Cass. crim., 6 avril 2011, n° 10-85.209
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
M. Rognon
Avocat général :
M. Sassoust
Avocats :
Me Foussard, SCP Piwnica et Molinié, SCP Waquet, Farge et Hazan
Attendu que les fonctionnaires des impôts territorialement compétents pour représenter l'administration fiscale devant les juridictions répressives sont habilités à exercer les voies de recours au nom de cette administration sans avoir à produire un pouvoir spécial ; que le pourvoi formé par cette administration pour l'État français, partie civile, est donc recevable ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par le procureur général, pris de la violation des articles 313-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que la cour a relaxé les prévenus du chef d'escroqueries à la TVA ;
" aux motifs que les remboursements de TVA énumérés ne l'ont été qu'à la seule présentation des déclarations mensuelles de TVA et des demandes de remboursement trimestrielles y afférentes... dont la caractère sciemment erroné ne peut s'analyser que comme un simple mensonge exclusif de manoeuvres frauduleuses, que tant les écritures d'opérations diverses que l'édition de fausses factures, qui caractérisent les manoeuvres frauduleuses, n'ont en rien déterminé la remise de sommes indues, puisqu'elles sont postérieures auxdits versements des sommes indues et n'avaient d'autre utilité que de dissimuler le caractère mensonger des déclarations de TVA et des demandes de remboursement et enfin que faute de caractériser l'existence de manoeuvres frauduleuses antérieures ou concomitantes aux remboursements indus et ayant déterminé ceux-ci, le délit d'escroquerie à la TVA visé à la prévention, n'apparaît pas constitué dans son élément matériel ;
1°) " alors que, constituent en elles mêmes les manoeuvres frauduleuses visées par l'article 313-1 du code pénal, des demandes de remboursement de crédits indus de TVA justifiées par la souscription auprès de l'administration fiscale de déclarations mentionnant un montant inexact de taxe déductible, sous le couvert d'une comptabilité inexacte ayant pour effet de majorer fictivement le montant de la TVA récupérable ;
2°) " alors que, les manipulations comptables consistant à faire établir postérieurement des fausses factures pour justifier en comptabilité du montant de la TVA récupérable, qui étaient destinées à conforter pour partie les déclarations mensongères et dont la production auprès de l'administration fiscale, dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle, a permis aux prévenus d'obtenir et de conserver un crédit de taxes indu constituent également les manoeuvres frauduleuses de l'escroquerie ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour l'État français, pris de la violation des articles 313-1 du code pénal, 1382 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé les prévenus du chef d'escroquerie à la TVA et a rejeté, en conséquence, les demandes en réparation de l'Etat ;
" aux motifs que lors de son audition, en date du 19 mars 2005, M. Z... a indiqué avoir constaté lors de son arrivée, dans la société Conan, l'existence d'opérations douteuses (OD) dont l'unique but était d'augmenter la TVA déductible ; qu'à cet égard, il expliquait que chaque année, après avoir remis le dossier de préparation du bilan au cabinet d'expertise comptable de M. Y..., il recevait en retour le bilan définitif, lequel stipulait un certain nombre d'opérations diverses à effectuer afin d'ajuster les résultats de la comptabilité réelle avec le bilan définitif et donc la comptabilité officielle ; que ce témoin précisait que ces manipulations comptables concernaient les trois sociétés ; qu'il ajoutait, par ailleurs, que pour les besoins du contrôle fiscal diligenté en 2004, il avait, sur instructions expresses de M. X..., crée des factures à l'entête de la société Conan et supposées adressées à la société Roy productions afin de justifier du montant surévalué de la TVA déductible de cette dernière société pour le second trimestre 2004 ; qu'il avait ainsi créé : trois factures d'un montant global de 81 581, 89 euros à l'entête de la société Corpih, une facture d'un montant de 544 762, 82 euros à l'entête de la société Cemac, vingt-deux factures d'un montant global de 887 222, 99 euros à l'entête de la société Conan ; que le montant de la TVA récupérable grâce à ces dernières factures s'élevait à 173 895, 64 euros ; que, M. A..., responsable de la comptabilité et supérieur de M. Z..., devait confirmer la réalité des manipulations comptables, sous forme d'opérations diverses, destinées à augmenter fictivement le montant de la TVA déductible ; qu'à cet égard, il précisait avoir reçu des instructions de M. X... en présence de M. Y... ; que, lors de sa quatrième audition, M. Y... reconnaissait la matérialité de ces falsifications comptables, expliquant qu'il avait pensé créer ainsi de la trésorerie pour les sociétés en proie à de sérieuses difficultés, compte-tenu de la conjoncture économique internationale ; qu'en l'état de ces éléments de fait, force est de relever que les remboursements de TVA énumérés ne l'ont été qu'à la seule présentation des déclarations mensuelles de TVA et des demandes de remboursement trimestrielles y afférant, qui ont seules déterminé le versement des sommes indues, déclarations et demandes de remboursement dont le caractère sciemment erroné ne peut s'analyser que comme un simple mensonge, exclusif de manoeuvres frauduleuses ; que, par ailleurs, force est de constater, que tant les écritures d'opérations diverses que l'édition de fausses factures qui caractérisent des manoeuvres frauduleuses, n'ont en rien déterminé la remise de sommes indues puisqu'elles sont postérieures auxdits versements des sommes indues et n'avaient d'autre utilité que de dissimuler le caractère mensonger des déclarations de TVA et des demandes de remboursement ; que, dès lors, faute de caractériser l'existence de manoeuvres frauduleuses antérieures ou concomitantes aux remboursements indus et ayant déterminé ceux-ci, le délit d'escroquerie à la TVA visé à la prévention n'apparaît pas constitué dans son élément matériel, les faits objets des développements qui précédent ne pouvant que caractériser le délit de fraude fiscale, toute requalification en ce sens étant toutefois impossible en l'absence d'une plainte préalable de ce chef de l'administration fiscale et de l'avis favorable aux poursuites de la commission des infractions fiscales ; que, dès lors, il y a lieu d'entrer en voie de relaxe à l'encontre des deux prévenus de ce chef de prévention ;
1°) " alors que, dès lors que la déclaration, de chiffre d'affaires normalement adossée à une comptabilité régulière reflétant l'activité de l'entreprise, constitue un titre, destiné à prendre place dans la procédure d'établissement et de liquidation de l'impôt, la présentation d'une déclaration inexacte destinée à provoquer une remise, révèle l'existence d'une manoeuvre caractérisant une escroquerie, sans pouvoir être assimilée à un mensonge consigné sur un simple écrit ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article 313-1 du code pénal ;
2°) " alors que, il importe peu que les factures correspondant à des opérations fictives destinées à donner crédit aux écritures irrégulières passées en comptabilité aient été établies postérieurement au dépôt des déclarations inexactes, dès lors que les manoeuvres sont constituées par le seul dépôt des déclarations inexactes, adossé à une comptabilité irrégulière ; que, de ce point de vue également, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article 313-1 du code pénal ;
3°) " alors que, et en tout état de cause, quand bien même la manoeuvre, liée au dépôt de déclarations inexactes, suppose une comptabilité irrégulière, elle-même adossée à des factures fictives, de toute façon le caractère irrégulier de la comptabilité et le caractère fictif des justifications dont elle est assortie doivent être regardés comme antérieurs ou concomitants au dépôt des déclarations inexactes dès lors que les dirigeants ont pris la décision, dès avant ce dépôt, de manipuler la comptabilité et de la fonder sur des factures fictives pour le cas où ils seraient conduits à justifier le crédit indu de TVA, peu important que les manipulations comptables, d'ores et déjà décidées, ne se matérialisent que postérieurement ou que les factures fictives, dont le principe et le contenu ont d'ores et déjà été arrêtés, ne soient elles-mêmes matérialisées que postérieurement ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont de nouveau violé l'article 313-1 du code pénal " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 313-1 du code pénal ;
Attendu que constituent les manoeuvres frauduleuses caractérisant le délit d'escroquerie des demandes de paiement de crédits indus de taxe sur la valeur ajoutée justifiées par des déclarations mensuelles de chiffre d'affaires indiquant un montant fictif de taxe déductible sous le couvert d'une comptabilité inexacte, établie sur le fondement d'écritures fictives et de fausses factures ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt infirmatif attaqué et des pièces de procédure que MM. Y... et X... sont poursuivis, du chef d'escroquerie, pour avoir, usant de manoeuvres frauduleuses, en l'espèce la production d'une comptabilité irrégulière résultant d'écritures comptables fictives, intitulées " opérations diverses ", et de la comptabilisation de fausses factures à l'entête de tierces sociétés, pour augmenter frauduleusement le montant déductible de la taxe sur la valeur ajoutée déclarée par la société Roy production, trompé l'État français pour le déterminer à payer la somme de 798 164 euros en remboursement de crédits fictifs de taxe ;
Attendu que, pour relaxer les prévenus, l'arrêt retient, notamment, que les remboursements ont été effectués sur la seule présentation des déclarations mensuelles du chiffre d'affaires taxable et des demandes de remboursement trimestrielles dont les mentions inexactes ne constituent que des mensonges, exclusifs de manoeuvres frauduleuses ; que les juges ajoutent que la passation d'écritures fictives en " opérations diverses " et l'émission de fausses factures sont postérieures aux paiements des sommes indues et n'ont pu déterminer leur remise, n'ayant eu d'autre " utilité " que la dissimulation du caractère mensonger des déclarations et demandes précitées ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; que ses effets seront étendus aux peines prononcées ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 10 juin 2010, mais en ses seules dispositions ayant relaxé M. Bernard X... et M. Olivier Y... du chef d'escroquerie, débouté l'État français de ses demandes et prononcé sur les peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.