consistant dans la volonté délibérée de se soustraire à l'impôt, laquelle ne saurait se déduire de la seule qualité de dirigeant ; qu'en déduisant l'élément moral de l'infraction de ce que Mme X... «ne justifie pas avoir été dans l'incapacité de comprendre quelles étaient ses fonctions dans la société, et n'était donc pas censée ignorer les obligations d'un gérant en matière fiscale », la cour, qui s'est fondée sur sa seule qualité de dirigeant, n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu qu'en déclarant Mme X... coupable de fraude fiscale, par les motifs repris au moyen, et dès lors qu'en l'absence de toute délégation de pouvoirs, le gérant d'une société doit être tenu pour responsable des obligations fiscales de l'entreprise, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, 485 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Mme X... à une peine de trois mois d'emprisonnement avec sursis et une amende de 3 000 euros ;
"aux motifs que Mme X... (…), qui n'(a) jamais été condamné(e), peu(t) bénéficier du sursis ; que compte tenu de l'importance des droits fraudés, (elle) ser(a) condamné(e) à une peine de trois mois d'emprisonnement assorti du sursis et 3 000 euros d'amende ;
"alors qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, et, en matière d'amende, de ses ressources et de ses charges ; qu'en s'abstenant de prendre en compte la situation personnelle de Mme X... ainsi que ses ressources et ses charges avant de se déterminer sur la peine, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision" ;
Vu les articles 132-1 et 132-20, alinéa 2, du code pénal, ensemble l'article 485 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, et pour l'amende, en tenant compte également, de ses ressources et de ses charges ;
Attendu que, pour condamner la prévenue à trois mois d'emprisonnement avec sursis et 3 000 euros d'amende, la cour d'appel ne retient que l'absence de casier judiciaire et l'importance des droits fraudés ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur la situation personnelle de la prévenue et sur ses ressources et ses charges qu'elle devait prendre en considération pour fonder sa décision, la cour d'appel ne l'a pas justifiée ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle sera limitée aux peines, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 10 octobre 2016, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.