Livv
Décisions

AMF, 26 mai 2011, n° SAN-2011-11

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Membres :

M. Hassan, M. Courteault, M. Surzur

Président :

Mme Nocquet

AMF n° SAN-2011-11

25 mai 2011

La 2ème section de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») :

Vu le règlement (CE) n° 2273/2003 portant modalités d'application de la directive 2003/6/CE ;

Vu le code monétaire et financier, notamment ses articles L. 621-9, L. 621-14, L. 621-15, L. 621-18-2, R. 621-5 à R. 621-7, R. 621-38 à R. 621-40 et R. 621-43-1 dans leur rédaction applicable à l’époque des faits ;

Vu le code de commerce et notamment, son article L. 233-7 ;

Vu le règlement général de l’AMF et, notamment, ses articles 221-1 dernier alinéa, 223-1, 241-4, 223-14 à 223-17, 223-22, 631-1 et 631-2 ;

Vu les notifications de griefs adressées le 17 mars 2010 à M. A et aux sociétés X, Y, Z et W ;

Vu la lettre de saisine de la Commission des sanctions en date du 17 mars 2010 ;

Vu la décision du président de la Commission des sanctions du 15 avril 2010, désignant M. Alain Ferri, membre de la Commission des sanctions en qualité de rapporteur ;

Vu les lettres en date du 28 avril 2010 informant les mis en cause de ce qu’ils disposent de la faculté de demander la récusation du rapporteur ;

Vu les observations écrites en date du 17 mai 2010 déposées par M. A et la société X ;

Vu le rapport de M. Alain Ferri en date du 28 mars 2011 ;

Vu les lettres de convocation à la séance de la Commission des sanctions du 19 mai 2011 auxquelles était joint le rapport du rapporteur, adressées aux mis en cause le 30 mars 2011 ;

Vu les lettres de demande de report de séance formulées par Me Alain Ribeyre pour le compte des sociétés X et W en date du 6 avril 2011 et M. A en date du 5 avril 2011 ;

Vu les lettres en date du 12 avril 2011 informant les mis en cause du report, à la demande de certains d’entre eux, de la séance du 19 mai 2011 au 26 mai 2011 ;

Vu les lettres en date du 13 avril 2011 informant les mis en cause de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance et de leur faculté de demander la récusation d’un ou plusieurs de ses membres ;

Vu les observations de M. A et de la société X en date du 14 avril 2011 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu au cours de la séance du 26 mai 2011 :

- M. le rapporteur en son rapport ;

- M. François Gautier, représentant le directeur général du Trésor, qui a indiqué ne pas avoir d’observation à formuler ;

- M. Ambroise Liard, représentant le Collège ;

- M. A, pour son propre compte et celui des sociétés X dont il est le président directeur général, et Y dont il est le gérant, ainsi que pour le compte de la sociétés W, en vertu d’un pouvoir en date du 25 mai 2011

La Commission des sanctions délivré par Mme […], gérante de cette société, et celui de la société Z en vertu d’un pouvoir en date du 20 mai 2011 délivré par M. […], président du directoire de cette société ;

- Mes Alain Ribeyre et François Duteil, conseils de M. A et des sociétés X, Y, W et Z. les personnes mise en cause ayant pris la parole en dernier.

FAITS

Société anonyme à conseil d’administration cotée sur le compartiment […] d’Euronext Paris, la société X SA a été créée par MM. A et […], respectivement président directeur général et directeur général délégué. Spécialisée dans le secteur des boissons alcoolisées, elle produit, commercialise et distribue des vins et spiritueux, exploitant notamment les marques […] et W.

Au 31 décembre 2008, le groupe X réalisait un chiffre d’affaires mondial consolidé de […] millions d’euros, en hausse par rapport au chiffre d’affaires de […] millions d’euros réalisé lors de l’exercice précédent, tandis que son résultat opérationnel consolidé de […] millions d’euros était en baisse par rapport à celui de […] millions d’euros de l’année 2007. Quant au résultat du groupe à la même date, il était déficitaire de […] d’euros alors qu’il s’élevait à […] au 31 décembre 2007.

Le […] juin 2008, a été publié sur le site internet de la société X le rapport des commissaires aux comptes sur les comptes consolidés de la société, qui attirait l’attention sur l’information relative à la continuité d’exploitation et faisait état d’une réserve du cabinet […] sur le maintien en passif non courant des emprunts obligataires, dénommés « floating rate notes » (ci après « FRN ») contractés en 2006 ; en application du contrat d’émission de ces FRN, le non respect par la société, au 31 décembre 2007, des dispositions limitant l’utilisation de sa trésorerie pour acquérir ses propres actions pouvait en effet entraîner l’exigibilité à très court terme de ces dettes et nécessiter leur déclassement, à hauteur de […] millions d’euros, de la ligne des « emprunts à long terme » à celle des « emprunts à court terme », événements de nature à faire peser une incertitude sur la continuité de l’exploitation de la société. Le titre da la société X ayant alors clôturé en baisse de 30% par rapport à son cours d’ouverture et de 71% par rapport à sa valeur au début de l’année 2007, sa cotation a été suspendue jusqu’au […] juillet 2008.

M. A a sollicité le […] juillet 2008 et obtenu le lendemain, pour la société X ainsi que pour certaines de ses filiales et sous-filiales, dont la sous-filiale polonaise Z SA, l’ouverture d’une procédure de sauvegarde destinée à conjurer « le risque d’exigibilité immédiate de dettes normalement inscrites en 2013 et 2014 ».

PROCEDURE

A la suite de ces événements, le secrétaire général de l’AMF a ouvert, le 16 juillet 2008, une enquête sur l’information financière et le marché de l’action de la société X et de tout titre qui lui serait lié à compter du 1er janvier 2006.

La Direction des enquêtes et de la surveillance des marchés de l’AMF (ci-après la « DESM ») a procédé à un examen approfondi de la stratégie d’achat d’actions de la société X conduite par M. A, principalement du 30 juillet 2008 au 16 mars 2009, et de l’information diffusée au public à l’occasion des déclarations de rachat d’actions, de franchissements de seuils et de détention de ses actions par l’émetteur ou par des sociétés qu’il contrôlait.

Au vu des conclusions du rapport de la DESM, la commission spécialisée n° 1 du Collège de l’AMF a décidé de notifier des griefs à M. A, à titre personnel, ainsi qu’aux sociétés X, W, Z et Y.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 17 mars 2010, à laquelle était annexé le rapport d’enquête, le président de l’AMF a notifié ces griefs aux personnes physique et morales mises en cause qui ont été informées, d’une part, de la transmission de la lettre de notification au président de la Commission des sanctions, d’autre part, du délai de deux mois dont elles disposaient pour présenter des observations écrites et de la possibilité qui leur était offerte de se faire assister de toute personne de leur choix, ainsi que de prendre connaissance des pièces du dossier dans les locaux de l’AMF.

Le 17 mars 2010, le président de l’AMF a transmis les notifications de griefs au président de la Commission des sanctions qui, le 15 avril 2010, a désigné M. Alain Ferri en qualité de rapporteur, ce dont les personnes mises en cause ont été avisées le 20 avril 2010 par un courrier recommandé avec demande d’avis de réception les informant de la possibilité d’être entendues si elles en faisaient la demande.

Conformément à l’article R. 621-39-2 du code monétaire et financier, les personnes mises en cause ont été informées, le 28 avril 2010 par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, qu’elles disposaient d’un délai d’un mois pour demander, dans les conditions prévues aux articles R. 621-39-2 à R. 621-39-4 du même code, la récusation du rapporteur.

Le 17 mai 2010, des observations en réponse aux notifications de griefs ont été déposées par M. A et par X.

Aucune demande d’audition n’a été faite.

M. Alain Ferri a déposé son rapport le 28 mars 2011.

Le 30 mars 2011, par lettres recommandées avec demande d’avis de réception auxquelles était joint le rapport du rapporteur, les personnes mises en cause ont été convoquées à la séance du 19 mai 2011 de la Commission des sanctions. A la suite des demandes de report qu’elles ont formulées les 5 et 6 avril 2011, elles ont été informées, par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 12 avril 2011, du report de la séance au 26 mai 2011.

Par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 13 avril 2011, ont été portés à leur connaissance la composition de la Commission des sanctions lors de cette séance, ainsi que le délai de quinze jours dont elles disposaient, en application de l’article R. 621-39-2 du code monétaire et financier pour demander la récusation, dans les conditions prévues aux articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du même code, d’un ou de plusieurs de ses membres appelés à délibérer.

M. A et la société X ont formulé des observations en réponse au rapport du rapporteur le 14 avril 2011.

MOTIFS DE LA DECISION

A. – Sur les manquements à la bonne information du public reprochés à M. A et aux sociétés X, W, Z et Y

1. Sur le manquement à la bonne information du public reproché à la société X et à M. A

Considérant qu’aux termes de l’article 223-1 du règlement général de l’AMF « l'information donnée au public par l'émetteur doit être exacte, précise et sincère » ; que l’article 221-1 du même règlement prévoit que « les dispositions portant sur la diffusion de l’information réglementée sont également applicables aux dirigeants de l’émetteur, de l’entité ou de la personne morale concernée » ;

Considérant qu’il est fait grief à la société X et à son dirigeant, M. A, d’avoir publié une information incomplète et inexacte le 7 janvier 2009 en indiquant sur le site internet de la société que, le 31 décembre 2008, celle-ci détenait 230 341 actions représentant 9,17% de son capital alors qu’il est établi et non contesté qu’à cette date :

- elle n’en détenait que 221 945,

- ses filiales W et Z en détenaient respectivement 8 396 et 604 492,

- le groupe était donc détenteur de 834 833 (221 945 + 8 396 + 604 492) titres, représentant 33,26% du capital de la société X ;

Considérant qu’il est exact, comme le soutiennent les personnes mises en cause, que la société X respectait alors, tout à la fois, le plafond maximum de 10% de « l’auto-détention », qui s’entend de la proportion des actions détenues en propre par l’émetteur, et les dispositions légales relatives à « l’auto-contrôle » qui fait référence aux titres détenus par la société émettrice et une ou plusieurs des sociétés contrôlées ; que, toutefois, il s’agit de rechercher, non pas si la société X s’est conformée à ces dispositions, mais si elle a délivré une information exacte et sincère quant au nombre des actions détenues par elle-même et par le groupe ;

Considérant que tel n’est pas le cas, puisque, d’une part, la société X détenait 221 945 actions, et non 230 341, d’autre part, ce dernier chiffre, s’il incluait les titres détenus par sa filiale W, excluait ceux détenus par la société Z ; qu’en conséquence, les 604 492 actions de cette dernière se trouvaient intégrées, par défaut, à celles détenues par le public, alors que la société Z était contrôlée et consolidée par la société X ;

Considérant qu’ainsi l’information était inexacte au regard de « l’auto-détention », inférieure au pourcentage annoncé ; qu’elle l’était encore plus au regard de « l’auto-contrôle », alors que celui-ci avait progressé de manière très substantielle après la reprise de cotation le 30 juillet 2008, pour atteindre 33,26% du capital social le 31 décembre 2008 ; que les indications fournies le 7 janvier 2009 étaient d’autant plus trompeuses que, d’une part, la dernière information chiffrée figurant dans le rapport financier au 30 juin 2008, publié le 23 décembre suivant, faisait état de la détention, par le groupe, de 412 280 actions seulement, chiffre représentant moins de la moitié de celles détenues en fin d’année, d’autre part, le marché n’a pas été informé comme il aurait dû l’être des rachats et des franchissements de seuil (voir infra, A. 1. à 5.) résultant des interventions massives de M. A (voir infra, B.) ;

Considérant, au surplus, que cette information n’a fait l’objet d’une correction que sept mois plus tard, le 7 août 2009, avec la publication du rapport financier annuel mentionnant un « auto-contrôle » de 834 833 actions au 31 décembre 2008 ; que la rectification est d’ailleurs restée limitée, puisqu’elle n’a pas été parallèlement portée sur le site internet de la société ;

Considérant que le manquement, imputable tant à la société X qu’à son dirigeant, auquel il appartenait de veiller à l’exactitude, à la précision et à la sincérité de l’information délivrée, est donc constitué en tous ses éléments du 7 janvier au 7 août 2009 ;

2. Sur le manquement reproché à la société X relatif au défaut d’information portant sur le programme de rachat de ses actions

Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 241-4 du règlement général de l’AMF que les opérations effectuées dans le cadre de la réalisation d’un programme de rachat de ses actions par un émetteur doivent être portées à la connaissance du marché « au plus tard le septième jour de négociation suivant leur date d’exécution », l’AMF devant notamment être informée, « selon une périodicité qui ne peut être supérieure à un mois, des annulations de titres effectuées », ainsi que des acquisitions, cessions et transferts ;

Considérant qu’il est reproché à la société X, qui a racheté 43 902 actions au cours de l’année 2006, puis 429 544 en 2007 et 2008, de ne plus avoir procédé, à partir d’octobre 2006, à ces déclarations mensuelles et hebdomadaires auprès, respectivement, de l’AMF et du marché ;

Considérant qu’il est établi que, depuis octobre 2006, la société n’a pas procédé aux déclarations de rachat hebdomadaires, à l’exception de celle du 20 septembre 2007 portant sur 119 760 actions, et n’a produit aucune déclaration mensuelle alors qu’elle l’avait fait de janvier à septembre 2006 ; qu’elle s’est bornée à faire parvenir à l’AMF, en juillet 2008, un document de synthèse des opérations effectuées sur ses titres ; qu’il ne saurait être satisfait aux prescriptions ci-dessus rappelées par l’envoi unique d’un tel document, au demeurant limité à l’exercice 2007 et au premier trimestre 2008 ; que, même si la société X n’a effectivement pas dépassé le plafond de « l’auto-détention », il demeure qu’elle n’a pas respecté ses obligations déclaratives ;

Considérant qu’il résulte de ces constatations que le manquement est constitué ;

3. Sur le manquement reproché à la société W de n’avoir pas déclaré ses achats de titres de la société X

Considérant qu’il est fait grief à la société W, filiale de droit français de la société X, de ne pas avoir respecté l’obligation prévue par les articles L. 621-18-2 c), R. 621-43-1-4° du code monétaire et financier et 223-22 du règlement général de l’AMF, de déclarer, « dans les cinq jours de négociation suivant leur réalisation », les transactions à l’achat réalisées sur les titres X, qui ont porté sur 82 702 actions du 21 décembre 2006 au 11 janvier 2007, sur 30 385 actions du 18 janvier au 11 juin 2008 et sur 25 534 actions du 26 août 2008 au 13 mars 2009 ;

Considérant qu’il est constant que ces achats n’ont fait l’objet, auprès de l’AMF, d’aucune déclaration de la part de la société W alors que celle-ci est une « personne liée » au sens des articles L. 621-18-2 c), et R. 621-43-1-4° du code monétaire et financier, sa direction étant assurée par M. A et son capital étant intégralement détenu par la société X ;

Considérant qu’en conséquence, est pleinement caractérisé le manquement aux dispositions précitées, qui ont pour objet de permettre au marché d’être rapidement informé des opérations sur les titres de la société mère auxquelles le dirigeant peut se livrer au sein d’une filiale et d’apprécier la signification que celles-ci peuvent revêtir ;

4. Sur le manquement reproché à la société Y et à M. A de n’avoir pas déclaré les transactions réalisées sur les actions de la société X

Considérant qu’il est reproché à la société Y et à M. A, de ne pas avoir respecté l’obligation, prévue par les articles L. 621-18-2 c), R. 621-43-1-4 du code monétaire et financier et 223-22 du règlement général de l’AMF, de déclarer, « dans les cinq jours de négociation suivant leur réalisation », les transactions réalisées sur les titres X ;

Considérant qu’il est établi que M. A et la société civile Y, constituée entre celui-ci, qui en est le gérant, son épouse et leurs enfants, ont omis de déclarer les opérations suivantes effectuées par cette société sur les titres de la société X :

- achat de 24 055 actions et vente de 50 584 actions du 2 janvier 2006 au 12 janvier 2007,

- achat de 16 979 actions et vente de 29 666 actions du 18 janvier 2007 au 20 juin 2008,

- achat de 36 573 actions et vente de 16 423 actions du 30 juillet 2008 au 12 mars 2009 ;

Considérant que la société Y et son gérant sont des « personnes liées » au sens des articles L. 621-18-2 c), et R. 621-43-1-4 du code monétaire et financier ; qu’ils devaient, à ce titre, communiquer à l’AMF les transactions réalisées par la société sur le titre de la société X ; qu’en s’abstenant de le faire, ils ont contrevenu aux dispositions précitées ;

Considérant que le grief, caractérisé en tous points, sera donc retenu à l’encontre de la société civile Y et de M. A ;

5. Sur le manquement reproché à la société Z de n’avoir pas déclaré les franchissements de seuils dans la société X

Considérant qu’il est reproché à la société Z, sous-filiale consolidée de droit polonais de la société X, de ne pas avoir respecté les dispositions des articles L. 233-7 du code de commerce et 223-14 à 223-17 du règlement général de l’AMF relatives, d’une part, à la déclaration du franchissement à la hausse des seuils de 5% en mars 2008, de 10 et 15% en août 2008 et de 20% en septembre 2008, d’autre part, à la publication des déclarations d’intention à la suite du franchissement des seuils de 10 et 20% ;

Considérant qu’il n’est pas contesté que la société Z a acquis sur le marché 36 719 titres de la société X du 22 avril au 20 juin 2008 et 269 790 du 1er août 2008 au 16 mars 2009 ; qu’il ressort du rapport d’enquête que durant la même période, elle a bénéficié, de la part de la société X, du transfert à son profit d’importants blocs d’actions ;

Considérant que la conjonction de ces opérations sur les titres de la société X a conduit la société Z à en détenir :

- 174 303, représentant 6,94% du capital, le 30 mars 2008,

- 485 885, représentant 19,35% du capital, le 30 août 2008,

- 557 535, représentant 22,21% du capital, le 30 septembre 2008 ;

Considérant qu’une déclaration de franchissement de seuil, complétée par une déclaration d’intention, n’a été effectuée que le 30 septembre 2009, à la demande de l’AMF ; que la société Z admet que ces déclarations, faites à titre de régularisation, ont bien été « omises à bonne date » ;

Considérant que, si la détention des actions la société X par sa sous-filiale n’avait pour effet d’attribuer à la société Z aucun droit de vote, s’agissant d’actions d’autocontrôle, l’absence de déclaration de franchissements des seuils à la hausse ne comportant pas d’enjeu majeur pour cette dernière, il demeure que le marché a été laissé dans l’ignorance des achats massifs réalisés par le groupe, et cela durant la période de plus d’un an qui a séparé la reprise de la cotation du 30 juillet 2008 de la publication par la société X, le 7 août 2009, du nombre de titres détenus en « autocontrôle » au 31 décembre 2008 ;

Considérant que le manquement est donc constitué ;

B. Sur le manquement de manipulation de cours reproché à M. A

Considérant que l’article 631-1 du règlement général de l’AMF dispose que : « Toute personne doit s’abstenir de procéder à des manipulations de cours.

Constitue une manipulation de cours :

1° Le fait d’effectuer des opérations ou d’émettre des ordres :

a) qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours d’instruments financiers ou ;

b) qui fixent, par l’action d’une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée, le cours d’un ou plusieurs instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel, à moins que la personne ayant effectué les opérations ou émis les ordres établisse la légitimité des raisons de ces opérations ou de ces ordres et leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné ; 2° le fait d’effectuer des opérations ou d’émettre des ordres qui recourent à des procédés donnant une image fictive de l’état du marché ou à toute autre forme de tromperie ou d’artifice.

En particulier, constituent des manipulations de cours :

a) le fait, pour une personne ou pour plusieurs personnes agissant de manière concertée, de s’assurer une position dominante sur le marché d’un instrument financier, avec pour effet la fixation directe ou indirecte des prix d’achat ou des prix de vente ou la création d’autres conditions de transaction inéquitables ;

b) le fait d’émettre au moment de l’ouverture ou de la clôture ou, le cas échéant lors du fixage, des ordres d’achat ou de vente d’instruments financiers du marché ayant pour objet d’entraver l’établissement du prix sur ce marché ou pour effet d’induire en erreur les investisseurs agissant sur la base des cours concernés ».

Considérant que, selon l’article 631-2 du même règlement : « Sans que ces éléments puissent être considérés comme formant une liste exhaustive ni comme constituant en eux mêmes une manipulation de cours, l’AMF prend en compte, pour apprécier les pratiques mentionnées au 1° de l’article 631-1 : 1° L’importance de la part du volume quotidien des transactions représentée par les ordres émis ou les opérations effectuées sur l’instrument financier concerné, en particulier lorsque ces interventions entraînent une variation sensible du cours de cet instrument ou de l’instrument sous-jacent ; 2° l’importance de la variation du cours de cet instrument ou de l’instrument sous-jacent ou dérivé correspondant admis à la négociation sur un marché réglementé, résultant des ordres émis ou des opérations effectuées par des personnes détenant une position vendeuse ou acheteuse significative sur un instrument financier ; 3° la réalisation d’opérations n’entraînant aucun changement de propriétaire bénéficiaire d’un instrument financier admis à la négociation sur un marché réglementé ; 4° les renversements de positions sur une courte période résultant des ordres émis ou des opérations effectuées

sur le marché réglementé de l’instrument financier concerné, associés éventuellement à des variations sensibles du cours d’un instrument financier admis à la négociation sur un marché réglementé ; 5° la concentration des ordres émis ou des opérations effectuées sur un bref laps de temps durant la séance de négociation entraînant une variation de cours qui est ensuite inversée ; 6° l’effet des ordres qui sont émis sur les meilleurs prix affichés à l’offre et à la demande de l’instrument financier, ou plus généralement de la représentation du carnet d’ordres auquel ont accès les participants au marché et qui sont annulés avant leur exécution ; 7° les variations de cours résultant des ordres émis ou des opérations effectuées au moment précis ou à un moment proche de celui où sont calculés les cours de référence, les cours de compensation et les évaluations ».

Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, il est reproché à M. A d’avoir, entre le 31 juillet 2008 et le 16 mars 2009, procédé à une manipulation à la hausse de la cotation du titre de la société X en intervenant massivement à l’achat, par l’intermédiaire des comptes ouverts au nom des sociétés X, Z, W et Y dont il était directement ou indirectement le bénéficiaire économique, de manière à fixer artificiellement le cours à un niveau anormalement élevé ;

Considérant que, durant cette période, ont été acquises 487 436 actions, dont :

- 262 790 par la société Z,

- 164 191 par la société X,

- 25 534 par la société W,

- 34 921 par la société Y ;

Considérant que M. A a indiqué, au cours de l’enquête et lors de la séance, que ces opérations s’inscrivaient notamment dans le cadre du projet d’acquisition, payable pour une part en actions la société X, d’usines situées en […] ; que, toutefois, une telle justification ne peut valoir après le 25 août 2008, date à laquelle il a été mis fin aux accords envisagés ; qu’est invoquée également la nécessité, face au refus de l’AMF de prolonger au delà du 29 juillet 2008 la suspension de la cotation, d’enrayer une décote excessive du titre résultant notamment, selon M. A, d’une attaque des créanciers de la société X, qualifiés de « fonds vautours » qui, après avoir racheté les FRN, allaient exercer sur le marché une pression à la baisse pour s’emparer à bas prix des actifs sociaux ; que, s’il existait effectivement, tant au plan juridique que médiatique, un antagonisme fort entre la société X et ses créanciers, rien ne vient confirmer l’hypothèse d’une pression volontaire en ce sens de la part de ces derniers ; qu’en effet, les intermédiaires à la vente ont alors été assez peu concentrés, à l’exception de SNS Securities qui agissait pour le compte de […], fonds qui était en cours de fermeture et a donc été amené à céder l’ensemble de ses titres, dont il n’avait évidemment aucun intérêt à faire baisser la valeur ; que les justifications avancées paraissent dès lors inopérantes, notamment au regard du critère de « légitimité » de l’article 631-1-1° du règlement général de l’AMF ;

Considérant que l’analyse détaillée des interventions sur le titre montre que M. A a passé des ordres d’achat massifs selon des modalités qui en assuraient l’exécution rapide, parfois juste avant la clôture de la bourse ;

Considérant qu’ainsi, il a acheté, le 31 juillet 2008, 61 517 actions de la société X ; que cette acquisition a représenté, avec les 5 903 titres acquis par la société Y, 40% du marché à l’achat ; qu’en application du règlement européen n° 2273/2003 régissant les interventions réalisées dans le cadre d’un programme de rachat, la société X ne pouvait en principe acheter, au maximum, que 3 537 actions représentant 25% de la moyenne quotidienne de titres échangés au cours des vingt jours de bourse précédents ; que ce dépassement prive M. A de la présomption de légitimité attachée aux rachats faits pour le compte de la société ; qu’au surplus, celui-ci a réalisé les acquisitions à un prix d’exécution qui a augmenté tout au long de la journée, passant de 28,50 € à 49,50 €, et s’est avéré supérieur, tout à la fois, au dernier cours indépendant et à la meilleure limite à l’achat figurant dans le carnet d’ordres ; qu’il en est résulté une hausse du cours de 64,40% ;

Considérant que le 1er août 2008, le cours a progressé de 38,40%, tandis que l’indice CAC du secteur des boissons enregistrait une baisse de 1,13% ; qu’à cette date, d’une part, les acquisitions de la société Z ont représenté 56,4% du marché, d’autre part, c’est l’exécution, quelques minutes avant la clôture, des ordres d’achat de M. A qui a porté le cours de 62,07 € à 67,80 € ;

Considérant que le 7 août 2008, le cours a enregistré une hausse de 13,76%, « surperformant » l’indice CAC précité, qui a baissé de 0,73% ; qu’avec 9 787 actions acquises, la société Z était le premier acheteur et représentait 51,72% du marché ; que, quelques minutes avant la clôture, l’exécution des ordres d’achat de M. A a porté le cours de 86,70 € à 94,29 € ; que ce dernier a alors reçu un courrier électronique de son fils indiquant : « super, je vois que tu continues de tirer les cours » ; que, contrairement à ce qu’il soutient, les termes de ce message paraissent tout à fait clairs ;

Considérant qu’ainsi l’action, qui avait enregistré une forte baisse le 30 juillet 2008, a connu une hausse particulièrement brutale jusqu’au 7 août suivant ;

Considérant que, le 8 août 2008, peu avant la clôture, à 17h25 et 17h35, la société Z a représenté 87,4% du volume acheteur au travers de cinq ordres « à tout prix » portant chacun sur mille actions, ce qui a eu pour effet de faire passer le cours de 75 € à 82,35 €, soit une progression de 9,8% ;

Considérant que, le 10 novembre 2008, de 13h34 à 13h44, le cours est passé de 26,58 € à 27,86 €s sous l’effet des ordres d’achat passés par M. A pour le compte de la société X et de la société Y ; qu’à 16h08, celui-ci a indiqué à son frère : « je soutiens le titre » ; que le cours a clôturé à 27,2 €, en hausse de 4,66% alors que le CAC dans le secteur des boissons ne progressait que de 1,04% ;

Considérant que, le 19 novembre 2008, de 14h02 à 14h41, M. A a passé plusieurs ordres d’achat pour le compte de X, dont l’exécution s’est faite à des prix supérieurs au dernier cours indépendant et à la meilleure limite d’achat, ce qui a eu pour effet de faire passer la cote de 22,76 € à 26,40 € ; qu’à 14h56, il a indiqué qu’il avait « remonté à 26,4, mais c’est pas facile » ; qu’il a repris ses interventions peu avant la clôture, ce qui a permis au cours d’atteindre à nouveau 26,40 € , soit une hausse de 3,53%; qu’au total, la société X a acquis 4 377 actions alors qu’elle n’aurait pas dû dépasser 1 073 ; qu’en fin de journée, M. A a constaté qu’il avait « clôturé à 26,40, plus haut de la journée. On s’en sort pas trop mal dans un marché global qui baisse de 4% » ;

Considérant que, le 15 décembre 2008, le cours a enregistré une hausse de 4,63% alors que l’indice CAC dans le domaine des boissons avait baissé de 1,68% ; que la société W a acquis 465 titres, représentant 64% du volume échangé ;

Considérant que le 23 décembre 2008 à 13h53, le cours s’élevait à 26 € ; que l’exécution de plusieurs ordres d’achat passés pour le compte de la société W l’a porté, à 14h47, à 27,25 €, chiffre le plus haut de la journée ; qu’à la même heure, M. A a indiqué à son frère : « j’ai tiré jusque 27,25 » ;

Considérant que, le 31 décembre 2008, l’exécution des ordres d’achat passés par M. A entre 9h19 et 9h29 pour le compte de la société W et de la société Y a conduit le cours de 27,50 € à 29,50 €, celui-ci ayant indiqué à ce propos dans un de ses messages : « Je tire » ;

Considérant que, le 16 mars 2009, lors d’une discussion avec son frère sur l’intérêt d’une clôture du cours à un prix supérieur à 30,60 €, M. A a répondu : « je vais essayer » ; que la société Z a passé des ordres d’achat de petites quantités, mais très peu de temps avant la clôture, ce qui a porté la cote à 31 €, soit une hausse de 17,47%, très largement supérieure à celle de 1,92% constatée dans le secteur des boissons ; que M. A en a alors félicité son fils, qui semble avoir participé à l’opération ;

Considérant qu’ainsi, ont été passés, notamment peu avant la clôture de la bourse, de très nombreux ordres portant sur un nombre important de titres, libellés « à tout prix », qui ont provoqué des exécutions au cours le plus haut et entraîné une augmentation du cours du titre ;

Considérant qu’en outre, il a parfois été procédé, avant l’ouverture, à des passations d’ordres d’achat suivies de leur annulation ;

Considérant qu’il en a été ainsi, notamment, le 7 août 2008, M. A ayant, avant l’ouverture, passé, pour un total de 18 075 titres, plusieurs ordres d’achat au nom de la société Z qui ont été annulés ;

Considérant que, le 26 novembre 2008, commentant les ordres transmis, M. A a indiqué avoir « bluffé le marché à l’ouverture » ; que, lors de son audition par les enquêteurs, il a précisé que cette expression signifiait que « l’on garnit le carnet à l’achat avant l’ouverture. Cela ne signifie pas que ces actions seront finalement achetées. Les achats sont annulés une fois que des acheteurs se sont manifestés. Si on a un doute, on peut rester dans le carnet. Cette pratique de marché est courante » ; que les ordres passés puis annulés avaient donc bien pour objet de créer une image fictive de l’état du marché, l’accès au carnet d’ordres donnant le sentiment d’un intérêt acheteur qui n’était pas à la mesure de son apparence ;

Considérant que les modes opératoires qui viennent d’être décrits ont en commun d’avoir contribué à faire décaler le cours à la hausse par la présence de très nombreux ordres d’achat, à un cours supérieur aux meilleures limites, dont certains ont été émis avant l’ouverture pour être ensuite annulés ou sont intervenus peu avant la clôture ;

Considérant que de telles pratiques correspondent à la définition de la manipulation de cours telle qu’issue des articles 631-1-1° b) et 631-1-2° a) du règlement général de l’AMF incriminant, respectivement, les ordres « qui fixent (…) le cours d’un ou plusieurs instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel » et la « position dominante » qui a « pour effet la fixation directe ou indirecte des prix d’achat ou des prix de vente ou la création d’autres conditions de transaction inéquitables » ; qu’elles rejoignent trois des hypothèses envisagées, au titre des pratiques les plus couramment rencontrées en matière de manipulations de cours, par les 1°, 5° et 6° de l’article 631-2 du même règlement, que ce soit « l’importance de la part du volume quotidien des transactions représentée par les ordres émis ou les opérations effectuées sur l’instrument financier concerné, en particulier lorsque ces interventions entraînent une variation sensible du cours », « la concentration des ordres émis (…) sur un bref laps de temps durant la séance de négociation entraînant une variation de cours » ou « l’effet des ordres qui sont émis sur les meilleurs prix affichés à l’offre et à la demande (…) et qui sont annulés avant leur exécution » ; que si, pris isolément, chacun de ces éléments ne saurait suffire à constituer une manipulation de cours, comme le précise l’article susvisé, la réunion, à des dates différentes et de manière répétitive, de plusieurs d’entre eux s’analyse comme autant d’indices d’une fixation artificielle de la cote ;

Considérant que ces indices sont renforcés par les messages simultanément émis ou reçus par M. A sur le « soutien » du titre, sur le marché qui a été « bluffé » et sur le cours qui a été « tiré » ou « remonté » ; qu’en séance, celui-ci a d’ailleurs spontanément déclaré avoir agi ainsi pour « empêcher que le cours aille plus bas » ; qu’au demeurant, le fait d’engager le groupe dans des achats de cette importance en faisant en sorte qu’ils se réalisent au prix le plus élevé possible ne répond à aucune logique économique et ne peut donc pas s’expliquer autrement ;

Considérant enfin que, comme on l’a vu plus haut (A. 1. à 5.), ces opérations, qui ont été réalisées avec la trésorerie des sociétés durant la période de placement sous sauvegarde et ont eu pour effet de faire du groupe l’actionnaire principal de la société X, ont été conduites sans respecter les normes d’un programme de rachat et dans une grande opacité, puisqu’elles n’ont été ni portées à la connaissance du public ni déclarées à l’AMF ; que M. A a d’ailleurs indiqué, lors de la séance : « je veux bien admettre que j’ai commis des erreurs » ;

Considérant que l’ensemble de ces éléments concourt à démontrer qu’en utilisant les comptes des sociétés X, Z, W et Y, M. A, par ses interventions des 31 juillet, 1er, 7 et 8 août, 7, 10 et 19 novembre, 15, 23 et 31 décembre 2008 et 16 mars 2009, est parvenu à ce que le cours de l’action la société X soit fixé à un niveau « anormal » au regard de celui qu’il aurait naturellement atteint par le seul effet du marché ;

Considérant qu’aux dates qui viennent d’être rappelées, le manquement est donc pleinement constitué ;

C. Sur les sanctions et la publication

Considérant que selon l’article L. 621-15 III. c) du code monétaire et financier, dans sa version antérieure au 6 août 2008, la Commission des sanctions peut prononcer à l’encontre des personnes morales et physiques ayant commis des manquements « de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché », « une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 millions ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés » ; que ce montant maximal a été porté, pour les faits commis à partir du 6 août 2008, « à 10 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés » ;

Considérant que si la manipulation de cours et le défaut concomitant d’information du public sur la détention du capital de la société X constituent des manquements d’une réelle gravité, les circonstances particulières dans lesquelles ceux-ci ont été commis par M. A, qui a pu croire « défendre » ainsi le groupe, justifient le prononcé à son encontre d’une sanction qui sera fixée à cent mille euros ; que seront infligés à la société X une sanction de trente mille euros et à chacune des sociétés Y, Z et W une sanction de quinze mille euros ;

Considérant qu’il convient en outre d’ordonner la publication de la présente décision ;

PAR CES MOTIFS,

Et après en avoir délibéré sous la présidence de Mme Claude Nocquet, par MM. Jean-Claude Hassan, Antoine Courteault et Jean-Jacques Surzur, membres de la 2ème Section de la Commission des sanctions, en présence de la secrétaire de séance,

DECIDE DE :

- prononcer

· à l’encontre de M. A une sanction pécuniaire de 100 000 € (cent mille euros) ;

· à l’encontre de la société X une sanction pécuniaire de 30 000 € (trente mille euros) ;

· à l’encontre de la société Y une sanction pécuniaire de 15 000 € (quinze mille euros) ;

· à l’encontre de la société Z une sanction pécuniaire de 15 000 € (quinze mille euros) ;

· à l’encontre de la société W une sanction pécuniaire de 15 000 € (quinze mille euros) ;

- publier la présente décision sur le site internet de l’AMF et dans le recueil annuel des décisions de la Commission des sanctions.