AMF, 27 novembre 2008, n° SAN-2009-08
AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Membres :
Mme Cohen-Branche, M. Jalenques de Labeau, M. Hanus
Président :
M. Labetoulle
La 1re section de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (« AMF »),
Vu le Code monétaire et financier, notamment son article L. 621-15, ainsi que ses articles R. 621-5 à R. 621-7 et R. 621-38 à R. 621-40 ;
Vu le décret n° 2008-893 du 2 septembre 2008 relatif à la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers ;
Vu le Règlement général de l’AMF, notamment ses articles 560-1 et 560-2 dans leur rédaction en vigueur à l’époque des faits, repris en termes identiques aux articles 570-1et 570-2 et suivants du même Règlement ;
Vu les Règles de fonctionnement de la Banque Centrale de Compensation (LCH. Clearnet SA), approuvées, en tant que règles de fonctionnement d’une Chambre de Compensation, par des décisions du Conseil des Marchés Financiers (« CMF ») puis de l’AMF, notamment l’article 1.8.8.1 de ces Règles ;
Vu l’Instruction IV.8-3 de LCH.Clearnet SA publiée le 20 août 2004 relative aux procédures de régularisation des suspens sur les transactions effectuées sur les marchés de valeurs mobilières d’Euronext Paris, en vigueur à l’époque des faits, notamment ses articles 1er, 3 et 4 ;
Vu la notification de griefs en date du 11 janvier 2008 adressée à la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION ;
Vu la décision du 19 février 2008 du Président de la Commission des sanctions désignant M. Joseph THOUVENEL, Membre de la Commission des sanctions, en qualité de Rapporteur ;
Vu les observations écrites présentées pour la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION, reçues à l’AMF le 29 février 2008, complétées par une demande d’audition, reçue à l’AMF le 10 mars 2008 ;
Vu le procès-verbal de l’audition de la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION, représentée par son Président, M. Emmanuel BOUSSARD, en date du 3 octobre 2008 ;
Vu les observations complémentaires produites par la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION à la suite de l’audition de son représentant, reçues à l’AMF le 13 octobre 2008 ;
Commission des sanctions
Vu le rapport de M. Joseph THOUVENEL en date du 14 octobre 2008 ;
Vu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception portant convocation à la séance de la Commission des sanctions du 27 novembre 2008, à laquelle était annexé le rapport signé du Rapporteur, adressée à la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION le 15 octobre 2008 ;
Vu les observations en réponse au rapport du Rapporteur présentées par la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION, reçues à l’AMF le 31 octobre 2008 ;
Vu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 29 octobre 2008 informant la société mise en cause de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance et de sa faculté de demander la récusation de l’un des Membres de ladite Commission ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu au cours de la séance du 27 novembre 2008 :
- M. Joseph THOUVENEL en son rapport ;
- Mme Catherine LE RUDULIER, Commissaire du Gouvernement, qui a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler ;
- M. Jean-Philippe PONS-HENRY, représentant le Collège de l’AMF ;
- M. Emmanuel BOUSSARD, représentant de la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION ;
- Me Arthur DETHOMAS, conseil de la BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION ; la société mise en cause ayant pris la parole en dernier.
I – FAITS ET PROCEDURE
A – Les faits
Le groupe ATARI conçoit, produit, édite et distribue des logiciels de jeux interactifs, destinés aux consoles de jeux (pour 78 % du chiffre d’affaires) et aux ordinateurs personnels (22 % du chiffre d'affaires). La société mère du groupe, INFOGRAMES ENTERTAINMENT S.A. (« INFOGRAMES ENTERTAINMENT » ou « INFOGRAMES »), est cotée sur l’Eurolist, compartiment B, d’Euronext Paris. Elle détient deux filiales principales, ATARI EUROPE et ATARI Inc., filiale américaine cotée sur le Nasdaq1.
Le 12 septembre 2006, INFOGRAMES ENTERTAINMENT a annoncé un plan de restructuration de sa dette, dont la mise en place a été permise par un accord conclu le 8 septembre 2006 avec ses principaux créanciers obligataires, à savoir BOUSSARD ET GAVAUDAN ASSET MANAGEMENT LP, d’une part, et GLG PARTNERS LP et THE BLUEBAY VALUE RECOVERY FUND, d’autre part, ainsi qu’avec ses principaux créanciers bancaires. Ce plan comportait notamment une augmentation de capital, à laquelle il a été procédé en janvier 2007, suivie d’une offre publique d’échange des obligations à option de conversion et/ou d’échange en actions nouvelles ou existantes 2003/2009 (« OCEANE 2003/2009 ») contre des actions nouvelles de la société.
En outre, les obligations 2005/2008 d’INFOGRAMES ont fait l’objet d’un remboursement anticipé. Le principal porteur de ces obligations était le fonds THE SARK MASTER FUND LIMITED (« SARK »)2, géré par BOUSSARD ET GAVAUDAN ASSET MANAGEMENT LP.
La société BOUSSARD ET GAVAUDAN ASSET MANAGEMENT LP (« BGAM »), créée en 2002, est une société de gestion d’actifs indépendante basée à Londres, agréée par la FINANCIAL SERVICES AUTHORITY. Elle gérait à l’époque des faits environ 1,8 milliard d’euros à travers quatre fonds, dont le principal était le « hedge fund » SARK dont l’encours était alors de 1,5 milliard d’euros. La société de gestion de portefeuille BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION a été agréée par l’AMF le 31 mars 2003. C’est une filiale à 100 % de BGAM, avec laquelle elle gère le fonds SARK en application d’un contrat de délégation partielle. Dans le cadre de l’augmentation de capital à laquelle il a été procédé en janvier 2007, le principal porteur d’obligations 2005/2008 s’est engagé – en cas d’insuffisance des souscriptions à titre irréductible, réductible et libre – à souscrire à l’augmentation de capital à hauteur de 33,7 M€, déduction faite du montant souscrit par les actionnaires. Cette souscription pouvait être réalisée soit par compensation avec la créance issue des obligations 2005/2008 qu’il détenait, soit en numéraire.
Alerté par diverses transactions sur l’action INFOGRAMES ENTERTAINMENT relevées par le Service de la Surveillance des Marchés de l’AMF, le Secrétaire Général de l’AMF a décidé, le 12 décembre 2006, d’ouvrir une enquête sur le marché du titre INFOGRAMES ENTERTAINMENT à partir du 1er septembre 2006, laquelle a ensuite été étendue à tout titre qui lui serait lié. Le rapport d’enquête a été établi le 19 novembre 2007 par la Direction des Enquêtes et de la Surveillance des Marchés de l’AMF (« DESM »). Il a notamment établi que la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION a constitué, tant en septembre et octobre 2006 qu’en janvier 2007, d’importantes positions nettes vendeuses en actions INFOGRAMES pour lesquelles elle n’a pas respecté le délai de livraison de trois jours.
Ce rapport d’enquête a été examiné par la Commission spécialisée n° 1 du Collège de l’AMF, constituée en application de l’article L. 621-2 du Code monétaire et financier, lors de sa séance du 18 décembre 2007.
B - La procédure
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 11 janvier 2008, le Président de l’AMF, sur décision prise par la Commission spécialisée n° 1 du Collège de l'AMF le 18 décembre 2007, a notifié le grief qui lui était reproché à la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION, représentée par son Président, M. Emmanuel BOUSSARD, en l’informant, d’une part, de la transmission de la lettre de notification au Président de la Commission des sanctions pour attribution et désignation d’un Rapporteur et, d’autre part, du délai d’un mois dont elle disposait pour présenter des observations écrites en réponse au grief énoncé dans cette lettre, ainsi que de la possibilité de se faire assister de toute personne de son choix et de prendre connaissance des pièces du dossier dans les locaux de l’AMF.
La notification de griefs adressée à la société mise en cause rappelle d’abord que la date de dénouement, par Règlement des capitaux et livraison des titres, des transactions portant sur des titres de capital négociés sur Euronext et dont le Règlement est stipulé au comptant a lieu « trois jours de négociation après la date d’exécution des ordres ». Elle ajoute que « celui qui est engagé à livrer est susceptible de commettre un manquement s’il effectue des ventes à découvert tout en sachant ne pas être en mesure de livrer les titres dans le délai réglementaire ».
La notification de griefs relève, en premier lieu, que, entre le 15 septembre et le 10 octobre 2006, d’une part, et entre les 11 et 24 janvier 2007, d’autre part, « la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION a effectué [pour le compte du fonds SARK] de très nombreuses ventes à découvert d’actions INFOGRAMES ENTERTAINMENT en sachant qu’elle ne serait pas en mesure de livrer les titres correspondants trois jours ouvrables après la date de transaction ». Plus précisément, la notification de griefs relève :
- que la position nette en actions INFOGRAMES était vendeuse les 20 et 21 septembre 2006 puis du 26 septembre au 12 octobre 2006 ; qu’une partie de cette position n’a pu être livrée par le négociateur ou le compensateur, « aucun titre n’ayant été emprunté par BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION qui connaissait l’état d’assèchement du marché de prêt-emprunt sur cette valeur » ;
- que la société mise en cause « a vendu à découvert, les 11 et 12 janvier 2007, 6 735 646 actions sur le marché secondaire, en sachant qu’elle ne serait pas en mesure de les livrer avant le 24 janvier 2007, puisque, précisément, entre le 10 et le 12 janvier 2007 elle avait acheté sur le marché secondaire 6 858 879 droits de souscription INFOGRAMES ENTERTAINMENT, en anticipant le fait que les actions correspondantes (...) seraient livrables (…) le 24 janvier 2007, jour de leur création effective » ; que si, à la suite des « alertes répétées » de ses intermédiaires financiers, la société de gestion a acheté, au cours des journées de bourse des 17 et 18 janvier 2007, un nombre total de titres égal à celui des titres vendus à découvert les 11 et 12 janvier 2007, permettant ainsi la livraison les 22 et 23 janvier suivants des titres précédemment vendus, ces dates sont certes antérieures à celle d’abord escomptée du 24 janvier 2007 mais postérieures de plusieurs jours à l’expiration du délai réglementaire.
La notification de griefs relève, en deuxième lieu, que « le risque de défaut de livraison des titres INFOGRAMES était connu de la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION » ; qu’en effet, M. Emmanuel BOUSSARD a indiqué lors de son audition « que la société savait avant de réaliser ses cessions à découvert qu’ « il n’y a pas de repo3 sur INFOGRAMES ENTERTAINMENT depuis au moins quatre ans ». La notification de griefs relève ensuite qu’après avoir procédé au rachat de la position nette vendeuse mentionnée plus haut, et « au lieu de cesser ses interventions à la vente pour éviter d’augmenter sa position défaillante et les suspens sur le marché », la société mise en cause « a au contraire poursuivi ses ventes à découvert auprès d’un autre intermédiaire ».
La notification de griefs relève, en troisième lieu, que la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION, « tout en ayant sciemment méconnu le délai réglementaire de livraison », a choisi la date de début de ses ventes à découvert, en janvier 2007, de manière à éviter le déclenchement par la Chambre de Compensation LCH.Clearnet de la procédure de dénouement forcé des transactions encore en suspens dix jours de transaction après la date de leur exécution.
La notification de griefs indique, en dernier lieu, que « la plus-value réalisée à l’occasion des opérations de vente à découvert effectuées entre les 11 et 24 janvier 2007 (...) a été estimée à 777 400 € par les enquêteurs de l’AMF ».
La notification de griefs retient que ces opérations auraient contrevenu aux dispositions des articles 560-1 et 560-2 du Règlement général de l’AMF dans leur rédaction en vigueur à l’époque des faits et pourraient donner lieu à une sanction sur le fondement de l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier. Copie de la notification de griefs a été transmise par le Président de l’AMF au Président de la Commission des sanctions, en application de l’article R. 621-38 du Code monétaire et financier, par lettre du 11 janvier 2008.
Le Président de la Commission des sanctions a désigné le 19 février 2008 M. Joseph THOUVENEL en qualité de Rapporteur. Celui-ci en a avisé la société mise en cause par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 5 mars 2008, en lui rappelant la possibilité d’être entendue, à sa demande, dans les locaux de l’AMF, en application du I de l’article R. 621-39 du Code monétaire et financier.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 31 janvier 2008, le Secrétaire de la Commission des sanctions a informé les avocats de la société mise en cause qu’en réponse à leur demande, le délai d’un mois qui avait été imparti à la société pour produire des observations écrites était prolongé jusqu’au 29 février 2008. Des observations écrites ont été présentées pour la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION et ont été reçues à l’AMF le 29 février 2008. Elles ont été complétées par une lettre reçue à l’AMF le 10 mars 2008, comportant notamment une demande d’audition.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 29 septembre 2008, le Secrétaire de la Commission des sanctions a informé la société mise en cause qu’en application de l’article 2 du décret n° 2008-893 du 2 septembre 2008 relatif à la Commission des sanctions, elle disposait d’un délai d’un mois à compter de la réception de cette lettre pour demander la récusation du Rapporteur dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du Code monétaire et financier.
Le 3 octobre 2008, le Rapporteur a entendu la société mise en cause, représentée par M. Emmanuel BOUSSARD, son Président. A la suite de cette audition, des observations complémentaires ont été présentées par la société mise en cause. Elles ont été reçues à l’AMF le 13 octobre 2008.
La société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION, prise en la personne de M. Emmanuel BOUSSARD, son Président, a été convoquée à la séance du 27 novembre 2008 par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 15 octobre 2008 à laquelle était joint le rapport du Rapporteur.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 29 octobre 2008, le Secrétaire de la Commission des sanctions a informé la société mise en cause de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance et de sa faculté de demander la récusation de l’un des Membres de ladite Commission, en application des articles R. 621-39-2, R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du Code monétaire et financier.
Des observations écrites en réponse au rapport du Rapporteur ont été présentées par la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION. Elles ont été reçues à l’AMF le 31 octobre 2008.
II – SUR LES OBSERVATIONS DE LA SOCIETE MISE EN CAUSE
Considérant que, pour sa défense, la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION fait valoir dans ses observations écrites :
- à titre liminaire, que les sociétés de gestion du fonds SARK ont commencé à investir « dans la dette de la société INFOGRAMES ENTERTAINMENT dès 2003 », exposant ce fonds « à subir une perte totale de ses investissements » ;
- que « BOUSSARD ET GAVAUDAN ASSET MANAGEMENT LP s’est irrévocablement engagée à souscrire à hauteur de 33,7 M€ les actions qui n’auraient pas été souscrites au terme de la période de souscription [de l’augmentation de capital] le 12 janvier 2007 » ; que, cependant, le succès de l’augmentation de capital, souscrite à près de 1,7 fois le nombre de titres offerts, a permis d’effectuer le remboursement anticipé de l’ensemble des obligations 2005/2008 ;
- que les opérations sur le titre INFOGRAMES menées pendant l’automne 2006 ont été le fait d’un opérateur de marché opérant sur le fondement d’analyses dites « chartistes », en pleine autonomie par rapport aux opérations du fonds SARK ; que ces « interventions (…) se sont soldées par une perte s’élevant à 122 953 euros » ;
- que les opérations sur le titre INFOGRAMES menées en janvier 2007 résultent de la mise en œuvre d’« une stratégie d’arbitrage de droits préférentiels de souscription », laquelle « est bénéfique au marché » ; que ces opérations ont également été menées « dans une logique de vente des actions INFOGRAMES ENTERTAINMENT » que la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION avait révélée au marché dans la note d’opération relative à l’augmentation de capital d’INFOGRAMES ;
- en ce qui concerne la procédure, que la notification de griefs, même complétée par le rapport d’enquête, « ne permet pas de comprendre avec certitude, et de manière détaillée, la nature et la cause des griefs dont BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION fait l’objet » ;
- qu’en effet, l’indication de la nouvelle numérotation des articles du Règlement général de l’AMF en vigueur à l’époque des faits est entachée d’une erreur matérielle ; que, de surcroît, la notification de griefs ne fournit aucune précision quantitative quant à l’importance des suspens que les ventes à découvert imputées à la société mise en cause auraient provoqués ;
- sur le fond, que la société mise en cause n’était pas tenue de disposer, au moment des transactions litigieuses, des titres qu’elle vendait à découvert ; que les prestataires habilités auxquels BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION a eu recours n’ont pas jugé « nécessaire [de vérifier qu’elle disposait alors] de la provision ou, à tout le moins, disposerait de celle-ci en temps voulu, avant d’exécuter ses ordres de vente » ;
- qu’en tout état de cause, « la [seule] sanction à laquelle s’expose l’investisseur donneur d’ordres qui, à la date de règlement-livraison, est dans l’incapacité de payer le prix des instruments financiers qu’il a achetés ou de livrer ceux qu’il a vendus, est (…) de faire l’objet d’une procédure de liquidation d’office, à ses frais et risques » ;
- qu’en outre, la jurisprudence de la Commission des sanctions de l’AMF confirme que les donneurs d’ordres, à l’inverse des intermédiaires financiers, ne sont pas susceptibles de poursuites pour des faits du type de ceux de l’espèce ;
- qu’il est faux d’affirmer que la société mise en cause était au fait de l’assèchement du marché de l’emprunt du titre INFOGRAMES ; que les prétendues « alertes répétées » de ses intermédiaires ne sont pas établies ;
- que sitôt qu’elle a été prévenue que les positions du fonds SARK ne pourraient être couvertes, la société mise en cause « a racheté un nombre total de 6.735.646 actions les 17 et 18 janvier 2007 » ; qu’elle n’a « jamais connu la moindre procédure de rachat forcé (…) sur le marché » ;
- qu’enfin et surtout, l’éventuel manquement au délai de livraison devra être apprécié in concreto et, qu’à cet égard, rien n’indique la moindre atteinte à l’organisation du marché ;
Considérant qu’au cours de son audition, M. Emmanuel BOUSSARD a notamment indiqué, en sa qualité de Président de la société mise en cause, qu’il « n’ignorai[t] pas le délai de livraison de trois jours mais [qu’il] pensait qu’il faisait l’objet d’une tolérance jusqu’à neuf jours » ; que, selon son appréciation à l’époque des faits, seule la procédure de dénouement forcé des transactions en suspens devait être prise en compte à l’occasion des ventes à découvert d’instruments financiers cotés ; que, dans un document complémentaire produit par la société mise en cause à la suite de l’audition de son représentant, il est confirmé que « l’ensemble des titres [vendus en janvier 2007] ont été livrés un ou deux jours avant que la procédure d’alerte ne doive être mise en oeuvre par LCH. Clearnet SA » ;
Considérant que, dans ses observations en réponse au rapport du Rapporteur, la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION « prend acte [qu’il] (…) puisse être opportun qu’une nouvelle jurisprudence voie le jour » mais ajoute qu’ « il serait injuste (…) d’être sanctionné plus sévèrement aujourd’hui en se fondant rétroactivement sur une clarification de la réglementation intervenue postérieurement à la commission des faits et sur des circonstances de marché exceptionnelles, très différentes de celles qui existaient alors » ; qu’elle demande que pour ce motif et en raison des circonstances particulières de l’espèce, il ne lui soit éventuellement infligé qu’une sanction « symbolique » ; qu’en outre, elle demande que – conformément à la recommandation formulée par la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés par une délibération en date du 29 novembre 2001 – la décision soit publiée sans que mention soit faite du nom de la société mise en cause non plus que de « tout élément qui serait de nature à révéler son identité » ; qu’en effet, la publication emporterait, dans le cas contraire, « des conséquences particulièrement disproportionnées eu égard à la situation actuelle des marchés » car il serait « tentant pour des commentateurs, notamment étrangers, de faire l’amalgame entre les opérations de vente à découvert « sèches » [dites de] « naked short selling » qui perturbent actuellement gravement le marché et justifient les mesures exceptionnelles prises récemment par la plupart des régulateurs des principales places financières et l’opération de sauvetage d’INFOGRAMES à laquelle a participé la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION » ;
III – SUR LES MOTIFS DE LA DECISION
A – Sur les textes applicables
Considérant que l’article 560-1 du Règlement général de l’AMF, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, dispose : « L’acheteur et le vendeur sont, dès l’exécution de l’ordre, définitivement engagés, le premier à payer, le second à livrer les instruments financiers, à la date mentionnée à l’article 560-2 » ; qu’aux termes du second alinéa de l’article 560-2, cette « date de dénouement des négociations et simultanément d’inscription en compte intervient au terme d’un délai de trois jours de négociation après la date d’exécution des ordres » ; que la rédaction de ces deux articles est aujourd’hui reprise dans des termes identiques aux articles 570-1 et 570-2 du même Règlement général ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1.8.8.1 des Règles de fonctionnement de la Banque Centrale de Compensation (LCH.CLEARNET SA), approuvées, en tant que règles de fonctionnement d’une Chambre de Compensation, par des décisions du CMF puis de l’AMF : « Les suspens peuvent à tout moment faire l’objet d’un rachat ou d’une revente à l’initiative de LCH. Clearnet SA. Ce rachat ou cette revente est réalisée conformément aux procédures de rachats ou de reventes telles que définies dans une Instruction, aux risques et aux frais de l’adhérent compensateur défaillant » ; qu’aux termes de l’article 1er de l’Instruction IV.8-3 relative aux procédures de régularisation des suspens sur les transactions effectuées sur les marchés de valeurs mobilières d’Euronext Paris, en vigueur à l’époque des faits, dont le contenu est aujourd’hui repris à l’article 1er de l’Instruction I.8-2 :
« LCH. Clearnet SA initie un rachat en vue de dénouer toute position ouverte vendeuse (…) le soir du septième jour de compensation suivant la date de dénouement théorique » ; que l’article 3 de cette Instruction dispose :
« Le soir du sixième jour de compensation suivant la date de dénouement théorique (…), l’adhérent compensateur qui détient un suspens reçoit une alerte de la part de LCH. Clearnet SA par voie électronique (…).
/ Cette alerte a pour objet de mettre en demeure l’adhérent compensateur de dénouer la position ouverte correspondante en provisionnant suffisamment son compte ouvert chez le dépositaire central d’instruments financiers ou chez le système de Règlement et de livraison d’instruments financiers, pour permettre la régularisation des suspens » ; que l’article 4 de cette Instruction précise enfin : « le soir du septième jour de compensation suivant la date de dénouement théorique (…), l’adhérent compensateur vendeur qui détient un suspens et l’adhérent compensateur acheteur correspondant reçoivent une confirmation [les] informant que la procédure de rachat sera engagée » ;
B – En ce qui concerne la procédure
Considérant que la notification de griefs comporte l’ensemble des éléments nécessaires à la caractérisation du manquement reproché à la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION ; que les textes en vigueur au moment des faits y sont non seulement mentionnés mais aussi cités exactement ; que la circonstance que l’indication de leur nouvelle numérotation dans le Règlement général de l’AMF est erronée est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie devant la Commission des sanctions ;
C – Au fond
Considérant que les dispositions relatives à la procédure de rachat que la Chambre de Compensation a la faculté de déclencher « le soir du septième jour de compensation suivant la date de dénouement théorique » après en avoir alerté la veille « l’adhérent compensateur qui détient un suspens » – comme d’ailleurs celles relatives à la pénalité de retard applicable à tout adhérent compensateur dont la position nette n’a pas donné lieu à Règlement des capitaux ou livraison des titres dans le délai de trois jours – se situent dans le cadre exclusif des relations entre la Chambre de Compensation et ses adhérents ; qu’en revanche, la fixation d’un délai à partir de la date de la transaction pour la livraison des instruments financiers – lequel est actuellement de trois jours, ainsi qu’en dispose le Règlement général de l’AMF – a été édictée par le régulateur directement dans l’intérêt du marché, pour en préserver la fluidité et prévenir les suspens ; que, par suite, la méconnaissance de ce délai – qui s’impose aux donneurs d’ordres, en application de l’article 560-1 précité du Règlement général de l’AMF – est susceptible d’être sanctionnée alors même que les conditions nécessaires à la mise en oeuvre par la Chambre de Compensation de la procédure de dénouement forcé ne sont pas réunies ;
Considérant qu’ainsi d’ailleurs qu’elle l’admet, la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION, si elle a eu le souci d’éviter la mise en oeuvre de la procédure de rachat forcé, n’a pas pris les dispositions propres à lui permettre de respecter le délai de livraison et a, de ce fait, méconnu celui-ci ; qu’ainsi le manquement est caractérisé ;
Considérant toutefois que, pour l’appréciation de la gravité de celui-ci, il y aura lieu de tenir compte, en premier lieu de ce qu’antérieurement à la décision de la Commission des sanctions en date du 4 septembre 2008, la portée exacte de la règle relative au délai de livraison et la combinaison de celle-ci avec les dispositions relatives à la procédure de dénouement forcé des transactions pouvaient ne pas apparaître pleinement, et, en second lieu, de ce que, compte tenu des conditions dans lesquelles l’opération d’arbitrage sur l’action INFOGRAMES a été engagée par la société mise en cause dans le cadre d’une augmentation de capital à laquelle elle avait accordé sa garantie, la création prochaine d’actions nouvelles permettant le dénouement de cette opération était certaine ;
D – Sur la sanction et la publication de la décision
-1- Considérant qu’aux termes du II de l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier : « Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements » ;
Considérant qu’en raison de son incidence sur la fluidité et l’intégrité du marché, un manquement relatif à un dépassement du délai de livraison provoqué par la prise de positions vendeuses avec l’intention de ne procéder à la livraison des instruments financiers correspondants qu’après l’expiration de ce délai, revêt un caractère particulier de gravité ; que, toutefois et ainsi qu’il a été dit plus haut, cette gravité est atténuée par les circonstances particulières de l’espèce ; qu’eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de prononcer une sanction de 50 000 euros à l’encontre de la société mise en cause ;
-2- Considérant que le V de l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier dispose que « la commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les publications, journaux ou supports qu’elle désigne. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées » ; que, par ces dispositions, le législateur a entendu permettre à la Commission de tenir compte des exigences d’intérêt général relatives à la loyauté du marché, à la transparence des opérations et à la protection des épargnants qui fondent son pouvoir de sanction ainsi que de l’intérêt qui s’attache pour la sécurité juridique de l’ensemble des opérateurs à ce que ceux-ci puissent, en ayant accès à ses décisions, connaître son interprétation des règles qu’ils doivent observer ;
Considérant que la société mise en cause fait état du risque d’amalgame qui pourrait être fait entre ses comportements ici sanctionnés et, dans le contexte présent des marchés d’instruments financiers, certaines pratiques agressives de ventes à découvert sans emprunt de titres ; que toutefois il a été suffisamment paré à ce risque par la mention faite plus haut (III « sur les observations de la société mise en cause ») des arguments développés en ce sens par cette société et par l’indication, dans les motifs de la présente décision, des circonstances atténuantes retenues par la Commission ; que, dans ces conditions, la publication de la présente décision – alors même qu’elle n’est pas assortie, contrairement à ce que demande la mise en cause, d’une anonymisation – n’est pas de nature à lui causer un trouble manifestement disproportionné avec les manquements relevés à son encontre ; que, compte tenu de l’intérêt général qui s’attache à la bonne connaissance de règles importantes pour le fonctionnement du marché et susceptibles d’intéresser de nombreux intervenants sur le marché, il y a par suite lieu de faire usage des dispositions précitées du V de l’article L. 621-15 ;
PAR CES MOTIFS,
Et après en avoir délibéré sous la présidence de M. Daniel LABETOULLE, par Mme Marielle COHENBRANCHE et MM. Guillaume JALENQUES de LABEAU et Jean-Claude HANUS, Membres de la 1ère Section de la Commission des sanctions, en présence du Secrétaire de séance,
DECIDE DE :
- prononcer une sanction pécuniaire égale à 50 000 € (cinquante mille euros) à l’encontre de la société BOUSSARD ET GAVAUDAN GESTION ;
- publier la présente décision au « Bulletin des annonces légales obligatoires », ainsi que sur le site Internet et dans la revue de l’Autorité des marchés financiers.
Notes :
1 Le 9 octobre 2008, INFOGRAMES a annoncé avoir mené à bonne fin l’acquisition complète d’ATARI Inc., qui est désormais sa filiale à 100 %.
2 A la date de la note d’information relative à l’offre publique d’échange visant les OCEANE 2003/2009, SARK détenait 75,8 % des obligations 2005/2008. Cela représentait 12,4 % de la dette de la société, soit environ 25 M€.
3 C’est-à-dire de prise en pension de titres.