Cass. 3e civ., 12 mai 2021, n° 19-24.786
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Rapporteur :
M. Zedda
Avocats :
Me Le Prado, SARL Cabinet Briard, SCP Boulloche, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP L. Poulet-Odent, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Waquet, Farge et Hazan
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 juillet 2019), la société Insead résidences (la société Insead) a confié à la société [Personne physico-morale 1] (la société [Personne physico-morale 1]), assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre de la construction d'une résidence hôtelière.
2. L'exécution des travaux a été confiée à la société Sacieg construction (la société Sacieg), assurée auprès de la SMABTP.
3. La société Sacieg a sous-traité, notamment, le lot carrelages à la société Pinto Rodrigues fils, assurée auprès de la société MAAF assurances, puis de la société Axa France IARD, et le lot plâtrerie à la société C3D, assurée auprès de la société Le Continent, aux droits de laquelle vient la société Generali IARD.
4. Le maître d'ouvrage a souscrit un contrat multirisques de chantier, comprenant notamment une assurance dommages-ouvrage, auprès de la société Les Mutuelles du Mans assurance, aux droits de laquelle viennent les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA).
5. Se plaignant de désordres, la société Insead a obtenu la désignation d'un expert en référé, puis a assigné les constructeurs et assureurs aux fins d'indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche, le moyen unique du pourvoi provoqué des sociétés Sacieg et SMABTP et le moyen unique du pourvoi incident des MMA, pris en sa seconde branche, réunis
Enoncé des moyens
6. Les sociétés Generali, Sacieg et SMABTP font grief à l'arrêt, sur les désordres affectant les murs des chambres, salles de bains et WC, de dire que la société Generali garantit la société C3D sans limite de garantie, de condamner in solidum la société MMA IARD, assureur dommages-ouvrage, la société Sacieg et son assureur, la SMABTP, et la société C3D et son assureur Generali, à payer à la société Insead diverses sommes pour les travaux de démontage d'une salle de bains, pour les travaux de réfection des chambres affectées de désordres, pour les honoraires de maîtrise d'oeuvre complète, de coordination SPS, de bureau de contrôle et pour la souscription d'une assurance dommages-ouvrage, de dire que la société Sacieg et la SMABTP sont garanties par la société C3D et son assureur Generali, de dire, sur la réparation des désordres « non individualisée » par l'expert, que la société Generali garantit la société C3D sans limite de garantie, de condamner in solidum la société MMA IARD, assureur dommages-ouvrage, la société Sacieg et son assureur SMABTP, la société C3D et son assureur Generali, et la société Pinto et son assureur MAAF, à payer à la société Insead diverses sommes pour les essais et les sondages, pour les « travaux déjà réalisés », pour la perte d'exploitation de quatre chambres en raison des sondages, pour l'indemnisation des chambres immobilisées pendant les travaux réparatoires, pour les honoraires d'assistance technique, de dire que la société Sacieg et la SMABTP sont garanties par la société C3D et la société Generali, et la société Pinto et son assureur MAAF, tenues in solidum, de dire que le partage de responsabilités entre les deux entreprises sous-traitantes, Pinto et C3D, s'opérera de la manière suivante : pour la société Pinto sous la garantie de la MAAF : 30 %, pour la société C3D sous la garantie de la compagnie Generali : 70 % et de dire que dans leurs recours entre elles, les sociétés responsables et leurs assureurs respectifs, seront garantis des condamnations prononcées à leur encontre à proportion du partage de responsabilités ainsi fixé, alors « qu'en jugeant, à propos des désordres affectant les murs des chambres, des salles de bain et des WC, tenant à des décollements en cueillies des plafonds dans les chambres, des décollements du doublage au pourtour des murs porteurs dans les chambres, des fissurations des carreaux de faïence sur les murs des salles de bains au droit et au-dessus des baignoires et des fissurations verticales au droit des plaques murales dans les WC, pour retenir la nature décennale de l'ensemble desdits désordres et dire la garantie de la société Generali engagée, que "Monsieur [E] déclare qu'en ce qui concerne les décollements de doublage, certes, il n'y a aucune atteinte à la solidité, ni de risque pour les personnes", mais "qu'il ne s'agit pas uniquement de problème inesthétique... car si vous n'avez pas de doublage ou des doublages dégradés, vous n'avez plus les isolations nécessaires et l'habitabilité de ces chambres est réduite, voire même anéantie. Or, ces cadres de haut niveau [qui louent ces chambres] travaillent très tard dans leur chambre pour préparer leurs dossiers, ils vivent carrément dans leur chambre et ils ne font pas qu'y dormir. D'où l'obligation d'avoir une habitabilité correcte...", "qu'il n'est contesté par aucune partie que ces désordres n'étaient pas apparents à la réception des travaux, et qu'ils n'ont fait l'objet d'aucune réserve. La première déclaration de sinistre les concernant faite à l'assureur DO date du 4 mai 2003" et qu'il "ressort ainsi de ces éléments que si les désordres précités ne portent pas atteinte à la solidité de l'ouvrage (ce que reconnaît l'Insead), ils le rendent toutefois impropre à sa destination, qui est d'accueillir des stagiaires-étudiants, qu'ils soient ou non des cadres de haut niveau habitués à un certain confort, en ce qu'ils l'affectent dans son habitabilité, en présence de désordres généralisés, tels que décrits précédemment, non seulement dans la quasi-totalité des chambres, mais également dans une grande partie des salles de bain et des WC", et en ne vérifiant pas en quoi les décollements en cueillies des plafonds dans les chambres, les fissurations des carreaux de faïence sur les murs des salles de bains au droit et au-dessus des baignoires et les fissurations verticales au droit des plaques murales dans les WC rendraient également l'immeuble impropre à sa destination, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »
7. Les sociétés MMA font grief à l'arrêt de condamner la société MMA IARD, assureur dommages-ouvrage, ce, sous la garantie de la société Sacieg et de son assureur la SMABTP, in solidum avec la société Sacieg et son assureur la SMABTP, et la société C3D et son assureur la compagnie Generali, à payer à la société Insead diverses sommes pour les travaux de démontage d'une salle de bains, pour les travaux de réfection des chambres affectées de désordres, pour les honoraires de la maîtrise d'oeuvre complète, de la coordination SPS, du bureau de contrôle et pour la souscription d'une assurance dommages-ouvrage et, sur la réparation des désordres « non individualisés » par l'expert, de condamner la société MMA IARD, assureur dommages-ouvrage, ce, sous la garantie de la société Sacieg et de son assureur la SMABTP, in solidum la société Sacieg et son assureur la SMABTP, la société C3D et son assureur la compagnie Generali, et la société Pinto et son assureur la MAAF, à payer à la société Insead diverses sommes pour les essais et les sondages, pour les « travaux déjà réalisés », pour la perte d'exploitation de quatre chambres en raison des sondages, pour l'indemnisation des chambres immobilisées pendant les travaux réparatoires et pour les honoraires d'assistance technique, alors « que les constructeurs sont responsables de plein droit des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; que la cour d'appel a relevé, à propos des désordres affectant les murs des chambres, des salles de bain et des WC, tenant à des décollements en cueillies des plafonds dans les chambres, des décollements du doublage au pourtour des murs porteurs dans les chambres, des fissurations des carreaux de faïence sur les murs des salles de bains au droit et au-dessus des baignoires et des fissurations verticales au droit des plaques murales dans les WC), que l'ensemble de ces désordres revêtaient une nature décennale, du fait que s'agissant des décollements de doublage, même en l'absence d'atteinte à la solidité et de risque pour les personnes, le désordre n'était pas seulement esthétique, en ce qu'en affectant l'habitabilité de l'immeuble, il le rendait impropre à sa destination, en présence de désordres généralisés, non seulement dans la quasi-totalité des chambres, mais également dans une grande partie des salles de bain et des WC ; qu'en statuant ainsi, sans expliquer en quoi les décollements en cueillies des plafonds dans les chambres, les fissurations des carreaux de faïence sur les murs des salles de bains au droit et au-dessus des baignoires et les fissurations verticales au droit des plaques murales dans les WC rendraient également l'immeuble impropre à sa destination, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et suivants du code civil. »
Réponse de la Cour
8. Par motifs adoptés, la cour d'appel a retenu que les fêlures ou casses des carreaux sur les murs des salles de bains, le décollement en cueillies de plafonds et la fissuration verticale au droit des plaques murales compromettaient l'esthétique et l'habitabilité de l'immeuble, qu'ils le rendaient impropre à sa destination dès lors qu'ils affectaient des éléments essentiels des salles de bains et des WC, à savoir les carrelages, ainsi que les murs porteurs, rendant inhabitables des chambres d'une résidence hôtelière de haut standing, et qu'ils étaient donc de nature décennale au sens des dispositions de l'article 1792 du code civil.
9. La cour d'appel, qui s'est expliquée sur la gravité de l'ensemble des désordres, a ainsi légalement justifié sa décision.
Sur le moyen unique du pourvoi incident des MMA, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
10. Les sociétés MMA font le même grief à l'arrêt, alors « que dans leurs conclusions d'appel, les MMA demandaient, "sur le décollement des doublages sur le pourtour du mur des chambres, les fêlures ou casse de carreaux sur les murs de salle de bains, les décollements en cueillies de plafond, les fissures verticales au droit des plaques murales", à voir, "compte tenu du caractère esthétique de ces désordres", réformer le jugement entrepris en ce qu'il les avait condamnées en leur qualité d'assureur dommages-ouvrage, à payer à la société Insead résidences, diverses sommes au titre des essais, du démontage de la salle de bain, des travaux déjà réalisés, des travaux de réfection à réaliser, et des honoraires des locateurs d'ouvrage ; qu'en déclarant que la société MMA IARD succédant à la société Covea Risks, assureur dommages-ouvrage, ne contestait pas le caractère décennal des désordres, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel, qui a constaté que les désordres, apparus après la réception, étaient de la gravité de ceux visés à l'article 1792 du code civil, en a exactement déduit, abstraction faite de motifs surabondants, que l'assureur dommages-ouvrage devait sa garantie.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
13. La société Generali fait grief à l'arrêt, sur les désordres affectant les murs des chambres, salles de bains et WC, de dire que la société Generali garantit la société C3D sans limite de garantie, de condamner in solidum la société MMA IARD, assureur dommages-ouvrage, la société Sacieg et son assureur la SMABTP, et la société C3D et son assureur Generali, à payer à la société Insead diverses sommes pour les travaux de démontage d'une salle de bains, pour les travaux de réfection des chambres affectées de désordres, pour les honoraires de maîtrise d'oeuvre complète, de coordination SPS, de bureau de contrôle et pour la suscription d'une assurance dommages-ouvrage, de dire que la société Sacieg et la SMABTP sont garanties par la société C3D et son assureur Generali, de dire, sur la réparation des désordres « non individualisée » par l'expert, que la société Generali garantit la société C3D sans limite de garantie, de condamner in solidum la société MMA IARD, assureur dommages-ouvrage, la société Sacieg et son assureur SMABTP, la société C3D et son assureur Generali, et la société Pinto et son assureur MAAF, à payer à la société Insead diverses sommes pour les essais et les sondages, pour les « travaux déjà réalisés », pour la perte d'exploitation de quatre chambres en raison des sondages, pour l'indemnisation des chambres immobilisées pendant les travaux réparatoires, pour les honoraires d'assistance technique, de dire que la société Sacieg et la SMABTP sont garanties par la société C3D et la société Generali, et la société Pinto et son assureur MAAF, tenues in solidum, de dire que le partage de responsabilités entre les deux entreprises sous-traitantes, Pinto et C3D, s'opérera de la manière suivante : pour la société Pinto sous la garantie de la MAAF : 30 %, pour la société C3D sous la garantie de la compagnie Generali : 70 % et de dire que dans leurs recours entre elles, les sociétés responsables et leurs assureurs respectifs, seront garantis des condamnations prononcées à leur encontre à proportion du partage de responsabilités ainsi fixé, alors :
« 2°/ qu'en production n° 2, la société Generali produisait le "contrat d'assurance" qui la liait à la société C3D, composé de ses conditions générales et de ses conditions particulières, ainsi qu'il était confirmé par l'accusé de réception des pièces communiquées par RPVA ; qu'en jugeant que « Generali dénie inutilement sa garantie contractuelle à C3D dès lors qu'elle ne produit que "les dispositions générales" intitulées "Multibat assurance responsabilité civile des entreprises du bâtiment" provenant des "Continent Assurances" portant la référence « 122-2171 - de janvier 1996", à l'exclusion de tout autre document dont notamment les conditions particulières du contrat signé par C3D et Generali. Ce contrat n'est pas produit aux débats après plus de 10 années de procédure. Ainsi en l'absence d'une telle de production, la cour retient la garantie de Generali à l'égard de son assurée C3D, sans limite de garantie du chef de la réparation des dommages matériels s'agissant de la mise en oeuvre d'une garantie obligatoire, il en sera de même du chef de l'indemnisation du préjudice immatériel qui sera examinée ci-dessous. De la même façon, en l'absence de justification de limites contractuelles de garantie (plafonds et franchises), aucune ne sera appliquée", la cour d'appel a méconnu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause, et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ subsidiairement à la deuxième branche, qu'en relevant d'office que "Generali dénie inutilement sa garantie contractuelle à C3D dès lors qu'elle ne produit que "les dispositions générales" intitulées "Multibat assurance responsabilité civile des entreprises du bâtiment" provenant des "Continent Assurances" portant la référence "122-2171 - de janvier 1996", à l'exclusion de tout autre document dont notamment les conditions particulières du contrat signé par C3D et Generali. Ce contrat n'est pas produit aux débats après plus de 10 années de procédure", bien que la société Generali se soit prévalue de ces conditions particulières dans ses conclusions d'appel et que ces conditions particulières aient été formellement visées par l'accusé de réception des pièces communiquées généré par le RPVA, sans provoquer les observations des parties, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
14. D'une part, la société Generali n'indiquait pas, dans ses conclusions d'appel, que la demande de prise en compte d'un plafond de garantie et d'une franchise se fondait sur les conditions particulières du contrat d'assurance.
15. D'autre part, le bordereau des pièces annexé aux conclusions visait, en pièce n° 2, un « contrat d'assurance », sans préciser que la pièce se composait de plusieurs documents.
16. La cour d'appel n'a pas dénaturé, par omission, un écrit dont il n'est pas établi qu'il lui ait été remis et n'était pas tenue d'inviter les parties à s'expliquer sur l'absence de production d'un document qui n'était visé ni dans leurs conclusions ni dans leurs bordereaux de pièces.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.