Cass. ass. plén., 22 novembre 2002, n° 92-82.460
COUR DE CASSATION
Arrêt
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Canivet
Rapporteur :
M. Challe
Avocat général :
M. Frechède
Avocats :
SCP Boré, Xavier et Boré, SCP Laugier et Caston, Me Spinosi, SCP Urtin-Petit et Rousseau-Van Troeyen
Attendu que, lorsqu'elle est saisie en application des articles 626-3 et 626-4 du Code de procédure pénale aux fins de réexamen d'un pourvoi, la Cour de Cassation statue en l'état des seuls mémoires déposés lors de l'examen initial de ce pourvoi ; que, dès lors, les mémoires des 16 septembre et 30 octobre 2002 sont irrecevables ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'au cours de l'instruction suivie contre M. Slimane X... des chefs d'abus de confiance et obtention indue de documents administratifs, les officiers de police judiciaire, qui agissaient par ailleurs en exécution de la commission rogatoire du juge d'instruction, ont procédé d'office à des enquêtes préliminaires incidentes ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité de la procédure régulièrement présentée par l'intéressé, la cour d'appel énonce que ces enquêtes ne portaient pas sur des faits dont le juge d'instruction était saisi par le réquisitoire introductif ;
Attendu que le demandeur fait grief à l'arrêt d'avoir statué ainsi, alors, selon le moyen, que la circonstance que les faits découverts dans le cadre de l'exécution d'une commission rogatoire se rapportent à des infractions non visées dans le réquisitoire introductif ne permet pas aux officiers de police judiciaire d'ouvrir d'office une nouvelle enquête à l'insu du parquet et du magistrat instructeur ;
Mais attendu que lorsque des officiers de police judiciaire découvrent au cours de l'exécution d'une commission rogatoire des faits délictueux étrangers à la saisine du juge d'instruction, il ne leur est pas interdit de procéder à des investigations sur ces faits en mettant en oeuvre les pouvoirs qu'ils tiennent des règles prévues par les articles 53 à 78 du Code de procédure pénale pour l'enquête préliminaire ou de flagrance ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses six branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 31 mars 1983, un protocole d'accord a été conclu entre la société Iveco Unic et les sociétés Provex et Servec, dont M. Slimane X... était le dirigeant, aux termes duquel la première fournissait aux deux autres des châssis-cabines de véhicules industriels ; que chacun de ces véhicules faisait l'objet d'un contrat de dépôt stipulant que le dépositaire s'engageait à ne pas le déplacer en dehors de ses locaux commerciaux sans autorisation écrite et à le restituer au déposant qui s'en réservait la propriété ; qu'en outre, il était stipulé qu'au plus tard dans les 120 jours suivant le télex de mise à disposition ces engins seraient facturés à l'une des deux sociétés qui les paierait comptant ; que, le 28 avril 1984, 287 châssis-cabines ont été remis à la société Servec et que, lors d'une saisie conservatoire pratiquée le 29 août 1984 à la requête de la société Iveco Unic, seuls 76 véhicules ont été retrouvés ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'abus de confiance, l'arrêt relève que les châssis-cabines faisaient l'objet d'un contrat de dépôt et qu'en les revendant alors qu'il aurait dû être en mesure de les représenter, le prévenu a détourné ou dissipé lesdits véhicules ;
Attendu que le demandeur reproche à l'arrêt d'avoir statué ainsi, alors, selon le moyen :
1°/ que la cour d'appel a retenu la qualification de contrat de dépôt bien qu'il résulte de ses propres constatations que les châssis-cabines étaient remis aux sociétés Servec et Provex en vue de la vente, ce qui excluait l'obligation de restitution constitutive d'un dépôt ;
2°/ qu'elle n'a pas recherché le nombre de véhicules dont la société Iveco Unic aurait pu demander la restitution par suite du non-paiement du prix à l'échéance ;
3°/ qu'elle a omis de répondre aux conclusions du prévenu qui faisait valoir, notamment, qu'aux termes du protocole du 31 mars 1983, le contrat de dépôt des camions prenait fin par l'acquisition faite par les deux sociétés dépositaires dans le délai maximum de 120 jours à compter du télex de mise à disposition, qu'il avait manifesté son intention d'acquérir les véhicules dès le 13 avril 1984, soit plusieurs mois avant le dépôt de la plainte et que la société Iveco Unic avait expressément confirmé son accord sur la vente des camions prétendument détournés en adressant, le 16 mars 1984, un courrier relatif au remboursement des cartes grises, ce qui établissait que le prévenu avait fait procéder à l'immatriculation des véhicules avec l'accord de la société Iveco Unic ;
Mais attendu qu'en constatant, par une interprétation souveraine des dispositions contractuelles, que les châssis-cabines dont le détournement est reproché au prévenu avaient été remis à titre de dépôt aux sociétés Servec et Provex, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'ont été découvertes dans le coffre de M. Slimane X... au siège de la société Servec, des factures d'achat de châssis-cabines à la société Iveco Unic ne correspondant pas aux doubles conservés par la société venderesse ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de faux en écritures de commerce, l'arrêt retient le témoignage de l'imprimeur attitré de la société Iveco Unic selon lequel les factures litigieuses ne provenaient pas de son imprimerie et qu'il s'agissait de faux reproduits à partir d'un exemplaire pouvant être photographié ;
Attendu que le demandeur fait grief à l'arrêt d'avoir statué ainsi, alors, selon le moyen :
1°/ que la cour d'appel ne précise pas en quoi les originaux des factures ne correspondaient pas à leurs doubles ;
2°/ qu'elle n'a pas établi l'imputabilité de la falsification des factures au prévenu ;
Mais attendu qu'en relevant, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des faits de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, que les factures litigieuses ont été forgées par le prévenu en vue de donner l'apparence de documents émanant de la partie civile et de nature à prouver le transfert de propriété des véhicules concernés, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Sur le quatrième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'ont été trouvées au siège de la société Servec des factures de vente de châssis-cabines à la société Villeneuve poids lourds faisant état de ventes hors taxes alors que les doubles détenus par l'acheteur étaient libellés toutes taxes comprises ; qu'il a été constaté, à l'occasion de la vérification fiscale approfondie de cette société, que la TVA concernant les véhicules vendus par la société Servec n'avait pas été reversée au Trésor public, bien que la société Villeneuve poids lourds en eût réglé le montant entre les mains du vendeur ;
Attendu que, pour déclarer M. Slimane X... coupable d'escroquerie, l'arrêt retient que le prévenu, en présentant à la société Villeneuve poids lourds des factures incluant la TVA et en conservant des doubles qui n'en faisaient pas état, s'est fait remettre le montant de cette taxe sous forme de chèques ou effets de commerce sans indication du bénéficiaire et que la différence entre les factures délivrées à l'acquéreur et les doubles conservés par le vendeur lui a permis de dissimuler l'appropriation frauduleuse de ces sommes au préjudice du Trésor public ;
Attendu que le demandeur fait grief à l'arrêt d'avoir statué ainsi, alors, selon le moyen :
1°/ que la cour d'appel n'a pas caractérisé les manoeuvres frauduleuses constitutives de l'escroquerie ni leur caractère déterminant de la remise ;
2°/ qu'elle a omis de rechercher si le prévenu avait produit les factures litigieuses et persuadé par ce moyen le Trésor qu'il n'était pas débiteur de la TVA ;
Mais attendu qu'il ressort des constatations souveraines des juges du fond que la remise par la société Villeneuve poids lourds du montant de la TVA et son appropriation au préjudice du Trésor public ont été déterminées par des manoeuvres frauduleuses consistant à obtenir des attestations d'achats en franchise, puis à établir des factures de vente dont seul l'exemplaire remis à l'acquéreur incluait la taxe et à faire libeller par celui-ci, tiers de bonne foi, des moyens de paiement distincts pour le montant de la TVA, permettant ainsi son encaissement à l'insu de l'administration des Impôts ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le cinquième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les sociétés Servec et Provex ont procédé à des ventes fictives de véhicules aux sociétés AMS et Francomat et à l'établissement de factures de complaisance ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de faux en écritures de commerce et présentation ou publication de bilans inexacts, l'arrêt relève que le gérant des sociétés AMS et Francomat, Jean-Jacques Y..., a reconnu qu'il s'agissait d'opérations fictives ayant eu notamment pour but de créer au profit des sociétés gérées par M. Slimane X... une facturation de façade et de dissimuler à la société Iveco Unic la destination réelle de ses véhicules ;
Attendu que le demandeur reproche à l'arrêt d'avoir statué ainsi, alors, selon le moyen :
1°/ que la cour d'appel n'a pas répondu à ses conclusions faisant valoir que les déclarations de Jean-Jacques Y... comportaient de nombreuses erreurs, contradictions et inexactitudes ;
2°/ qu'elle n'a pas caractérisé l'élément intentionnel du délit de faux en écritures de commerce ;
Mais attendu qu'en énonçant, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des faits de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, que le prévenu avait procédé à des ventes fictives accompagnées de la délivrance de fausses factures portées en comptabilité et affectant l'exactitude des bilans, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le sixième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que, pour déclarer M. Slimane X... coupable d'abus des biens des sociétés Servec et Urka, l'arrêt relève qu'il s'est fait verser sur son compte personnel la somme de 711 844 francs provenant de la société Villeneuve poids lourds et destinée à la société Servec, qu'il a utilisé les fonds de cette dernière pour acquérir un pavillon au nom de sa fille et qu'enfin il a encaissé sur son compte personnel un chèque de 1 733 000 francs tiré sur le compte de la société Urka dont il était le gérant ;
Attendu que le demandeur reproche à l'arrêt d'avoir statué ainsi, alors, selon le moyen :
1°/ que la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément intentionnel du délit ni recherché en quoi le virement de la somme de 711 844 francs, destinée à la société Servec et virée sur son compte, constituait un usage contraire à l'intérêt social ;
2°/ qu'elle n'a pas répondu à ses conclusions faisant valoir que les fonds qui avaient servi à l'achat du pavillon correspondaient au remboursement partiel de son compte courant et que les virements effectués à son profit par la société Urka étaient destinés à la société Provex et avaient fait l'objet d'une compensation par suite du remboursement de son compte courant ; Mais attendu qu'en retenant, notamment, que le prévenu avait ouvert, à l'insu des comptables de la société Servec, un compte bancaire à partir duquel il avait effectué des virements sur son propre compte, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'abus de biens sociaux dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;
Sur le moyen relevé d'office, pris de la violation des articles 112-1 et 131-27 du Code pénal :
Vu lesdits articles ;
Attendu que les dispositions d'une loi nouvelle s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée, lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ;
Attendu que l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale est soit définitive, soit temporaire ; que, dans ce dernier cas, elle ne peut excéder une durée de cinq ans ;
Attendu que M. Slimane X... a été condamné par l'arrêt attaqué, pour escroquerie, abus de confiance, faux en écritures de commerce et abus de biens sociaux, notamment, à 10 ans d'interdiction d'exercer une profession commerciale, en application de l'article 4 de la loi du 30 août 1947 ; que ces dispositions étant plus sévères que celles de l'article 131-27 du Code pénal, applicable depuis le 1er mars 1994, il y a lieu d'annuler l'arrêt en ce qu'il a prononcé la peine de 10 ans d'interdiction d'exercer une profession commerciale ; que cette annulation aura lieu sans renvoi, la Cour de Cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit appropriée, ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire, et de mettre fin au litige ;
PAR CES MOTIFS :
ANNULE, en ses seules dispositions ayant prononcé la peine de 10 ans d'interdiction d'exercer une profession commerciale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, l'arrêt rendu le 2 avril 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT que l'interdiction d'exercer une profession commerciale que doit subir M. Slimane X..., en raison des délits dont il a été déclaré coupable, est de 5 ans ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application au profit de la société Iveco Unic, devenue Iveco France, de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.