Cass. crim., 16 janvier 2007, n° 03-86.502
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Guihal
Avocat général :
M. Frechede
Avocats :
Me Haas, Me Odent
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 105, 114, 116, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt du 18 septembre 2003 a rejeté la requête aux fins de nullité présentée par Marcel X... ;
"aux motifs que le code de procédure pénale impose de ne mettre en examen que des personnes à l'encontre desquelles il existe des " indices graves et concordants d'avoir participé aux faits " ; qu'à cet égard, il ne saurait être fait de grief au juge d'instruction d'avoir vérifié, au moyen d'une expertise, les éléments dont il disposait à la suite de la plainte, des constats d'huissier et de l'enquête préliminaire ; que ces éléments ne sont devenus des charges précises et concordantes qu'à la suite des opérations expertales ; qu'enfin, le code de procédure pénale n'impose aucun délai pour procéder à une mise en examen, ce magistrat étant seul maître du choix du moment de cet acte ; que la demande d'annulation sera rejetée ;
"alors que l'exercice effectif des droits de la défense impose que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants d'avoir participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi soient mises en examen sans délai afin de pouvoir bénéficier des droits et garanties attachés à cette mesure ;
qu'en rejetant la requête en nullité de Marcel X... tirée de ce que sa mise en examen avait été prononcée plus de deux ans après le dépôt du rapport d'expertise, ce qui, en pratique, avait privé l'intéressé d'une contre-expertise, après avoir constaté qu'à la suite des opérations expertales, le juge d'instruction disposait de charges précises et concordantes à son encontre, la cour d'appel a porté atteinte aux droits de la défense de Marcel X..." ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 216-6 du code de l'environnement, 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt du 20 février 2006 a déclaré Marcel X... coupable des faits qui lui étaient reprochés et, en répression, l'a condamné à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à une amende de 10 000 euros, outre des dommages et intérêts ;
"aux motifs que l'expert désigné par le juge d'instruction a visité l'étang de Citis, rencontré le garde assermenté, procédé à une visite approfondie de l'usine le 24 août 1999 en présence de Marcel X..., effectué le 26 juin 2000 avec le juge d'instruction et le mis en examen accompagné de son avocat, la visite des installations de l'usine, a procédé à 7 contrôles du rejet pluvial de l'usine, à des prélèvements de ce rejet pluvial aux fins d'analyse, a installé un thermomètre enregistreur sur l'étang ; qu'il a conclu dans un rapport circonstancié que sur le premier et le deuxième épisode polluant, la responsabilité de l'usine du Ranquet était indiscutable et qu'il y avait bien eu dans les deux cas rejet de nature à nuire à la vie, à la reproduction et à la répartition des poissons de l'étang de Citis ; qu'il n'y avait pas eu vraiment intention de nuire à autrui mais " plutôt mal connaissance des conséquences d'un rejet important de produits, pourtant d'origine naturelle, mais en grande quantité sur un espace réduit et sur un laps de temps court " ; que des travaux allaient être prochainement réalisés par l'usine du Ranquet pour isoler toutes fuites accidentelles de boues et réintroduire ces boues dans le circuit général de traitement des eaux, comme l'attestait un courrier de Me Z... (avocat du prévenu) à l'avocat de la ville de Martigues ; qu'il a relevé dans le corps de ce rapport que l'impact de la pollution sur la faune et la flore (joncs) était illustré par les photographies tirées du procès-verbal de constat qui a été établi par la direction départementale de l'agriculture et de la forêt ; que le déversement des boues provoquait un colmatage des zones de bordures par les limons, la disparition des insectes et larves de crustacés, nécessaires à l'alimentation des poissons et une irritation des branchies pouvant entraîner la mort des poissons ; qu'il a expliqué concernant le premier épisode polluant que le constat d'huissier et les termes de la lettre du maire de Martigues révélaient qu'il y avait eu un phénomène accidentel important sur l'usine en décembre 1997 ayant entraîné 3 jours de rejet de boues noirâtres par le canal pluvial ; que sous l'effet de l'importante quantité déversée les eaux boueuses étaient sortis du fossé, avaient gagné les eaux de l'étang à travers la zone marécageuse ; que si la grande fraction particulaire était restée stockée sur les terrains avoisinants, la fraction la plus liquide avait gagné intégralement les eaux de l'étang ; que les analyses ont montré que la mortalité des poissons résultait sûrement des éléments présents dans les boues (sulfures) ; que concernant le deuxième épisode polluant, il a précisé qu'il y avait eu à plusieurs reprises des rejets de boue dans le pluvial de l'étang de Citis avec une volonté de les dissimuler, l'eau devenant claire dès l'intervention de la personne commissionnée par le ministre de l'environnement ; que l'expert a relevé que ce principe d'évacuation des eaux par le système pluvial avait été court-circuité après constatation de ces rejets polluants ; qu'il ressort du rapport de cet expert soumis à la discussion des parties devant le tribunal et la cour, corroboré par les différents procès-verbaux ou constats effectués que l'usine de traitement dont Marcel X... est le directeur, a déversé les 3, 4 et 5 décembre 1997 et courant janvier et février 1998, sur plusieurs jours, des boues dans l'étang de Citis, ayant entraîne la mort de nombreux poissons et des dégâts sur la végétation, sans que le prévenu n'apporte des éléments techniques pertinents contraires à ces éléments probants concordants ; que le prévenu, alors qu'il a été informé des écoulements, n'a pas pris les mesures immédiates qui s'imposaient pour les faire cesser ; qu'en effet, deux épisodes sont survenus à plusieurs mois d'intervalles sans qu'il y soit remédié, que l'évacuation des eaux par le système pluvial, mis en cause dans ces déversements polluants, n'a été mis hors service que tardivement, après le dépôt de la plainte ; que la circonstance que lors de la seconde visite de l'agent commissionné par le ministère de l'environnement, l'eau soit redevenue plus claire, peu après l'arrivée de celui-ci, démontre la pleine connaissance par le prévenu de l'origine de la pollution à laquelle il aurait pu être mis fin plus tôt ;
"alors, premièrement, que lorsque l'opération de rejet est autorisée par arrêté, la responsabilité pénale de son auteur ne peut être recherchée que si les prescriptions de cet arrêté n'ont pas été respectées ; qu'en ne répondant pas à l'argumentation péremptoire par laquelle Marcel X... faisait valoir, en cause d'appel, que le rejet des eaux sales dans les eaux pluviales avait été autorisé par l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 17 avril 1991 autorisant l'exploitation de l'usine de traitement de l'eau, la cour d'appel n'a pas motivé sa décision ;
"alors, deuxièmement, que l'application de l'article L. 216-6 du code de l'environnement suppose que le ou les déversements incriminés aient été à l'origine des dommages à la faune et la flore , qu'en cause d'appel, Marcel X... avait soutenu qu'en dépit des conclusions de l'expertise, il était probable que la mort des carpes ait eu pour cause la présence d'une algue toxique en raison de l'assèchement des roubines appartenant à la Compagnie des salins du midi ; qu'il ajoutait en ce sens que la mort de carpes avait été constatée dans d'autres étangs et que la partie civile elle-même avait reconnu sa responsabilité, laquelle avait également été mise en lumière par un rapport de la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement ; qu'en se fondant sur les conclusions de l'expert, sans rechercher, fût-ce pour l'écarter, si l'hypothèse soutenue par Marcel X... n'expliquait pas la mort de la faune et de la flore et si par suite, à supposer les déversements de boue établis, ils ne présentaient pas de lien de causalité certain avec les dommages constatés, la cour d'appel n'a pas donné de décision de base légale à sa décision ;
"alors, troisièmement, qu'en se fondant, pour retenir le prévenu dans les liens de la prévention, sur le fait que l'expert avait relevé que les déversements des boues étaient " sûrement " à l'origine du décès des carpes, la cour d'appel n'a pas caractérisé un lien de cause à effet certain entre les déversements et les dommages, privant ainsi derechef sa décision de base légale ;
"alors, quatrièmement, qu'en déduisant l'existence de l'élément intentionnel de ce que entre les deux épisodes polluants, Marcel X... n'avait pas pris les mesures nécessaires pour y remédier et que lors du second, l'eau était redevenue claire lors du contrôle, cependant que ces circonstances ne pouvaient au mieux que caractériser une faute dans la survenance du second épisode polluant, la cour d'appel, s'agissant du premier épisode polluant, a privé sa décision de base légale" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à deux reprises, en décembre 1997 et en février 1998, des boues noirâtres provenant de la station de traitement des eaux du Ranquet, dont Marcel X... est directeur, ont débordé des canalisations de l'usine et ont atteint un étang appartenant à la Compagnie des salins du Midi ; que l'expert judiciaire, commis au cours de l'information ouverte contre personne non dénommée du chef de pollution, a conclu que ces rejets étaient à l'origine de la mort des carpes élevées dans l'étang ; que Marcel X..., mis en examen vingt mois après le dépôt de ce rapport, s'est vu refuser une contre-expertise au motif que, cinq ans après les faits, une telle mesure était inutile ; que sa demande d'annulation des actes de la procédure antérieurs à sa mise en examen, qu'il estimait tardive, a été rejetée par un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 18 septembre 2003 ; que Marcel X... a été renvoyé devant la juridiction pénale sous la prévention de pollutions prévues et punies par l'article L. 216-6 du code de l'environnement ; qu'il a été condamné de ces chefs ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable des faits reprochés, l'arrêt du 20 février 2006 retient notamment que Marcel X... a indiqué aux services de police que les opérations de chargement sur des camions des boues destinées à être évacuées laissaient échapper des résidus qu'un préposé, à l'aide d'un jet d'eau, chassait vers le collecteur d'eaux pluviales ; que les juges ajoutent que l'impact des effluents sur la flore, en l'espèce des joncs, est illustrée par les photographies jointes au procès-verbal de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt ;
Attendu qu'en l'état de ces seules constatations, procédant de pièces antérieures à l'ouverture de l'information, d'où il se déduit que des eaux boueuses, volontairement renvoyées vers le milieu naturel par les émissaires réservés aux eaux pluviales, ont souillé la végétation aquatique, la cour d'appel, qui n'était tenue de répondre, ni au moyen inopérant suivant lequel la mortalité des carpes serait due à une algue toxique, ni à une simple allégation de conformité de l'installation à son autorisation d'exploitation, a caractérisé en tous leurs éléments les délits reprochés au prévenu ;
Qu'en effet, l'article L. 216-6 du code de l'environnement punit les rejets intentionnels ou non intentionnels dans les eaux superficielles ou souterraines qui entraînent des dommages à la faune ou à la flore, à l'exclusion de la destruction du poisson, réprimée par l'article L. 432-2 du même code ;
D'où il suit que les moyens, mal fondés en ce qu'ils sont dirigés contre l'arrêt de condamnation, sont inopérants en ce qu'ils visent le refus d'annulation d'une mesure d'expertise qui tendait, de façon surabondante, à établir la preuve d'un lien de causalité entre les rejets et la mortalité piscicole ;
Et attendu que les arrêts sont réguliers en la forme ;
REJETTE les pourvois.