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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 12 janvier 2023, n° 21/01997

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Infocom France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

Mme Blanchard , M. Bruno

Avocats :

Me Tambe , Me Abad, Me Palacci

T. com. Grenoble, du 2 avr. 2021, n° 202…

2 avril 2021

EXPOSE DU LITIGE :

La Sas Infocom-France exerce une activité de publication, réalisation de mobilier urbain et mise à disposition de véhicules au profit des collectivités territoriales et d'organismes divers, financés par la vente d'espaces publicitaires auprès d'acteurs de l'économie locale.

Suivant contrat d'agent commercial du 11 janvier 2016, la société Infocom a confié à M. [B] [E] mandat de négocier la vente de ses produits et d'espaces publicitaires sur les supports qu'elle édite, dans les départements 38, 73, 05, 26, 69, 01 et 74, sans exclusivité dans ce secteur, et moyennant une rémunération par commission sur son chiffre d'affaires hors taxes.

Le 23 novembre 2016, M. [E] a constitué une société Vehicom dont l'objet est la location de véhicules sponsorisés par la publicité et qui a été immatriculée le 25 novembre suivant.

Des divergences sont apparues entre les parties quant au montant et aux modalités de paiement des commissions qui ont conduit M. [E] à présenter des réclamations puis, par courrier du 1er avril 2017, à prendre acte de la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Infocom.

Par ordonnances du président du tribunal de grande instance de Grenoble des 17 novembre 2017 et 30 janvier 2018, la société Infocom a été autorisée à rechercher dans les locaux de la société Véhicom, tous documents propres à établir des faits de concurrence déloyale.

Au terme d'une ordonnance de référé du 16 mai 2018, l'ordonnance du 30 janvier a été rétractée.

Sur l'assignation en paiement délivrée par M. [E] et par jugement du 2 avril 2021, le tribunal de commerce de Grenoble a :

- condamné la Sas Infocom à payer à M. [E] les sommes de 1.956 euros au titre des commissions et 521,25 euros au titre de la prime de résultat ;

- dit et jugé que M. [E] a commis une faute grave en n'informant pas la société Infocom de la création de sa société, manquant à son obligation de loyauté, le privant d'indemnité compensatrice ;

- rejeté la rupture du contrat aux torts de la société Infocom ;

- écarté le moyen tiré de faits constitutifs de concurrence déloyale à l'égard de la société Infocom ;

- débouté la société Infocom de sa demande de dommages-intérêts ;

- débouté M. [E] de sa demande d'indemnisation pour préjudice moral ;

- condamné M. [E] à verser à la société Infocom la somme de 2.400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Suivant déclaration au greffe du 29 avril 2021, M. [E] a relevé appel de cette décision, en ce qu'elle a :

- dit et jugé que M. [E] a commis une faute grave pour ne pas avoir informé la société Infocom-France de la création de sa société concurrente, manquant à son obligation de loyauté, manquement constitutif d'une faute grave privative de l'indemnité compensatrice,

- rejeté la rupture du contrat pris aux torts de la société Infocom-France à l'initiative de M. [E],

- débouté M. [E] de sa demande d'indemnité compensatrice et d'indemnisation pour préjudice moral,

- condamné M. [E] à verser à la société Infocom France la somme de 2.400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

Prétentions et moyens de M . [E] :

Au terme de ses dernières écritures notifiées le 4 juillet 2022, M. [E] demande à la cour, au visa des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce, 1134 ancien, 1103, 1104 et 1224 du code civil, de :

- dire son appel recevable et bien fondé,

- infirmer le jugement en ses chefs de dispositif critiqués,

- statuant à nouveau :

- dire et juger que la société Infocom-France a commis diverses fautes qui engagent sa responsabilité contractuelle,

- dire et juger que le contrat d'agent commercial a été rompu aux torts de la société Infocom-France,

- condamner la société Infocom-France à payer à M. [E] les sommes de :

- 121.486,26 euros à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi,

- 5.000 euros au titre du préjudice moral,

- confirmer le jugement dont appel pour le surplus,

- débouter la société Infocom-France de toutes autres demandes,

- y ajoutant,

- condamner la société Infocom-France à payer à M. [E] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Infocom-France aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Me Julien Tambe, avocat.

M [E] fait valoir que :

- la société Infocom a volontairement retenu les informations, qu'elle seule détient, permettant de calculer la rémunération de l'agent commercial et a refusé de lui verser les commissions dues sur les publicités vendues,

- cette déloyauté et violation des obligations essentielles du mandant justifie la rupture du contrat aux torts de la société Infocom.

Il se prévaut des dispositions de l'article L. 134-13 du code de commerce qui prévoit le versement de l'indemnité compensatrice, même si l'agent commercial est à l'initiative de la rupture, dès lors qu'elle repose sur des circonstances imputables au mandant.

Il reproche à la société Infocom d'avoir voulu créer un lien de subordination en lui imposant l'organisation de sa prospection et de l'avoir obligé à prospecter dans des communes limitrophes de celles déjà clientes, l'empêchant ainsi d'atteindre ses objectifs.

Il estime qu'il n'a commis aucune faute et conteste s'être livré à des actes de concurrence déloyale à l'égard de sa mandante, ni d'avoir exercé une activité concurrente avant la fin du contrat, le 1er avril 2017, ce dernier ne comportant en outre, aucune clause de non-concurrence post contractuelle.

Il considère que la seule immatriculation de la société Vehicom est insuffisante à caractériser une activité de concurrence déloyale et qu'étant libre d'exercer l'activité de son choix à l'issue du contrat, il n'avait pas à avertir son mandant de la création de cette société, sans activité réelle.

Il demande la liquidation de l'indemnité selon les usages à deux années de commissions sur la base d'une moyenne annuelle de 60.743,13 euros.

Il soutient que les demandes indemnitaires de la société Infocom ne sont pas fondées, ni le préjudice, ni le lien de causalité avec son activité n'étant établis et que leur calcul est erroné.

Prétentions et moyens de la société Infocom France :

Selon ses dernières conclusions notifiées le 5 juillet 2022, la société Infocom entend voir, sur le fondement des articles L. 134-1, L. 134-2, L. 134-4, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, 1240 et 1241 du code civil :

 - dire et juger que M. [E] ne rapporte pas la preuve de ses affirmations et de son droit à commission,

- dire et juger que M. [E] a commis des fautes dans l'exécution de son contrat d'agent commercial à savoir notamment un manquement à l'obligation de non-concurrence et un manquement à son obligation d'information du mandant,

- dire et juger que M. [E] a commis une faute dans le cadre de la prise d'acte de la rupture du contrat aux torts exclusifs de la société Infocom, cette dernière n'ayant commis aucune faute,

- dire et juger que M. [E] a commis une faute en résiliant le contrat sans respecter le délai de préavis d'un mois,

- dire et juger que M. [E] s'est rendu coupable de faits constitutifs de concurrence déloyale en cours de contrat en constituant la société Vehicom et en démarchant les clients de Infocom,

- réformer le jugement en ce qu'il a fait droit à la demande de paiement des commissions et de la prime d'objectif à hauteur de 2.477, 25 euros au total,

- statuant à nouveau,

- rejeter la demande de paiement de commissions et de la prime d'objectif,

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de paiement de l'indemnité compensatrice de fin de contrat,

- réformer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Infocom pour concurrence déloyale,

- statuant à nouveau,

- condamner M. [E] au paiement d'une somme de 128.000 euros en réparation du préjudice subi par Infocom du fait des agissements constitutifs de concurrence déloyale correspondant à la perte de marge nette,

- réformer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Infocom pour non-respect du préavis,

- statuant à nouveau,

- condamner M. [E] au paiement d'une somme de 30.000 euros pour non-respect du préavis,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [E] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- condamner M. [E] à payer à la société Infocom France la somme de 5.000 euros par application de l'article 700du code de procédure civile, distraits au profit de Me Johanna Abad sur son affirmation de droit, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Infocom soutient que M. [E] :

- ne rapporte pas la preuve de l'exigibilité des commissions qu'il réclame, à défaut de justifier de la survenance du fait générateur de leur paiement,

- a manqué à ses obligations contractuelles en constituant en novembre 2016 et en assurant la promotion dès mars 2017 d'une société concurrente, au cours de l'exécution de son mandat, qui a détourné les méthodes et outils de travail de la société Infocom et prospecté sa clientèle,

- n'a pas rempli son obligation d'information de son mandant relative à l'exécution de sa mission,

- a fautivement résilié le contrat d'agence, les griefs avancés pour en justifier n'étant ni prouvés, ni suffisants et le préavis contractuel n'ayant pas été respecté malgré l'absence de faute grave.

Elle considère que seules les fautes commises par M. [E] portent atteinte à l'obligation de loyauté gouvernant le contrat d'agence et à la finalité du mandat d'intérêt commun, le privant de l'indemnité compensatrice.

Elle fait valoir que l'activité commerciale de la société Vehicom avant la fin du contrat d'agence a porté sur des offres similaires aux siennes auprès de la même clientèle et lui a fait perdre une chance d'obtenir ces marchés ; qu'elle fonde ses demandes indemnitaires sur des éléments comptables certifiés par son commissaire aux comptes et sur la perte de sa marge brute ; que le non-respect du préavis lui a causé préjudice en la privant d'un commercial pendant un mois.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 7 juillet 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

Les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce disposent d'une part qu'en cas de cessation du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi, même s'il en a l'initiative dès lors qu'elle est justifiée par des circonstances imputables au mandant, d'autre part que cette réparation n'est pas due si la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

Par courrier recommandé du 1er avril 2017, M. [E] a mis un terme au contrat d'agence le liant à la société Infocom en invoquant la mauvaise foi de cette dernière dans l'exécution du contrat et l'inexécution de ses obligations contractuelles, reprochant à son mandant de ne pas lui fournir de prestations réalisables en lui confiant des secteurs déjà prospectés, en lui fixant des objectifs de chiffre d'affaires inatteignables, et de ne pas lui avoir payé toutes ses commissions.

1°) sur l'imputation de la rupture du contrat :

L'article L. 134-9 du code de commerce prescrit que la commission est acquise dès que le mandant a exécuté l'opération ou devrait l'avoir exécutée en vertu de l'accord conclu avec le tiers ou bien encore dès que le tiers a exécuté l'opération, qu'elle est acquise au plus tard lorsque le tiers a exécuté sa part de l'opération ou devrait l'avoir exécutée si le mandant avait exécuté sa propre part et qu'elle est payée au plus tard le dernier jour du mois qui suit le trimestre au cours duquel elle était acquise.

Il résulte des termes de l'article 3 du contrat d'agence que les commissions dues à M. [E] sont réglées mensuellement, au plus tard le 15 du mois suivant la réception d'un relevé comptable établi par l'agent et adressé chaque fin de mois au mandant. Il est également prévu que, par exception, il peut être établi un arrêté de compte hebdomadaire sur lequel l'agent peut prétendre au règlement d'un acompte, n'excédant pas 50 % des commissions qui lui sont dues au jour de cet arrêté.

Les pièces versées aux débats par M. [E] démontrent que la société Infocom a établi chaque mois, jusqu'au mois de mars 2017, un arrêté de comptes comportant les références des affaires et les modalités de calcul des commissions de M. [E], qui a d'ailleurs ainsi pu établir leur facturation.

L'obligation de verser à l'agent commercial la rémunération convenue constitue une obligation essentielle de son mandant, qui est en outre tenu à son égard d'une obligation d'information relative aux éléments de calcul de sa rémunération.

Le 25 février 2017, M. [E] a établi une « demande d'information sur commissions » à l'attention du service comptabilité de la société Infocom par laquelle il se plaignait du non-paiement ou du paiement incomplet de quatre commissions.

A l'issue d'un échange de courriels et par courrier recommandé du 8 mars suivant, il a formalisé une réclamation en paiement du reliquat de commissions attendu.

Selon ses écritures devant la cour, M. [E] réclame paiement d'un solde de commissions relatives aux affaires [R], Les Avenières, [C], [U], [T], [F] et [S].

Il convient de relever que les réclamations de M. [E] en paiement des commissions [C], [U], [T], [F] et [S] portent sur des factures qu'il a émises postérieurement à la rupture du contrat d'agence le 1er avril 2017, qu'elles ne peuvent en conséquence justifier, s'agissant en outre, selon les courriels produits, de commissions afférentes à des règlements effectués par ces clients en juillet, août et octobre 2017.

Seules les commissions réclamées au titre des communes du Pouzin et Les Avenières, facturées le 1er mars 2017, sont antérieures à la rupture du contrat d'agent commercial.

Concernant la première, si le commissionnement a été porté sur les bordereaux des mois d'octobre, novembre et décembre 2016, pour des montants de 2548,01, 5208 et 1973,98 euros, M. [E] réclame un paiement complémentaire de 521,25 euros au titre d'une commission d'objectif.

Il résulte des annexes du contrat qu'était prévue une prime de résultat de 1,5 % sur la totalité du chiffre d'affaires ht réalisé, dès lors qu'il se trouvait égal ou supérieur à l'objectif fixé pour le véhicule concerné.

Les courriels échangés au sujet du dossier [R] montrent qu'il s'agissait d'un véhicule Kangoo dont l'objectif était contractuellement fixé à 29.000 ou 32.000 euros selon le type. Or, les bordereaux de commissions relatifs à ce dossier font apparaître un chiffre d'affaires cumulé de 34.750 euros (9100+18600+7050), justifiant la réclamation de M. [E].

La société Infocom, qui ne s'explique pas à ce sujet, ne justifie pas s'être acquittée du paiement de cette prime exigible depuis le mois de janvier 2017.

Pour la seconde, réclamée à hauteur de 560 euros au titre d'une annonce Carrel Energies sur le véhicule de la commune des Avenières, les bordereaux de commissions portant sur cette affaire ne font pas mention de sa prise en compte alors que M. [E] produit le contrat de location d'emplacement publicitaire.

Une réclamation relative au paiement de la commission afférente, a donné lieu à un échange entre les parties par courriels des 26 et 27 février 2017, au terme duquel la demande a été transmise à la direction de la société Infocom qui ne justifie d'aucune suite donnée, ni d'aucun obstacle au règlement de cette commission de 560 euros.

Il est ainsi établi que la société Infocom s'est montrée défaillante dans son obligation essentielle de payer l'intégralité des commissions dues à son agent commercial.

Par ailleurs, il ressort de plusieurs courriels en date des 21 décembre 2016, 6 janvier et 10 mars 2017 que M. [E] a informé son mandant des difficultés rencontrées dans sa prospection en raison de la saturation des secteurs géographiques confiés, conduisant au démarchage des mêmes prospects à moins de six mois d'intervalle pour des dossiers différents, ainsi qu'à l'insatisfaction des clients à l'égard d'Infocom. L'agent commercial s'est plaint de ne pouvoir réaliser des objectifs ne correspondant pas à la réalité du terrain.

La société Infocom reste taisante sur ces doléances auxquelles elle ne justifie pas avoir apporté de réponses malgré son obligation de mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.

Si la société Infocom invoque des actes de déloyauté constitutifs d'une faute grave commis par M. [E] pendant l'exécution du contrat d'agence, il doit être constaté qu'elle ne s'en est cependant pas prévalue pour mettre elle-même un terme au contrat, que ces actes ne sont donc pas le motif de la rupture de la relation contractuelle qui ne peut en conséquence être imputée à l'agent.

Elle ne peut pas non plus reprocher à M. [E] d'avoir résilié le contrat sans respecter le préavis d'un mois prévu au contrat, alors qu'il est précisément exclu en cas d'inexécution fautive d'une clause contractuelle.

En conséquence, si la cessation du contrat d'agence est intervenue à l'initiative de M. [E], il est établi qu'elle est justifiée par des circonstances imputables à la société Infocom.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la rupture aux torts de la société Infocom et la cour dira que la résiliation du contrat d'agence est imputable à cette dernière.

2°) sur le paiement de commissions :

Il résulte de ce qui précède que la société Infocom est débitrice à l'égard de M. [E] d'une commission de 560 euros sur la vente d'un espace publicitaire à la société Carrel Energies et d'une prime de 521,25 euros sur le dossier de la commune du Pouzin.

Les bordereaux de commissions et les échanges de courriels versés aux débats permettent de confirmer l'existence de soldes de commissions dus par la société Infocom à M. [E] au titre des dossiers [C], [U], [T], [F] et [S].

Si la société Infocom conteste leur caractère exigible, elle ne fournit aucun bordereau actualisé, ni information sur l'état de ces dossiers conclus par M. [E], alors qu'elle a notamment reconnu, dans un courriel du 28 août 2017, que les communes de [C] et [U] avaient bien exécuté leur obligation contractuelle de paiement du prix de la publicité, rendant exigible la commission de son agent commercial.

Dans ces conditions, la cour considère que la demande en paiement de M. [E] est justifiée à concurrence de 1.956 euros au titre des commissions et de 521,25 euros au titre de la prime de résultat et confirmera le jugement en ce qu'il a condamné la société Infocom au paiement de ces sommes.

3°) sur l'indemnité de fin de contrat :

L'article L. 134-13 du code de commerce exclut la réparation prévue au titre de la cessation des fonctions de l'agent commercial notamment dans le cas où elle est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

Selon les termes du contrat d'agence le liant à la société Infocom, l'agent commercial est tenu à une « obligation de fidélité qui lui interdit de s'intéresser directement ou indirectement à une entreprise concurrente ou de collaborer sous quelque forme que ce soit avec une telle entreprise sauf autorisation expresse de Infocom-France ».

Par ailleurs, il est de l'essence du mandat d'intérêt commun dont dispose l'agent commercial, que ce dernier est tenu d'un devoir de loyauté à l'égard de son mandant.

Le 23 novembre 2016, M. [E] a créé une société Véhicom immatriculée le 25 novembre 2016, dont l'objet social est la location de véhicules.

Il ressort des pièces et notamment du constat d'huissier réalisé le 17 mars 2017 sur le site internet de la société Vehicom qu'il s'agit en réalité d'une mise à disposition gratuite de véhicules financée par la vente d'espaces publicitaires sur les véhicules, que cette activité se trouve en conséquence directement concurrente de la société Infocom et que M. [E] en a assuré la promotion dès le mois de mars 2017 dans un bulletin d'information municipal.

Le procès-verbal de réunion du conseil municipal de [Localité 4] du 16 mars 2017 prouve que la société Véhicom a commencé son activité commerciale dès avant le mois de février 2017 puisque le compte rendu d'exercice des délégations du conseil au maire fait figurer une décision du 2 février 2017 au titre d'un contrat de location longue durée d'un véhicule sponsorisé avec la société Véhicom.

C'est donc bien pendant l'exécution du contrat d'agence et en violation de ses obligations contractuelles que M.[E] a entamé l'exploitation d'une société concurrente de son mandant, activité parallèle qu'il a dissimulée à la société Infocom.

Néanmoins ainsi qu'il a été précédemment examiné, cette faute de M. [E] n'est pas le motif de la résiliation du contrat d'agence et est inopérante à le priver de son droit à indemnité dès lors qu'il résulte des dispositions de l'article L. 134-13 du code de commerce, que lorsque la cessation du contrat d'agence commerciale procède de l'initiative de l'agent et qu'elle est justifiée par des circonstances imputables au mandant, l'indemnité de fin de contrat reste due à l'agent, quand bien même ce dernier aurait commis une faute grave dans l'exécution du contrat.

Le jugement qui a écarté le droit à indemnité de M. [E] devra en conséquence être infirmé.

L'indemnité de cessation de contrat a pour objet de réparer le préjudice qui résulte pour l'agent commercial de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune. Si elle est usuellement déterminée sur la base de deux années de commissions perdues par référence à la moyenne de celles réalisées sur les trois précédents exercices, la réparation du préjudice doit prendre en compte les particularités de l'espèce.

Au cas particulier, M. [E] justifie avoir réalisé sur la période du 11 janvier 2016 au 1er avril 2017, un total de commissions de 75.928, 91 euros, soit une moyenne annuelle de 60.743,13 euros.

Le contrat d'agence n'a cependant été exécuté que pendant 15 mois et ne contient pas de clause de non-concurrence post contractuelle. De plus, M. [E] a repris, au travers de l'exploitation de sa société Vehicom, une activité identique à celle de la société Infocom sur le même secteur géographique, lui permettant de reconstituer plus rapidement son potentiel de rémunérations.

En conséquence, la cour évaluera le préjudice de M. [E] à une année de commissions soit 60.743,13 euros et condamnera la société Infocom à payer cette somme à M. [E].

4°) sur la réparation du préjudice moral de M. [E] :

La teneur des courriels de réclamation adressés par M. [E] à la société Infocom, son initiative de la résiliation du contrat d'agence et la création concomitante de sa propre société concurrente démontrent que les griefs qu'il a pu formuler à titre personnel à l'encontre de la société Infocom n'ont pas été de nature à l'atteindre, mais ont au contraire stimulé ses capacités d'initiative.

Le préjudice moral dont se prévaut M. [E] n'est pas établi et le jugement qui a rejeté sa demande indemnitaire à ce titre sera confirmé.

5°) sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts :

La société Infocom se prévaut d'actes de concurrence déloyale commis à son encontre par M. [E] au travers de l'exploitation de la société Véhicom.

Le principe de la liberté du commerce autorise le commerçant à gérer à sa convenance son entreprise sur un marché concurrentiel et lui confère la liberté d'attirer la clientèle, y compris de ses concurrents, sans engager sa responsabilité.

A l'aune de ce principe, ne peut être constitutif de concurrence déloyale, que l'exercice fautif de ces libertés, conduisant à détourner la clientèle d'un concurrent, à nuire à ses intérêts par des moyens contraires à la loi, aux usages loyaux du commerce ou à l'honnêteté professionnelle.

Le contrat d'agent commercial signé entre les parties comporte en son article 7 la stipulation suivante : « en cas de rupture du présent contrat et qu'elle qu'en soit la cause, Infocom-France autorise l'agent à exercer toute activité professionnelle concurrente à Infocom-France sans limitation de secteur géographique ».

Sous l'empire d'une telle clause, ne peut constituer un acte de concurrence déloyale la seule création par M. [E] d’une société exploitante, sur la même aire géographique, une activité concurrente à celle de la société Infocom.

Il n'est par ailleurs pas démontré que les communes avec lesquelles la société Véhicom a contracté étaient déjà clientes de la société Infocom, ni que ces marchés ont été obtenus par M. [E] pour le compte de la première au travers de procédés déloyaux.

Si l'attestation de M. [Z] fait ressortir que M. [E] a tenté de s'attacher sa collaboration, elle permet aussi de constater qu'il n'y est pas parvenu et il n'en est manifestement résulté aucune incidence sur l'activité commerciale de la société Infocom.

Il est néanmoins établi par le procès-verbal de réunion du conseil municipal de [Localité 4] du 16 mars 2017 que M. [E] a démarché cette commune pour le compte de sa société Véhicom, alors qu'il était encore contractuellement lié à la société Infocom, en violation de son obligation de loyauté, et que le marché des contrats de location d'espace publicitaire afférents à ce véhicule a été perdus pour la société Infocom.

Il résulte des contrats produits que le véhicule était de type Partner et la société Infocom justifie par une attestation de son commissaire aux comptes que la marge réalisée par véhicule de ce type était de 12.799,77 euros en 2017.

La réalisation de l'opération par M. [E] pour le compte de la société Véhicom au lieu de la société Infocom a fait perdre à cette dernière une chance de réaliser cette marge, chance que la cour évaluera à 90 %.

En conséquence, infirmant le jugement, la cour évaluera le préjudice subi par la société Infocom à la somme de 11.519,10 euros et condamnera M. [E] à lui verser ce montant.

Concernant l'indemnisation sollicitée au titre du non-respect du préavis, ainsi que la cour l'a précédemment relevé, le préavis d'un mois prévu à l'article 7 du contrat est expressément écarté lorsque la résiliation résulte de l'inexécution fautive d'une clause contractuelle.

La résiliation étant principalement fondée sur la violation par la société Infocom des conditions contractuelles de rémunération de son agent, elle ne saurait prétendre à une indemnisation pour non-respect du préavis.

 Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Infocom de ce chef de sa demande indemnitaire.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Grenoble en date du 2 avril 2021 en ce qu'il a :

- dit et jugé que M. [E] a commis une faute grave le privant d'indemnité compensatrice,

- rejeté la rupture du contrat aux torts de la société Infocom,

- écarté le moyen tiré de faits constitutifs de concurrence déloyale à l'égard de la société Infocom,

- débouté la société Infocom de sa demande de dommages-intérêts au titre de faits de concurrence déloyale,

- condamné M. [E] à verser à la société Infocom la somme de 2.400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,

Statuant à nouveau,

DIT que la cessation des fonctions d'agent commercial de M. [B] [E] est imputable à la Sas Infocom,

CONDAMNE la Sas Infocom à payer à M. [B] [E] la somme de 60.743,13 euros à titre d'indemnité,

CONDAMNE M. [B] [E] à payer à la Sas Infocom la somme de 11.519,10 euros à titre de dommages-intérêts,

CONFIRME le jugement pour le reste de ses dispositions,

Y ajoutant,

ORDONNE la compensation des créances réciproques,

CONDAMNE la Sas Infocom à verser à M. [B] [E] la somme de 3500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Sas Infocom aux dépens de première instance et d'appel.