Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 1, 12 janvier 2023, n° 21/01882

DOUAI

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poupet

Conseillers :

Mme Miller, Mme Colonna

Avocats :

Me Gorny, Me Laforce

TJ Arras, du 11 févr. 2021, n° 19/01313

11 février 2021

Le 3 février 2018, M. [F] [M] a signé, auprès de Monsieur [S] [X], professionnel de l'automobile exerçant sous l'enseigne Eurobestcar, le bon de commande d'un véhicule d'occasion de marque Audi, modèle RS6-51 CV, pour le prix de 38 000 euros, outre 3 500 euros pour les frais de carte grise/forfait immatriculation et plaques.

Il a pris possession du véhicule le 17 février 2018 après s'être acquitté d'une somme totale de 40 500 euros.

Le 28 janvier 2019, le Trésor Public a notifié à M. [M] un titre de perception aux fins de recouvrement d'une somme de 8 000 euros au titre de la régularisation de l'immatriculation du véhicule en application d'une loi du 30 décembre 2017 créant une taxe additionnelle sur les certificats d'immatriculation.

Par acte d'huissier de justice du 16 juillet 2019, Monsieur [M] a assigné Monsieur [X] devant le tribunal de grande instance d'Arras aux fins d'annulation de la vente pour erreur sur les qualités substantielles et subsidiairement de condamnation du vendeur à lui verser des dommages et intérêts.

Par jugement du 11 février 2021, le tribunal a condamné M. [X] à payer à M. [M] les sommes de 6 100 euros au titre du manquement à l'obligation d'information, 900 euros au titre de la différence entre le prix convenu et le prix payé et 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

M. [X] a interjeté appel de ce jugement et, par conclusions remises le 9 novembre 2021, demande à la cour de l'infirmer, de débouter M. [F] [M] de ses prétentions et de le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec faculté de recouvrement direct au profit de Me Pierre Rotellini.

M. [M], par conclusions remises le 3 août 2021, demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner Monsieur [X] à lui verser 3 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, en ce compris tous frais restant à sa charge en application de l'article 10 du tarif des huissiers modifié par décret du 8 mars 2010.

***

M. [M] reproche à M. [X], d'une part, d'avoir manqué à son obligation précontractuelle de renseignements en lui indiquant que la taxe de 8 000 euros à laquelle il a été soumis ne lui serait pas applicable compte tenu de l'ancienneté du véhicule et de l'existence d'un abattement de 10 % par année d'ancienneté, d'autre part, d'avoir augmenté, dans la facture, le prix du véhicule fixé par le bon de commande.

M. [X] fait valoir pour sa part qu'il a satisfait à son obligation d'information en établissant un bon de commande conforme aux dispositions de l'arrêté du 28 juin 2000, qu'il n'était pas tenu de fournir une information sur la taxe en question dont l'instauration avait été annoncée et dont les éventuels acquéreurs de voitures de luxe ne pouvaient pas ne pas avoir connaissance, qu'il a néanmoins informé M. [M] de l'existence de cette taxe sur les véhicules de luxe dont le principe avait été adopté le 30 décembre 2017 mais ne lui a nullement dit, en revanche, que celle-ci ne lui serait pas applicable, les modalités n'en étant pas alors connues ; qu'en ce qui concerne la légère différence entre le prix facturé (38'900 euros) et le prix initialement fixé (38'000 euros), elle a été acceptée par M. [M], les frais administratifs s'étant avérés moins élevés que prévu et le coût total facturé moindre que le coût convenu.

MOTIFS DE LA DÉCISION,

Sur le manquement allégué à l'obligation de renseignement,

L'article 1112-1 du code civil dispose que celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ; que néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation ; qu'ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ; qu'il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.

Les « informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties » s'entendent de l'objet de l'obligation, des caractéristiques essentielles du bien ou de la prestation, de son prix, de la contrepartie attendue.

Il résulte plus spécifiquement des dispositions de l'article L. 111-1 code de la consommation qu'avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, le professionnel doit lui communiquer, de manière lisible et compréhensible, une information sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service, son prix et, s'il y a lieu, les garanties légales et les modalités de mise en œuvre des garanties et aux autres conditions contractuelles.

Il est néanmoins constant qu'aucune personne, même le consommateur lambda, n'est dispensée de s'informer avant de contracter afin de le faire avec discernement, à plus forte raison si les informations ignorées sont facilement accessibles ; il ressort d'ailleurs de l'article 1112-1 précité qu'en matière de droit général des contrats, seule l'ignorance légitime d'une information autorise une partie à se prévaloir d'un manquement de son cocontractant à une obligation d'information.

L'existence d'une « taxe additionnelle à la taxe sur les certificats d'immatriculation'» visant les véhicules de luxe au-delà de 36 chevaux fiscaux, dont l'instauration ne datait que de quelques semaines à la date du contrat objet du présent litige mais dont le projet était révélé depuis plus longtemps, n'est pas, en tout état de cause, une caractéristique essentielle du bien objet de la vente, au sens des textes précités, mais une mesure fiscale et une information d'ordre général, publique et accessible, et l'acquéreur potentiel d'un véhicule tel que celui dont il est question ne pouvait pas raisonnablement ne pas en avoir entendu parler. C'est donc à juste titre que l'appelant fait valoir qu'il n'était pas, sur un plan général, tenu d'en informer M. [M]. Il ne l'était pas davantage, sur un plan particulier, dès lors que l'intimé ne démontre pas que l'éventuelle soumission du véhicule dont il s'agit à cette taxe fût déterminante de son consentement ni, à supposer qu'elle le fût, que le vendeur le sût. Enfin, si M. [X] déclare avoir néanmoins évoqué la taxe en question, M. [M] ne démontre pas que celui-ci lui aurait alors donné une information inexacte, étant observé qu'il pouvait aisément se renseigner lui-même auprès des services de la préfecture ou des services fiscaux, et il ne peut utilement se prévaloir à cet effet de SMS que M. [X] lui a adressés les 22 février et 4 mars 2019 dès lors que ceux-ci, d'une part, sont postérieurs de plus d'un an à la conclusion du contrat, d'autre part ne font que lui donner les coordonnées du service de la préfecture à même de lui confirmer que les modalités d'application de la taxe litigieuse n'étaient pas connues à la date de la vente.

C'est dès lors à tort que le premier juge a retenu la responsabilité de M. [X] pour manquement à son obligation d'information et délivrance d'une information erronée et l'a condamné au paiement de dommages et intérêts ; le jugement doit être infirmé sur ce point.

Sur la modification du prix convenu.

Les articles 1103 et 1104 du code civil disposent que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; qu'ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Ainsi que cela a été dit ci-dessus, le bon de commande du 3 février 2018 stipulait un prix du véhicule de 38 000 euros, outre 3 500 euros pour les frais de carte grise/forfait immatriculation et plaques, soit 41'500 euros au total, et la facture, acquittée par M. [M] le 17 février suivant, se montait à 40'500 euros, dont 38'900 euros représentant le prix du véhicule.

Si M. [X] affirme que la modification du prix du véhicule a été acceptée par M. [M], le montant total facturé étant moindre, cette affirmation est accréditée par le fait que ce dernier, non seulement a réglé immédiatement la facture, qu'il a certes pu ne pas examiner en détail le jour même, mais aussi s'est abstenu de contester la légère modification du prix avant le 1er mars 2019 (il ne démontre pas ni ne soutient le contraire) et la réception de l'avis de recouvrement de la taxe additionnelle.

Il y a donc lieu d'infirmer également le jugement en ce qu'il a condamné M. [X] à rembourser à M. [M] la somme de 900 euros à ce titre.

Sur les autres demandes,

Les considérations qui précèdent, au regard des articles 696 et 700 du code de procédure civile, justifient la condamnation de l'intimé aux dépens et au paiement à l'appelant d'une indemnité pour frais irrépétibles ainsi que le rejet de sa propre demande d'indemnité.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau,

Déboute M. [F] [M] de ses demandes,

Le condamne aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés par Me Rotellini selon les modalités prévues par l'article 699 du code de procédure civile, et au paiement à M. [S] [X] d'une indemnité de trois mille euros par application de l'article 700 du même code.