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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 9 avril 2013, n° 12/00631

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Bull (SAS)

Défendeur :

Société Générale (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hirigoyen

Conseillers :

Mme Delbès, M. Boyer

Avocats :

Me Serra, Me Courvoisier, Me Cosich, Me Martineau, Me Gastebled

T. com. Paris, du 6 déc. 2011, n° 201101…

6 décembre 2011

Par contrat du 14 avril 2006, M. X a cédé à la société Bull la totalité des actions composant le capital de la société HRBC laquelle détenait la totalité des actions de la société HRBC Suisse.

Une garantie d'actif et de passif a été consentie à hauteur de 1 400 000 euros suivant convention du 28 avril 2005 aux termes de laquelle M. X garantissait notamment la situation nette des sociétés HRBC et HRBC Suisse selon la situation arrêtée au 31 décembre 2005 et l'exactitude des déclarations souscrites.

La garantie était donnée pour une durée de trois ans avec une franchise de 15 000 euros, à charge pour le cessionnaire d' aviser le cédant sans délai et au plus tard dans les trente jours de la mise en évidence des événements y ouvrant droit par lettre recommandée avec avis de réception.

Une garantie bancaire appelable à première demande devait être fournie par M. X à la société Bull le jour d'exigibilité du premier versement complémentaire prévu à l'article 2-3 du contrat de cession d'actions.

Une première mise en oeuvre de la convention de la garantie du chef de litiges prud'homaux pour un montant de 60 070 euros a donné lieu à un accord entre les parties suivant constat du 27 avril 2007, signé par la société Bull et Maître Philippe Cosich, conseil de M. X, prévoyant un paiement par compensation avec des sommes restant dues par le cessionnaire.

Dans le même temps, conformément à la convention de garantie, M. X a remis au cessionnaire une garantie autonome à première demande émise par la Société Générale, datée du 24 avril 2007, d'un montant de 900 000 euros, qui sera ramené à 500 000 euros par acte du 22 août 2008 puis à 110 000 euros par acte du 2 juillet 2009.

Puis, à partir de juillet 2008, des échanges ont eu lieu entre la société Bull et M. X en vue d'une deuxième mise en jeu de la garantie à raison d'un redressement fiscal et des litiges prud'homaux concernant MM. B. et Mouton, au cours desquels par lettre du 14 septembre 2009, Maître Philippe Cosich a invoqué le défaut d'information préalable sur les procédures en cause.

Par lettre du 3 mars 2010, la société Bull a adressé à M. X une dernière mise en demeure de payer la somme de 99 629,28 € au titre de la garantie précisant que sans paiement de sa part dans les quinze jours, elle actionnerait la garantie bancaire ce qu'elle a fait par courrier en date du 26 mars 2010 mais en vain.

C'est dans ces circonstances que par acte du le 10 mai 2010, la société Bull a assigné en référé la Société Générale et que par ordonnance du 18 novembre 2010, la banque a été condamnée à payer à la société Bull une provision de 84 629,29 €.

Contestant la régularité de l'appel en garantie, par actes des 8 et 14 février 2011, M. X a assigné la société Bull et la Société Générale devant le tribunal de commerce pour voir dire que la société Bull ne peut prétendre à la garantie et lui ordonner de rembourser la provision allouée.

Par jugement du 6 décembre 2011, le tribunal de commerce de Paris a dit irrégulière la mise en demeure du 3 mars 2010 et a condamné la société Bull à restituer à la banque la somme de 87 629,28 euros outre intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2010, a débouté la société Bull pour le surplus et ordonné l'exécution provisoire.

Le tribunal a relevé que la lettre de réclamation du 3 mars 2010 n' avait pas été adressée à M. X par lettre recommandée, qu'aucune indication du dépôt à la poste ne figurait sur le récepissé de dépôt et que l'accusé de réception était absent pour en déduire que le formalisme de la mise en oeuvre de la garantie n'avait pas été respecté et que, par suite, la garantie à première demande ne pouvait trouver à s'appliquer.

La société Bull a relevé appel selon déclaration du 11 janvier 2012.

Par conclusions signifiées le 11 avril 2012, la société appelante demande à la cour de constater que M. X a été valablement mis en demeure de verser les sommes objet du litige conformément à l'article 2- g) de la convention de garantie, de constater la défaillance de M. X dans l'exécution de ses obligations au titre de la garantie de passif, de constater, en conséquence, que la garantie bancaire a été régulièrement mise en oeuvre, de condamner la Société Générale à lui payer la somme de 84 629,28 €, de condamner M. X à lui payer la somme de 15 000 € correspondant à la différence entre le montant qui avait été perçu en référé par Bull au titre de la garantie bancaire et le montant effectivement dû par lui au titre de la convention de garantie, à titre subsidiaire, de constater que M. X n'a subi aucun préjudice dans la mesure où il a reconnu devoir les sommes réclamées à la société Bull, de constater qu'en conséquence, la société Bull n'est pas déchue de son droit à indemnisation conformément à la convention de garantie, de condamner M. X à payer la totalité des sommes réclamées au titre de la convention de garantie soit 99 629,28 € , en tout état de cause, de le condamner au paiement de 10 000 € à titre de dommages intérêts pour exécution de mauvaise foi de la convention de garantie et procédure abusive et de condamner chacun des intimés au paiement de 10 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 6 juin 2012, la Société Générale demande à la cour de confirmer le jugement en tous points, subsidiairement, de dire que M. X est tenu contractuellement de lui rembourser toute somme réglée au titre de la garantie à première demande, de le condamner, en conséquence, à lui payer la somme versée de 84 629,28 €, en tout état de cause, de condamner la partie succombante au paiement de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 11 juin 2012, M. X sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et, y ajoutant, la condamnation de la société Bull au paiement de 3 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

- Sur l'application de la garantie de passif

Il appartient à la société Bull qui recherche le bénéfice de la garantie bancaire émise à son profit de démontrer la défaillance de M. X dans le règlement des créances relevant de la garantie de passif.

La convention de garantie de passif prévoit en son article 2 g) que le bénéficiaire notifiera au garant sa demande d'indemnisation par lettre recommandée avec accusé de réception, cette notification valant mise en demeure. 

La société Bull critique le jugement pour avoir considéré que ce formalisme n'a pas été respecté, validant ainsi la thèse de M. X lequel prétend que la lettre du 3 mars 2010 n'a pas été envoyée à la bonne adresse, et fait plaider que la mise en demeure est régulière puisqu'envoyée au domicile élu par le cédant conformément à l'article 6 de la convention de garantie.

Il est constant que la lettre de mise en demeure du 3 mars 2010 réclamant paiement de la somme de 99 629,28 euros, a été adressée <adresse>, avec copie à Maître Philippe Cosich, son conseil. 

Cette adresse <adresse> est celle qui figure en première page de la convention de garantie de passif dont l'article 6 intitulé Notification et élection de domicile est ainsi libellé:

"Pour tout ce qui concerne les présentes et leurs suites, les parties font élection de domicile en leurs demeures respectives énoncée en tête des présentes.

Toutes les notifications faites directement ou indirectement pour l'application de la présente convention de garantie seront valablement effectuées par écrit et seront soit remises en mains propres... soit adressées par courrier en recommandé avec accusé de réception... aux personnes et adresses désignées ci-dessous

Chacune des parties pourra modifier les adresses et identités susvisées moyennant un préavis de 15 jours ouvrables notifié". 

Il est vrai que l'adresse de M. X figurant sur la convention bancaire comme celle mentionnée dans l'assignation sont différentes mais aucune n'a été notifiée à la société Bull de sorte que les notifications étaient faites régulièrement au domicile élu.

Cependant, pas plus qu'en première instance, la société Bull ne démontre avoir envoyé la lettre du 13 mars 2010 valant mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception, la mention d'un tel envoi sur la lettre elle-même étant à cet égard insuffisant. 

Il en va de même des mises en demeure précédentes en date des 28 juillet 2008 et 3 février 2009.

Pour autant, d'une part, la convention de garantie de passif ne sanctionne pas expressément le non-respect du formalisme par une déchéance, d'autre part, il n'est pas contesté que l'avocat de M. X a reçu copie de la lettre du 3 mars 2010, enfin et surtout, il ressort des pièces versés au débat que cédant et cessionnaire étaient parvenus à un accord de principe dès avant la mise en demeure.

Il ressort, en effet, des correspondances produites que :

- dans un premier temps, la société Bull et M. X ont échangé longuement en vue de la mise en jeu de la garantie de passif pour aboutir à un premier paiement de 60 070 euros, consigné dans un constat de réalisation en date du 27 avril 2007, lequel incluait selon la lettre de la direction juridique du groupe Bull en date du 26 avril 2007 les règlements liés à trois litiges dont les deux litiges prud'homaux concernant MM. B. et Mouton, nés de licenciements antérieurs à la cession et alors toujours en cours, compte tenu des recours exercés,

- dans un second temps, le débat s'est poursuivi en vue d'une nouvelle mise en jeu de la garantie de passif prenant en compte les sommes additionnelles liés aux contentieux prud'homaux, Maître Philippe Cosich ayant auparavant dans un courriel du 25 juillet 2008 précisé qu il n est pas question que mon client ne règle pas ce qui est dû suivant la convention de garantie' puis M. Jacques F., mandataire de M. X, ayant à deux reprises, par courriel des 19 et 24 février 2009, manifesté son accord sur les sommes réclamées sauf les honoraires de l'avocat, Maître Touati,

- c'est seulement dans un troisième temps, que Maître Philippe Cosich a évoqué le non-respect par la société Bull de l'obligation d'information dans le suivi des dossiers prud'homaux tout en indiquant par lettre du 5 mai 2009 que la mise en oeuvre de la garantie de passif initiée par la société Bull n'était pas sur le principe contredite par M. X.

Au vu de l'ensemble de ces éléments qui attestent de la connaissance par le cédant des faits susceptibles de permettre au bénéficiaire de mettre en oeuvre la garantie, ce à quoi tendait précisément le formalisme mis en place par la commune intention des parties à la convention, M. X ne peut opposer l'inobservation dudit formalisme pour se soustraire à ses obligations.

S'agissant du manquement invoqué à l'obligation d'information sur les litiges en cours, il importe de noter que la convention de garantie de passif ne comporte aucune disposition précisant les contours de cette obligation.

Il est établi que les litiges préexistaient à la signature de l'acte de cession, que le litige Mouton a été expressément mentionné en annexe de l'acte, que le litige B. a donné lieu à un premier règlement et figure à ce titre sur la situation de garantie de passif dressée par M. X en date du 16 avril 2007, que ces procédures ont fait l'objet de divers recours dont un appel, à l'initiative de M. X lui-même, et un pourvoi en cassation, que ces procédures ont été suivies par l'avocat initialement choisi par M. X, confirmé dans son mandat par le cessionnaire.

Dans sa lettre du 5 mai 2009, Maître Philippe Cosich indique que le seul fait pour le cédant d'avoir donné un accord sur la poursuite du mandat de Maître Touati en vue de la défense des intérêts de HRBC ne peut constituer un blanc seing définitif pour payer honoraires et condamnations, que M. X souhaiterait parvenir à une négociation concernant les honoraires pour en revenir à la règle des 1 800 euros par procédure qui, au demeurant, est susceptible de couvrir une bonne partie des honoraires' ajoutant que concernant le fond, il semble que seule une décision définitive est de nature à faire jouer la garantie de passif' pour préconiser un cantonnement de la garantie bancaire à 70 000 euros.

Ainsi, non seulement M. X ne démontre pas le silence du cessionnaire sur le déroulement des procédures qu'il a dénoncé après trois ans mais il apparaît qu'il était parfaitement informé des deux procès et s'opposait aux seuls honoraires facturés par Maître Touati sans justifier d'ailleurs du tarif invoqué de 1 800 euros par procédure.

Il s'ensuit que les conditions de mise en oeuvre de la garantie de passif sont réunies à hauteur de la somme de 99 629,28 euros qui correspond au total des sommes acquittées par la société Bull du chef des litiges antérieurs à la cession, honoraires d'avocat compris.

- Sur les conséquences de l'application de la garantie de passif

Selon la convention de garantie à première demande émise par la Société Générale, la garantie bancaire est acquise au bénéficiaire dès lors que celui-ci apporte la preuve de la défaillance du garanti dans le règlement de la créance en cause

Une fois la défaillance de M. X établie, il y a lieu de condamner la Société Générale à payer à la société Bull, conformément à la demande, la somme de 84 629,28 €.

M. X doit être condamné à payer à la société Bull la somme de 15 000 € correspondant à la différence entre cette somme et celle effectivement due par lui au titre de la convention de garantie.

Par ailleurs, M. X étant tenu contractuellement de rembourser à la Société Générale toute somme réglée par elle au titre de la garantie à première demande, il sera condamné à payer à celle-ci la somme de 84 629,28 € mise à sa charge.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

- Sur la demande de dommages intérêts

Ne démontrant pas avoir un préjudice autre que celui résultant de l'engagement de frais de justice, réparé par ailleurs, la société Bull sera déboutée de sa demande de dommages intérêts.

- Sur l'article 700 du code de procédure civile

L'équité commande d'infirmer les dispositions du jugement ayant indemnisé M. X et la Société générale, de débouter ces parties de leurs demandes et de condamner M. X à payer à la société Bull la somme de 6 000 euros pour ses frais non taxables.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré,

Et statuant à nouveau

Condamne la Société Générale à payer à la société Bull la somme de 84 629,28 euros,

Condamne M. X à payer à la société Bull la somme de 15 000 euros,

Condamne M. X à payer à la Société générale la somme de 84 629,28 euros,

Condamne M. X à payer à la société Bull la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande,

Condamne M. X aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.