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Décisions

Cass. crim., 15 juin 2016, n° 14-87.715

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Pichon

Avocat général :

M. Bonnet

Avocats :

Me Bouthors, SCP Foussard et Froger

Paris, du 10 nov. 2014

10 novembre 2014

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 121-1, 121-2, 132-71, 313-1, alinéa 1, 313-2, alinéa 2, 313-7, 313-8 du code pénal, de l'article préliminaire et des articles 2, 63 et suivants, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a condamne la société Néo technology et M. Christophe X... du chef d'escroquerie en bande organisée et a statué sur les intérêts civils ;

" aux motifs propres, en ce qui concerne M. X... et la société Néo technology, que c'est par des motifs pertinents qu'elle fait siens et par une juste appréciation des faits et circonstances particulières de la cause, exactement rapportés dans la décision attaquée, que les premiers juges ont à bon droit retenu M. X... et la société Néo technology dans les liens de la prévention ; qu'il sera précisé, de première part, en ce qui concerne l'escroquerie en bande organisée, que celle-ci a consisté, alors que la société Néo technology, société française, a procédé pendant toute la période de la prévention à des achats de matériel informatique en provenance de la société Ecom, société allemande, à interposer entre ces deux sociétés trois séries de sociétés frauduleuses gérées par M. Y...et ses complices, celles de premier et troisième niveau, d'apparence régulière, notamment, sur le plan formel de leurs déclarations fiscales, particulièrement de TVA, étant en relations commerciales avec le fournisseur initial et le client final, celles de deuxième niveau, totalement fictives, dites " taxis ", étant défaillantes fiscalement et ayant pour fonction, selon l'expression imagée du chef de réseau, d'être " mangeuses de TVA ", frauduleusement récupérée par les sociétés de troisième niveau, dites " déductrices ", pour un montant de 5 127 680 euros, permettant d'en repartir le profit entre les différents participants ; qu'il sera ajouté, de deuxième part, et nonobstant les dénégations de particulière mauvaise foi de M. X..., mises en évidence lors des débats de l'audience d'appel, que la participation des dirigeants de la société Néo technology àcette bande organisée résulte d'un accord préalable plusieurs fois renouvelé :
- d'abord, lors de rencontres initiales, attestées pour l'une d'entre-elles par Mme Frédérique Z..., lorsque MM. Georges et Emmanuel Y...l'avaient conviée à un repas au restaurant à Paris 13e auquel assistait M. Alexandre X..., l'existence d'un tel accord préalable ayant été confirmé par les déclaration de M. Nicolas A...,
- ensuite, à chaque changement de société déductrice, de la société Trans Global Trade à la société E-Spine, puis de la société E-Spine à la société Tex Com, lorsque sans raison économique valable, M. Christophe X... explique, sans convaincre, qu'il préférait suivre la commerciale plutôt que ces sociétés elles-mêmes dont il a reconnu qu'elles étaient leurs plus gros fournisseurs, représentant 40 % des achats,
- encore, lorsque le 7 décembre 2006, la société Néo technology, ayant reçu un avis à tiers, détendeur pour une dette fiscale de la société E-Spine pour un montant de 3 640 032 euros, un accord a nécessairement dû être trouvé pour poursuivre les relations avec les mêmes personnes mais sous couvert d'une nouvelle structure, Tex Com ;
- enfin, lors d'événements établissant la proximité des relations entre ces personnes, tels que le 25 mars 2006, le projet de location par E-Spine de locaux appartenant à une société France technopole détenue par les frères X... ou l'avance de 30 000 euros faite par la société Néo technology à la société Tex Com ; qu'il sera enfin observé, de dernière part, que M. Christophe X..., qui était en contact direct avec Mme Z...et M. A..., a pleinement participé à l'infraction ; qu'alors qu'il était associé pour le quart de la société Néo technology, qu'il en était directeur commercial, responsable tant des achats que des ventes, qu'il résulte, notamment, de ses déclarations que toutes les décisions importantes concernant la société Néo technology étaient prises collègialement par celui-ci, son frère, Alexandre et Mme Martine B..., gérante de droit, il ressort suffisamment de ce qui précède, en premier lieu, et nonobstant les vaines contestations de la défense, que M. Christophe X... était gérant de fait de la société Néo technology, en second lieu, que les infractions commises l'ont été par les organes de cette société ; que, dès lors, la responsabilité pénale de cette société doit elle aussi être retenue ; que la cour confirmera donc le jugement déféré sur les déclarations de culpabilité de M. Christophe X... et de la société Néo technology ;

" et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges que devant les services de police, Mme Martine B..., gérante de droit de la société Néo technology, reconnaissait avoir été informée par son beau-frère, M. C...X... que leur société avait des fournisseurs " pas nets ", fraudant à la TVA mais sans avoir réellement conscience de ce que cela pouvait signifier ; qu'elle ne participait pas au choix des fournisseurs et n'avait qu'une vue comptable de cette partie ; que M. Alexandre X..., concubin de Mme Martine B..., associé et salarié de la société Néo technology à Toulouse Blagnac, déclarait être le gérant de fait de cette société et avoir en charge la gestion des achats à savoir le choix des produits et des fournisseurs ; que, sur présentation des éléments issus de la comptabilité de la société Néo technology, M. Alexandre X... reconnaissait que ses principaux fournisseurs depuis 2004 étaient les sociétés impliquées dans le schéma de fraude décrit, à savoir successivement TGT, Eespine et Tex Com ; que M. Alexandre X... déclarait ne s'être jamais posé de questions sur la compétitivité des prix pratiques par ses fournisseurs ; qu'il déclarait quand même avoir eu un doute sérieux dès le début de la mise en place de Tex Com France et Tex Com Belgique dans la mesure où avoir un découpage entre le circuit facture et le circuit commande/ règlement lui paraissait douteux ; que malgré cette prise de conscience, il avait préféré par facilité et confort d'approvisionnement garder Tex Com comme principal fournisseur ; que M. Christophe X..., frère d'Alexandre, associé et salarié de la société Néo technology, était directeur commercial de la société Néo technology et avait en charge, notamment, la gestion des achats et des fournisseurs ; que lors de ses auditions devant les services de police, il déclarait connaître les mécanismes de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dans le secteur de l'informatique et reconnaissait que la société Néo technology s'était approvisionnée de 2004 à juillet 2008 auprès de fournisseurs douteux pratiquant des prix très bas ; qu'ainsi, il déclarait s'être fourni en toute connaissance de cause auprès de sociétés qui ne remplissaient pas leurs obligations légales en matière de TVA, son but étant d'obtenir des prix compétitifs et de bien se placer sur le marché, ce qui lui avait permis d'augmenter le chiffre d'affaires de la société et donc de dégager davantage de bénéfices ; qu'il précisait, d'une part, que ses principaux fournisseurs depuis 2004 étaient les sociétés précitées mêlées au carrousel de TVA, soit successivement TGT en 2004, E-Spine en 2005 et 2006 puis Tex Com de 2007 à juillet 2008, et que, d'autre part, au sein de ces différentes structures, ses interlocuteurs avaient toujours été M. A...et Mme Z...; qu'ultérieurement, MM. X... et Mme B...revenaient sur leurs aveux et niaient avoir été au courant de la fraude ; que cependant, les éléments matériels recueillis lors de l'information judiciaire établissent clairement la poursuite de l'activité de la société Néo technology avec les différentes sociétés taxis et écrans, au fur et à mesure de leur changement ; qu'ils ont reconnu en garde à vue leur implication avant de se rétracter devant le juge d'instruction ; qu'ils sont mis en cause par Mme Z...et M. A...; que, par ailleurs, plusieurs éléments permettent de se convaincre de leur implication en connaissance de cause à cette escroquerie du moins en ce qui concerne M. Christophe X..., qui agissait en sa qualité de directeur commercial de la société Néo technology :
- la société Néo technology bénéficiait de produits à prix très compétitifs, vendus par des structures en changement constant, deux caractéristiques d'un système de fraude à la TVA ;
- les mails échangés entre Mme Z...et M. Christophe X..., ainsi que les écoutes téléphoniques sont explicites sur leur participation en toute conscience à ce système qui permettait à la société Néo technology de réaliser des bénéfices importants ;
- M. Christophe X... acceptait une facturation en France alors que les marchandises proviennent de Belgique, ainsi que les différents changements du nom des sociétés avec lesquelles il traitait pour éviter les problèmes ; qu'ainsi, M. Christophe X... et la société Néo technology seront déclarés coupables ;

" 1°) alors que la culpabilité d'un prévenu ne peut être essentiellement déduite de déclarations auto-incriminantes passées au cours d'une garde a vue sans l'assistance d'un avocat ; qu'en se fondant pour l'essentiel sur lesdites déclarations, d'ailleurs rétractées devant le juge d'instruction, la cour d'appel a méconnu la garantie s'attachant au droit de ne pas s'auto-incriminer ;

" 2°) alors que la direction de fait d'une société s'entend exclusivement d'une participation à la conduite de l'entreprise active, régulière et comportant prise de décision ; qu'en retenant à l'encontre du requérant la qualité de gérant de fait de la société Néo technology a raison seulement du caractère familial de cette société et de la prise collective des décisions importantes, lors même qu'elle n'a pas établi que le requérant, simple associé salarié, ait jamais eu un quelconque pouvoir de direction ou de contrôle de la société, la cour a rederechef prive son arrêt de toute base légale ;

" 3°) alors qu'à défaut d'une infraction commise pour le compte d'une personne morale par un de ses organes ou représentants, aucune responsabilité pénale ne peut être imputée à la société ; que pareil lien est rompu quand le prévenu, personne physique, n'est ni un organe ni un représentant de la personne morale ; qu'en l'absence de direction de fait reprochable au prévenu, la responsabilité pénale de la personne morale ne pouvait dès lors être légalement retenue ;

" 4°) alors que l'escroquerie à la TVA de type carrousel exige, pour être constituée du chef de l'acquéreur final, que celui-ci ait activement participé à la fraude et qu'il en ait tire profit ; que le simple soupçon prêté à l'acquéreur quant au comportement de sociétés intermédiaires ne suffit pas à caractériser l'existence d'une collusion frauduleuse ; qu'ainsi, manque de base légale la condamnation de l'acquéreur du chef d'escroquerie ;

" 5°) alors que la circonstance aggravante de " bande organisée " s'entend au sens de l'article 132-71 du code pénal de " tout groupement forme ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou plusieurs infractions " ; que le seul fait pour le directeur salarié de la société Néo technology d'avoir entretenu des relations commerciales avec ses fournisseurs ne suffit pas à caractériser une organisation structurée en vue de préparer intentionnellement une fraude et d'en recueillir les bénéfices ; que faute de s'être suffisamment expliquée sur l'ensemble des éléments caractéristiques d'une bande organisée, la cour a derechef privé son arrêt de toute base légale " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à la suite de la plainte de l'administration fiscale, une enquête préliminaire a révélé, en matière de commerce de téléphonie mobile, des faits de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de type " carrousel ", par interposition entre le fournisseur initial européen et l'acheteur professionnel français de séries de sociétés intermédiaires, dont des sociétés éphémères dites " taxis " et d'autres dites " déductrices ", afin de faire naître frauduleusement un droit à déduction de TVA alors que celle-ci n'a pas été reversée au Trésor public, permettant ainsi de répartir le profit réalisé entre les différents participants et diminuer le prix d'achat des marchandises ; qu'en particulier, a été impliquée, en qualité de client final, la société Néo technology exerçant l'activité de grossiste en matériel informatique dont M. Christophe X... est le directeur commercial ; que M. X..., placé en garde à vue avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, a été entendu en l'absence d'avocat et a reconnu les faits avant de se rétracter devant le juge d'instruction ; qu'à l'issue de l'information judiciaire, M. X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour y être jugé, ainsi que la société Néo technology dont il a été considéré comme étant le gérant de fait, pour escroquerie en bande organisée au préjudice de l'Etat français ; que les premiers juges ont rejeté l'exception de nullité de la procédure, soulevée avant toute défense au fond, tirée du défaut d'assistance lors de la garde à vue et condamné les prévenus du chef susvisé ; que les prévenus et le ministère public ont interjeté appel ;

Attendu que, devant la cour d'appel, les prévenus ont renoncé à l'exception de nullité formée en première instance, mais ont soutenu, au visa de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qu'aucune condamnation ne saurait intervenir sur la base des déclarations faites en garde à vue hors la présence d'un avocat ;

Attendu que, pour confirmer le jugement sur la culpabilité des prévenus, l'arrêt énonce, notamment, par motifs propres et adoptés, que les éléments matériels recueillis établissent la poursuite de l'activité de la société Néo technology avec les différentes sociétés taxis et écrans au fur et à mesure de leur changement, que des coprévenus, Mme Z...et M. A..., ont mis en cause M. X... et que des éléments permettent de se convaincre de son implication en connaissance de cause : d'une part, la société Néo technology bénéficiait de produits à prix très compétitifs, vendus par des structures en changement constant, deux caractéristiques d'un système de fraude à la TVA, d'autre part, les mails échangés par M. X... ainsi que les écoutes téléphoniques sont explicites sur sa participation en toute conscience à ce système qui permettait à la société de réaliser des bénéfices importants, enfin, M. X... acceptait une facturation en France alors que les marchandises provenaient de Belgique, ainsi que les différents changements du nom des sociétés avec lesquelles il traitait ; qu'il relève également que la participation des prévenus à une bande organisée résulte d'un accord préalable avec les coprévenus attesté par Mme Z...et M. A..., puis renouvelé à chaque changement de société déductrice ; que les juges retiennent encore que M. X..., en contact direct avec les autres personnes impliquées dans la fraude, associé pour un quart de la société Néo technology dont il était le responsable des achats et des ventes, participant, ainsi qu'il l'a reconnu devant eux, à toutes les décisions importantes, était le gérant de fait de la société et que les infractions ont été commises par les organes de la personne morale, engageant ainsi sa responsabilité pénale ;

Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, abstraction faite de motifs surabondants fondés sur les déclarations effectuées par le prévenu au cours de sa garde à vue sans l'assistance possible d'un avocat, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.