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Décisions

AMF, 6 décembre 2007, n° SAN-2008-04

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Membres :

M. Ferri, M. Morin, M. Surzur

Président :

Mme Nocquet

AMF n° SAN-2008-04

5 décembre 2007

La 2ème section de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) ;

Vu le code monétaire et financier, notamment ses articles L. 621-14 et L. 621-15 ainsi que ses articles R. 621-7, R. 621-38 à R. 621-40 ;

Vu les articles 517-2, 621-1, 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF, applicables à l’époque des faits, l’article 517-2 ayant été repris en substance par les articles 560-1 et 560-2 nouveaux du règlement général ;

Vu la notification de griefs datée du 9 janvier 2007 adressée à M. A ;

Vu la décision du 18 avril 2007 du président de la Commission des sanctions désignant M. Antoine Courteault, membre de la Commission des sanctions, en qualité de rapporteur ;

Vu les observations écrites présentées par Me Thierry Vallat pour M. A, reçues à l’AMF le 7 septembre ;

Vu le rapport de M. Antoine Courteault en date du 28 septembre 2007 ;

Vu la lettre de convocation à une séance de la Commission des sanctions du 15 novembre 2007, à laquelle était annexé le rapport signé du rapporteur, adressée le 1er octobre 2007 à M. A ;

Vu les observations écrites en réponse au rapport du rapporteur, présentées par Me Vallat pour M. A, reçues à l’AMF le 24 octobre 2007 ;

Vu la lettre en date du 27 novembre 2007 adressée à M. A faisant part de ce que, conformément à sa demande, la séance prévue le 15 novembre 2007 a été renvoyée, puis a été fixée au 6 décembre 2007 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu au cours de la séance du 6 décembre 2007,

- M. Antoine Courteault en son rapport ;

- M. Nicolas Namias, commissaire du Gouvernement, qui a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler ;

- M. A, assisté de son conseil, Me Thierry Vallat ;

la personne mise en cause ayant pris la parole en dernier.

I. FAITS ET PROCEDURE

A. Faits

La société X, créée en 1998 et ayant pour activité la conception, la fabrication et la commercialisation de bornes informatiques, a été introduite au Nouveau Marché d’Euronext Paris en juin 2000 ; elle est aujourd’hui cotée sur le compartiment C du Marché Eurolist d’Euronext Paris.

Face à l’aggravation croissante des pertes de la société au cours des exercices 2004 et 2005, ses dirigeants ont décidé, au 2ème semestre 2005, de réaliser une augmentation de capital afin de lever entre

La Commission des sanctions

1 et 1,5 M €. Cette opération a été préparée au cours de l’été 2005 et a été rendue publique le 13 octobre 2005, par voie de communiqué de presse. Le projet de réserver l'augmentation de capital à la société Y, à l’époque dirigée par M. A, qui en était l’unique actionnaire, a été approuvé par l’assemblée générale extraordinaire de la société X le 21 novembre 2005 et a fait l’objet d’une note d’opération visée par l’AMF le 23 novembre suivant. Elle a permis à cette société, dès le mois de décembre 2005, de se recapitaliser à hauteur de 1,5 M €.

B. Procédure

Le service de la surveillance des marchés a constaté, au cours de la phase préparatoire du projet et jusqu’à la suspension du cours du titre le 14 octobre 2005, des mouvements inhabituels sur les titres X, qui ont amené le secrétaire général de l’AMF à prendre la décision, le 28 février 2006, d’ouvrir une enquête sur le marché de cette action à compter du 1er septembre 2005.

Au vu des conclusions du rapport d’enquête et sur décision de la commission spécialisée n° 2 du 12 décembre 2006, le président de l’AMF a, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 9 janvier 2007, notifié les griefs reprochés à M. A pour des faits susceptibles de constituer un manquement aux articles 517-2, 621-1, 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF et sur le fondement des articles L. 621-14 et L. 621-15 du code monétaire et financier.

En substance, il est reproché à ce dernier :

1. d’avoir, entre les 4 et 13 octobre 2005, vendu 1 143 447 actions X pour le compte de la société Y dont il était le dirigeant et l'unique associé, alors qu’il était en possession d’une information privilégiée, relative à la préparation d’une augmentation de capital réservée à cette société et devant être réalisée à un prix plus de deux fois et demi inférieur au cours de bourse du moment, ces ventes ayant permis de réaliser une plus-value de 375 161 € ;

2. d’avoir, en violation de l’article 517-2 du règlement général de l’AMF, effectué ces ventes à découvert, la livraison n’ayant pu intervenir que le 17 octobre 2005, alors que les actions X n’étaient pas éligibles au service de règlement différé (SRD).

Conformément à l’article R. 621-38 du code monétaire et financier, copie de la notification de griefs a été transmise le 9 janvier 2007 au président de la Commission des sanctions, qui a désigné M. Antoine Courteault en qualité de rapporteur par décision du 18 avril 2007.

M. A en a été informé par une lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 25 avril 2007 l'informant de sa faculté d’être entendu, à sa demande, conformément à l’article R. 621-39 I du code monétaire et financier.

Par télécopie et lettre datées du 6 septembre 2007, reçues respectivement les 7 et 10 septembre 2007, Me Thierry Vallat a fait parvenir des observations pour le compte de M. A, en réponse à la notification de griefs reçue le 25 janvier 2007.

M. Antoine Courteault a déposé son rapport le 28 septembre 2007 ;

M. A a été convoqué par une lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 1er octobre 2007 à une séance de la Commission des sanctions du 15 novembre 2007, à laquelle était annexé le rapport signé du rapporteur.

Pour le compte de M. A, Me Thierry Vallat a fait parvenir des observations en réponse au rapport du rapporteur, reçues à l’AMF le 24 octobre 2007.

La séance du 15 novembre 2007 ayant été annulée à la demande de M. A en raison des grèves de transport, son report à la date du 6 décembre 2007 a été porté à sa connaissance par lettre recommandée avec demande d’avis de réception le 27 novembre 2007.

II. MOTIFS DE LA DECISION

A. Sur le manquement d’initié

Considérant qu’il est reproché à M. A, sur le fondement des articles 621-1, 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF, d’avoir, entre les 4 et 13 octobre 2005 et pour le compte de la société Y dont il était le dirigeant et l’unique actionnaire, cédé 1 143 447 actions X alors qu’il avait connaissance d’une information privilégiée tenant à l’existence d’un projet d’augmentation du capital de cette dernière société ;

Considérant qu’il résulte de l’article 622-1 du règlement général de l’AMF, dans sa version antérieure à l’arrêté du 30 décembre 2005, qui reste applicable aux faits de l’espèce, que « toute personne mentionnée à l’article 622-2 doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’elle détient en acquérant ou en cédant, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés (…) » ; que l’article 622-2 du règlement général, qui détermine les personnes auxquelles s’applique cette obligation absolue d’abstention, vise notamment « toute personne qui détient une information privilégiée à raison de (…) son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa participation à la préparation et à l’exécution d’une opération financière » ; qu’une information privilégiée, au sens de l’article 621-1 du règlement général, s'entend d'une « information précise qui n’a pas été rendue publique » et « qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une incidence sensible sur le cours » du titre ;

Considérant qu’il est établi que M. A était informé de l’existence et des principales caractéristiques de l’augmentation de capital projetée, puisqu'elle devait être réservée à la société Y qu’il dirigeait et dont il était le seul associé ; qu'entre les 4 et 13 octobre 2005, au moment des cessions litigieuses, cette information était à la fois inconnue du public et précise ; qu'en effet, il existait un accord, au moins verbal, entre les sociétés X et Y, sur le principe et sur le montant d’une augmentation de capital d'au moins 1 M€ réservée à cette dernière, qui était le seul investisseur proposé, ainsi que sur le prix de souscription fixé, à la demande de M. A, à 0,20 € seulement ; que ces modalités ont nécessairement été arrêtées avant le 4 octobre 2005, date à laquelle elles ont été approuvées par le conseil d'administration de la société X ; que l’investissement devait être précédé d’un apport en compte courant de la société Y déjà intervenu, de sorte que la probabilité qu’il se réalise était très forte ;

Considérant que ce type d’information, relative à une opération d’ampleur sur le capital d’un émetteur, est de nature à avoir une influence sensible sur le cours de son titre ; qu'au demeurant, à la reprise de la cotation le 24 octobre 2005, l'action X a enregistré une baisse de plus de 19% ; qu’en conséquence, l'information en possession de M. A était bien, dans tous ses éléments, « privilégiée » au sens de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF ;

Considérant que l’obligation d’abstention pesant sur le détenteur d’une information privilégiée revêt un caractère absolu ; que, dès lors, le manquement est caractérisé par le simple rapprochement chronologique entre la détention de l’information et son exploitation, sauf, pour la personne mise en cause, à rapporter la preuve que l’opération a été justifiée par un motif impérieux ; que, si la cession par M. A, pour le compte de la société Y, de 1 143 447 actions X entre les 4 et 13 octobre 2005 n'est pas contestée, celui-ci se borne à invoquer la nécessité d’obtenir des fonds pour pouvoir souscrire à l’augmentation de capital de la société X ; qu’une telle argumentation est révélatrice de l’absence totale de justification du comportement du mis en cause ;

Considérant que sont donc réunis tous les éléments constitutifs du manquement d’initié, les cessions opérées à l'initiative de M. A pour le compte de la société Y entre le 4 et le 13 octobre 2005 ayant indûment avantagé, non seulement cette dernière société, qui a pu réaliser une plus-value d’un montant de 375 161 €, mais également, de manière indirecte, M. A, qui en était l'unique actionnaire ;

B. Sur les ventes à découvert

Considérant qu’il est par ailleurs reproché à M. A, sur le fondement de l’article 517-2 du règlement général de l’AMF, d’avoir vendu les titres X pour le compte de la société Y à découvert alors que, selon les termes de la notification de griefs, ces actions n'étaient « pas éligibles au [SRD] » ;

Considérant qu'il résulte des dispositions de cet article, repris en substance par les articles 560-1 et 560-2 nouveaux du règlement général qui ne comportent aucune mesure plus douce susceptible de trouver application en l’espèce, que « sur un marché au comptant, l’acheteur est redevable des fonds, le vendeur des titres, dès l’exécution de l’ordre » ;

Considérant que le 4 octobre 2005, M. A a passé un ordre de vente portant sur 690 433 titres X ; que ce n’est que le 17 octobre 2005, soit treize jours plus tard, que ces actions ont été créditées sur le compte de la société Y et le 18 octobre 2005 que les opérations de vente ont pu être régularisées vis-à-vis du marché ; qu’entre les 11 et 13 octobre 2005, M. A a ensuite passé trois ordres de vente portant sur 453 014 titres X ; qu’il est établi que la date de traitement de ces ordres a été modifiée manuellement pour être reportée au 18 octobre 2005, soit entre cinq et sept jours après la date à laquelle ils sont intervenus ; qu'il n'est pas contesté que ces actions n’étaient pas éligibles au SRD ;

Considérant qu’en conséquence, il est établi que M. A, agissant pour le compte de la société Y, a vendu 1 143 447 titres X qu’il n’a pas été en mesure de livrer immédiatement, en violation de l’article 517-2 du règlement général de l’AMF ;

III. SANCTIONS

Considérant qu’il résulte du c) du II de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 applicable en l’espèce, que la Commission des sanctions peut prononcer une sanction à l’encontre de « toute personne qui, sur le territoire français ou à l’étranger, s’est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d’initié ou s’est livrée à une manipulation de cours, à la diffusion d’une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l’article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent un instrument financier émis par une personne ou une entité faisant appel public à l’épargne (…) » ; que le 1er alinéa du I de l’article L. 621-14, dans sa version issue de cette même loi, mentionne les « manquements aux obligations résultant des dispositions législatives et réglementaires ou des règles professionnelles visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations » et, « tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché » ; que le comportement de M. A ayant consisté, alors qu’il était en possession d’une information privilégiée, à faire vendre à découvert par la société Y un nombre très important d'actions avant que celles-ci ne baissent de manière significative, a porté atteinte aux droits des investisseurs en même temps qu’il a compromis le bon fonctionnement et l’intégrité du marché, de sorte qu’il revêt une particulière gravité appelant une sanction exemplaire ;

Considérant qu’il résulte de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la même loi, que peut être prononcée à l’encontre de tout auteur de faits visés aux c) et d) du II de l’article L. 621-15 dudit code une sanction pécuniaire qui ne peut excéder 1 500 000 € ou le décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; qu’il n’est pas contestable que les manquements imputables à M. A l’ont, de manière indirecte, avantagé personnellement, puisqu’ils ont permis à une société dont il était et dont il est toujours l’unique actionnaire de réaliser une plus-value d’un montant de 375 161 € ;

Considérant que le mis en cause a indiqué en séance que, dans la société Y, en liquidation amiable, dont les actifs s’élevaient au moins à 12 M€ à la fin de l’année 2005 et dont les dettes actuelles ne dépassent pas 7,5 M€, son compte courant était créditeur de 7 M€ ; qu’il ne s’est pas exprimé sur les autres biens en sa possession ; qu’il exerce actuellement une activité de conseil d’entreprise en Suisse ; qu’ainsi, il dispose, non seulement d’un important patrimoine, mais aussi de ressources, dont il n’a pas indiqué le montant ;

Considérant, qu’en conséquence, la sanction sera fixée à un million deux cent mille euros ;

Considérant que l’article L. 621-15 V du code monétaire et financier dispose que « la commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, à moins que cette publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées » ; que par ces dispositions, le législateur a entendu mettre en lumière les exigences d’intérêt général relatives à la loyauté du marché, à la transparence des opérations et à la protection des épargnants qui fondent le pouvoir de sanction de la Commission, et prendre en compte l’intérêt qui s’attache, pour la sécurité juridique de l’ensemble des opérateurs, à ce que ceux-ci puissent, en ayant accès aux décisions rendues, mieux appréhender le contenu des règles qu’ils doivent observer ; que, dès lors qu’en l’espèce, la publication de la décision ne paraît pas de nature à entraîner, au regard de ces exigences, des conséquences disproportionnées pour M. A, elle sera ordonnée ;

PAR CES MOTIFS,

Et après en avoir délibéré sous la présidence de Mme Claude Nocquet, par MM. Alain Ferri, Jean-Pierre Morin et Jean-Jacques Surzur, membres de la 2ème section de la Commission des sanctions, en présence du secrétaire de séance,

DECIDE DE :

- prononcer une sanction d’un montant de 1 200 000 € (un million deux cent mille euros) à l’encontre de M. A ;

- publier la présente décision au Bulletin des annonces légales obligatoires, ainsi que sur le site internet et dans la revue de l’AMF.

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