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Décisions

AMF, 9 mars 2006, n° SAN-2006-14

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Membres :

Mme Cohen-Branche, M. Brissy, M. Ferri, M. Hellebuyck, M. Lasserre, M. Coste, M. Thouvenel, M. Surzur

Président :

M. Ribs

AMF n° SAN-2006-14

8 mars 2006

La Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) ;

Vu la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, notamment ses articles 47 et 49 III et IV ;

Vu le code monétaire et financier et notamment les articles L. 533-4, L. 621-9, L. 621-14, L. 621-15, L. 622-16 et L. 622-17 en vigueur jusqu’au 23 novembre 2004 et les articles L. 533-4, L. 621-9, L. 621-14 et L. 621-15 actuellement en vigueur, ainsi que les articles R. 621-38 à R. 621-42 ;

Vu le règlement n° 90-04 de la Commission des opérations de bourse (COB) relatif à l’établissement des cours et, notamment, ses articles 3 et 4, maintenus en vigueur par l’article 47 de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière susmentionnée jusqu’à leur reprise, à compter du 25 novembre 2004 par les articles 631-1 et 631-4 du règlement général de l’AMF;

Vu le règlement général du Conseil des marchés financiers (CMF), et notamment ses articles 3-1-1, 3-4-1 et 2-4-17 maintenus en vigueur par l’article 47 de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière susmentionnée jusqu’à leur reprise, à compter du 25 novembre 2004, par les articles 321-24, 321-76 et 321-23 du règlement général de l’AMF ;

Vu les notifications de griefs en date du 24 février 2005 adressées à la société X, MM. A et B, d’une part, et aux prestataires de services d’investissement Y, Z et W, d’autre part ;

Vu la décision du président de la Commission des sanctions du 1er mars 2005 désignant M. Jean-Pierre Morin, membre de la Commission des sanctions, en qualité de rapporteur ;

Vu les observations écrites en réponse à la notification des griefs présentées le 23 juin 2005 par Mes Guillaume Dolidon et Arthur Dethomas pour le compte de la société X et MM. A et B ;

Vu les observations écrites en réponse à la notification des griefs présentées le 11 juin 2005 par M. B pour le compte de la société X et de M. A et pour son propre compte ;

Vu les observations écrites en réponse à la notification des griefs présentées le 22 avril 2005 par la société Y ;

Vu les observations écrites en réponse à la notification des griefs présentées le 29 avril 2005, après deux prorogations de délais, d’abord jusqu’au 25 avril 2005, puis jusqu’au 29 avril 2005, par Me Jean-Guillaume d’Hérouville pour le compte de la société Z ;

Vu les observations écrites en réponse à la notification des griefs présentées par la société W le 18 avril 2005, après une prorogation de délais jusqu’au 25 avril 2005 ;

Vu les lettres de convocation du 27 janvier 2006 auxquelles était annexé le rapport du rapporteur en date du

27 janvier 2006 ;

Vu les observations écrites en réponse au rapport du rapporteur formulées par M. B pour le compte de la société

X et de MM. A et pour son propre compte en date du 14 février 2006 ;

Vu les observations écrites en réponse au rapport du rapporteur formulées par Me Eric Delfly le 8 février 2006 pour le compte de la société Y ;

Commission des sanctions

Vu les observations écrites en réponse au rapport du rapporteur formulées par la société Z en date du 13 février 2006 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir constaté l’absence de M. A, régulièrement convoqué,

Et après avoir entendu au cours de la séance du 9 mars 2006 :

M. Jean-Pierre Morin en son rapport ;

Mme Delphine d’Amarzit, commissaire du Gouvernement, qui a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler ;

Mes Guillaume Dolidon et Arthur Dethomas, conseils de la société X et de MM. A et B en leurs observations ;

M. B ;

Me Eric Delfly, du cabinet Vivaldi, conseil de la société Y, en ses observations ;

M. [...], représentant la société Y en sa qualité de président du conseil d’administration de cette société ;

M. [...], représentant la société Z, en sa qualité de président du directoire de cette société ;

Me Jean-Guillaume d’Hérouville, conseil de la société Z, en ses observations ;

M. [...], représentant la société W en sa qualité de directeur général de cette société ;

Les personnes mises en cause ou leurs avocats ayant pris la parole en dernier.

I – FAITS ET PROCEDURE

A/ FAITS

Le service de la surveillance des marchés de la COB ayant constaté qu’à plusieurs reprises à la fin de l’année 2002 et au cours du premier semestre 2003, M. A avait procédé, par l’intermédiaire du prestataire de services d’investissement Y et, dans une moindre mesure via W et Z, à des interventions en cours de séance (« intraday ») sur des valeurs, pour la plupart éligibles au service de règlement différé (« SRD »), dont le cours avoisinait 1 € (i.e. : « penny stocks »), dans des volumes pouvant représenter jusqu’à 30% du volume des négociations quotidiennes, a procédé à une analyse approfondie des transactions réalisées par celui-ci ou pour son compte.

Ces faits ont conduit le directeur général de la COB à décider, le 10 septembre 2003, l’ouverture d’une enquête sur les opérations réalisées sur les marchés pour le compte de M. A et de toute personne qui lui serait liée à compter du 1er janvier 2003.

Cette enquête a permis d’établir que la quasi-totalité des ordres passés pour le compte de la société X et de M. A étaient en réalité le fait de M. B, relation amicale de M. A, qui disposait de procurations sur l’ensemble des comptes-titres dont la société X et M. A étaient titulaires.

B/ PROCEDURE

Lors de sa séance du 15 février 2005, la commission spécialisée n° 3 du Collège de l’AMF, constituée en application de l’article L. 621-2 du code monétaire et financier, a examiné, conformément à l’article L. 621-15 du même code, le rapport établi par la direction des enquêtes et de la surveillance des marchés (DESM) de l’AMF dans le cadre de l’enquête ouverte le 10 septembre 2003 par le directeur de la COB concernant les opérations réalisées sur les marchés par M. A et par toute personne qui lui serait liée, sur toutes valeurs, à compter du 1er janvier 2003, ainsi qu’il a été dit ci-dessus.

Le président de l’AMF, agissant pour la commission spécialisée du Collège n° 3, a adressé, le 24 février 2005, par lettres recommandées avec demande d’avis de réception, des notifications de griefs à l’encontre de :

- la société X, représentée par MM. A et B, co-directeurs, sur le fondement des articles 3 et 4 du règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours, maintenu en vigueur par l’article 47 de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, et des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier ;

- M. A, à titre personnel, sur le fondement des mêmes dispositions ; et

- M. B, à titre personnel, sur le fondement, là encore, des mêmes dispositions ;

d’une part, et de :

- la société Y, représentée par son président directeur général, M. [...], sur le fondement des articles 3-1-1, 3-4-1 et 2-4-17 du règlement général du CMF maintenu en vigueur par l’article 47 de la loi n° 2003- 706 du 1er août 2003 de sécurité financière et des articles L. 533-4, L. 621-9 et L. 621-15 du code monétaire et financier ;

- la société Z, représentée par le président de son directoire, M. [...], sur le fondement des mêmes dispositions ; et

- la société W, représentée par son directeur général, M. [...], sur le fondement, à nouveau, des mêmes dispositions ; d’autre part.

Par décision du 1er mars 2005 prise en application de l’article R. 621-39 du code monétaire et financier, le président de la Commission a désigné M. Jean-Pierre Morin en qualité de rapporteur dans cette affaire.

M. Jean-Pierre Morin a avisé la société X, MM. A et B, la société Y, la société Z et la société W, en la personne, dans le dernier cas, de son avocat, Me Jean-Guillaume d’Hérouville, par lettres recommandées avec demande d’avis de réception en date du 21 mars 2005, de sa désignation en qualité de rapporteur.

Conformément à l’article R. 621-38 du code monétaire et financier, Mes Guillaume Dolidon et Arthur Dethomas, ont formulé, le 23 juin 2005, pour le compte de la société X et de MM. A et B, des observations écrites en réponse aux notifications de griefs en date du 24 février 2005 tendant à démontrer que les éléments constitutifs des manquements au règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours reprochés à leurs clients ne sont pas établis en l’espèce.

M. B a par ailleurs adressé au président de la Commission, par courrier en date du 11 juin 2005, cinq documents représentant un total de 426 pages tendant à démontrer la régularité de ses interventions.

Le 22 avril 2005, la société Y a formulé des observations écrites en réponse à la notification des griefs en date du 24 février 2005 tendant à démontrer, d’une part, qu’elle a scrupuleusement respecté ses obligations de diligence, de loyauté, d’équité, de primauté des intérêts de ses clients et de respect de l’intégrité du marché et, d’autre part, qu’elle a, en l’espèce, mis en oeuvre les procédures qui s’imposaient.

Le 29 avril 2005, la société Z, qui a pour avocat Me Jean-Guillaume d’Hérouville, a formulé, après prorogation de délai jusqu’au 25 avril 2005, puis jusqu’au 29 avril 2005, des observations écrites en réponse à la notification des griefs en date du 24 février 2005 tendant à démontrer, d’une part, qu’elle a mis en oeuvre tous les moyens conformes à la réglementation, en allant même au-delà des prescriptions réglementaires et, d’autre part, que l’AMF n’apporte pas la preuve que les infractions reprochées à la société X et à MM. A et B, à les supposer établies, pouvaient raisonnablement être décelées par ses systèmes de contrôle, compte tenu notamment du faible volume des ordres qu’elle a traités pour le compte de M. A et de l’absence manifeste de tout caractère suspect de ces ordres.

Enfin, le 18 avril 2005, la société W a, après prolongation de délai jusqu’au 25 avril 2005, formulé des observations en réponse à la notification des griefs en date du 24 février 2005 tendant à démontrer que les griefs qui lui ont été notifiés ne sont pas susceptibles de justifier une sanction à son encontre.

Le 11 mai 2005, M. Jean-Pierre Morin a entendu M. B, dûment convoqué par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 26 avril 2005. Informé de la possibilité de se faire assister par le conseil de son choix, M. B s’est présenté seul pour être entendu.

Le 4 juillet 2005, M. Jean-Pierre Morin a également entendu M. [...], président du directoire de la société Z, dûment convoqué par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 31 mai 2005. M. [...] a été entendu en présence de son avocat, Me Jean-Guillaume d’Hérouville, et de M. Arcady Lapiro, responsable du contrôle interne de la société Z.

Le 27 janvier 2006, la société X, MM. A et B, les sociétés Y, Z et W ont, conformément aux dispositions de l’article R. 621-39-II. du code monétaire et financier, été convoqués, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, devant la Commission des sanctions le 9 mars 2006. Ces convocations étaient accompagnées d’une copie du rapport de M. Jean-Pierre Morin.

Le 8 février 2006, Me Eric Delfly a formulé, pour le compte de la société Y, des observations écrites en réponse au rapport de M. Jean-Pierre Morin.

Le 13 février 2006, la société Z a formulé des observations écrites en réponse au rapport de M. Jean- Pierre Morin.

Le 14 février 2006, M. B a formulé, pour le compte de la société X et de MM. A et pour son propre compte, des observations écrites en réponse au rapport de M. Jean-Pierre Morin.

II - DECISION

1ère PARTIE

SUR LES MANQUEMENTS REPROCHES A LA SOCIETE X ET A MM. A ET B

I – SUR L’APPLICATION DU REGLEMENT COB N° 90-04 RELATIF A L’ETABLISSEMENT DES COURS ET

L’IMPUTABILITE DES MANQUEMENTS AU REGLEMENT COB N° 90-04 RELATIF A

L’ETABLISSEMENT DES COURS

Considérant que l’arrêté du 12 novembre 2004 publié au Journal officiel du 24 novembre 2004 a, entre autres, abrogé avec effet immédiat le règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours qui fonde les griefs notifiés à la société X et à MM. A et B, et lui a substitué le règlement général de l’AMF dont il porte homologation ;

Considérant que l’article 47 de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 précitée dispose que les règlements COB, notamment le règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours, demeuraient applicables jusqu’à leur abrogation ; qu’il en résulte que jusqu’au 25 novembre 2004, le règlement COB n° 90-04 a continué à s’appliquer aux faits et situations qu’il visait ;

Considérant que, depuis le 25 novembre 2004, c’est au regard des articles 631-1 à 631-4 du règlement général de l’AMF que la régularité des interventions sur le marché doit être appréciée et que d’éventuelles irrégularités demeurent susceptibles d’être sanctionnées ; que les dispositions nouvelles indiquent certes avec plus de précisions les conditions permettant de qualifier les interventions de « manipulation de cours » ; que toutefois, sur le fond, ces précisions ne modifient en rien le principe d’interdiction des manipulations de cours figurant dans le règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours, dont les articles 3 et 4 sont repris par les articles 631- 1 et 631-4 du règlement général de l’AMF ;

Considérant qu’en l’absence de dispositions plus douces susceptibles de recevoir une application rétroactive (rétroactivité in mitius), il y a lieu de continuer à faire application des dispositions du règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours en l’espèce ;

Considérant, que selon l’article 1er du règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours, le terme « personne » désigne une personne physique ou une personne morale ; qu’il en résulte que les manquements aux dispositions du chapitre I du règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours peuvent donner lieu à une sanction à l’encontre de toute personne, physique ou morale, quelle qu’elle soit, dès lors que les éléments constitutifs du manquement sanctionné sont réunis ; que ces dispositions pourraient donc justifier que soit prononcée à l’encontre de la société X ou de MM. A et B une sanction sur le fondement des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier ;

II – SUR LE FOND

Considérant que, selon les notifications de griefs adressées respectivement à la société X et à M. A, celui-ci a confié à M. B le soin d’intervenir sur les marchés boursiers français en lui donnant une simple procuration ne comportant pas de mandat de gestion, à l’effet d’opérer sur divers comptes-titres dont lui-même ou la société X, dont il était le fondateur et le seul directeur jusqu’en mars 2004, étaient titulaires chez différents prestataires de services d’investissement ; que selon cette notification de griefs, il a été continuellement et régulièrement tenu informé par M. B de l’évolution des comptes-titres concernés et des plus-values réalisées sur ceux-ci ;

Considérant que la notification de griefs adressée à M. B qui, comme il a été dit ci-dessus, disposait de procurations sur les comptes de M. A et de la société X avant de devenir co-directeur de cette société en mars 2004 et d’acquérir de ce fait le pouvoir de faire fonctionner les comptes-titres de celle-ci sans procuration, reprend les mêmes constatations que celle adressée à M. A ; qu’elle relève en outre qu’entre le 1er janvier 2003 et le 27 août 2004, M. B a, en mettant en oeuvre une « méthode » particulière critiquée par la notification, passé sur les seuls comptes-titres ouverts au nom de la société X et de M. A dans les livres de la société Y, 17 457 ordres d’achat dont 10 873 (62,28%) ont été annulés sans avoir été exécutés, même partiellement, et 16 636 ordres de vente dont 9 444 (56,77%) ont été annulés sans avoir été exécutés, même partiellement, permettant la réalisation, sur ces comptes-titres, d’une plus-value globale nette de 2 929 564 € en 148 interventions réalisées entre le 1er janvier 2003 et le 27 août 2004 ;

Considérant que, selon les notifications de griefs adressées à la société X et à MM. A et B, les faits décrits ci-dessus pourraient constituer, à l’encontre de chacune de ces personnes, un manquement aux dispositions des articles 3 et 4 du règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours, repris par les articles 631-1 et 631-4 du règlement général de l’AMF ;

*

Considérant que la société X et MM. A et B prétendent, en réponse à ces griefs, que les éléments constitutifs des manquements au règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours qui leur sont reprochés ne sont pas réunis en l’espèce et qu’il convient d’examiner la pertinence de leur argumentation ;

SUR LE PREMIER MOYEN

Considérant que la société X et MM. A et B font d’abord valoir que le manquement prévu par le règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours est « (…) un manquement de nature économique » dont l’objet est, « (…) à l’instar des autres manquements du droit boursier (…) d’assurer le fonctionnement équitable et régulier du marché boursier » ; qu’ils rappellent que le bon fonctionnement du marché boursier implique que les cours, soient fixés selon le principe de « (…) libre confrontation de l’offre et de la demande » et que « (…) les investisseurs ne puissent en aucun cas, et à aucun moment, déterminer ou contrôler les différents paramètres qui affectent l’établissement de cette offre ou de cette demande » ; qu’ils en déduisent que « (…) l’investissement en bourse est nécessairement aléatoire », c’est-à-dire risqué, et que « (…) la notion de risque est donc exclusive de toute manipulation » ; que c’est, selon eux, parce qu’elles réduisent l’aléa inhérent à tout investissement en bourse que « (…) les actions artificielles sur les cours entravent la formation du cours de bourse et sont donc répréhensibles » ; qu’ils déduisent implicitement mais nécessairement du caractère aléatoire de l’investissement en bourse, qu'ils considèrent ainsi établi, l’impossibilité de toute manipulation de cours ;

Considérant que c’est justement pour assurer la libre confrontation de l’offre et de la demande dans un fonctionnement équitable du marché que les dispositions de l’article 3 du règlement COB n° 90-04 proscrivent les opérations ayant pour objet d’entraver l’établissement du prix sur le marché ou d’induire autrui en erreur, base de l’actuelle poursuite, et que ce premier moyen est donc dépourvu de toute pertinence

SUR LE DEUXIEME MOYEN

Considérant que, dans ses observations, M. B conteste la méthode adoptée par les enquêteurs de la DESM, qui, selon lui, ne rend pas compte du contexte du marché lors des interventions litigieuses et qui repose, selon lui, sur des critères de sélection des séances au cours desquelles il est intervenu faussant leur analyse des faits ; qu’il propose des critères de substitution dont l’adoption conduirait à ne plus retenir que 21 séances au lieu de 148 séances ;

Mais considérant que cette argumentation repose sur une re-formulation des griefs ; qu’en effet, contrairement à ce que tente de faire croire M. B pour réduire le nombre de séances retenues par les enquêteurs, ce qui est contesté, c’est la chronologie des annulations et des remplacements d’ordres auxquels il a procédé ; que cette chronologie implique, comme il sera démontré ci-dessous, la volonté de M. B de ne pas voir ses ordres exécutés ou, à tout le moins, d’en éviter et/ou d'en retarder autant que possible l’exécution ; qu’il en résulte que cet argument est inopérant ;

SUR LE TROISIEME MOYEN PRIS EN SES DIVERSES BRANCHES

Considérant que la société X et MM. A et B soutiennent que le manquement visé par l’article 3 du règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours n’est constitué que si trois éléments sont réunis, à savoir (i) l’existence d’un acte de tromperie, ce qui suppose selon eux que l’acte concerné « (…) soit demeuré occulté aux yeux des tiers », (ii) le succès de cette tromperie, qui implique selon eux que la « (…) preuve que des tiers ont effectivement agi en considération de l’action des intervenants qui ont mis en oeuvre le procédé de tromperie » soit rapportée et, enfin, (iii) le caractère délibéré de celle-ci ; que selon eux, aucun de ces trois éléments n’est caractérisé en l’espèce ;

1° Sur l’absence de caractérisation des « manoeuvres » entravant la libre détermination du prix ou induisant autrui en erreur

a/ Sur l’absence de « manoeuvres »

· Sur la notion de « manoeuvres »

Considérant que la société X et MM. A et B prétendent avoir agi « (…) en dehors de toute stratégie réfléchie et préalable », en se contentant de faire confiance à « (…) l’habileté de leurs prévisions pour réaliser leurs opérations » ; qu’ils contestent le terme « manoeuvre » M. B faisant valoir dans ses observations qu’« (…) une manoeuvre nécessite l’emploi de moyens pour arriver à une fin voulue, ce qui implique une volonté et un contrôle dans son exécution », contrôle dont il prétend n’avoir jamais disposé puisque tout ordre qu’il entrait en carnet pouvait être exécuté à tout moment tant qu’il y demeurait ;

Mais considérant qu’il n’est pas nécessaire que les « manoeuvres » utilisées pour manipuler le cours aient été couronnées de succès pour qu’elles puissent être sanctionnées sur le fondement de l’article 3 du règlement COB n°90-04 dès lors qu’il peut être établi que ces « manoeuvres », telles que réalisées, avaient pour objet d’entraver le bon fonctionnement du marché et d’induire autrui en erreur, l’importance des profits réalisés montrant ici, au surplus, leur succès ;

· Sur l’absence de « méthode »

Considérant que la société X et MM. A et B nient en particulier l’existence d’une quelconque « méthode » et prétendent que la DESM a « (…) [additionné] des comportements qui, pris isolément sont tout à fait licites » pour « (…) conclure à la mise en oeuvre d’une manoeuvre raisonnée et rationnelle, d’une stratégie réfléchie » en se fondant abusivement sur trois exemples d’interventions seulement ; qu’ils prétendent en particulier que « (…) [leur] rationalité (…) est présumée » et que la « méthode » qui leur est prêtée est abusivement présentée par la DESM comme étant de nature à générer des plus-values de façon systématique, ce qui, selon eux, n’est absolument pas le cas ;

Considérant tout au contraire que ce n’est évidemment qu’en analysant les ordres et leurs annulations dans leur ensemble, donnant une image trompeuse de la réalité du carnet d’ordres, et en particulier dans leur ordonnancement chronologique, et non en les considérant un par un, que les « manoeuvres » et la « méthode » dont elles procèdent apparaissent ;

Considérant que la société X et MM. A et B tirent argument du « filtrage obligatoire » des ordres effectué par les prestataires de services d’investissement pour soutenir que les ordres litigieux n’étaient pas irréguliers et qu’en tout état de cause, à compter de leur transmission aux intermédiaires financiers, ceux-ci en assumaient la responsabilité pleine, entière et exclusive ;

Mais considérant que la société X et MM. A et B ne peuvent sérieusement arguer pour établir l’absence de « manoeuvre » et de « méthode » du fait que les ordres qu’ils ont passés ont subi le « filtrage obligatoire » des prestataires de services d’investissement, soutenant ainsi paradoxalement qu’il ne peut y avoir de « manoeuvres » de manipulation par les ordres que dans le cas où les ordres au moyen desquels la manipulation serait mise en oeuvre seraient refusés à la fois par les prestataires de service d’investissement et par l’entreprise de marché, c’est à dire dès lors que de tels ordres n’auraient aucune existence ;

Considérant que M. B prétend en outre que l’« effet de levier » n’est pas plus important sur les « penny stocks » que sur les autres instruments financiers ; qu’il prétend en outre n’avoir que très rarement utilisé l’effet de levier maximum autorisé par la société Y ; qu’il soutient qu’il est inexact de prétendre que le recours à un effet de levier important aboutit à un taux d’« emprise » plus important sur le marché ; que, selon lui, le ratio entre l’échelon de cotation et le cours des « penny stocks » ne donne aucun avantage particulier ; qu’il souligne que, lors même qu’il donnerait un tel avantage, les risques de pertes seraient également accrus à due proportion ; qu’il fait enfin valoir que ce ratio est le même pour tous les investisseurs qui, s’il était établi qu’il confère un quelconque avantage, pourraient tous en profiter ;

Mais considérant que le choix des « penny stocks » révèle une stratégie mûrement réfléchie ; qu’en effet, pour un cours compris entre 0 et 50 €, les règles de fonctionnement d’Euronext prévoient un pas de cotation (ou « tick ») de 0,01 € ; qu’en d’autres termes, pour un instrument financier cotant 1 €, l’augmentation d’un seul « tick » correspond à un gain immédiat de 1%, le ratio étant d’autant plus élevé que le cours est proche de 0 € ; que la « méthode » reprochée à la société X et à MM. A et B reposant précisément sur le gain de quelques échelons de cotation, intervenir sur des « penny stocks » maximisait évidemment les chances de gain ; qu’il importe peu à cet égard que le ratio entre l’échelon de cotation et le cours soit le même pour tous les investisseurs, la prohibition des manoeuvres de manipulation de cours ne pouvant être levée au motif qu’elles seraient à la portée de tout investisseur sans discrimination ;

· Sur l’annulation d’ordres et sur leur caractère « artificiel »

Considérant que la société X et MM. A et B prétendent que la principale motivation des annulations d’ordres auxquelles ils ont procédé était « (…) non pas la non exécution en soi, mais la gestion du risque de perte due à l’exécution des ordres qui justement pouvait intervenir à tout moment » ou « (…) des raisons diverses en fonction des situations de marché » ; qu’ils ajoutent que l’annulation d’un ordre, pas plus que son émission, « (…) n’a nécessairement besoin d’être justifiée économiquement » , M. B avançant par ailleurs pour sa part diverses explications pour justifier les annulations d’ordres qui lui sont reprochées, telle la recherche d’une meilleure répartition du risque ;

Mais considérant qu’il ne saurait être valablement prétendu que la principale motivation des annulations d’ordres litigieuses était « la gestion du risque de perte due à l’exécution des ordres » ou « des raisons diverses en fonctions des situations de marché » ; qu’en effet, ces explications sont contredites par le caractère systématique et répétitif de la « méthode » employée ; que de plus, l’optimisation de la gestion du risque ne saurait expliquer l’annulation systématique d’ordres quelques secondes seulement après leur entrée en carnet ; qu’aucune explication spécifique n’est par ailleurs avancée par la société X et MM. A et B, ceux-ci se contentant de dresser une liste de raisons susceptibles, abstraitement, d’expliquer l’annulation d’un ordre, sans les relier à aucune des annulations litigieuses particulières ;

Qu’en effet, l’élément constitutif des « manoeuvres » critiquées n’est pas l’annulation d’un ordre prise isolément, mais le remplacement, fréquemment répété, à une même limite, d’un ordre ancien par un ordre plus récent ayant les mêmes caractéristiques (sens, limite, etc.), permettant le maintien d’un intérêt artificiel sur le titre considéré tout en diminuant au maximum le risque d’exécution auquel cette méthode aurait pu les exposer ;

Qu’en outre, au lieu d’annuler un ordre pour le ré-introduire quelques minutes plus tard en augmentant le volume de titres sur lequel il portait, il paraîtrait plus adapté de passer plusieurs ordres à la même limite afin de ne devoir annuler que les plus récents, en conservant la priorité temporelle attachée aux ordres les plus anciens ; qu’en tout état de cause, le choix de la technique du remplacement d’ordres plutôt que celle des ordres complémentaires révèle que l’exécution des ordres n’était pas essentiellement recherchée par M. B ;

Que l’argument invoqué par M. B selon lequel il annulait ses ordres pour diminuer le risque de voir les ordres ayant une priorité temporelle supérieure aux siens être tous annulés, laissant son ordre en première position dans l’ordre chronologique d’exécution, ou celui de voir un ordre en sens contraire toucher l’ensemble des ordres passés à la même limite que les siens ne fait que révéler la crainte qu’il avait de voir ses ordres exécutés ;

Considérant que M. B explique par ailleurs de manière inopérante que le système de tarification pratiqué par les prestataires de services d’investissement auxquels il avait recours le conduisait naturellement à privilégier l’annulation d’un ordre suivi du passage d’un ordre portant sur un nombre supérieur de titres plutôt que le passage d’un ordre complémentaire, le recours, par des opérateurs, à des techniques ayant une tarification intéressante ne pouvant, en effet, les exonérer de toute poursuite pour manipulation de cours ;

Considérant que la société X et MM. A et B font en outre valoir qu’en tout état de cause « (…) aucune disposition législative ou réglementaire ne contient de règles limitant ou interdisant l’annulation d’ordres de bourse » ; qu’ils rappellent qu’au contraire, l’article 4203/5 du livre I des règles de marché d’Euronext dispose que « (…) tout ordre produit dans le carnet d’ordres central peut être modifié ou annulé tant qu’il n’a pas été exécuté » ; que, s’il n’est pas contestable que l’annulation d’un ordre est, en soi, licite, des annulations d’ordres répétées, dans les circonstances où elles se sont produites en l’espèce, peuvent assurément participer de « manoeuvres » de manipulation de cours prohibées par le règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours ;

Considérant que, dans ses observations, M. B fait aussi valoir, à l’aide d’exemples qu’il énumère et analyse, que les annulations portant sur des ordres importants en volume sont fréquentes, le nombre d’ordres qu’il annulait ne représentant, selon lui, qu’« (…) une infime partie de la totalité des ordres annulés par l’ensemble du marché » ; que M. B ne saurait prétendre que les annulations d’ordres auxquelles il procédait étaient communes ; qu’en effet, il ressort clairement de l’examen du dossier que les volumes sur lesquels il intervenait sortaient de la norme ;

Considérant que la société X et MM. A et B soutiennent en outre qu’il est inexact d’affirmer qu’ils ont émis des « (…) ordres passés pour ne pas être exécutés » car « (…) juridiquement il ne peut y avoir d’ordre de bourse sans volonté d’achat ou de vente du donneur d’ordre » ; seule la démonstration, faisant ici débat, de ce que « (…) l’annulation de titres identifiés était programmée dès l’origine » pouvant justifier une telle affirmation ;

Mais considérant que le rapport d’enquête montre au contraire comment, de façon répétitive et systématique (dans 80% des cas), M. B a introduit des ordres en carnet, le premier étant exécuté, puis en a passé d’autres et a ensuite systématiquement annulé le plus ancien en le remplaçant par un plus récent ayant des caractéristiques similaires ou identiques, mais une priorité d’exécution moindre, afin d’éviter toute exécution, ou, du moins, afin de minorer ce risque ; qu’à cet égard, la répétition des annulations d’ordres, précédées ou suivies de l’entrée en carnet d’un ordre présentant les mêmes caractéristiques que l’ordre antérieurement ou postérieurement annulé, fait très sérieusement douter du caractère spontané et non systématique des annulations d’ordres effectuées par M. B ;

Considérant que M. B prétend pour sa part démontrer que « (…) le fait de passer des ordres d’achat puis de les annuler pour les remplacer n’exprime pas une « volonté de ne pas acheter » » ; qu’il prétend en particulier qu’« (…) il y a une contradiction entre passer un ordre, en étant bien conscient qu’il peut être exécuté dès son entrée en carnet, et avoir en même temps la « volonté qu’il ne le soit pas » » ; qu’il soutient que le risque d’exécution des ordres qu’il passait était important ; qu’il en conclut que les notions de « volonté de ne pas acheter », d’ordres destinés à ne pas être exécutés ou de « faux » ordres sont « sans objet », tout ordre passé en cours de séance à la meilleure limite d’achat du moment pouvant être exécuté à tout moment, l’annulation d’un ordre et son remplacement par un autre ordre, même identique, ne pouvant avoir comme effet que de retarder son éventuelle exécution, retard qu’il est de plus impossible de maîtriser ;

Mais considérant que, s’il est exact que les ordres passés par M. B sur les comptes de la société X ou de M. A étaient bien susceptibles d’être exécutés, ce n’est pas parce qu’ils pouvaient l’être que leur initiateur et ses mandants voulaient qu’ils le soient ; qu’en réalité, il apparaît que le risque d’exécution était un risque que les mis en cause étaient prêts à courir mais qu’ils ont tenté de réduire au maximum en repoussant, de façon systématique, la priorité temporelle de leurs ordres ; que d’ailleurs, la volonté des mis en cause de ne pas voir exécuter leurs ordres et le caractère artificiel de la plupart d’entre eux n’ont nullement été inférés par les enquêteurs de la DESM des seules annulations d’ordres auxquelles ils procédaient, mais de la chronologie selon laquelle ils remplaçaient systématiquement leurs ordres anciens par des ordres nouveaux, donc moins prioritaires, en maintenant ainsi une pression à l’achat ou à la vente, selon le cas, en terme de volume demandé ou offert ;

· Sur la pratique du « day trading »

Considérant que la pratique du « day trading », fût-elle avérée, ce qui n’est pas le cas ici, n’est pas exclusive de la manipulation de cours ; que ce n’est pas en effet parce qu’il serait établi qu’une personne se livre effectivement à du « day trading » qu’il serait également établi – par voie de conséquence –, que cette personne ne se livre pas à des « manoeuvres » constitutives d’une manipulation de cours au sens du règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours et réciproquement ; qu’il en résulte que l’argument des mis en cause est inopérant ;

b/ Sur l’effet des « manoeuvres »

· Sur l’entrave au fonctionnement du marché

Considérant que la société X et MM. A et B prétendent que la « méthode » qui leur est prêtée n’est pas de nature à créer une « barrière à l’entrée » dans le carnet d’ordres pour les autres investisseurs car ils ne disposaient pas des moyens de « (…) connaître à l’avance le comportement des autres investisseurs », ce qui est d’ailleurs, selon eux, « matériellement impossible » ; qu’ils prétendent par ailleurs que les réactions des tiers face à leurs ordres décrites dans le rapport d’enquête ne sont qu’hypothétiques et reposent sur l’idée erronée que les investisseurs « (…) agiraient nécessairement sur les marchés de façon rationnelle, de sorte que leurs réactions et leurs comportements face à une situation donnée ne feraient l’objet d’aucun doute et qu’elles seraient toujours prévisibles » ; qu’ils ajoutent que la « théorie » du rapport d’enquête suppose que leurs ordres soient passés à la meilleure limite de prix, car l’exécution des ordres ne se fait pas en considération de la priorité temporelle, mais en fonction du cours d’exécution, les ordres passés à la meilleure limite pouvant être exécutés à tout moment, l’argumentation de l’AMF étant contradictoire en ce qu’elle leur fait grief de passer des ordres « artificiels » car destinés à ne pas être exécutés, tout en leur imputant la mise en oeuvre d’une « méthode » qui repose précisément sur la passation d’ordres à la meilleure limite, c’est-à-dire d’ordres dont l’exécution est prioritaire ;

Mais considérant que c’est en créant ou en accentuant un déséquilibre du carnet d’ordres que la méthode critiquée conduit certains investisseurs à acheter plus cher ou à vendre moins cher qu’ils ne l’auraient fait dans un marché équilibré ; que lorsque le carnet d’ordres est déséquilibré, les exécutions ont tendance à intervenir à la limite à laquelle la quantité est la plus faible, certains investisseurs privilégiant une exécution rapide de leurs ordres sur une exécution à la meilleure limite du moment ; qu’en créant ou en accentuant le déséquilibre du carnet d’ordres, M. B a incontestablement créé ou contribué à créer une entrave au libre fonctionnement du marché , aucune contradiction n’existant entre l’affirmation que lorsqu’il existe un déséquilibre à la vente dans le carnet d’ordres, certains vendeurs sont incités à vendre moins cher pour voir leurs ordres exécutés (et inversement dans le cas d’un déséquilibre à l’achat) et le fait que, malgré ce déséquilibre, certains vendeurs continuent à introduire en carnet des ordres à la meilleure limite de vente, par hypothèse supérieure à la meilleure limite d’achat, donc non immédiatement exécutables; qu’en effet, le succès de la « méthode » reprochée aux personnes mises en cause repose sur le fait que certains investisseurs continuent à passer des ordres à la même limite qu’eux, mais assortis d’une priorité temporelle moindre, du moins jusqu’aux annulations auxquelles ils procèdent régulièrement ; qu’il en résulte de ce qui précède que les arguments de la société X et de MM. A et B doivent donc être écartés ;

· Sur l’induction d’autrui en erreur

Considérant que la société X et MM. A et B prétendent qu’aucune dissimulation ne peut leur être reprochée et font en outre valoir que « (…) la valeur des informations figurant dans le carnet d’ordres est relative » dans la mesure où « (…) la représentation des cinq meilleures offres et demandes est tronquée par le fait que les cinq meilleures offres et demandes ne présentent que les ordres au marché et les ordres à cours limité », à l’exclusion, notamment, des ordres « à seuil de déclenchement » et des ordres « cachés », qui n’y apparaissent pas, et dans la mesure où « (…) il est rare d’avoir accès à un carnet d’ordres actualisé en temps réel » ;

Mais considérant que le grief n’est pas celui de dissimulation, les investisseurs sachant bien que tous les ordres n’apparaissent pas dans le carnet d’ordres, mais escomptant cependant légitimement que les ordres qui y apparaissent n’ont pas un caractère « artificiel », coeur de l’actuel débat ;

Considérant que M. B prétend pour sa part que les quantités sur lesquelles portaient les ordres qu’il a passés sur les titres Alstom, Eurodisney et Eurotunnel étaient faibles par rapport à celles qui sont affichées dans le carnet d’ordres depuis septembre 2004, n’étant de ce fait pas susceptibles d’avoir une influence sur le comportement des autres investisseurs, ni de créer une quelconque « barrière » à l’entrée sur le marché ;

Mais considérant que M. B ne peut sérieusement soutenir que les ordres qu’ils passait portaient sur des volumes trop peu importants pour avoir une quelconque influence sur les autres investisseurs ; qu’en effet, pour apprécier l’importance de ces ordres, il ne faut pas les rapporter au nombre de titres émis par l’émetteur concerné, comme il le fait, mais à la quantité de titres effectivement échangée quotidiennement sur le marché ; qu’à cet égard, il résulte de l’examen du dossier que les positions prises par exemple par M. B sur le titre Eurotunnel au cours de la séance du 23 août 2004, ont représenté 41% du marché, c’est-à-dire une part très significative de celui-ci ; que cet argument est donc inopérant ;

Considérant que M. B soutient par ailleurs que, quand bien même une telle influence serait établie, ses effets seraient effacés par les effets des annulations d’ordres auxquelles il procédait, qui, selon lui, ne pouvaient pas plus échapper à l’attention des autres investisseurs que ses ordres, de telle sorte que le « signal » donné aux investisseurs par ses ordres, fût-il établi, était ensuite annulé par un signal exactement inverse ; qu’il prétend également que, « (…) dans le cas où des investisseurs particuliers ne se seraient pas rendus compte des annulations que nous avons effectuées, cela ne pouvait en aucune manière les induire « en erreur ». Dans l’hypothèse où ces mêmes investisseurs auraient acheté sous l’influence de l’affichage de nos ordres en carnet, cela n’implique nullement qu’ils aient été induits en erreur » et que s’agissant des investisseurs professionnels, qui ont accès à des informations plus complètes que les particuliers, ils ne pouvaient être en aucune manière induits en erreur ; que dans le cas où les annulations auraient été perçues, « (…) c’est en sachant que les ordres passés puis annulés appartiennent à une seule et même personne ou à des personnes différentes » que les autres investisseurs auraient agi ; qu’il en résulte, selon lui, que les investisseurs « (…) ne peuvent (…) pas [avoir été] induits en erreur » ;

Mais considérant que, d’une part, il est loin d’être établi que tout ou partie des investisseurs aient pu se rendre compte des annulations auxquelles M. B procédait, du fait que ces ordres étaient remplacés immédiatement et que, d’autre part, l’argumentation développée par M. B fait totalement abstraction du remplacement de l’ordre annulé, qui intervenait dans la plupart des cas avant l’annulation du plus ancien, accentuant donc la pression dans le sens souhaité jusqu’à l’annulation de l’ordre remplacé, étant précisé que les investisseurs ne pouvaient savoir, ni même soupçonner, que l’auteur de l’annulation était aussi celui de l’ordre substitué ; que dès lors M. B ne saurait prétendre que du fait des annulations d’ordres auxquelles il procédait de façon quasi-systématique, l’influence que les enquêteurs de la DESM prêtent à ses ordres était immédiatement contrebalancée – on pourrait dire « annulée » – par une influence contraire, avec pour résultat que les investisseurs se déterminaient, au final, librement ; que cet argument est inopérant ;

Considérant que M. B prétend enfin que le cours de certains titres sur le marché desquels il a opéré a été influencé par des événements importants qui lui étaient totalement étrangers (e.g. : Eurotunnel – conseils d’investissement de M. […], Alstom – anticipation de contrats ferroviaires en Chine et augmentation de capital), influence qui ne saurait lui être imputée ;

Mais considérant qu’il a été précédemment établi que M. B était incapable d’expliquer, pour chaque intervention, les raisons précises et spécifiques l’ayant conduit à passer un ordre ou à l’annuler, cet argument est sans portée ;

2° Sur l’élément intentionnel du manquement de manipulation de cours

Considérant que la société X et MM. A et B prétendent que la caractérisation d’un manquement à l’article 3 du règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours suppose que soit rapportée la preuve du caractère volontaire et délibéré des manoeuvres de manipulation de cours (dol spécial) ;

Mais considérant que, si la formule employée par l’article 3 du règlement COB n° 90-04 relatif à l’établissement des cours – en particulier la référence à l’« objet » des « manoeuvres » – recèle bien l’exigence d’un élément « moral » ou « intentionnel », celui-ci est suffisamment caractérisé par la mise en évidence de la recherche d’une entrave à l’établissement des cours ou par celle d'induire autrui en erreur ; que dès lors, dans la mesure où il a été précédemment établi que la « méthode » mise en oeuvre par les personnes mises en cause avait à la fois pour objet d’entraver le fonctionnement du marché en en rendant l’accès plus difficile et d’induire autrui en erreur en faisant croire aux investisseurs à l’existence d’une demande ou d’une offre de titres en réalité fictive, l’élément « moral » ou « intentionnel » du manquement apparaît suffisamment caractérisé en l’espèce ;

*

Et, sur ce,

Considérant qu’il résulte du dossier et des débats que la méthode utilisée par M. B, agissant tant pour le compte de M. A que pour celui de la société X, a consisté à intervenir via Internet sur des valeurs particulièrement liquides dont le cours avoisinait les 1 € (« penny stocks »), généralement éligibles au service de Règlement différé (« SRD »), à fort effet de levier, et à créer un intérêt acheteur artificiel par des ordres massifs au regard des possibilités du marché, passés puis annulés pour être remplacés par des ordres ultérieurs portant sur des volumes similaires, maintenant ainsi le même intérêt apparent tout en minimisant au maximum tout risque d’exécution en raison de leur volume important et de leur moindre priorité dans le carnet d’ordres, et à vendre au cours ainsi artificiellement obtenu des titres primitivement achetés à un cours inférieur ; que la même méthode, en sens inverse, a été utilisée par M. B pour maintenir une pression à la vente et acheter à un cours ainsi artificiellement créé des titres primitivement vendus à découvert à un cours supérieur ; que 148 opérations de ce type ont pu être déterminées avec précision entre le 1er janvier 2003 et le 27 août 2004, se décomposant en 98 interventions effectuées pour le compte de la société X et 68 interventions pour celui de M. A, une même opération ayant pu être affectée en partie au compte de la société et en partie à celui de M. A ;

Considérant que, comme l’indique la notification de griefs, entre le 1er janvier 2003 et le 27 août 2004, M. B, agissant pour le compte de M. A, a, en mettant en oeuvre la « méthode » précédemment décrite, passé sur les seuls comptes ouverts au nom de M. A chez la société Y, 9 689 ordres d’achat dont 6 218 ont été annulés sans avoir été exécutés, même partiellement (64,17%), et 8.071 ordres de vente dont 4.230 ont été annulés sans avoir été exécutés (52,41%), ces opérations ayant généré une plus-value globale brute de 590.160,04 € en 68 interventions (cote D0001340) ;

Considérant que, comme l’indique la notification de griefs, entre le 1er janvier 2003 et le 27 août 2004, la société X a passé, via M. B, sur le seul compte n° 2249972500 ouvert à son nom dans les livres de la société Y, 7.768 ordres d’achat, dont 4.655 ont été annulés sans avoir été exécutés, même partiellement, (59,92%) et 8.565 ordres de vente dont 5.214 ont également été annulés sans avoir été exécutés (60,87%), ces opérations ayant généré une plus-value globale brute de 2.371.556,11 € en 98 interventions (cote D0001331) ;

Considérant que cette méthode est contraire aux dispositions de l’article 3 du règlement COB N° 90-04 relatif à l’établissement des cours qui stipule que « les ordres transmis sur le marché ne doivent pas avoir pour objet d’entraver l’établissement du prix sur ce marché ni d’induire autrui en erreur » et doivent être sanctionnés par la

Commission des sanctions ;

Considérant qu’il résulte de l’article L. 621-15-II du code monétaire et financier que : « La Commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l’égard [de] : (…) (c) Toute personne autre que les personnes mentionnées au II de l’article L. 621-9, auteur des pratiques mentionnées au I de l’article L. 621-14. (…) » ; que l’article L. 621-14 du code monétaire et financier vise les pratiques « (…) contraires aux dispositions législatives et réglementaires, lorsque ces pratiques sont de nature à porter atteinte aux droits des épargnants ou ont pour effet de fausser le fonctionnement du marché, de procurer un avantage injustifié qu’ils n’auraient pas obtenu dans le cadre normal du marché, de porter atteinte à l’égalité d’information ou de traitement des investisseurs ou à leurs intérêts ou de faire bénéficier les émetteurs ou les investisseurs des agissements d’intermédiaires contraires à leurs obligations professionnelles » ;

Considérant qu’il résulte clairement de ce qui précède, que non seulement la « méthode » mise en oeuvre par la société X, MM. A et B avait pour objet d’entraver le bon fonctionnement du marché et d’induire autrui en erreur, mais qu’elle a aussi, au moins en partie, produit de tels effets, en leur permettant de dégager indûment des plus values substantielles qu’ils n’auraient pas réalisées dans le cadre du fonctionnement normal du marché ; que l’effet de ces pratiques particulièrement graves pour l’équilibre du marché au regard des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier est dès lors suffisamment caractérisé ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 621-15-III, 1er alinéa, (c), le montant de la sanction pécuniaire encourue

par les personnes autres que les professionnels des marchés financiers auteurs des pratiques visées à l’article L. 621-14-I du code monétaire et financier est au maximum de 1 500 000 € ou du décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; qu’il résulte en outre de l’article L. 621-15-III, 2ème alinéa, que « (…) le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et être en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements » ;

Considérant qu’à raison de leur particulière gravité et de leur ampleur, les faits ci-dessus exposés justifient qu’il soit prononcé :

- à l’encontre de la société X une sanction correspondant au triple de la plus-value brute susmentionnée réalisée par cette société, soit 7 114 668 €,

- à l’encontre de M. A une sanction correspondant également au triple de la plus-value brute susmentionnée qu’il a réalisée, soit 1 770 480 €,

- à l’encontre de M. B, qui n’a pas réalisé de profit personnel direct, une sanction de 750 000 €.

*****

2ème PARTIE

SUR LES MANQUEMENTS REPROCHES AUX

PRESTATAIRES DE SERVICES D’INVESTISSEMENT Y, Z ET W

I - SUR L’APPLICATION DU REGLEMENT GENERAL DU CMF ET L’IMPUTABILITE DES MANQUEMENTS

AU REGLEMENT GENERAL DU CMF

Considérant que l’arrêté du 12 novembre 2004 publié au Journal officiel le 24 novembre 2004 a, entre autres, abrogé avec effet immédiat le règlement général du CMF qui fonde les griefs notifiés aux prestataires de services d’investissement Y, Z et W ; qu’il leur a substitué le règlement général de l’AMF dont il porte homologation ;

Considérant qu’aux termes de l’article 47 de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, le règlement général du CMF, pris notamment en ses articles 3-1-1, 3-4-1 et 2-4-17, demeurait applicable jusqu’à son abrogation ; qu’il en résulte que jusqu’au 24 novembre 2004, le règlement général du CMF a continué à s’appliquer aux faits et situations qu’il visait ;

Considérant que, depuis le 25 novembre 2004, c’est au regard du règlement général de l’AMF pris en ses articles 321-24, 321-76 et 321-23 que les faits de l’espèce doivent être appréciés et demeurent susceptibles d’être sanctionnés ; qu’en effet, le règlement général de l’AMF reprend les obligations dont la violation fonde les griefs notifiés aux prestataires de services d’investissement Y, Z et W puisque tout en abrogeant le règlement général du CMF, le règlement général de l’AMF en reprend le contenu dans des dispositions identiques ;

Considérant que, dans ses observations, la société W fait à cet égard valoir que l’enquête la concernant n’a porté que sur la période du 1er juillet 2003 au 13 juillet 2004 ; qu’elle prétend donc que les faits qui lui sont reprochés ne peuvent être appréciés qu’au regard des textes législatifs et réglementaires applicables à cette époque, sauf application de la « loi pénale plus douce » (rétroactivité in mitius) ; qu’il en résulte selon elle que l’application en l’espèce du règlement général de l’AMF, dont les articles 321-23, 321-24 et 321-76 sont visés par la notification de griefs qui lui a été adressée, est exclue ;

Mais considérant que la notification de griefs adressée à la société W ne vise les articles 321-24, 321-76 et 321-23 du règlement général de l’AMF que pour établir que l’entrée en vigueur du règlement général du CMF n’a pas eu pour effet d’abroger purement et simplement les articles 3-1-1, 3-4-1 et 2-4-17 du règlement général du CMF auxquels ils se sont substitués et dont ils reprennent les dispositions ; qu’il en résulte que cet argument est sans incidence ;

Considérant qu’aux termes de l’article 3-1-1 du règlement général du CMF : « Les règles de bonne conduite (…) établissent, en application des articles 58 et 60 de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996, les principes généraux de comportement et leurs règles essentielles d’application et de contrôle auxquels doivent se conformer le prestataire habilité et les personnes agissant pour son compte ou sous son autorité. Les dirigeants du prestataire habilité veillent au respect des présentes dispositions et à la mise en oeuvre des ressources et procédures adaptées. Les activités mentionnées à l’article 2-1-1 sont exercées avec diligence, loyauté, équité, dans le respect de la primauté des intérêts des clients et de l’intégrité du marché (…). Les règles de bonne conduite adoptées en vertu du présent règlement par les prestataires habilités et s’appliquant à leurs collaborateurs constituent pour ceux-ci une obligation professionnelle » ; qu’il résulte de ce texte, repris en substance par l’article 321-24 du règlement général de l’AMF, que peuvent être sanctionnés, en cas de manquement aux règles de bonne conduite énoncées par le règlement général du CMF, tant les prestataires de services d’investissement habilités que les personnes agissant pour leur compte ou sous leur autorité ;

Considérant, au-delà des règles de bonne conduite qui figuraient au titre 3 du règlement général du CMF, qu’il ressort des dispositions de l’article L. 621-15-II. du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, comme dans sa rédaction ultérieure, que tout manquement aux dispositions du règlement général du CMF constitue un manquement à une ou plusieurs obligations professionnelles pouvant justifier le prononcé d’une sanction à l’encontre tant du professionnel qui en est l’auteur que des personnes physiques placées sous son contrôle ou agissant pour son compte ; qu’en particulier les articles 3-4-1 et 2-4-17 du règlement général du CMF ont été repris à l’identique par les articles 321-76 et 321-23 du règlement général de l’AMF ;

II – SUR LE FOND

A – SUR LES FAITS REPROCHES AUX SOCIETES Y, Z ET W

1° Sur les faits reprochés à la société Y

Considérant que la notification de griefs adressée à la société Y relève que la société X et M. A étaient, respectivement, titulaires de trois comptes-titres (comptes nos 2249972500, 226010088510 et 226010510520) et de deux comptes-titres (comptes nos 2249972500 et 2249972600) ouverts dans ses livres, pour le fonctionnement desquels M. B avait reçu une procuration simple ; qu’elle relève également qu’entre le 1er janvier 2003 et le 27 août 2004, M. B, mettant en oeuvre la « méthode » litigieuse, a passé sur les seuls comptes ouverts au nom de la société X ou de M. A chez la société Y, 17 457 ordres d’achat dont 10 873 ont été annulés sans avoir été exécutés, même partiellement, et 16 636 ordres de vente dont 9 444 ont été annulés sans avoir été exécutés, même partiellement ;

Considérant que, selon la notification des griefs, malgré le caractère répétitif de la « méthode » employée et les volumes hors normes traités, la société Y n’a pas été en mesure de déceler l’existence d’une manipulation de cours et n’a pas pu empêcher la production d’ordres artificiels ; que selon cette notification des griefs, cela atteste sinon d’un manque de moyens techniques – et notamment de tests adaptés en matière de taux d’annulation d’ordres –, au moins de défaillances dans leur mise en oeuvre en « intra day » ;

Considérant que la même notification de griefs relève que la société Y a concentré ses analyses sur le respect de la réglementation relative aux obligations de couverture, sans se préoccuper de la réglementation relative aux manipulations de marché et à leur prévention, alors qu’une analyse des ordres passés par M. B pour le compte de la société X ou de M. A lui aurait permis de constater que les annulations d’ordres effectuées par celui-ci, suivies ou précédées de l’entrée en carnet d’ordres d’un nouvel ordre aux caractéristiques identiques, manifestent la volonté de M. B d’empêcher l’exécution de ses ordres tout en maintenant une pression haussière ou baissière, selon le cas, sur le cours de l’instrument financier sur lequel il opérait ;

Considérant que, selon la notification de griefs, ces faits pourraient constituer un manquement aux dispositions des articles 3-1-1, 3-4-1 et 2-4-17 du règlement général du CMF repris sans modification par les articles 321-23, 321-24 et 321-76 du règlement général de l’AMF ;

a/ Sur les conditions d’exercice par la société Y de ses activités

Considérant que la société Y prétend avoir mis en oeuvre toutes les diligences et tous les moyens nécessaires pour préserver l’intégrité du marché, au moyen de mesures générales ; que ces mesures consistaient en la facturation des ordres annulés, la mise en place d’un système d’alerte en carnet reposant sur un « décompteur d’annulations », la mise en place d’un système de surveillance du ratio d’annulation d’une séance à l’autre ou d’une période à une autre et la mise en place d’un système permettant de gérer des ordres et des annulations « en retenue » et de ne transmettre au marché que les ordres exécutables ;

Considérant qu’il ressort de l’examen du dossier que, comme elle le prétend, la société Y facturait les annulations d’ordres à ses clients, avait effectivement mis en place un système d’alerte en fonction du nombre d’annulation, de même qu’un système de surveillance du pourcentage d’annulation d’ordres d’une séance à l’autre et, enfin, qu’elle disposait d’un système de filtrage assurant la transmission au marché des seuls ordres susceptibles d’exécution ;

Considérant que ces procédures n’ont manifestement pas permis à la société Y d’identifier la « méthode » mise en oeuvre par M. B pour le compte de la société X et de M. A ; que la raison réside dans le fait que les contrôles mis en place par la société Y, comme ceux mis en place par les autres prestataires, portaient sur les ordres pris isolément ou sur les annulations d’ordres considérées isolément et globalement, et non sur la combinaison d’ordres passés apparemment pour être exécutés et d’annulations desdits ordres et en particulier sur leur ordonnancement chronologique ;

Considérant que, si les prestataires de services d’investissement peuvent et doivent appréhender l’action des opérateurs, seule l’entreprise de marché est en mesure de « (…) constater le fait concret des éventuelles anomalies se produisant dans le processus de formation des cours » ; qu’elle prétend s’être rapprochée de l’entreprise de marché et avoir reçu de celle-ci « (…) tous les apaisements sur l’éventualité d’une altération du processus de formation des cours pour les opérations incriminées » ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il ne peut être reproché à la société Y un manque de moyens techniques et humains adaptés à l’exercice de ses activités au sens de l’article 2-4-17 du règlement général du CMF ; qu’il ne peut non plus être inféré du seul fait que la société Y n’a pas pu identifier la « méthode » litigieuse et empêcher sa mise en oeuvre ; qu’il en résulte que ce grief doit donc être écarté ;

b/ Sur les moyens spécifiques de contrôle mis en oeuvre par la société Y

Considérant que la société Y fait valoir que son responsable du contrôle des services d’investissement (« RCSI ») a interrogé M. B concernant sa stratégie d’investissement le 7 avril 2004 sur le titre Eurotunnel préalablement à l’assemblée générale de 2004 ; que selon la société Y, les réponses qui ont été apportées par M. B aux questions de son RCSI n’ont donné à celui-ci aucune raison de suspecter la mise en oeuvre ou même la simple volonté de mise en oeuvre de manoeuvres ayant pour objectif la manipulation du cours de cet instrument financier ;

Considérant qu’il ressort de l’examen du dossier que, le 7 avril 2004, le RCSI de la société Y a effectivement interrogé M. B concernant sa stratégie d’investissement sur le titre Eurotunnel préalablement à l’assemblée générale de cette société ; que les réponses qui ont été apportées par M. B à ses questions ne lui ont donné aucune raison de suspecter la mise en oeuvre – ou même la simple volonté de mettre en oeuvre – de « manoeuvres » ayant pour objectif la manipulation du cours de cet instrument financier ; que n’ayant pas été à même d’identifier et de comprendre la « méthode » mise en oeuvre par M. B, il est compréhensible que le RCSI de la société Y se soit satisfait des explications ponctuelles fournies par M. B s’agissant d’une transaction particulière ; que ce grief doit donc être écarté ;

2° Sur les faits reprochés aux sociétés Z et W

a) Sur les faits reprochés à la société Z

Considérant que, selon la notification de griefs adressée à la société Z, l’enquête a montré que ce prestataire n’avait effectué que des contrôles portant sur le montant des ordres, les variations de cours, le nombre des titres et les annulations d’ordres au moment du fixing d’ouverture, mais qu’il n’avait pas, en revanche, mis en place de système de contrôle des annulations d’ordres en cours de séance ou au fixing de clôture ;

Considérant par ailleurs que cette même notification de griefs retient que le caractère « lacunaire » des données transmises aux enquêteurs de la DESM par la société Z concernant les transactions effectuées pour le compte de M. A par son intermédiaire, pourrait révéler une carence de sa piste d’audit des ordres, qui serait à l’origine de l’impossibilité dans laquelle se sont trouvés ces enquêteurs d’analyser les opérations effectuées pour le compte de M. A via la société Z ;

Considérant que, selon la notification des griefs, les faits décrits ci-dessus pourraient constituer, à l’encontre de la société Z, un manquement aux dispositions des articles 3-1-1, 3-4-1 et 2-4-17 du règlement général du CMF, repris par les articles 321-23, 321-24 et 321-76 du règlement général de l’AMF ;

Considérant que la société Z prétend, d’une part, qu’elle a mis en oeuvre tous les moyens conformes à la réglementation, en allant même au-delà des prescriptions législatives et réglementaires, et, d’autre part, que l’AMF n’apporte pas la preuve que les infractions reprochées à MM. A et B, à les supposer établies, pouvaient raisonnablement être décelées par ses systèmes de contrôle, compte tenu notamment du faible volume des ordres qu’elle a traités pour leur compte et de l’absence manifeste de tout caractère suspect de ces ordres ;

(i) Sur le grief d’insuffisance des moyens de contrôle

· Sur la mise en place de moyens techniques et humains de contrôle et sur leur mise en oeuvre

Considérant que la société Z prétend que, contrairement aux affirmations du rapport d’enquête, elle dispose d’un système de contrôle particulièrement adapté et développé, conformément aux dispositions de l’article 2-4-17 du règlement général du CMF ; qu’elle en conclut qu’elle ne transmet au marché que des ordres ne présentant pas de risques pour son intégrité et ne présentant pas de caractère anormal ; qu’elle en conclut que les ordres passés par M. B par son intermédiaire ne présentaient aucun caractère anormal au regard du marché ;

Considérant que la société Z ajoute qu’elle a mis en place une stricte séparation des fonctions, conformément aux dispositions du règlement du comité de la réglementation bancaire et financière n° 97-02 relatif au contrôle interne des établissements de crédit et des entreprises d’investissement. ; qu’elle fait valoir que son contrôleur interne a en particulier identifié, parmi les risques objet du contrôle, les risques de manipulation de marché, qui ont été traités par la mise en place de procédures de contrôle de la variation des cours, des opérations dépassant un montant déterminé et des annulations d’ordres ;

Considérant que la société Z fait en outre valoir que l’obligation faite aux prestataires de services d’investissement par la réglementation de disposer des moyens techniques et humains adaptés à l’exercice de leurs activités est une obligation de moyens ; que selon la Commission des sanctions elle-même, il convient de distinguer entre « (…) la mise en place et l’existence des moyens de contrôle exigés par la réglementation », qui est une obligation, et « (…) la mise en oeuvre ou [le] fonctionnement de ces moyens », dont les défauts ne peuvent être imputés au prestataire de service d’investissement ;

Considérant que l’examen du dossier a permis d’établir que la société Z avait mis en place, sous l’égide de son contrôleur interne, un système de suivi des ordres, assuré grâce à différentes alertes informatiques selon le montant de l’ordre, la variation maximum de cours et le volume de titres concerné, le déclenchement de ces alertes provoquant une vérification ; qu’un négociateur y effectue en outre des contrôles destinés à vérifier les conséquences des ordres qui lui sont transmis sur le marché et leur cohérence par rapport au carnet d’ordres ;

Considérant que, s’il est excessif d’affirmer, comme le fait la société Z, n’avoir transmis au marché que des ordres ne présentant pas de risques pour l’intégrité de celui-ci et ne présentant pas de caractère anormal, il apparaît difficile de reprocher à ce prestataire, au seul motif qu’il n’a pas décelé la « méthode » de manipulation mise en oeuvre par M. B, un manque de moyens techniques et humains adaptés à l’exercice de ses activités au sens de l’article 2-4-17 du règlement général du CMF ;

· Sur l’absence d’obligation réglementaire de contrôle des annulations d’ordres

Considérant que la société Z fait valoir que la réglementation ne prévoit pas de règle spécifique concernant le contrôle des annulations d’ordres, les règles de fonctionnement d’Euronext (article 4203/5) fixant au contraire un principe de liberté d’annulation des ordres tant qu’ils n’ont pas été exécutés, de telle sorte qu’il n’existe pas à son sens « (…) de critère objectif en matière de taux d’annulation des ordres », cette appréciation devant « (…) se faire au regard de l’activité globale de chaque client et de la configuration de chaque marché, de chaque valeur » ;

Considérant qu’il est exact que la réglementation ne prévoit pas de règle spécifique concernant le contrôle des annulations d’ordres, qui sont expressément admises par l’article 4203/5 des règles de fonctionnement d’Euronext tant que les ordres n’ont pas été exécutés ; que dès lors, il ne saurait être reproché à la société Z, alors qu’il n’a pu être établi par les enquêteurs de l’AMF que M. B ait mis en oeuvre la « méthode » litigieuse par son intermédiaire, d'avoir manqué à ses obligations de contrôle ;

· Sur l’impossibilité pour la société Z de déceler une éventuelle manipulation de cours à partir des informations qu’elle détenait

Considérant que la société Z fait à juste titre valoir qu’elle ne disposait pas de toutes les informations – et notamment des informations relatives aux autres intermédiaires par lesquels ont été passés une grande partie des ordres litigieux – qui ont permis aux enquêteurs de la DESM d’identifier la « méthode » mise en oeuvre par M. B ; qu’elle fait encore à juste titre valoir que le faible volume d’ordres passés par M. B par son intermédiaire, la conformité du taux d’annulation de ces ordres à la réglementation applicable, le fait que ni l’AMF ni Euronext n’ont attiré son attention sur les agissements litigieux ; que de ce fait, rien ne lui permettait de déceler seule la « méthode » litigieuse ;

· Sur la preuve du défaut de vigilance

Considérant qu’il ne peut être induit un défaut de vigilance de la société Z du seul fait qu'elle n’a, dans les conditions de l'espèce pu déceler ni les « manoeuvres » reprochées à ses clients, ni analyser la « méthode » de manipulation de cours qui leur est reprochée ; qu’il n’est donc pas établi que la société Z ait manqué de vigilance ;

· Sur le caractère inapproprié ou inadapté de la réglementation

Considérant que la société Z prétend que si des réflexions actuellement en cours concernant l’opportunité de lever l’anonymat du carnet d’ordres concernant les valeurs dont le cours est voisin de 1 € ou celle d’affiner les modalités de cotation de ces valeurs en remplaçant la cotation à la décimale près par une cotation à trois décimales près, elles n’ont abouti à aucune modification des règles de cotation précédemment décrites, qui demeurent donc pleinement applicables, et qu’il serait inéquitable de lui tenir rigueur d’une insuffisance réglementaire si elle existe ;

Considérant qu’il résulte donc de ce qui précède qu’il ne peut être reproché à la société Z un manque de moyens techniques et humains adaptés à l’exercice de ses activités au sens de l’article 2-4-17 du règlement général du CMF ; que ce grief doit donc être écarté ;

(ii) Sur le grief relatif à la qualité de la piste d’audit des ordres

Considérant que le grief tiré d’hypothétiques défauts de la piste d’audit des ordres n’en constitue pas véritablement un ; qu’en effet, la notification de griefs adressée à la société Z ne vise aucune disposition réglementaire particulière ; que faute de qualification, ce grief doit être écarté, sans qu’il soit nécessaire d’examiner sa réalité factuelle ;

b) Sur les faits reprochés à la société W

Considérant en outre que, selon la notification de griefs adressée à la société W, l’enquête a montré que ce prestataire n’a effectué que des contrôles portant sur le niveau de couverture, en s’en remettant, pour tout autre type de contrôle, au logiciel qu’elle utilisait ou aux contrôles qu’était supposée opérer la société Z, qui assurait l’exécution des ordres qu’elle-même se contentait de réceptionner et de transmettre ;

Considérant que, selon la notification des griefs, les faits décrits ci-dessus pourraient constituer, à l’encontre de la société W, un manquement aux dispositions des articles 3-1-1, 3-4-1 et 2-4-17 du règlement général du CMF, repris par les articles 321-23, 321-24 et 321-76 du règlement général de l’AMF ;

Considérant que la société W prétend d’abord que les dispositions de l’article 8104 des règles harmonisées de fonctionnement d’Euronext pris dans sa version applicable au moment des faits, ne peuvent lui être opposées dans la mesure où celles-ci ne visent que les membres d’Euronext, c’est-à-dire, selon l’article 2101 de ces mêmes règles, les personnes qui ont été autorisées à devenir membres des marchés dérivés ou de titres d’Euronext et dont l’admission est toujours en vigueur (i.e. : toute personne agréée pour « exécuter des ordres »), ce qui n’était pas son cas au moment des faits de l’espèce ;

Mais considérant que si l’examen du dossier a permis d’établir que la société W n’assurait que le service de réception-transmission d’ordres (« RTO ») et n’était pas alors membre d’Euronext, cette circonstance était insuffisante pour l’affranchir de l’obligation de respecter les dispositions de l’article 8104 susvisé ; qu’en effet, aux termes de l’article 3-4-1 du règlement général du CMF pris dans sa version applicable aux faits de l’espèce, le prestataire habilité, sans distinction quant aux services qu’il a été habilité à proposer et à fournir aux investisseurs, « (…) exerce ses activités dans le respect de l’ensemble des règles organisant le fonctionnement des marchés », au nombre desquelles figurent incontestablement les règles harmonisées de fonctionnement d’Euronext ; que cet argument est donc inopérant ;

(i) Sur la difficulté à déceler le caractère « artificiel » des ordres et l’atteinte à l’intégrité du marché

Considérant que la société W fait à juste titre valoir qu’elle ne disposait pas de toutes les informations qui ont permis aux enquêteurs de l’AMF d’identifier la « méthode » mise en oeuvre par M. B pour le compte de M. A et de la société X ; qu’il en résulte que ce grief doit être écarté ;

(ii) Sur l’absence de moyens techniques de contrôle

Considérant que le fait que la société W n’ait pas, dans les conditions ci-dessus décrites, décelé la « méthode » litigieuse ne suffit pas à caractériser à son encontre un manquement à l’article 2-4-17 du règlement général du CMF ; que ce griefs doit donc être écarté ;

PAR CES MOTIFS,

ainsi qu’il en a été délibéré sous la présidence de M. Jacques RIBS, par Mme Marielle Cohen-Branche, MM. Yves Brissy, Alain Ferri, Jean-Pierre Hellebuyck, Pierre Lasserre, Thierry Coste, Joseph Thouvenel, Jean-Jacques Surzur, membres de la Commission des sanctions, en présence de la secrétaire de séance,

DECIDE DE :

- prononcer à l’encontre de la société X une sanction pécuniaire de 7 114 668 euros ;

- prononcer à l’encontre de M. A une sanction pécuniaire de 1 770 480 euros ;

- prononcer à l’encontre de M. B une sanction pécuniaire de 750 000 euros ;

- mettre hors de cause les prestataires de services d’investissement Y, Z et W ;

- publier la présente décision au Bulletin des annonces légales obligatoires ainsi que sur le site internet et dans la revue mensuelle de l’AMF.